CA Grenoble, ch. civ. A, 25 novembre 2025, n° 21/03516
GRENOBLE
Arrêt
Autre
N° RG 21/03516
N° Portalis DBVM-V-B7F-LAAI
C3*
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SELARL FAYOL AVOCATS
la SELAS AGIS
la SCP LACHAT MOURONVALLE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Chambre civile section A
ARRÊT DU MARDI 25 NOVEMBRE 2025
Appel d'une décision (N° RG 19/02375)
rendue par le Tribunal de Grande Instance de VALENCE
en date du 03 juin 2021
suivant déclaration d'appel du 29 juillet 2021
APPELANT :
M. [R] [W]
né le 11 juin 1971 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 8],
[Adresse 5]
[Localité 6]
représenté par Me Elodie BORONAD de la SELARL FAYOL AVOCATS, avocat au barreau de VALENCE
INTIMEES :
S.A.S. SIDAM ARMES ET MUNITIONS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Alexia SADON de la SELAS AGIS, avocat au barreau de VIENNE
S.A.R.L. MTM (nom commercial MOULIN SPORTS), SARL immatriculée au RCS de [Localité 9] sous le numéro 383 600 053, représentée
par son représentant légal en exercice.
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Christophe LACHAT de la SCP LACHAT MOURONVALLE, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Raphaële Faivre, conseiller,
M. Jean - Yves Pourret, conseiller
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 octobre 2025, Mme Clerc président de chambre chargé du rapport, assistée de Mme Anne Burel, greffier, a entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 2 septembre 2008, M. [R] [W] a fait l'acquisition d'un fusil de fabrication turque de marque ESCORT, modèle Diana , auprès de la société MTM exerçant à [Localité 7] une activité d'armurerie sous l'enseigne MOULIN SPORT.
L'arme avait été importée par la société d'importation et de distribution d'armes et munitions (SIDAM).
Le 15 octobre 2015, au cours d'une partie de chasse, M. [W] a été blessé par un éclat de métal au poignet gauche et au visage en déclenchant un tir alors que la culasse du fusil n'était pas complètement verrouillée.
Il a demandé la réparation de son préjudice à la société M.T.M, ainsi qu'à la société DECATHLON auprès de laquelle il avait acquis les cartouches utilisées, de marque SOLOGNAC.
Le fournisseur des munitions a fait procéder le 23 novembre 2015 à un examen non contradictoire de l'arme, qui a mis hors de cause les projectiles en retenant que la mise à feu pouvait avoir lieu alors que la culasse n'était pas complètement verrouillée.
Le cabinet CET IRD, désigné en qualité d'expert amiable par l'assureur de protection juridique de M. [W], a conclu le 20 novembre 2017 à l'existence d'un défaut de conception de l'arme la rendant dangereuse en l'absence de dispositif de sécurité lorsque la culasse n'est pas fermée.
Par acte d'huissier du 28 août 2019 M. [W] a fait assigner les sociétés SIDAM et M.T.M devant le tribunal de Grande instance de Valence aux fins d'entendre :
A titre principal
déclarer la société SIDAM responsable de son préjudice en sa qualité d'importatrice de l'arme sur le fondement de la garantie des produits défectueux régie par les articles 1245 et suivants du code civil,
A titre subsidiaire
dire et juger que la société M.T.M est responsable de son préjudice en sa qualité de vendeur professionnel sur le fondement de la garantie légale des vices cachés régie par les articles 1641 et suivants du code civil,
En tout état de cause
surseoir à statuer sur l'indemnisation de ses préjudices matériel et corporel,
ordonner une expertise médicale aux fins d'évaluation complète de son préjudice corporel et lui allouer une provision de 5.000€ à valoir sur la réparation de ce préjudice,
ordonner une expertise technique du fusil en vue de décrire précisément les désordres dont il est affecté,
condamner in solidum les sociétés SIDAM et M.T.M à lui payer une indemnité de procédure de 2.000€.
La société SIDAM a conclu à la prescription de l'action formée à son encontre plus de 10 ans après la mise en circulation de l'arme et subsidiairement à son mal fondé au motif que le défaut n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation.
La société M.T.M a également soulevé la prescription de l'action formée à son encontre plus de deux années après la découverte du vice et subsidiairement à son mal fondé en l'absence de vice caché préexistant à la vente, l'accident provenant manifestement d'une mauvaise utilisation du fusil.
Par jugement en date du 3 juin 2021, le tribunal judiciaire de Valence a déclaré M. [W] irrecevable en ses demandes dirigées tant à l'encontre de la société SIDAM que de la société M.T.M, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, et a condamné M. [W] aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [W] a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 29 juillet 2021 aux termes de laquelle il critique le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables son action et ses demandes dirigées tant à l'encontre de la société SIDAM que de la société M.T.M.
Il a demandé à la cour de le déclarer recevable en son action,
titre principal, de déclarer la société SIDAM responsable de son préjudice en sa qualité d'importatrice de l'arme sur le fondement de la garantie des produits défectueux régie par les articles 1245 et suivants du code civil,
à titre subsidiaire, de juger que la société M.T.M est responsable de son préjudice en sa qualité de vendeur professionnel sur le fondement de la garantie légale des vices cachés régie par les articles 1641 et suivants du code civil,
à titre plus subsidiaire, d'ordonner avant dire droit une expertise technique du fusil, et en tout état de cause de surseoir à statuer sur l'indemnisation de ses préjudices matériel et corporel, d'ordonner une expertise médicale aux fins d'évaluation complète de son préjudice corporel et lui allouer une provision de 5.000€ à valoir sur la réparation de ce préjudice.
La SAS SIDAM a sollicité la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré M. [W] irrecevable en son action, et subsidiairement s'est opposée sur le fond à l'intégralité des demandes formées par M. [W] à son encontre.
la SARL M.T.M a demandé à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et subsidiairement de débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes.
