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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 26 novembre 2025, n° 23/05816

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 23/05816

26 novembre 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 26 NOVEMBRE 2025

N° RG 23/05816 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NSA2

S.A.R.L. [E] T.P.

c/

S.A. SOCIETE GENERALE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 novembre 2023 (R.G. 2002F01578) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 22 décembre 2023

APPELANTE :

S.A.R.L. [E] T.P., agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

Représentée par Maître Pierre-Jean DONNADILLE, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Vincent FAIVRE-VILOTTE, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE :

S.A. SOCIETE GENERALE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

Représentée par Maître Louis COULAUD de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 octobre 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Bérengère VALLEE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

FAITS ET PROCÉDURE :

1. La société à responsabilité limitée [E] TP, dont le siège est à [Localité 3] (Lot), exerce une activité de travaux de terrassement couverts et travaux préparatoires.

Selon contrat des 28 novembre et 3 décembre 2019, la société anonyme Scopelec, entrepreneur principal, a sous-traité à la société [E] TP la réalisation de travaux de génie civil qui lui avaient été confiés par la société Orange, maître d'ouvrage.

Par contrat du 24 juin 2020, la Société Générale s'est portée caution solidaire de la société Scopelec au profit de son sous-traitant, la société [E] TP, dans la limite de la somme de 18.750 euros.

Par jugement du 17 mars 2022, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de sauvegarde de la société Scopelec, débitrice de la société [E] TP.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 avril 2022, la société [E] TP a mis en demeure la Société Générale de lui régler la somme de 18.750 euros au titre de son engagement de caution solidaire.

Le 20 avril 2022, la société [E] TP a déclaré sa créance au passif de la société Scopelec pour un montant de 52.140,81 euros.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er juillet 2022, la Société Générale a refusé de procéder au paiement au motif que la société [E] TP n'avait pas respecté les clauses du contrat de caution, faute notamment de mise en demeure adressée à la société Scopelec.

2. Par acte extrajudiciaire du 19 septembre 2022, la société [E] TP a fait assigner la Société Générale devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de diverses sommes.

Par jugements des 26 septembre et 28 décembre 2022, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert la procédure de redressement judiciaire puis de liquidation judiciaire de la société Scopelec.

Par jugement du 14 novembre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué ainsi qu'il suit :

- déboute la société [E] TP de l'intégralité de ses demandes ;

- condamne la société [E] TP à payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne la société [E] TP aux entiers dépens.

Par déclaration au greffe du 22 décembre 2023, la société [E] TP a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la Société Générale.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

3. Par conclusions déposées en dernier lieu le 19 mars 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société [E] TP demande à la cour de :

Vu les dispositions du livre VI du code de commerce et notamment l'article L. 622-7,

Vu les dispositions de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975,

Vu les pièces et les décisions jurisprudentielles susvisées,

- Infirmer le jugement rendu le 14.11.2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a :

' Débouté la société [E] TP de l'intégralité de ses demandes,

' Condamné la société [E] TP à payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamné la société [E] TP aux entiers dépens,

Et statuant à nouveau,

- Condamner la Société Générale à payer à [E] TP la somme de 18 750 euros au titre de son engagement de caution, outre les intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2022, date de la demande par laquelle l'exécution du cautionnement a été sollicitée,

- Condamner la Société Générale à payer à [E] TP la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés en première instance et en appel,

- Condamner la Société Générale aux entiers dépens de première instance et d'appel.

4. Par conclusions déposées en dernier lieu le 10 juin 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la Société Générale demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1103 du code civil et L. 622-1 du code de commerce,

Vu les pièces visées,

Vu ce qui précède,

- Rejeter les arguments, fins et prétentions de la société [E] TP,

- Confirmer le jugement du 14 novembre 2023 en toutes ses dispositions,

- Condamner la société [E] TP au règlement à la Société Générale de la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 24 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Moyens des parties

5. Le litige porte sur les conditions de mise en 'uvre du contrat de cautionnement consenti par la Société Générale au profit de la société [E] TP, sous-traitant, dans le cadre du marché de travaux conclu entre celle-ci et la société Scopelec, entrepreneur principal.

6. La société [E] TP soutient qu'elle justifie de sa créance et de son absence de carence dans son recouvrement. Elle fait valoir que le détail des sommes dont il est demandé le paiement était annexé à la déclaration de créance produite aux débats. L'appelante soutient ensuite qu'il aurait été vain de mettre en demeure le débiteur, puisque celui-ci était en procédure de sauvegarde et que tout paiement lui était interdit par le code de commerce. La société [E] soutient enfin que l'exigence d'une mise en demeure préalable ne peut permettre à la Société Générale de se soustraire à son engagement de caution en raison du caractère d'ordre public des dispositions de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.

