Livv
Décisions

CA Amiens, 2e protection soc., 17 novembre 2025, n° 24/00601

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 24/00601

17 novembre 2025

ARRET

N°1065

S.A.S. [10]

C/

[W]

S.A.S. [17]

Société [11]

Société [11]

S.E.L.A.R.L. [18]

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU [Localité 9]

Copie certifiée conforme délivrée à :

- S.A.S. [10]

- M. [Y]

[W]

- S.A.S. [17]

- Société [11]

- Société [11]

- S.E.L.A.R.L. [18]

- CPAM DU [Localité 9]

- Me Thomas HUMBERT

- Me Marie-Pierre ABIVEN

- Me Hervé MORAS

- tribunal judiciaire

Copie exécutoire :

- CPAM DU [Localité 9]

- Me Thomas HUMBERT

- Me Marie-Pierre ABIVEN

- Me Hervé MORAS

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 17 NOVEMBRE 2025

*************************************************************

N° RG 24/00601 - N° Portalis DBV4-V-B7I-I7TZ - N° registre 1ère instance : 22/00291

Jugement du tribunal judiciaire de Valenciennes (pôle social) en date du 05 janvier 2024

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. [10] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 19]

[Adresse 19]

Représentée et plaidant par Me Thomas HUMBERT de la SELAFA AERIGE, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Solenne MOULINET, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMES

Monsieur [Y] [W]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représenté et plaidant par Me Marie-Pierre ABIVEN de la SCP DUMOULIN-CHARTRELLE-ABIVEN, avocat au barreau d'AMIENS substitué par Me Alexia DELVIENNE, avocat au barreau d'AMIENS

S.A.S. [17] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Localité 6]

Représentée par Me Hervé MORAS de la SCP SCP LEMAIRE - MORAS & ASSOCIES, avocat au barreau de VALENCIENNES substitué par Me Maxime DESEURE, avocat au barreau de BETHUNE

Société [11] en sa qualité d'assureur de la société [17], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

non représentée

Société [11] en sa qualité d'assureur de la société [17], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

non représentée

S.E.L.A.R.L. [18] ès qualité de liquidateur de la société [17], prise en la personne de Me [L] [I],

[Adresse 2]

[Localité 6]

non représentée

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU [Localité 9] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée et plaidant par Mme [X] [M], munie d'un pouvoir régulier

DEBATS :

A l'audience publique du 11 septembre 2025 devant Mme Claire BERTIN, présidente, siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 novembre 2025.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame Isabelle ROUGE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Claire BERTIN en a rendu compte à la cour composée en outre de :

M. Philippe MELIN, président,

Mme Claire BERTIN, présidente,

et M. Emeric VELLIET DHOTEL, conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 17 novembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, M. Philippe MELIN, président a signé la minute avec Mme Nathalie LÉPEINGLE, greffier.

*

* *

DECISION

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

M. [Y] [W], né le 20 septembre 1986, a été salarié de la société [10] (société [10]) à compter du 1er septembre 2017 en qualité de maçon.

Le 18 janvier 2019 sur un chantier sis à [Localité 14], alors que M. [W] posait pour le compte de son employeur une bâche anti-racines dans une fosse d'environ 1,50 mètre de profondeur, le conducteur d'un chariot élévateur appartenant à une société tierce, la société [17], lequel man'uvrait à proximité de la fosse, a perdu le contrôle de son engin qui s'est renversé dans le trou, venant heurter M. [W].

Par une décision du 6 avril 2019, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM ou caisse) du [Localité 9] a pris en charge l'accident subi le 18 janvier 2019 par M. [W] au titre de la législation sur les risques professionnels.

Par décision du 17 septembre 2021, la CPAM du [Localité 9] a attribué à l'assuré un taux d'incapacité permanente de 5%, ainsi qu'une indemnité en capital, son médecin-conseil ayant retenu pour M.'[W] une date de consolidation au 19 juillet 2020.

Par jugement du 4 octobre 2021, le tribunal de commerce de Valenciennes a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société [17] (registre du commerce et des sociétés (RCS) de Valenciennes n° SIREN [N° SIREN/SIRET 5]) puis, par jugement du 15 novembre 2021, adopté un plan de cession total des actifs et activités de ladite société au bénéfice d'une société [17] à constituer (laquelle a été créée avec un numéro de SIREN [N° SIREN/SIRET 8] au RCS de Valenciennes), et maintenu la société civile professionnelle (SCP) [18] en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 15 novembre 2021, le tribunal de commerce de Valenciennes a par suite prononcé la liquidation judiciaire de la société [17] et désigné la société [13] en qualité de liquidateur judiciaire.