Par arrêt en date du 27 juin 2023, la présente cour a :
confirmé le jugement déféré en ce qu'il a déclaré M. [W] irrecevable en son action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux dirigée contre la SAS SIDAM,
- infirmé le jugement déféré pour le surplus et statuant à nouveau :
déclaré M. [W] recevable en son action fondée sur la garantie légale des vices cachés dirigée contre la SARL MTM,
ordonné avant dire droit sur l'ensemble des demandes formées par M. [W] une expertise technique confiée à M. [S] [M] avec mission principale d'examiner l'arme acquise le 2 septembre 2008 par M.[W] auprès de la société MTM, de la décrire et de déterminer la ou les causes de l'accident survenu le 15 octobre 2015, de dire spécialement si l'arme est affectée d'un défaut de conception d'origine après avoir procédé, s'il l'estime utile, à de nouveaux essais de tir et après avoir examiné, si nécessaire, une arme neuve ou d'occasion d'un modèle identique et de même conception,
sursis à statuer sur la demande d'expertise médicale et de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice corporel de la victime et sur les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
réservé les dépens.
Par une ultime ordonnance de changement d'expert du 21 octobre 2024, Mme la présidente de la chambre chargée du contrôle des expertises a confié l'exécution de la mesure d'instruction à M. [E] [O].
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 17 mars 2025 qu'il a complété par un addendum déposé le 31 mars 2025 à la suite du dépôt tardif d'un dire par la société MTM.
Par conclusions n° 4 après expertise déposées le 3 octobre 2025, M. [W] demande à la cour de :
juger que le fusil vendu le 2 septembre 2008 est affecté d'un vice caché le rendant impropre à sa destination au sens des articles 1641 et suivants du code civil,
juger que la responsabilité de la société MTM est engagée sur le fondement de ces articles,
de surseoir à statuer sur ses préjudices matériels et corporels,
ordonner une expertise médicale aux fins d'évaluation de l'ensemble de ses préjudices,
lui allouer une provision de 5.000€ à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel,
condamner la société MTM à lui payer les sommes de 2.000€ au titre de ses frais irrépétibles de première instance et de 4.000 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel,
condamner la société MTM aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire.
Il fait valoir :
qu'il ressort du rapport d'expertise judiciaire que l'arme est affectée d'un vice caché de fabrication caractérisé par la présence d'une languette anti percussion trop courte et que toute autre cause du dommage doit être écartée, ce qui exclut un mauvais entretien ou une mauvaise conservation du fusil, ainsi que la faiblesse du ressort récupérateur,
que le caractère caché du vice se déduit nécessairement du fait que l'anomalie n'était pas identifiable par le banc d'épreuve de [Localité 11], mais aussi de la circonstance que les deux expertises amiables étaient parvenues à des conclusions différentes,
que présentant un risque important le fusil est par conséquent impropre à sa destination,
qu'il a été blessé au poignet, à l'oreille et à l''il, ce qui rend nécessaire l'instauration d'une expertise médicale pour apprécier l'ampleur de son préjudice corporel,
qu'il n'a à ce jour reçu aucune indemnité provisionnelle.
Par conclusions après expertise déposées le 3 octobre 2025, la SARL MTM demande à la cour de déclarer l'appel recevable mais non fondé, de débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui payer une indemnité de procédure de 2.000€.
Elle fait valoir :
que M. [W] ne fait pas la preuve qui lui incombe de l'existence d'un vice caché antérieur à la vente,
que pour ordonner une expertise technique, la cour a considéré que les deux premières expertises ne permettaient pas de connaître la cause exacte de l'accident alors qu'il était en état possible de douter de l'existence d'un défaut de conception, puisque l'état du ressort récupérateur n'avait pas été analysé et que l'arme avait fait l'objet d'un contrôle technique approfondi au banc officiel d'épreuve de [Localité 11],
que le rapport d'expertise judiciaire ne permet pas de répondre aux interrogations de la cour alors que l'on ignore tout des conditions de conservation du fusil pendant 7 ans et des modifications, manipulations ou démontages dont il a pu être l'objet, y compris entre 2017 et 2025, que l'arme a été fréquemment utilisée ainsi que cela ressort des traces d'usure sur les pièces mobiles, que pour conclure à la longueur insuffisante de la languette anti percussion l'expert a raisonné par comparaison avec des pièces détachées provenant d'un fusil différent plus récent de 10 années, qu'aucun des autres experts n'avait relevé l'existence d'un défaut affectant la sécurité du percuteur, aucune anomalie n'ayant été préalablement relevée dans les mécanismes de mise à feu, que le passage au banc d'épreuve de [Localité 11] a notamment pour objectif de contrôler les mécanismes de fermeture et de percussion, de sorte qu'un dimensionnement insuffisant de la languette aurait nécessairement été relevé par cet organisme de certification, que l'expert judiciaire n'a réalisé aucune investigation particulière sur le ressort récupérateur dont l'expert du fabricant de la munition a pourtant estimé qu'il était à l'origine de l'accident en raison d'une perte de puissance.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 7 octobre 2025.
MOTIFS
L'expert judiciaire ne s'est pas contenté de s'en remettre aux essais de tirs réalisés par le premier expert mais a procédé lui-même à des essais avec des cartouches amorcées sans poudre, essais qui ont confirmé les résultats précédemment obtenus ayant mis en évidence que le fusil faisait partir un coup de feu alors que la culasse n'était pas verrouillée.
Après avoir relevé que l'expert de la société Décathlon avait procédé à des essais de tirs filmés ayant mis en évidence que le fusil était susceptible de ne pas entièrement se verrouiller lors du retour en batterie semi-automatique de la culasse, l'expert judiciaire a procédé après démontage à une étude comparative des pièces (ensemble mobile et bloc détente) du fusil litigieux avec des pièces similaires provenant d'une arme de type différent mais de fabrication identique, qui a révélé qu'en position non verrouillée la languette métallique située à l'arrière de la culasse est trop courte pour s'interposer lorsque le chien s'abat et, ainsi, pour empêcher la mise à feu de la cartouche.