7. La Société Générale, qui rappelle le principe de la force obligatoire des conventions, oppose qu'en matière de sauvegarde, le débiteur n'est pas dessaisi de ses pouvoirs de direction et conserve ses prérogatives en matière de gestion courante. Elle en conclut que le dirigeant était en mesure de recevoir et de traiter une mise en demeure. Elle ajoute que la société [E] ne justifie pas avoir adressé une mise en demeure concomitamment à sa demande de règlement et dans un délai de deux mois après la date d'exigibilité des factures. Enfin, elle indique que le formalisme du contrat de cautionnement est de nature à lui permettre de s'assurer que l'appel en paiement est bien fondé.

Réponse de la cour

8. L'article 1103 du code civil dispose :

« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.»

9. L'acte de cautionnement litigieux organise en son article 2 la mise en oeuvre de l'obligation de la Société Générale et les conditions du paiement par cette caution. Cette clause prévoit que le sous-traitant ne pourra demander le paiement à la caution qu'après défaillance de l'entrepreneur principal résultant du non-paiement d'une dette à l'échéance prévue au contrat. Il est en particulier indiqué :

«'A cette fin et afin d'obtenir ce paiement, le Sous-Traitant devra auparavant, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception :

a) mettre en demeure l'Entrepreneur Principal au plus tard dans le délai de deux mois à compter des dates contractuelles d'exigibilité desdites sommes,

b) adresser simultanément à la Banque, la copie de cette mise en demeure accompagnée des demandes de paiement détaillées non contestées par l'Entrepreneur Principal, assisté ou représenté, le cas échéant, par le mandataire de justice compétent.'»

10. Il n'est pas contesté que l'entrepreneur principal, désormais en liquidation judiciaire, a été défaillant.

11. La société [E] ne tente pas de contester le fait qu'elle n'a pas adressé à l'entrepreneur principal la mise en demeure prévue au contrat ci-dessus, mais elle soutient que les stipulations le prévoyant se heurtent à des dispositions légales d'ordre public, plus précisément le code de commerce et la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.

12. Pour autant, si les dispositions de l'article L. 622-7 du code de commerce prévoient que le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde emporte interdiction de payer toute créance antérieure, il n'aurait été ni vain ni inutile de mettre la société Scopelec en demeure de payer. Il résulte en effet de l'article L. 622-1 du même code que, en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, l'administration de l'entreprise est assurée par son dirigeant. Au surplus, dans le cas d'espèce, la procédure de sauvegarde comportait deux administrateurs judiciaires chargés de surveiller les opérations de gestion du débiteur.

13. La débitrice était donc bien en mesure de recevoir et de traiter la mise en demeure, et la société [E] ne saurait exciper de ce motif pour s'en être dispensée, alors même que le contrat de caution n'exige pas que la mise en demeure soit fructueuse.

14. C'est vainement que la société [E] se prévaut de sa déclaration de créance à la procédure collective de la société Scopelec du 20 avril 2022. En effet, la déclaration de créance, qui n'est pas adressée au débiteur, mais au mandataire à la procédure, a pour objet de faire inscrire une créance au passif et non de procéder à une mise en demeure.

15. Si l'article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance prévoit que, en l'absence de délégation de paiement donnée par l'entrepreneur principal au sous-traitant, un cautionnement donné par un établissement bancaire est une condition de validité du contrat de sous-traitance, et si l'article 15 suivant précise que sont nuls les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la loi, tel n'est pas le cas de l'article 2 du contrat de cautionnement ci-dessus, qui a seulement pour objet de prévoir les conditions de la mise en 'uvre du cautionnement, et non de faire échec aux dispositions de la loi notamment en imposant un bénéfice de discussion.

16. La Société Générale peut utilement opposer que les textes de la loi de 1975 n'interdisent pas à la caution de s'assurer que la mise en oeuvre de son engagement est bien justifiée, et que, en raison du non-respect du contrat, elle n'est pas en mesure d'apprécier le bien fondé de l'appel en paiement litigieux.

Au surplus, la banque peut encore opposer utilement que c'est à juste titre que le tribunal de commerce a considéré que la société [E] avait été défaillante dans le recouvrement de ses créances ; qu'elle a adressé ses factures à son donneur d'ordre entre le 1er octobre 2020 et le 5 mars 2021 puis n'a plus envoyé à la société Scopelec que des 'factures brouillons' et des décomptes qui ne peuvent valoir factures.

17. Ainsi, la société [E] n'a pas respecté ses obligations contractuelles, ce qui n'a pas permis à la caution d'être en mesure de vérifier le bien fondé d'une intervention de sa part, de sorte que le refus de paiement de la Société Générale est fondé.

18. Il convient de confirmer le jugement déféré à cet égard ainsi qu'en ses chefs de dispositif relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance.

19. Partie tenue aux dépens d'appel, la société [E] TP paiera à la Société Générale la somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu entre les parties le 14 novembre 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux.

Y ajoutant,

Condamne la société [E] TP à payer à la Société Générale la somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société [E] TP aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

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