Par requête de son conseil, M. [W] a saisi le 7 juillet 2022 le pôle social du tribunal judiciaire de Valenciennes d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [10], outre d'une demande de majoration de l'indemnité en capital qui lui a été versée, et d'une demande d'expertise judiciaire avant dire droit sur la liquidation des préjudices.

La société [17] est intervenue volontairement à l'instance.

A la demande de la société [10] ont été appelées en la cause la société [13] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], et les sociétés [11] et [11] en qualité d'assureurs de la société [17].

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 5 janvier 2024, le pôle social du tribunal judiciaire de Valenciennes a notamment :

1. prononcé la mise hors de cause de la société [17]';

2. dit que l'accident du travail de M. [W] était la conséquence de la faute inexcusable de l'employeur, la société [10]';

3. ordonné la majoration à son maximum du capital ou de la rente qui serait éventuellement alloué à M. [W], et dit que cette majoration devrait suivre l'évolution de son taux d'incapacité permanente partielle';

4. confié avant dire droit à M. le docteur [T] [F] une mesure d'expertise médicale judiciaire, lui confiant mission habituelle d'examiner M. [W], de prendre connaissance de son dossier médical, de décrire les seules lésions occasionnées par l'accident, de préciser s'il existait un état antérieur de la victime, de décrire les examens, soins, interventions, traitements dont avait bénéficié la victime, de dégager les éléments propres à justifier une indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées, du préjudice esthétique subi avant et après consolidation, du préjudice d'agrément';

5. débouté M. [W] de sa demande de provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices personnels';

6. dit que la CPAM du [Localité 9] ferait l'avance des réparations à venir pour le compte de l'employeur et pourrait en poursuivre le recouvrement à l'encontre de la société employeur ;

7. condamné la société [10] à payer à la société [17] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

8. débouté la société [10] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

9. réservé les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de M.'[W] ;

10. dit que l'affaire serait rappelée après expertise à une audience ultérieure devant le pôle social du tribunal judiciaire de Valenciennes';

11. dit le jugement opposable à la société [13] prise en qualité de liquidateur de la société [17], aux sociétés [11] et [11].

Ce jugement a été notifié à la société [10] par lettre recommandée du 8 janvier 2024 avec avis de réception distribué le 10 janvier suivant.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 6 février 2024 via le réseau privé virtuel des avocats (RPVA), la société [10] a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de l'intégralité du dispositif de ce jugement.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 11 septembre 2025.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1. Aux termes de ses conclusions déposées le 11 septembre 2025, soutenues oralement par son conseil, la société [10], appelante, demande à la cour, au visa des articles L.'452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, de':

à titre principal,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement querellé';

- puis statuant de nouveau, débouter M. [W] de son recours en reconnaissance de faute inexcusable ;

- condamner M. [W] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

à titre subsidiaire,

- renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire de Valenciennes pour qu'il soit statué sur les préjudices de M. [W] ;

en tout état de cause,

- déclarer l'arrêt commun et opposable à la société [13] en qualité de liquidateur de la société [17], aux sociétés [11] et [11] ;

- infirmer le jugement querellé en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 1 000 euros à la société [17] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- puis statuant de nouveau, débouter la société [17] de toute demande dirigée à son encontre.

A l'appui de ses prétentions, la société [10] fait valoir que :

- M. [W] ne démontre pas l'existence de la faute inexcusable qu'il invoque ;

- les circonstances de l'accident de M. [W] ne sont pas déterminées ; elle n'a donc commis aucune faute inexcusable ;

- l'accident a pour origine la perte de contrôle d'un chariot appartenant à une société tierce, qui intervenait sur le même chantier pour exécuter un lot «'serrurerie'» totalement différent du lot «'VRD et réseaux secs'» exécuté par elle-même ;

- alors que le salarié de la société [17] filmait son chariot transportant des plaques de verre, il l'avait laissé sans frein et en roues libres, de sorte que le chariot avait roulé ;

- la charge de la preuve de la faute inexcusable, c'est-à-dire du manquement à l'obligation légale de sécurité, de la conscience du danger, de l'absence de mesures propres à préserver sa santé et sa sécurité incombe au salarié';

- la présence d'une signalétique, d'un barriérage ou d'une zone de délimitation du chantier n'aurait pas empêché la survenance de l'accident';

- il n'existait aucune direction commune ni coactivité entre la société [17] et elle-même, qui n'intervenaient pas dans la même zone de travail';

- c'est par la circonstance totalement fortuite de la perte de contrôle d'un chariot dans une zone légèrement en pente que celui-ci est venu heurter M. [W] dans la fosse';