Il en a déduit que cette languette, qui a un rôle fondamental de sécurité, n'avait pas été en mesure de s'interposer au moment où la culasse n'était pas en position verrouillée et a illustré sa démonstration par des schémas en couleur explicites.
Il a par ailleurs décrit le phénomène d'éclatement de la douille « hors chambre » à l'origine de l'accident, dont il a indiqué qu'il s'accompagnait systématiquement de la projection de petits éclats de métal.
En conclusion, l'expert judiciaire a considéré que l'accident résultait d'un défaut mécanique de fabrication sur l'arme dès sa commercialisation se caractérisant par une languette anti percussion trop courte n'assurant pas sa fonction de protection du percuteur en cas de mauvais retour en batterie de l'ensemble mobile.
Enfin, répondant au dire de la société MTM, l'expert commis a précisé que si le fusil a bien fonctionné pendant 7 ans c'est en raison du fait qu'il n'y a pas eu de retour en batterie imparfait durant cette période, que le passage au banc d'épreuve de [Localité 11] ne porte que sur la solidité du verrouillage, que l'arme qui ne nécessitait pas d'entretien particulier était encore dans un état mécanique satisfaisant au moment de l'expertise et que le ressort récupérateur était en bon état et ne nécessitait pas d'investigations complémentaires.
Il résulte en substance de cette mesure d'instruction contradictoire :
que l'accident survenu le 15 octobre 2015 trouve sa cause dans la possibilité pour l'arme de tirer culasse non verrouillée et dans le mauvais retour en batterie qui est survenu à l'alimentation de la deuxième cartouche,
que l'accident résulte d'un défaut mécanique sur l'arme dès sa commercialisation, à savoir une languette anti percussion trop courte qui n'assure pas sa fonction de protection du percuteur en cas de mauvais retour en batterie de l'ensemble mobile,
que s'il n'y a pas de défaut de conception à proprement parler il y a bien un défaut de fabrication (languette trop courte) pouvant résulter soit d'un défaut d'usinage, soit du montage d'un transporteur de culasse trop court,
que si le fusil a bien fonctionné pendant 7 ans, cela signifie seulement qu'il n'y a pas eu pendant cette période de retour en batterie imparfait,
que le défaut n'était pas identifiable par le banc d'épreuve de [Localité 11] qui n'a porté que sur la solidité du verrouillage mais pas sur l'efficacité de la sûreté de fermeture en cas de non verrouillage,
que le fusil était dans un état mécanique satisfaisant au moment de l'expertise, tandis que la languette anti percussion n'apparaît pas avoir été matée à l'usage ou modifiée,
que des investigations complémentaires sur le ressort récupérateur ne sont pas nécessaires, puisque si cette pièce avait été défectueuse une sécurité à la fermeture efficace aurait généré des non- percussions.
L'expert judiciaire a ainsi déposé des conclusions précises et circonstanciées exemptes de toute contradiction qui permettent de répondre aux observations critiques de la société MTM.
L'expert du fournisseur des munitions s'est, en effet, borné à émettre l'hypothèse d'une perte de puissance du ressort récupérateur parmi d'autres causes possibles (présence d'une saleté dans le mécanisme ou déformation d'une cartouche), sans procéder à des investigations techniques particulières sur cette pièce, sa mission première étant de rechercher une éventuelle défectuosité des projectiles, tandis que l'expert mandaté par l'assureur de protection juridique de l'acquéreur a lui-même conclu, à l'instar de l'expert judiciaire, à l'existence d'un défaut de conception, mais sans en faire une description technique précise.
Il n'existe donc aucune contradiction flagrante entre les constatations et conclusions de l'expertise judiciaire et les avis techniques précédents émis sur la base d'investigations moins poussées que celles diligentées par l'expert judiciaire, de sorte qu'il est indifférent qu'aucun des deux premiers experts n'ait conclu spécialement à la non-conformité de la languette anti percussion.
L'expert judiciaire a par ailleurs clairement répondu à l'objection tenant à la certification délivrée par le banc d'épreuve de [Localité 11] en rappelant que cet organisme n'a contrôlé que la solidité du verrouillage mais pas l'efficacité de la sûreté de fermeture en cas de non verrouillage, ce que confirme la mission limitée confiée à cet organisme qui est chargé de vérifier « la résistance de l'arme » par un contrôle de « l'état du canon, des cotes intérieures et des mécanismes de fermeture et de percussion ».
L'expert a en outre procédé à une étude comparative très précise avec des pièces qu'il qualifie de « très similaires » provenant d'une arme, certes différente, mais de même fabrication turque (HATSAM). Les photographies très explicites des blocs détente, des culasses et des transporteurs figurant dans son rapport, permettent, en effet, à la cour de constater qu'il a été procédé utilement à une comparaison pertinente, peu important que les pièces de comparaison n'aient pas appartenu à une arme de type strictement identique.
S'agissant de l'hypothèse d'une défectuosité du ressort récupérateur, l'expert judiciaire l'a clairement écartée en constatant que cette pièce, dont la durée de vie est de plusieurs dizaines de milliers de cycles, est visuellement parfaite, non corrodée et non trafiquée, et en rappelant qu'une éventuelle défectuosité n'aurait pas conduit à une explosion hors chambre en présence d'une sécurité à la fermeture efficace empêchant la percussion.
Quant à l'hypothèse d'une modification, transformation ou altération de l'arme après sa vente à M. [W], elle ne peut davantage être retenue alors que selon l'expert judiciaire la languette anti percussion de longueur insuffisante n'a pas été matée à l'usage ou « modifiée/sabotée ».
L'expert judiciaire a par ailleurs répondu à l'objection tenant au fait qu'aucun incident n'était survenu pendant 7 ans en expliquant que si la sûreté à la fermeture a été efficace pendant toute cette période c'est en raison du fait « qu'il n'y a pas eu de retour en batterie imparfait ».
S'agissant enfin des conditions d'entretien et de conservation du fusil, rien ne permet d'affirmer qu'elles pourraient être à l'origine de l'accident alors qu'il résulte des opérations d'expertise judiciaire que le fusil était encore dans un état mécanique satisfaisant au moment de l'expertise et que l'entretien par un professionnel n'a rien d'obligatoire sur ce type d'arme.
Les conclusions de l'expertise judiciaire seront par conséquent entérinées, ce qui conduit la cour à retenir l'existence d'un vice caché de fabrication antérieur à la vente et à faire droit sur le principe à l'action indemnitaire formée par M. [W].
En vue de l'évaluation définitive du préjudice corporel subi par la victime le 15 octobre 2015 il sera fait droit à la demande d'instauration d'une expertise médicale.
En l'état des justificatifs médicaux produits (certificats médicaux initiaux du 15 octobres 2015, compte rendu d'hospitalisation, prescription de soins infirmiers et d'antidouleurs, certificat d'un médecin O.R.L. du 23 octobre 2015 et certificat médical d'un médecin ophtalmologiste du 14 janvier 2016), dont il ressort que M. [W] a présenté une plaie du poignet avec présence d'un corps étranger ayant nécessité un traitement chirurgical et une ITT de 15 jours et que des séquelles au niveau de l'audition et de la vue ne sont pas à exclure, il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnité provisionnelle à hauteur de la somme de 3000 €.
Sur les mesures accessoires
L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'appelant au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
La demande d'indemnité formée de ce chef par la société SIDAM sera en revanche rejetée.
Les dépens seront réservés en fin d'expertise.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement
Vu son précédent arrêt avant dire droit en date du 27 juin 2023,
Juge que l'arme de fabrication turque de marque ESCORT, modèle Diana acquise le 2 septembre 2008 auprès de la SARL MTM par M. [R] [W] était affectée d'un vice caché rédhibitoire au sens des articles 1641 et suivants du code civil,
Déclare en conséquence la SARL MTM responsable du dommage subi par Monsieur [R] [W] le 15 octobre 2015,
Ordonne avant-dire droit sur la liquidation du préjudice corporel de Monsieur [R] [W] une expertise médicale judiciaire,
Commet pour y procéder :
lequel s'adjoindra si nécessaire tout sapiteur dans une spécialité distincte de la sienne notamment en oto-rhino-laryngologie ou en ophtalmologie,
Dit que les experts déposeront, le cas échéant, un rapport commun,
Donne à l'expert la mission suivante :
Se faire communiquer le dossier médical complet du patient, avec l'accord de celle-ci, et en tant que de besoin se faire communiquer par tout tiers détenteur les pièces médicales nécessaires à l'expertise,
Examiner le patient, prendre note de ses doléances et décrire les constatations ainsi faites,
Déterminer le préjudice corporel en lien direct et certain avec l'accident de chasse survenu le 15 octobre 2015,
Déterminer, compte tenu de l'état du patient, ainsi que des lésions initiales et de leur évolution, la, ou les, période pendant laquelle celui-ci a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité d'une part d'exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle, d'autre part de poursuivre ses activités personnelles habituelles ; en cas d'incapacité partielle préciser le taux et la durée ;
Proposer la date de consolidation des lésions en relation avec l'accident du 15 octobre 2015,
Décrire les actes, gestes et mouvements rendus difficiles ou impossibles en raison de l'accident et donner un avis sur le taux du déficit fonctionnel médicalement imputable à l'accident,
Se prononcer sur la nécessité pour la victime d'être assistée par une tierce personne avant et/ou après la consolidation,
Donner un avis sur l'importance des souffrances (physiques et/ou morales) ;
Donner un avis sur les atteintes esthétiques avant et/ou après la consolidation, en les distinguant ;
Dire s'il existe un préjudice sexuel ;
Dit que, pour exécuter la mission, l'expert sera saisi et procédera conformément aux dispositions des articles 232 à 248, 263 à 284-1 du code de procédure civile ;
Enjoint aux parties de remettre à l'expert toutes pièces médicales ou para-médicales utiles à l'accomplissement de la mission, et autorise l'expert, le cas échéant, à se faire communiquer directement, avec l'accord du patient, par tous tiers : médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire ;
Dit que l'expert s'assurera, à chaque réunion d'expertise, de la communication aux parties des pièces qui lui sont remises, dans un délai permettant leur étude, conformément au principe de la contradiction,
Dit que l'expert devra convoquer toutes les parties par lettre recommandée avec accusé de réception et leur avocat par lettre simple, les avisant de la faculté qu'elles ont de se faire assister par le médecin-conseil de leur choix,
Dit que l'expert établira un pré-rapport et répondra aux dires éventuels des parties avant dépôt de son rapport définitif, qui sera déposé au greffe et adressé aux parties et à leurs conseils avant le 25 mars 2026 sauf prorogation expresse,
Fixe à la somme de 1500 € le montant de la provision à valoir sur les frais d'expertise qui devra être consignée par M. [R] [W] à la régie d'avances et de recettes de la cour d'appel de Grenoble avant 25 décembre 2025,
Dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet,
Condamne la SARL MTM à payer à M. [R] [W] la somme provisionnelle de 3.000 € à valoir sur la réparation de son préjudice corporel,
Dit que la présidente de la première chambre civile de la cour d'appel de Grenoble sera chargée du contrôle des opérations d'expertise,
Condamne la SARL MTM à payer à M. [R] [W] une indemnité de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SAS SIDAM de sa demande en paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
déboute la SARL MTM de sa demande en paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Réserve les dépens.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de la procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
N° Portalis DBVM-V-B7F-LAAI
C3*
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SELARL FAYOL AVOCATS
la SELAS AGIS
la SCP LACHAT MOURONVALLE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Chambre civile section A
ARRÊT DU MARDI 25 NOVEMBRE 2025
Appel d'une décision (N° RG 19/02375)
rendue par le Tribunal de Grande Instance de VALENCE
en date du 03 juin 2021
suivant déclaration d'appel du 29 juillet 2021
APPELANT :
M. [R] [W]
né le 11 juin 1971 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 8],
[Adresse 5]
[Localité 6]
représenté par Me Elodie BORONAD de la SELARL FAYOL AVOCATS, avocat au barreau de VALENCE
INTIMEES :
S.A.S. SIDAM ARMES ET MUNITIONS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Alexia SADON de la SELAS AGIS, avocat au barreau de VIENNE
S.A.R.L. MTM (nom commercial MOULIN SPORTS), SARL immatriculée au RCS de [Localité 9] sous le numéro 383 600 053, représentée
par son représentant légal en exercice.