- par courrier du 30 août 2019, la CPAM du [Localité 9] l'a informée qu'elle acceptait d'ouvrir un dossier de recours contre tiers';

- M. [W] n'établit aucun manquement de son employeur dans la survenance de l'accident';

- les raisons pour lesquelles le chariot de la société [17] a dévalé de façon inattendue dans la fosse demeurent ignorées';

- elle est étrangère à l'accident, et ne pouvait avoir conscience du risque auquel était exposé son salarié';

- n'ayant à répondre ni des fautes d'un salarié d'une société tierce, ni des éventuels défauts du matériel appartenant à celle-ci, elle ne pouvait raisonnablement prévoir un tel accident ni prendre en amont des mesures pour l'empêcher';

- M. [W], compétent et apte à son poste de travail, a bénéficié d'une formation renforcée audit poste'; il disposait en outre du certificat de sauveteur secouriste, du certificat d'aptitude à la conduite en sécurité (CACES) R372m catégories 1 et 4, d'une autorisation de conduite de tracteur agricole, de petits engins de chantier, d'une chargeuse, et d'une chargeuse/pelleteuse, d'une autorisation d'intervention à proximité des réseaux (AIPR)';

- l'accident dont a été victime M. [W] est un évènement fortuit totalement irrépressible pour elle, qui avait par ailleurs pris les mesures nécessaires, en formant son salarié à son poste de travail';

- la responsabilité de la société [17] dans la survenance de l'accident étant manifeste, elle demande que la procédure soit déclarée opposable au liquidateur ès qualités de celle-ci et à ses assureurs';

- en revanche, elle ne développe aucune prétention à l'encontre de la société [17], qui est intervenue volontairement à l'instance'; elle s'oppose donc à lui verser des frais irrépétibles tant en première instance qu'en appel.

4.2. Aux termes de ses conclusions déposées le 11 septembre 2015, soutenues oralement par son conseil, M. [W], intimé et appelant incident, demande à la cour, au visa des articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, de':

- confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a':

* dit que son accident du travail était la conséquence de la faute inexcusable de l'employeur, la société [10]';

* ordonné la majoration à son maximum du capital ou de la rente qui lui serait éventuellement alloué, et dit que cette majoration devrait suivre l'évolution de son taux d'incapacité permanente partielle';

* confié avant dire droit à M. le docteur [T] [F] une mesure d'expertise médicale judiciaire, lui confiant mission habituelle de l'examiner, de prendre connaissance de son dossier médical, de décrire les seules lésions occasionnées par l'accident, de préciser s'il existait un état antérieur, de décrire les examens, soins, interventions, traitements dont il avait bénéficié, de dégager les éléments propres à justifier une indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées, du préjudice esthétique subi avant et après consolidation, du préjudice d'agrément';

* dit que la CPAM du [Localité 9] ferait l'avance des réparations à venir pour le compte de l'employeur et pourrait en poursuivre le recouvrement à l'encontre de celui-ci ;

* débouté la société [10] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* réservé les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile à son bénéfice';

* dit le jugement opposable à la société [13] prise en qualité de liquidateur de la société [17], aux sociétés [11] et [11]';

- réformer le jugement attaqué en ce qu'il l'a débouté de sa demande de provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices personnels';

statuant à nouveau,

- condamner la société [10] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre provisionnel sur la réparation de son préjudice';

- condamner la société [10] au paiement de la somme de 6 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

- mettre à la charge de la société [10] les entiers frais et dépens de l'instance.

A l'appui de ses prétentions, M. [W] fait valoir que :

- la société [10] aurait dû avoir conscience du danger qu'il encourait, et n'a pas pris toutes les mesures nécessaires pour l'en protéger';

- il travaillait en dehors de tout encadrement de sécurité'; il se trouvait isolé dans une fosse de plantation, alors qu'aucune mesure de sécurité n'avait été mise en place pour le préserver des dangers éventuels résultant de l'activité extérieure';

- aucune signalétique, ni délimitation de zone, ni barrière n'avait été installée, et l'accompagnement par un autre salarié était inexistant';

- il n'a pas sérieusement pu assimiler une dizaine de formations renforcées le même jour, soit le 1er septembre 2017';

- aux termes des article L. 4121-5, L. 4532-2 L. 4532-3, L. 4532-6 du code du travail, l'employeur doit assurer une mission légale de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé pour tout chantier de bâtiment ou de génie civil';

- la réalisation d'un chantier en commun avec d'autres entreprises est une source de danger pour les salariés, alors que la société [10] n'a pas honoré son obligation légale de coordination destinée à minimiser les risques pour ses propres salariés';

- si la collision a eu lieu entre le chariot appartenant à la société [17] et lui, c'est bien parce qu'ils se sont trouvés au même endroit au même moment'; - la société Jean Lefevre n'a pris aucune mesure pour le protéger du matériel utilisé par les autres entreprises à proximité de son poste';

- les circonstances de l'accident sont connues, il s'agit du défaut de maîtrise d'un chariot qui a roulé librement dans la fosse';

- la société [10] n'a élaboré aucun plan particulier de sécurité et de protection de la santé conformément à l'article L. 4532-9 du code du travail.