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Christophe LACHAT de la SCP LACHAT MOURONVALLE, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Raphaële Faivre, conseiller,
M. Jean - Yves Pourret, conseiller
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 octobre 2025, Mme Clerc président de chambre chargé du rapport, assistée de Mme Anne Burel, greffier, a entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 2 septembre 2008, M. [R] [W] a fait l'acquisition d'un fusil de fabrication turque de marque ESCORT, modèle Diana , auprès de la société MTM exerçant à [Localité 7] une activité d'armurerie sous l'enseigne MOULIN SPORT.
L'arme avait été importée par la société d'importation et de distribution d'armes et munitions (SIDAM).
Le 15 octobre 2015, au cours d'une partie de chasse, M. [W] a été blessé par un éclat de métal au poignet gauche et au visage en déclenchant un tir alors que la culasse du fusil n'était pas complètement verrouillée.
Il a demandé la réparation de son préjudice à la société M.T.M, ainsi qu'à la société DECATHLON auprès de laquelle il avait acquis les cartouches utilisées, de marque SOLOGNAC.
Le fournisseur des munitions a fait procéder le 23 novembre 2015 à un examen non contradictoire de l'arme, qui a mis hors de cause les projectiles en retenant que la mise à feu pouvait avoir lieu alors que la culasse n'était pas complètement verrouillée.
Le cabinet CET IRD, désigné en qualité d'expert amiable par l'assureur de protection juridique de M. [W], a conclu le 20 novembre 2017 à l'existence d'un défaut de conception de l'arme la rendant dangereuse en l'absence de dispositif de sécurité lorsque la culasse n'est pas fermée.
Par acte d'huissier du 28 août 2019 M. [W] a fait assigner les sociétés SIDAM et M.T.M devant le tribunal de Grande instance de Valence aux fins d'entendre :
A titre principal
déclarer la société SIDAM responsable de son préjudice en sa qualité d'importatrice de l'arme sur le fondement de la garantie des produits défectueux régie par les articles 1245 et suivants du code civil,
A titre subsidiaire
dire et juger que la société M.T.M est responsable de son préjudice en sa qualité de vendeur professionnel sur le fondement de la garantie légale des vices cachés régie par les articles 1641 et suivants du code civil,
En tout état de cause
surseoir à statuer sur l'indemnisation de ses préjudices matériel et corporel,
ordonner une expertise médicale aux fins d'évaluation complète de son préjudice corporel et lui allouer une provision de 5.000€ à valoir sur la réparation de ce préjudice,
ordonner une expertise technique du fusil en vue de décrire précisément les désordres dont il est affecté,
condamner in solidum les sociétés SIDAM et M.T.M à lui payer une indemnité de procédure de 2.000€.
La société SIDAM a conclu à la prescription de l'action formée à son encontre plus de 10 ans après la mise en circulation de l'arme et subsidiairement à son mal fondé au motif que le défaut n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation.
La société M.T.M a également soulevé la prescription de l'action formée à son encontre plus de deux années après la découverte du vice et subsidiairement à son mal fondé en l'absence de vice caché préexistant à la vente, l'accident provenant manifestement d'une mauvaise utilisation du fusil.
Par jugement en date du 3 juin 2021, le tribunal judiciaire de Valence a déclaré M. [W] irrecevable en ses demandes dirigées tant à l'encontre de la société SIDAM que de la société M.T.M, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, et a condamné M. [W] aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [W] a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 29 juillet 2021 aux termes de laquelle il critique le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables son action et ses demandes dirigées tant à l'encontre de la société SIDAM que de la société M.T.M.
Il a demandé à la cour de le déclarer recevable en son action,
titre principal, de déclarer la société SIDAM responsable de son préjudice en sa qualité d'importatrice de l'arme sur le fondement de la garantie des produits défectueux régie par les articles 1245 et suivants du code civil,
à titre subsidiaire, de juger que la société M.T.M est responsable de son préjudice en sa qualité de vendeur professionnel sur le fondement de la garantie légale des vices cachés régie par les articles 1641 et suivants du code civil,
à titre plus subsidiaire, d'ordonner avant dire droit une expertise technique du fusil, et en tout état de cause de surseoir à statuer sur l'indemnisation de ses préjudices matériel et corporel, d'ordonner une expertise médicale aux fins d'évaluation complète de son préjudice corporel et lui allouer une provision de 5.000€ à valoir sur la réparation de ce préjudice.
La SAS SIDAM a sollicité la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré M. [W] irrecevable en son action, et subsidiairement s'est opposée sur le fond à l'intégralité des demandes formées par M. [W] à son encontre.
la SARL M.T.M a demandé à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et subsidiairement de débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes.
Par arrêt en date du 27 juin 2023, la présente cour a :
confirmé le jugement déféré en ce qu'il a déclaré M. [W] irrecevable en son action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux dirigée contre la SAS SIDAM,
- infirmé le jugement déféré pour le surplus et statuant à nouveau :
déclaré M. [W] recevable en son action fondée sur la garantie légale des vices cachés dirigée contre la SARL MTM,
ordonné avant dire droit sur l'ensemble des demandes formées par M. [W] une expertise technique confiée à M. [S] [M] avec mission principale d'examiner l'arme acquise le 2 septembre 2008 par M.[W] auprès de la société MTM, de la décrire et de déterminer la ou les causes de l'accident survenu le 15 octobre 2015, de dire spécialement si l'arme est affectée d'un défaut de conception d'origine après avoir procédé, s'il l'estime utile, à de nouveaux essais de tir et après avoir examiné, si nécessaire, une arme neuve ou d'occasion d'un modèle identique et de même conception,
sursis à statuer sur la demande d'expertise médicale et de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice corporel de la victime et sur les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
réservé les dépens.
Par une ultime ordonnance de changement d'expert du 21 octobre 2024, Mme la présidente de la chambre chargée du contrôle des expertises a confié l'exécution de la mesure d'instruction à M. [E] [O].
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 17 mars 2025 qu'il a complété par un addendum déposé le 31 mars 2025 à la suite du dépôt tardif d'un dire par la société MTM.
Par conclusions n° 4 après expertise déposées le 3 octobre 2025, M. [W] demande à la cour de :
juger que le fusil vendu le 2 septembre 2008 est affecté d'un vice caché le rendant impropre à sa destination au sens des articles 1641 et suivants du code civil,
juger que la responsabilité de la société MTM est engagée sur le fondement de ces articles,
de surseoir à statuer sur ses préjudices matériels et corporels,
ordonner une expertise médicale aux fins d'évaluation de l'ensemble de ses préjudices,
lui allouer une provision de 5.000€ à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel,
condamner la société MTM à lui payer les sommes de 2.000€ au titre de ses frais irrépétibles de première instance et de 4.000 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel,
condamner la société MTM aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire.
Il fait valoir :
qu'il ressort du rapport d'expertise judiciaire que l'arme est affectée d'un vice caché de fabrication caractérisé par la présence d'une languette anti percussion trop courte et que toute autre cause du dommage doit être écartée, ce qui exclut un mauvais entretien ou une mauvaise conservation du fusil, ainsi que la faiblesse du ressort récupérateur,
que le caractère caché du vice se déduit nécessairement du fait que l'anomalie n'était pas identifiable par le banc d'épreuve de [Localité 11], mais aussi de la circonstance que les deux expertises amiables étaient parvenues à des conclusions différentes,
que présentant un risque important le fusil est par conséquent impropre à sa destination,
qu'il a été blessé au poignet, à l'oreille et à l''il, ce qui rend nécessaire l'instauration d'une expertise médicale pour apprécier l'ampleur de son préjudice corporel,
qu'il n'a à ce jour reçu aucune indemnité provisionnelle.
Par conclusions après expertise déposées le 3 octobre 2025, la SARL MTM demande à la cour de déclarer l'appel recevable mais non fondé, de débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui payer une indemnité de procédure de 2.000€.
Elle fait valoir :
que M. [W] ne fait pas la preuve qui lui incombe de l'existence d'un vice caché antérieur à la vente,
que pour ordonner une expertise technique, la cour a considéré que les deux premières expertises ne permettaient pas de connaître la cause exacte de l'accident alors qu'il était en état possible de douter de l'existence d'un défaut de conception, puisque l'état du ressort récupérateur n'avait pas été analysé et que l'arme avait fait l'objet d'un contrôle technique approfondi au banc officiel d'épreuve de [Localité 11],
que le rapport d'expertise judiciaire ne permet pas de répondre aux interrogations de la cour alors que l'on ignore tout des conditions de conservation du fusil pendant 7 ans et des modifications, manipulations ou démontages dont il a pu être l'objet, y compris entre 2017 et 2025, que l'arme a été fréquemment utilisée ainsi que cela ressort des traces d'usure sur les pièces mobiles, que pour conclure à la longueur insuffisante de la languette anti percussion l'expert a raisonné par comparaison avec des pièces détachées provenant d'un fusil différent plus récent de 10 années, qu'aucun des autres experts n'avait relevé l'existence d'un défaut affectant la sécurité du percuteur, aucune anomalie n'ayant été préalablement relevée dans les mécanismes de mise à feu, que le passage au banc d'épreuve de [Localité 11] a notamment pour objectif de contrôler les mécanismes de fermeture et de percussion, de sorte qu'un dimensionnement insuffisant de la languette aurait nécessairement été relevé par cet organisme de certification, que l'expert judiciaire n'a réalisé aucune investigation particulière sur le ressort récupérateur dont l'expert du fabricant de la munition a pourtant estimé qu'il était à l'origine de l'accident en raison d'une perte de puissance.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 7 octobre 2025.
MOTIFS
L'expert judiciaire ne s'est pas contenté de s'en remettre aux essais de tirs réalisés par le premier expert mais a procédé lui-même à des essais avec des cartouches amorcées sans poudre, essais qui ont confirmé les résultats précédemment obtenus ayant mis en évidence que le fusil faisait partir un coup de feu alors que la culasse n'était pas verrouillée.
Après avoir relevé que l'expert de la société Décathlon avait procédé à des essais de tirs filmés ayant mis en évidence que le fusil était susceptible de ne pas entièrement se verrouiller lors du retour en batterie semi-automatique de la culasse, l'expert judiciaire a procédé après démontage à une étude comparative des pièces (ensemble mobile et bloc détente) du fusil litigieux avec des pièces similaires provenant d'une arme de type différent mais de fabrication identique, qui a révélé qu'en position non verrouillée la languette métallique située à l'arrière de la culasse est trop courte pour s'interposer lorsque le chien s'abat et, ainsi, pour empêcher la mise à feu de la cartouche.