4.3. Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 11 septembre 2025, soutenues oralement par son conseil, la société [17], intimée, demande à la cour, au visa des articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, L. 4122-1 du code du travail, de':

- confirmer le jugement querellé en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause';

- in limine litis, juger irrecevable l'appel en déclaration de jugement commun dirigé contre la société [17] (RCS Valenciennes n° SIREN [N° SIREN/SIRET 8]) (sic) par la société [10]';

- subsidiairement, juger mal fondé l'appel en cause formé contre elle par la société [10]';

- à titre subsidiaire, constater que la cause de l'accident dont a été victime M. [W] est indéterminée';

- en conséquence, juger que M. [W] ne rapporte pas la preuve d'une faute inexcusable à son préjudice';

- en conséquence, débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes, y compris celle tendant à voir fixer au maximum la majoration de la rente d'accident du travail';

- débouter M. [W] de sa demande de provision';

- dire n'y avoir lieu à expertise';

- constater qu'il a été fait sommation à la société [10] de produire aux débats le plan de coordination du chantier de la [Adresse 16], et le plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS)';

- débouter la société [10] de l'ensemble de ses demandes, sauf en ce qu'elle demande de juger que la cause de l'accident survenu le 10 octobre 2016 reste indéterminée';

- condamner in solidum M. [W] et la société [10] à payer à la société [17] (sic) la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance.

A l'appui de ses prétentions, la société [17] fait valoir que :

- en sa qualité de cessionnaire de la société [17], elle n'est pas l'ayant cause à titre universel de cette dernière'; ainsi ne recueille-t-elle pas les dettes de la cédante, ni les actions dont celle-ci était titulaire et qui ne sont pas attachées aux actifs cédés'; en effet, le repreneur n'est pas tenu du passif de la société reprise et ne peut se voir imposer d'autres charges que les engagements qu'il a souscrits lors de la préparation du plan';

- elle n'est donc pas tenue au passif et ne saurait répondre des manquements commis par le débiteur ou ses préposés antérieurement à la reprise';

- la société [10] est irrecevable à agir contre elle en déclaration de jugement commun';

- le chantier litigieux portait sur la construction d'un bâtiment de trois étages et de 48 appartements, le maître de l'ouvrage étant la SCCV [15], et l'assistance à maîtrise d'ouvrage la société [12]';

- un tel chantier d'envergure nécessite l'intervention de plusieurs entreprises extérieures en même temps, voire de sous-traitants, et donc obligatoirement une coordination du chantier'pour assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs ;

- à défaut de production du plan de coordination du chantier et du plan particulier de sécurité et de protection de la santé, la société [10] ne peut valablement appeler la société [17] en déclaration de jugement commun';

- pour établir que son employeur devait avoir conscience du danger auquel il était exposé et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, M. [W] procède par voie d'affirmations sans procéder à aucune démonstration et sans étayer son dossier d'aucun élément probatoire';

- rien ne démontre que la présence d'une signalétique, ou une délimitation de la zone, ou un barriérage, dont au demeurant l'absence n'est nullement établie, aurait pu empêcher la survenance de l'accident';

- M. [W] a bénéficié de toutes les formations professionnelles requises, en ce compris des formations à la qualité et à la sécurité, et a reçu les équipements de protection individuelle (EPI) nécessaires à la tenue de son poste';

- une faute inexcusable de l'employeur ne peut être retenue si les circonstances de l'accident demeurent indéterminées ou incertaines';

- s'agissant de l'action récursoire de la caisse, l'accident du travail ayant eu lieu le 18 janvier 2019, il appartenait tant à la société [10] qu'à la caisse de déclarer leur créance au passif de la société [17]dès la mise en redressement judiciaire de celle-ci, le 4 octobre 2021 ;

- en application des articles L. 622-24 et L. 622-26 du code de commerce, tous créanciers, dont la créance trouve son origine antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective, doivent sous peine de forclusion adresser leur déclaration de créance au mandataire judiciaire dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC)';

- à défaut d'avoir valablement procédé à leur déclaration de créance dans le délai légal imparti, la CPAM du [Localité 9] et la société [10] sont privées de leur demande en déclaration de jugement commun, et de leur action récursoire à l'encontre de la société [17], son liquidateur et son cessionnaire.

4.4. Aux termes de ses conclusions communiquées le 11 septembre 2025, soutenues oralement par sa représentante, la CPAM du [Localité 9], intimée, s'en rapporte à la sagesse de la cour sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur'; en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, elle demande à la cour de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a retenu qu'elle pourrait recouvrer les sommes dues au titre de la faute inexcusable auprès de la société [10].

A l'appui de ses prétentions, la CPAM du [Localité 9] fait valoir que :

- la conscience du danger par l'employeur existe dès lors que, de façon exclusive ou par une négligence ou un manquement, celui-ci a contribué à créer les conditions de travail dans lesquelles le risque professionnel s'est réalisé';

- en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit, en vertu des dispositions de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, au doublement de son indemnité en capital si le taux d'incapacité permanente partielle (IPP) évalué à la suite de ses séquelles est inférieur à 10%';

- la victime a également droit à l'indemnisation des préjudices subis à la condition qu'ils soient visés par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ou non couverts par le livre IV du même code';

- elle ne s'oppose pas à la demande de désignation d'un expert afin d'évaluer la nature et le quantum des préjudices subis par M. [W]';

- en application des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tenue de faire l'avance à la victime des sommes dues en réparation des différents préjudices subis, elle dispose d'une action récursoire contre l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue.

4.5. Régulièrement convoquées par lettres recommandées du 25 juin 2025 avec avis de réception distribués les 27 et 30 juin suivants, les sociétés [13] en qualité de liquidateur de la société [17], [11] et [11], intimées, n'ont pas comparu à l'audience ni personne pour elles.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer à leurs conclusions déposées à l'audience et développées oralement devant la cour, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur la mise hors de cause de la société [17]

A titre liminaire, il s'observe que les parties ne discutent pas la recevabilité de l'intervention volontaire en première instance et en appel de la société [17].

Selon la déclaration d'accident du travail du 18 décembre 2019, M. [W], salarié de la société [10], a subi le jour même vers 9 heures, sur un chantier à [Localité 14], un accident lui occasionnant des lésions au niveau de la hanche gauche à type de douleur et d'hématome dans les circonstances suivantes': «'fosses de plantation, mise en place de l'anti-racines'; un salarié de la société [17] aurait filmé un chariot (sans frein - roues libres) contenant des plaques de verre'; ce chariot aurait roulé et percuté notre salarié'; un chariot contenant des plaques de verre (poids total une tonne 500)'».

Dans un courrier complémentaire du 28 janvier 2019 adressé à la CPAM du [Localité 9], la société [10] a indiqué que le chariot ayant percuté son salarié appartenait à la société [17], qui travaillait pour un lot différent sur le même chantier qu'elle.

Par deux jugements rendus le 15 novembre 2021, le tribunal de commerce de Valenciennes a adopté un plan de cession total des actifs et activités de la société [17] au profit de la société [17] à constituer, et prononcé par suite la liquidation judiciaire de la société [17], désignant la société [13] en qualité de liquidateur judiciaire.

Le plan de cession ne comprend aucune clause de garantie du passif par le cessionnaire, de sorte que la société [17], qui n'est pas l'ayant cause à titre universel de la société [17], ne recueille pas les dettes de celle-ci.

Il s'ensuit que le cessionnaire n'est pas tenu du passif du cédant, et ne saurait répondre des manquements ou fautes qu'aurait pu commettre auparavant ce dernier, les obligations du cédant nées avant l'adoption du plan de cession n'étant pas transmises de plein droit au cessionnaire.

La cour observe que la société [10], M. [W] et la caisse ne développent en réalité aucune prétention à l'encontre de la société [17], laquelle doit être mise purement et simplement hors de cause.

Le jugement attaqué sera confirmé en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de la société [17].

II - Sur l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur

A titre liminaire, il s'observe que les parties ne contestent pas le caractère professionnel de l'accident survenu le 18 janvier 2019 au préjudice de M. [W].

Les moyens soutenus par les parties ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.

Il convient seulement de souligner et d'ajouter les points suivants :

=> Sur la conscience du danger par l'employeur

Si l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale pose le principe de l'interdiction de tout recours du salarié victime ou de ses ayants droits contre l'employeur aux fins d'obtenir réparation des accidents et maladies professionnels, il prévoit néanmoins quelques exceptions au rang desquelles figure la faute inexcusable de l'employeur.

L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale prévoit que « lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droits ont droit à une indemnisation complémentaire [...] ».

La faute inexcusable est définie comme le manquement de l'employeur à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle il est tenu envers le travailleur, lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Pour qu'il y ait faute inexcusable, l'employeur doit avoir violé les différentes règles visées par le livre III du code du travail (équipement de travail et moyens de protection), le livre IV (prévention de certains risques professionnels) ou le livre V (prévention des risques liés à certaines activités ou opérations). Il doit avoir ou aurait dû avoir conscience du danger et nonobstant, ne pas avoir pris les mesures de protection nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L.'4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'article L. 4121-2 du même code dispose que l'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux';

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L.'1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

L'article L. 4141-1, alinéa 1, du code précité impose à l'employeur d'organiser et de dispenser une information des travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité et les mesures prises pour y remédier.

La conscience du danger, dont la preuve incombe à la victime, s'apprécie in abstracto par rapport à ce que doit savoir, dans son secteur d'activité, un employeur conscient de ses devoirs et obligations.

De plus, le code du travail met à la charge de l'employeur des obligations légales spécifiques en cas de chantier nécessitant l'intervention, en même temps et sur un même site, de plusieurs entreprises distinctes.

Aux termes de l'article L. 4121-5 du code du travail, lorsque dans un même lieu de travail les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs coopèrent à la mise en 'uvre des dispositions relatives à la santé et à la sécurité au travail.

Aux termes de l'article L. 4532-2 du code du travail, une coordination en matière de sécurité et de santé des travailleurs est organisée pour tout chantier de bâtiment ou de génie civil où sont appelés à intervenir plusieurs travailleurs indépendants ou entreprises, entreprises sous-traitantes incluses, afin de prévenir les risques résultant de leurs interventions simultanées ou successives et de prévoir, lorsqu'elle s'impose, l'utilisation des moyens communs tels que les infrastructures, les moyens logistiques et les protections collectives.

Aux termes de l'article L. 4532-3 du code du travail, la coordination en matière de sécurité et de santé est organisée tant au cours de la conception, de l'étude et de l'élaboration du projet qu'au cours de la réalisation de l'ouvrage.

Aux termes de l'article L. 4532-8 du code du travail, lorsque plusieurs entreprises sont appelées à intervenir sur un chantier qui, soit fait l'objet de la déclaration préalable prévue à l'article L. 4532-1, soit nécessite l'exécution d'un ou de plusieurs des travaux inscrits sur une liste de travaux comportant des risques particuliers déterminée par arrêté des ministres chargés du travail et de l'agriculture, le maître d'ouvrage fait établir par le coordonnateur un plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé.

Ce plan est rédigé dès la phase de conception, d'étude et d'élaboration du projet et tenu à jour pendant toute la durée des travaux.

Aux termes de l'article L. 4532-9 du code du travail, sur les chantiers soumis à l'obligation d'établir un plan général de coordination, chaque entreprise, y compris les entreprises sous-traitantes, appelée à intervenir à un moment quelconque des travaux, établit, avant le début des travaux, un plan particulier de sécurité et de protection de la santé. Ce plan est communiqué au coordonnateur.

Toute entreprise appelée à exécuter seule des travaux dont la durée et le volume prévus excèdent certains seuils établit également ce plan. Elle le communique au maître d'ouvrage.

En l'espèce, si la société [10] argue que la perte accidentelle et fortuite de contrôle d'un chariot par une société tierce, non loin de la fosse où travaillait son salarié, constituait pour elle une circonstance imprévisible, d'autant que le lot «'VRD et réseaux secs'» qui lui était confié était totalement distinct du lot «'serrurerie'» attribué à la société [17], il reste qu'elle ne répond pas à l'argumentaire de M. [W] selon lequel en l'absence de plan de coordination, rien n'avait été mis en place pour le protéger de l'activité extérieure.

En effet, contrairement aux allégations de l'employeur, les circonstances dans lesquelles est survenu l'accident sont connues, dès lors qu'il est établi qu'un salarié de la société [17] a perdu le contrôle de son chariot chargé de plaques de verre, à proximité de la fosse dans laquelle travaillait M.'[W], puis que ce chariot est venu glisser sans frein et en roues libres dans la fosse où il a heurté le travailleur.

L'employeur ne conteste pas que M. [W] se trouvait isolé dans la fosse au moment de l'accident, ni qu'il n'existait ni signalétique, ni barriérage, ni plan de circulation, ni délimitation de périmètre de sécurité de nature à le préserver de tout risque lié à la circulation extérieure d'engins de chantier.

Les textes du code du travail rappelés ci-dessus imposent à chaque employeur une mission légale de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé pour tout chantier de bâtiment.

En l'espèce, le chantier consistait en la construction à [Localité 14] d'un ensemble immobilier de trois étages et de quarante-huit logements collectifs par des corps d'état séparés, et il est rappelé que l'exécution d'un chantier en même temps et sur le même site par différentes entreprises est à l'évidence source de danger pour l'ensemble des travailleurs, et impose la mise en place par un coordonnateur d'un plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé, ainsi que d'un plan particulier de sécurité et de protection de la santé élaboré par chaque employeur.

Aucun plan général ou particulier de cette nature n'est versé au débat.

C'est par une exacte appréciation des faits et de la cause que le premier juge a retenu qu'une coordination des activités des entreprises intervenant sur le chantier était légalement obligatoire, et que cette obligation de coopération entre les sociétés [10] et [17] pour mettre en 'uvre des mesures particulières de sécurité dans la zone de travail commune n'a pas été respectée.

Il s'ensuit que la société [10] avait conscience ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié, dès lors qu'il travaillait seul dans une fosse à proximité immédiate d'une zone de circulation d'engins appartenant à des sociétés tierces.

=> Sur l'absence de mesures prise par l'employeur pour préserver le salarié du danger encouru

La société [10] verse au débat une série de fiches de formation renforcée, toutes datées du 1er septembre 2017, lesquelles établissent que M. [W] a reçu une formation en matière de travaux en fouilles et tranchées, écrasement lié à la sécurité, conduite d'engins, port des EPI et la santé, utilisation de machines-outils et outillages électroportatifs, travaux au voisinage des réseaux, utilisation d'agents chimiques dangereux, et qu'il lui a été remis le même jour le «'guide de man'uvre'», la procédure homme-trafic avec illustration des signaux conventionnels, et le livret de sécurité.

L'employeur produit encore un certificat d'autorisation d'utilisation d'une tronçonneuse thermique du 6 juillet 2017, un certificat de sauveteur secouriste délivré le 11 janvier 2019, un certificat CACES R372m catégorie 1 et 4 obtenu le 28 août 2014, une autorisation d'intervention à proximité des réseaux (AIPR) du 6 février 2019 pour la conduite d'engins ou la réalisation de travaux urgents, lesquels ont tous été valablement délivrés à M. [W].

Si l'ensemble de ces pièces établissent que le salarié avait validé de nombreuses formations le rendant particulièrement compétent et apte à son poste, il reste pour autant que l'employeur n'a pris aucune mesure de prévention pour le protéger du risque lié à l'intervention concomitante d'entreprises sur un même site et au passage d'engins à proximité immédiate de la fosse extérieure dans laquelle il 'uvrait.

En l'absence de plan général et particulier de coordination de chantier, et en l'absence de signalétique, barrières, délimitation de corridors de sécurité et de zones de circulation, le salarié démontre suffisamment que la société [10] n'a pas pris toutes les mesures pour le protéger du risque encouru.

C'est donc par une exacte appréciation des faits et de la cause que les premiers juges ont retenu que la société [10] n'avait pas pris les mesures nécessaires pour protéger M. [W] du risque auquel il était exposé du fait de la circulation et l'utilisation d'engins de sociétés tierces à proximité immédiate de son poste.

Il résulte de ce qui précède que la société [10] a bien commis une faute inexcusable qui constitue une des causes nécessaires de l'accident survenu à M. [W].

Le jugement attaqué est confirmé sur ce point.

III - Sur les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable

Aux termes de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. [']

Il résulte de ce texte, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Il s'ensuit que le salarié ne saurait dans ces conditions prétendre à la réparation intégrale de ses préjudices selon les règles de droit commun, la réparation de la faute inexcusable de l'employeur continuant à relever du régime spécifique prévu par les articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, et que seuls les chefs de préjudice qui ne sont pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale peuvent faire l'objet d'une indemnisation dans les conditions du droit commun.

=> Sur la majoration du capital

Selon l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre. Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité.

La faute inexcusable de l'employeur étant seule retenue en l'absence de toute faute de même nature imputable à la victime, il convient d'ordonner la majoration à son maximum de l'indemnité en capital allouée à M.'[W], l'état de santé de celui-ci ayant été déclaré consolidé au 19 juillet 2020 par le médecin-conseil de la caisse avec attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5%.

Le jugement dont appel est confirmé en ce qu'il a ordonné la majoration à son maximum du capital ou de la rente qui serait éventuellement alloué à M. [W], et dit que cette majoration devrait suivre l'évolution de son taux d'incapacité permanente partielle.

=> Sur l'expertise judiciaire

Le tribunal a ordonné, avant dire droit, une expertise aux fins d'évaluation des postes de préjudice suivants : souffrances physiques et morales endurées, préjudice esthétique subi avant et après consolidation, préjudice d'agrément.

Les parties ne contestant ni le principe de la mesure d'expertise ni la mission confiée à M. le docteur [F] en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, et les poste de préjudices susvisés n'étant pas couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale, le jugement est confirmé en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise judiciaire.

=> Sur la provision

Le premier juge a débouté M. [W] de sa demande de provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.

La victime sollicite la réformation du jugement dont appel sur ce point, réclamant la condamnation de la société [10] à lui payer une provision de 10 000 euros.

Sur ce, l'article L. 452-3 précité prévoit que la réparation des préjudices subis par le salarié en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur est versée directement au bénéficiaire par la caisse, qui en récupère le montant auprès de l'employeur.

Dès lors que M. [W] réclame une provision de 10 000 euros directement contre l'employeur et non contre la caisse, et n'apporte en appel aucun élément de nature à justifier sa prétention, il convient de rejeter l'appel incident et de confirmer le jugement querellé de ce chef.

=> Sur l'action récursoire de la caisse

L'article L. 452-2 précité, relatif à la majoration des indemnités dues aux victimes d'accidents de travail ou de maladies professionnelles en cas de faute inexcusable de l'employeur, prévoit que la majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur.

De même, l'article L. 452-3, relatif à l'indemnisation des préjudices de la victime en cas de faute inexcusable de l'employeur, prévoit que la réparation de ces préjudices est versée directement au bénéficiaire par la caisse, qui en récupère le montant auprès de l'employeur.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a jugé que la CPAM pourrait, dans le cadre de son action récursoire, récupérer le montant de l'ensemble des sommes dont elle aurait fait l'avance à M. [W] auprès de l'employeur.

IV - Sur les autres prétentions des parties

=> Sur la déclaration de jugement opposable

Selon l'article 416 du code de procédure civile, quiconque entend représenter ou assister une partie doit justifier qu'il en a reçu le mandat ou la mission.

La cour rappelle que nul ne plaide par procureur en matière civile, de sorte que chacun doit agir en justice en son nom propre.

En conséquence, la société [17], qui ne justifie pas avoir reçu mandat ou pouvoir spécial pour représenter la société [17], est dépourvue de qualité et d'intérêt à agir pour le compte de celle-ci dans le cadre du présent appel.

La société [17] ne peut valablement, faute d'y avoir été autorisée, conclure pour la société [17], et réclamer l'irrecevabilité de l'appel en déclaration de jugement commun formulé par la société [10] contre celle-ci.

C'est à bon droit que le jugement critiqué s'est déclaré opposable aux sociétés [13] en qualité de liquidateur de la société [17], [11] et [11].

Il appartiendra, le cas échéant, à la société [10] et à la CPAM du [Localité 9] de justifier ultérieurement de leur déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société [17].

=> Sur les dépens

Selon l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

La société [10] succombant en son appel, il convient de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et, ajoutant de ce chef, de la condamner aux dépens d'appel.

=> Sur les frais irrépétibles

Selon l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Le jugement attaqué sera confirmé en ce qu'il a débouté la société [10] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et réservé le sort des frais irrépétibles de première instance au bénéfice de M. [W].

En revanche, dès lors que la société [10] ne développe en première instance aucune prétention à l'encontre de la société [17] qui, au demeurant, est intervenue volontairement à la procédure, le jugement dont appel sera réformé en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société [17] la somme de 1 000 euros de frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, la société [17] ne peut valablement conclure pour la société [17] et réclamer la condamnation in solidum de M. [W] et de la société [10] à payer à cette dernière une indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La demande de chef est rejetée.

La solution du litige et l'équité justifient en revanche la condamnation de la société [10] à régler à M. [W] une somme de 2 500 euros d'indemnité de procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 janvier 2024 par le pôle social du tribunal judiciaire de Valenciennes, sauf en ce qu'il a condamné la société [10] à payer à la société [17] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

Le réforme de ce chef';

Prononçant à nouveau du chef réformé et y ajoutant,

Déboute la société [17] de sa demande d'indemnité de procédure de première instance dirigée à l'encontre de la société [10]';

Déclare l'arrêt opposable à la société [18] prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société [17], à la société [11], et à la société [11]';

Rejette les plus amples prétentions'des parties ;

Condamne la société [10] aux dépens d'appel';

Condamne la société [10] à payer à M. [Y] [W] la somme de 2 500 euros d'indemnité de procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site