Il en a déduit que cette languette, qui a un rôle fondamental de sécurité, n'avait pas été en mesure de s'interposer au moment où la culasse n'était pas en position verrouillée et a illustré sa démonstration par des schémas en couleur explicites.
Il a par ailleurs décrit le phénomène d'éclatement de la douille « hors chambre » à l'origine de l'accident, dont il a indiqué qu'il s'accompagnait systématiquement de la projection de petits éclats de métal.
En conclusion, l'expert judiciaire a considéré que l'accident résultait d'un défaut mécanique de fabrication sur l'arme dès sa commercialisation se caractérisant par une languette anti percussion trop courte n'assurant pas sa fonction de protection du percuteur en cas de mauvais retour en batterie de l'ensemble mobile.
Enfin, répondant au dire de la société MTM, l'expert commis a précisé que si le fusil a bien fonctionné pendant 7 ans c'est en raison du fait qu'il n'y a pas eu de retour en batterie imparfait durant cette période, que le passage au banc d'épreuve de [Localité 11] ne porte que sur la solidité du verrouillage, que l'arme qui ne nécessitait pas d'entretien particulier était encore dans un état mécanique satisfaisant au moment de l'expertise et que le ressort récupérateur était en bon état et ne nécessitait pas d'investigations complémentaires.
Il résulte en substance de cette mesure d'instruction contradictoire :
que l'accident survenu le 15 octobre 2015 trouve sa cause dans la possibilité pour l'arme de tirer culasse non verrouillée et dans le mauvais retour en batterie qui est survenu à l'alimentation de la deuxième cartouche,
que l'accident résulte d'un défaut mécanique sur l'arme dès sa commercialisation, à savoir une languette anti percussion trop courte qui n'assure pas sa fonction de protection du percuteur en cas de mauvais retour en batterie de l'ensemble mobile,
que s'il n'y a pas de défaut de conception à proprement parler il y a bien un défaut de fabrication (languette trop courte) pouvant résulter soit d'un défaut d'usinage, soit du montage d'un transporteur de culasse trop court,
que si le fusil a bien fonctionné pendant 7 ans, cela signifie seulement qu'il n'y a pas eu pendant cette période de retour en batterie imparfait,
que le défaut n'était pas identifiable par le banc d'épreuve de [Localité 11] qui n'a porté que sur la solidité du verrouillage mais pas sur l'efficacité de la sûreté de fermeture en cas de non verrouillage,
que le fusil était dans un état mécanique satisfaisant au moment de l'expertise, tandis que la languette anti percussion n'apparaît pas avoir été matée à l'usage ou modifiée,
que des investigations complémentaires sur le ressort récupérateur ne sont pas nécessaires, puisque si cette pièce avait été défectueuse une sécurité à la fermeture efficace aurait généré des non- percussions.
L'expert judiciaire a ainsi déposé des conclusions précises et circonstanciées exemptes de toute contradiction qui permettent de répondre aux observations critiques de la société MTM.
L'expert du fournisseur des munitions s'est, en effet, borné à émettre l'hypothèse d'une perte de puissance du ressort récupérateur parmi d'autres causes possibles (présence d'une saleté dans le mécanisme ou déformation d'une cartouche), sans procéder à des investigations techniques particulières sur cette pièce, sa mission première étant de rechercher une éventuelle défectuosité des projectiles, tandis que l'expert mandaté par l'assureur de protection juridique de l'acquéreur a lui-même conclu, à l'instar de l'expert judiciaire, à l'existence d'un défaut de conception, mais sans en faire une description technique précise.
Il n'existe donc aucune contradiction flagrante entre les constatations et conclusions de l'expertise judiciaire et les avis techniques précédents émis sur la base d'investigations moins poussées que celles diligentées par l'expert judiciaire, de sorte qu'il est indifférent qu'aucun des deux premiers experts n'ait conclu spécialement à la non-conformité de la languette anti percussion.
L'expert judiciaire a par ailleurs clairement répondu à l'objection tenant à la certification délivrée par le banc d'épreuve de [Localité 11] en rappelant que cet organisme n'a contrôlé que la solidité du verrouillage mais pas l'efficacité de la sûreté de fermeture en cas de non verrouillage, ce que confirme la mission limitée confiée à cet organisme qui est chargé de vérifier « la résistance de l'arme » par un contrôle de « l'état du canon, des cotes intérieures et des mécanismes de fermeture et de percussion ».
L'expert a en outre procédé à une étude comparative très précise avec des pièces qu'il qualifie de « très similaires » provenant d'une arme, certes différente, mais de même fabrication turque (HATSAM). Les photographies très explicites des blocs détente, des culasses et des transporteurs figurant dans son rapport, permettent, en effet, à la cour de constater qu'il a été procédé utilement à une comparaison pertinente, peu important que les pièces de comparaison n'aient pas appartenu à une arme de type strictement identique.
S'agissant de l'hypothèse d'une défectuosité du ressort récupérateur, l'expert judiciaire l'a clairement écartée en constatant que cette pièce, dont la durée de vie est de plusieurs dizaines de milliers de cycles, est visuellement parfaite, non corrodée et non trafiquée, et en rappelant qu'une éventuelle défectuosité n'aurait pas conduit à une explosion hors chambre en présence d'une sécurité à la fermeture efficace empêchant la percussion.
Quant à l'hypothèse d'une modification, transformation ou altération de l'arme après sa vente à M. [W], elle ne peut davantage être retenue alors que selon l'expert judiciaire la languette anti percussion de longueur insuffisante n'a pas été matée à l'usage ou « modifiée/sabotée ».
L'expert judiciaire a par ailleurs répondu à l'objection tenant au fait qu'aucun incident n'était survenu pendant 7 ans en expliquant que si la sûreté à la fermeture a été efficace pendant toute cette période c'est en raison du fait « qu'il n'y a pas eu de retour en batterie imparfait ».
S'agissant enfin des conditions d'entretien et de conservation du fusil, rien ne permet d'affirmer qu'elles pourraient être à l'origine de l'accident alors qu'il résulte des opérations d'expertise judiciaire que le fusil était encore dans un état mécanique satisfaisant au moment de l'expertise et que l'entretien par un professionnel n'a rien d'obligatoire sur ce type d'arme.
Les conclusions de l'expertise judiciaire seront par conséquent entérinées, ce qui conduit la cour à retenir l'existence d'un vice caché de fabrication antérieur à la vente et à faire droit sur le principe à l'action indemnitaire formée par M. [W].
En vue de l'évaluation définitive du préjudice corporel subi par la victime le 15 octobre 2015 il sera fait droit à la demande d'instauration d'une expertise médicale.
En l'état des justificatifs médicaux produits (certificats médicaux initiaux du 15 octobres 2015, compte rendu d'hospitalisation, prescription de soins infirmiers et d'antidouleurs, certificat d'un médecin O.R.L. du 23 octobre 2015 et certificat médical d'un médecin ophtalmologiste du 14 janvier 2016), dont il ressort que M. [W] a présenté une plaie du poignet avec présence d'un corps étranger ayant nécessité un traitement chirurgical et une ITT de 15 jours et que des séquelles au niveau de l'audition et de la vue ne sont pas à exclure, il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnité provisionnelle à hauteur de la somme de 3000 €.
Sur les mesures accessoires
L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'appelant au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
La demande d'indemnité formée de ce chef par la société SIDAM sera en revanche rejetée.
Les dépens seront réservés en fin d'expertise.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement
Vu son précédent arrêt avant dire droit en date du 27 juin 2023,
Juge que l'arme de fabrication turque de marque ESCORT, modèle Diana acquise le 2 septembre 2008 auprès de la SARL MTM par M. [R] [W] était affectée d'un vice caché rédhibitoire au sens des articles 1641 et suivants du code civil,
Déclare en conséquence la SARL MTM responsable du dommage subi par Monsieur [R] [W] le 15 octobre 2015,
Ordonne avant-dire droit sur la liquidation du préjudice corporel de Monsieur [R] [W] une expertise médicale judiciaire,
Commet pour y procéder :
lequel s'adjoindra si nécessaire tout sapiteur dans une spécialité distincte de la sienne notamment en oto-rhino-laryngologie ou en ophtalmologie,
Dit que les experts déposeront, le cas échéant, un rapport commun,
Donne à l'expert la mission suivante :
Se faire communiquer le dossier médical complet du patient, avec l'accord de celle-ci, et en tant que de besoin se faire communiquer par tout tiers détenteur les pièces médicales nécessaires à l'expertise,
Examiner le patient, prendre note de ses doléances et décrire les constatations ainsi faites,
Déterminer le préjudice corporel en lien direct et certain avec l'accident de chasse survenu le 15 octobre 2015,
Déterminer, compte tenu de l'état du patient, ainsi que des lésions initiales et de leur évolution, la, ou les, période pendant laquelle celui-ci a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité d'une part d'exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle, d'autre part de poursuivre ses activités personnelles habituelles ; en cas d'incapacité partielle préciser le taux et la durée ;
Proposer la date de consolidation des lésions en relation avec l'accident du 15 octobre 2015,
Décrire les actes, gestes et mouvements rendus difficiles ou impossibles en raison de l'accident et donner un avis sur le taux du déficit fonctionnel médicalement imputable à l'accident,
Se prononcer sur la nécessité pour la victime d'être assistée par une tierce personne avant et/ou après la consolidation,
Donner un avis sur l'importance des souffrances (physiques et/ou morales) ;
Donner un avis sur les atteintes esthétiques avant et/ou après la consolidation, en les distinguant ;
Dire s'il existe un préjudice sexuel ;
Dit que, pour exécuter la mission, l'expert sera saisi et procédera conformément aux dispositions des articles 232 à 248, 263 à 284-1 du code de procédure civile ;
Enjoint aux parties de remettre à l'expert toutes pièces médicales ou para-médicales utiles à l'accomplissement de la mission, et autorise l'expert, le cas échéant, à se faire communiquer directement, avec l'accord du patient, par tous tiers : médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire ;
Dit que l'expert s'assurera, à chaque réunion d'expertise, de la communication aux parties des pièces qui lui sont remises, dans un délai permettant leur étude, conformément au principe de la contradiction,
Dit que l'expert devra convoquer toutes les parties par lettre recommandée avec accusé de réception et leur avocat par lettre simple, les avisant de la faculté qu'elles ont de se faire assister par le médecin-conseil de leur choix,
Dit que l'expert établira un pré-rapport et répondra aux dires éventuels des parties avant dépôt de son rapport définitif, qui sera déposé au greffe et adressé aux parties et à leurs conseils avant le 25 mars 2026 sauf prorogation expresse,
Fixe à la somme de 1500 € le montant de la provision à valoir sur les frais d'expertise qui devra être consignée par M. [R] [W] à la régie d'avances et de recettes de la cour d'appel de Grenoble avant 25 décembre 2025,
Dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet,
Condamne la SARL MTM à payer à M. [R] [W] la somme provisionnelle de 3.000 € à valoir sur la réparation de son préjudice corporel,
Dit que la présidente de la première chambre civile de la cour d'appel de Grenoble sera chargée du contrôle des opérations d'expertise,
Condamne la SARL MTM à payer à M. [R] [W] une indemnité de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SAS SIDAM de sa demande en paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
déboute la SARL MTM de sa demande en paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Réserve les dépens.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de la procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE