CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 26 novembre 2025, n° 24/07951
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 26 NOVEMBRE 2025
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/07951 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJKY7
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Mars 2024 - tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 3ème chambre - RG n° 22/14581
APPELANTE
Madame [P] [I]
née le [Date naissance 3] 1940 à [Localité 9]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Julie BARIANI, avocat au barreau de Paris, toque : B0692
INTIMÉES
S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 2]
[Localité 5]
N°SIREN : 662 042 449
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Nicolas BAUCH-LABESSE de l'AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de Paris, toque : R10, substitué à l'audience par Me Marie LECORDIER de l'AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de Paris, toque : R10
S.A. UNICAJA BANCO, société de droit espagnol
[Adresse 7]
[Localité 4] (Espagne)
agissant poursuites etdiligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Michel SZULMAN, avocat au barreau de Paris, toque : P0551, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Octobre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Valérie CHAMP, présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Valérie CHAMP, Présidente de chambre
Mme Laurence CHAINTRON, conseillère
Mme Anne BAMBERGER, conseillère
Greffière, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Valérie CHAMP, présidente de chambre et par Mélanie THOMAS, greffière, présente lors de la mise à disposition.
* * * * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [I] est titulaire d'un compte ouvert dans les livres de la banque BNP Paribas.
Au début du mois de janvier 2020, Mme [I] indique avoir été contactée par la société Kauffman Corp, remplacée par suite par la société Global Multi Trade Corp, qui s'est présentée comme prestataire de services d'investissement et de conseil en placements alternatifs et lui a proposé des investissements.
Les 18 et 19 mars 2020, Mme [I] a ordonné deux virements bancaires depuis son compte bancaire au profit d'une société Netmar Cold Fish Spain 2020 SL détenant un compte bancaire ouvert en Espagne dans les livres de la société Unicaja Banco, comme suit :
- 44 200 euros le 18 mars 2020,
- 24 100 euros le 19 mars 2020.
Ces virements ont été exécutés par la banque.
Le 28 septembre 2020, Mme [I] a porté plainte auprès des services de police pour des faits d'escroquerie en lien avec les investissements financiers réalisés.
Par lettres recommandées avec accusé de réception distribué les 3 et 10 mars 2022, Mme [I], par l'intermédiaire de son conseil, a mis en cause la responsabilité des banques et les a mises en demeure de lui rembourser la somme de 68 300 euros correspondant aux sommes investies.
Par acte d'huissier des 29 et 30 novembre 2022, Mme [I] a fait assigner les sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco en responsabilité aux fins d'indemnisation de ses préjudices devant le tribunal judiciaire de Paris.
Par jugement rendu le 7 mars 2024, le tribunal judiciaire de Paris a :
- débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;
- débouté Mme [I] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile;
- condamné Mme [I] à payer aux sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco chacune la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [I] aux dépens.
Par déclaration du 19 avril 2024, Mme [I] a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 juillet 2025, Mme [I] demande, au visa des directives européennes n° 91/308/CEE - n° 2001/97/CE - n° 2005/60/CE - n° 2015/849 - n° 2018/843, du Règlement (CE) n° 864/2007, des articles 1240 et 1241 du code civil, de l'article L. 133-10 du code monétaire et financier, des articles 1231-1 et 1104 du code civil, à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 7 mars 2024 par le tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau :
- prononcer la loi française comme applicable à l'action en responsabilité initiée à l'encontre de la société Unicaja Banco ;
- condamner in solidum les sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco à lui rembourser la somme de 68 300 euros en réparation de son préjudice matériel ;
- condamner in solidum les sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco à lui verser la somme de 13 660 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance ;
- condamner in solidum les sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco à lui verser la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner in solidum les sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 septembre 2025, la société BNP Paribas demande, au visa des articles L. 133-1 et suivants, L. 561 et suivants, L. 574-1 du code monétaire et financier et 514-1 et 514-5, 699 et 700 du code de procédure civile, à la cour de :
- confirmer le jugement du 7 mars 2024 en toutes ses dispositions ;
- débouter Mme [I] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner Mme [I] à lui régler une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [I] à supporter l'intégralité des dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 30 septembre 2024, la société Unicaja Banco demande à la cour, de :
- confirmer le jugement entrepris en raison de l'irrecevabilité de la demande de Mme [I] pour être prescrite,
subsidiairement,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- débouter Mme [I] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner Mme [I] à lui régler une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [I] à supporter l'intégralité des dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 16 septembre 2025 et l'audience de plaidoirie fixée au 16 octobre 2025.
Mme [I] et la société Unicaja Banco visant l'article 4 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), mais développant des moyens au seul visa de l'article 4, § 1, suivant bulletin du 17 octobre 2025, il a été sollicité leurs observations sur une application éventuelle de la règle dérogatoire énoncée à l'article 4, § 3, la cour d'appel envisageant d'examiner également ce dernier point.
Mme [I] et la société Unicaja Banco ont fait valoir leurs observations par voie électronique les 23 et 28 octobre 2025.
MOTIFS
Sur l'irrecevabilité de la demande à l'égard de la société Unicaja Banco
Mme [I] fait valoir qu'en application de l'article 4, § 1, du Règlement Rome II et des jurisprudences européenne et nationale, le droit applicable est le droit français, en ce que, s'agissant d'un préjudice financier, la loi du pays du domicile de la victime est applicable lorsque le dommage se réalise directement sur un compte bancaire de celle-ci ouvert auprès d'une banque établie dans le pays de son domicile. Elle ajoute que d'autres éléments de rattachement concourent à l'application de cette loi, en ce qu'elle est française, domiciliée en France, que l'infraction a été commise via un site internet accessible en France, que le contrat a été signé à distance à son domicile et qu'elle a déposé plainte en France, où une information judiciaire a été ouverte. Elle rappelle ensuite qu'en application du droit français, le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, de sorte qu'elle est fondée à rechercher la responsabilité délictuelle de la société Unicaja Banco au titre d'un manquement à son devoir de vigilance.
Mme [I] n'a pas répliqué à la fin de non-recevoir soulevée tirée de la prescription de ses demandes formées à l'encontre de la société Unicaja Banco.
En réponse à la note en délibéré sollicitée, elle expose que le principe énoncé à l'article 4, § 1 du règlement tend à garantir la sécurité et la protection des victimes en assurant que le dommage subi par celle-ci soit régi par la loi du lieu où il se matérialise, même si le fait générateur est localisé dans un autre pays et cite l'arrêt de la [8] de cassation du 1er octobre 2025, pourvoi n° 22-23.136 . Elle avance ensuite que l'article 4, § 3 constitue une règle dérogatoire et qu'elle justifie de nombreux éléments de rattachement, qui concourent à l'application de la loi française, dès lors qu'elle est française, réside en France, que l'infraction a été commise via un site internet accessible en France, que les victimes françaises sont démarchées en ligne, que le contrat a été conclu à distance en France, que l'exécution des ordres de virement a été réalisée par son établissement bancaire en France, qu'elle a déposé plainte en France et qu'une information judiciaire est ouverte en France.
La société Unicaja Banco rapppelle qu'une fin de non-recevoir peut être proposée en tout état de cause, y compris pour la première fois en appel et que la demande de Mme [Y] doit être déclarée irrecevable pour être prescrite. Elle fait valoir au fond que l'article 4 du règlement Rome II dispose que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient et que, contrairement à ce que soutient Mme [I], la notion de lieu où le dommage s'est produit, ne se confond pas avec le lieu du compte bancaire de l'investisseur, qui a perdu les fonds versés. Elle ajoute que ce lieu peut correspondre en matière de délit financier, soit au lieu de l'évènement causal à l'origine du dommage, i.e au lieu de la prétendue violation de ses obligations professionnelles, soit au lieu du compte vers lequel les fonds litigieux ont été transférés, de sorte que dans les deux cas, le lieu du dommage se situe en Espagne.
Elle précise que le droit espagnol, seul applicable à la demande indemnitaire prévoit en son article 1968 du code civil, que toute action en responsabilité délictuelle se prescrit par un an à compter du jour où la partie lésée a connaissance du préjudice allégué, soit au plus tard à la date du dépôt de sa plainte le 28 septembre 2020 et qu'ayant initié l'action en responsabilité à l'encontre de la société Unicaja Banco le 30 novembre 2022, Mme [I] doit être déclarée irrecevable en ses demandes.
En réponse à la note en délibéré sollicitée, la société Unicaja Banco expose que Mme [I] a fait des virements depuis son compte ouvert en France vers un compte ouvert en Espagne et qu'elle ne justifie d'aucun démarchage de sa part, ni de la société Netmar Cold Fish, de sorte que l'arrêt de la Cour de cassation du 1er octobre 2025, pourvoi n° 22-23.136 invoqué par Mme [I] n'est pas applicable à l'espèce. Elle soutient ensuite que la règle dérogatoire n'a pas lieu d'être appliquée et qu'en application de l'article 4, § 1 du règlement, le droit espagnol est seul applicable.
Aux termes de l'article 4 § 1 du règlement Rome II, sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
Selon l'article 4 § 3, s'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2 de l'article 4 de ce même règlement, la loi de cet autre pays s'applique.
Selon le considérant n° 7, le champ d'application matériel et les dispositions de ce règlement devraient être cohérents par rapport au règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I).
Pour l'application de l'article 5, § 3, du règlement Bruxelles I, qui prévoit qu'en matière délictuelle ou quasi délictuelle, une personne domiciliée dans un Etat membre peut être attraite devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) s'est prononcée en faveur de la compétence des juridictions du domicile du demandeur au titre de la matérialisation du dommage, lorsque celui-ci se réalise directement sur le compte bancaire de ce demandeur auprès d'une banque établie dans le ressort de ces juridictions, à condition que les autres circonstances particulières de l'affaire concourent également à attribuer la compétence à la juridiction du lieu de matérialisation d'un préjudice purement financier (CJUE 16 juin 2016, Universal Music International Holding, C-12/15 : 12 septembre 2018, Löber aff C-304/17).
Par arrêt du 2 avril 2025 (1re Civ., 2 avril 2025, pourvoi n° 22-23.618, 22-24.596, inédit), la Cour de cassation a jugé qu'il résulte de l'article 4, § 1, du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est, sauf dispositions contraires du règlement, celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent, de sorte que pour dire que la loi hongkongaise était applicable et rejeter l'intégralité des demandes dirigées contre la banque HSBC, l'arrêt, qui retient que s'agissant d'une action en responsabilité délictuelle intentée à l'encontre d'une banque hongkongaise dont il est soutenu que par manque de vigilance elle aurait rendu possible une escroquerie commise par divers animateurs de la société NFT, le lieu de survenance du dommage est le lieu où était matériellement tenu le compte par lequel ont transité les fonds détournés, à savoir à Hong Kong, statue, par des motifs impropres à caractériser la localisation du préjudice purement financier, distinct du lieu du fait générateur du dommage, de sorte que la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Par arrêt du 1er octobre 2025 (Com., 1er octobre 2025, pourvois n° 22-23.136, publié), la Cour de cassation a jugé qu'une cour d'appel ayant constaté que l'investisseur, domicilié en France, était titulaire d'un compte ouvert auprès d'une banque établie en France, à partir duquel des virements avaient été ordonnés pour réaliser des investissements à la suite d'un démarchage dont il avait fait l'objet en France, a ainsi fait ressortir que le préjudice financier avait été directement subi sur le compte bancaire de l'investisseur ouvert en France, de sorte qu'elle a légalement justifié sa décision, sans méconnaître le principe d'interprétation cohérente des règlements, en déduisant que le dommage était survenu en France, de sorte que la loi française était applicable à l'action en responsabilité dirigée contre les sociétés Worldpay et Seroph, a, sans avoir à procéder à la recherche invoquée à la deuxième branche, légalement justifié sa décision.
En l'espèce, il résulte des pièces produites que le dommage s'est réalisé directement sur le compte bancaire sis en France de Mme [I] ouvert dans les livres de la société BNP Paribas, en ce que les virements litigieux ont été ordonnés depuis ce compte et que les effets de l'appropriation ont été ressentis sur ce compte. Toutefois, Mme [I] ne justifie pas que d'autres circonstances particulières de l'affaire concourent à désigner la loi du lieu de matérialisation de ce préjudice purement financier, dès lors que sa nationalité et son domicile sont inopérants, qu'elle soutient avoir été contactée par une société Kauffman Corp, devenue Global Multi Trade Corp, qui s'est présentée comme prestataire de services d'investissement et de conseil en placements alternatifs, mais ne fournit aucun élément sur cette prise de contact et ne justifie d'aucun démarchage ni de celle-ci, ni de la société Unicaja Banco, que le document intitulé "bulletin de souscription, contrat à terme" ne concerne pas la société Unicaja Banco, qu'enfin il n'est démontré aucune activité, ni intention commerciale de celle-ci à son égard, laquelle n'a fait que réceptionner les virements sur ses comptes en Espagne.
La société Unicaja Banco justifie, quant à elle, être une banque agréée ayant son siège social en Espagne, tenir les comptes de ses clients et ceux sur lesquels ont été divertis les sommes litigieuses en Espagne et être soumise au droit espagnol.
Il se déduit de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec l'Espagne, pays autre que celui désigné en application de l'article 4, § 1, du règlement Rome II, de sorte qu'il convient de retenir l'application de la loi espagnole.
Il s'ensuit que la loi espagnole s'applique à cette action en responsabilité.
La sociétéUnicaja Banco soutient sans être contredite sur ce point, qu'en droit espagnol, l'action en responsabilité extracontractuelle se prescrit par un an, en application de l'article 1968 du code civil espagnol qui dispose que :
"1968 ' On prescrit par un an :
1° L'action pour recouvrer ou conserver la possession ;
2° L'action civile en réparation de l'injure et de la calomnie et l'action née des obligations dérivant de la faute ou de la négligence que vise l'article 1902. La prescription court du moment où la victime a connu son préjudice."
L'article 1902 du code civil espagnol, auquel renvoie l'article 1968 précité, dispose que : "Celui qui par action ou omission, cause un préjudice à un tiers du fait d'une faute ou d'une négligence est tenu de réparer le dommage causé."
En l'espèce, il convient de relever que Mme [I] a nécessairement eu connaissance du préjudice résultant de l'escroquerie au plus tard à la date du dépôt de sa plainte le 28 septembre 2020, date du point de départ de la prescription, de sorte que l'action qu'elle a initiée le 30 novembre 2022 à l'encontre de la société Unicaja Banco, soit plus d'un an après le 28 septembre 2021, est irrecevable pour être prescrite.
Sur la responsabilité de la société BNP Paribas
A titre principal, Mme [I] expose que la banque a manqué à son devoir de vigilance à son égard.
Elle fait valoir que le présent litige concerne l'application des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier, issus de la transposition de directives européennes qui imposent une obligation de vigilance renforcée aux banquiers teneurs de compte, et conteste l'appréciation juridiquement non fondée des juridictions nationales qui considèrent que ces textes ne peuvent être invoqués au soutien d'une action en responsabilité civile. Elle se prévaut des dispositions des articles 12 et 169 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'article 38 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et le point 61 de la directive UE n° 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015. Elle relève que ces dernières années, les comportements liés au placement de l'épargne ont évolué et la nature des investissements a changé. L'investissement est devenu une affaire de "clic" opéré à partir de plateformes informatiques au contenu séduisant et incitatif, une affaire de démarchage, téléphonique et informatique. Ces placements ont été identifiés par l'Autorité des marchés financiers (AMF) comme étant des "placements à haut risque, avec rendements annoncés parfois irréalistes" et il appartient aux professionnels du secteur financier de faire preuve de prudence et de diligence.
Elle expose qu'en l'espèce, la société BNP Paribas n'a pas été vigilante au regard des achats de nature "atypique" et non réglementée que sa cliente opérait ou encore quant au fonctionnement inhabituel de son compte bancaire, alors qu'elle était retraitée depuis plusieurs années. Elle relève également le caractère exorbitant des sommes investies en 2 jours. Elle ajoute avoir transmis à sa conseillère l'ensemble des documents nécessaires pour justifier des opérations bancaires à exécuter et que sur les factures remises à la banque figuraient des anomalies apparentes qu'un banquier normalement compétent et prudent aurait indéniablement dû déceler notamment l'absence totale de TVA au sein même du marché européen. Elle ajoute être un investisseur profane et que le caractère douteux des virements était évident.
À titre subsidiaire, Mme [I] soutient que la société BNP Paribas a manqué à son devoir général de vigilance et relève les anomalies apparentes suivantes : le montant important des sommes transférées en inadéquation avec ses habitudes, le caractère complexe des opérations, le fonctionnement anormal du compte bancaire, la fréquence et la répétition des mouvements de fonds, la localisation à l'étranger du destinataire des fonds, son caractère profane, le caractère frauduleux des opérations en présence d'éléments douteux révélant une possible fraude. Elle développe les mêmes arguments que ceux précédemment exposés à l'appui du moyen tiré du non respect par la banque de son obligation légale de vigilance au titre du dispositif LCB-FT.
L'appelante fait valoir que les fautes ainsi commises par l'intimée sont à l'origine de son préjudice matériel d'un montant de 68 300 euros et moral évalué à la somme de 13 660 euros correspondant à 20 % du montant de son investissement.
Enfin, elle conteste toute négligence de sa part, précisant avoir été victime d'une escroquerie internationale commise en bande organisée.
S'agissant du prétendu manquement de sa part au dispositif LCB/FT, la société BNP Paribas fait valoir que ce dispositif n'est pas destiné à protéger les intérêts particuliers du titulaire d'un compte, mais à défendre et assurer l'ordre public contre d'éventuelles actions illicites.
S'agissant du manquement au devoir de vigilance, elle soutient que son devoir général de vigilance s'exerce sur le consentement à l'opération de paiement - l'opération fondamentale - et non sur la régularité de sa cause sous-jacente. L'anomalie apparente doit donc être attachée aux opérations de paiement et non aux relations du payeur avec des tiers. Elle rappelle qu'aucune responsabilité n'est prévue par le code monétaire et financier en cas d'opération autorisée mais dont la cause sous-jacente serait frauduleuse. Elle relève que Mme [I] a dûment autorisé les virements litigieux pour lesquels elle a donné son consentement. Elle soutient que les virements litigieux ne présentaient pas d'anomalies apparentes. En effet, les opérations de paiement avaient été activement préparées par Mme [I] qui procédait en amont à des mouvements créditeurs importants. Elle ajoute que l'appelante avait procédé, durant l'année précédant les faits, à des opérations de plusieurs milliers d'euros correspondant à des rachats d'assurance-vie ou à des versements sur ses comptes personnels, de sorte que les sommes investies ne sont pas exorbitantes. S'agissant du pays de destination, elle prétend que le principe de non-discrimination bancaire prévu par l'article 9 du Règlement n° 260/2012 du 14 mars 2012, également défendu par les régulateurs (et notamment la DGCCRF) interdit à la banque de refuser l'exécution d'un virement au seul motif que le compte bancaire du bénéficiaire serait situé dans un autre Etat membre et qu'en conséquence, la nationalité de la banque destinataire des paiements est insuffisante à caractériser une anomalie apparente, sauf à discriminer des Etats membres de l'Union Européenne, tels que l'Espagne en l'espèce. Elle allègue que Mme [I] est la cause exclusive de son dommage dans la mesure où elle a confié son épargne sans s'assurer des compétences, de l'expérience et de la probité de son interlocuteur, alors qu'elle ne le connaissait pas, hors tout cadre contractuel.
Enfin, la société BNP Paribas soutient que Mme [I] n'apporte pas la preuve de l'existence et du quantum des préjudices allégués.
Le tribunal a rappelé à bon droit que les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 et L. 561-6 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation de ces obligations de vigilance et de déclaration pour réclamer des dommages et intérêts à l'organisme financier (Com., 28 avr. 2004, n° 02-15.054 ; 21 sept. 2022, n° 21-12.335).
C'est donc à juste titre qu'il en a déduit que Mme [I] n'est pas fondée à en tirer argument pour conclure qu'il appartenait à la banque d'utiliser les moyens dont elle dispose pour procéder à la lutte contre le blanchiment de capitaux et pour l'alerter sur le risque de fraude pouvant être associé aux opérations qu'elle effectuait avec des sociétés tierces situées à l'étranger.
En application de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d'un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n'a pas, en principe, à s'ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s'assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.
S'il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l'obligation de vigilance de l'établissement de crédit prestataire de services de paiement, c'est à la condition que l'opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l'opération ou encore du fonctionnement du compte.
En l'espèce, entre les 18 et 19 mars 2020, soit sur deux jours, Mme [I] a donné l'ordre à la société BNP Paribas d'effectuer au bénéfice de comptes ouverts dans une banque européenne située en Espagne deux virements pour un montant total de 68 300 euros.
Il est constant que ces virement ont tous été effectués sur instructions expresses et détaillées de la part de Mme [I], qui, comme l'a relevé le tribunal, ne remet pas en cause leur authenticité, mais entend seulement obtenir réparation des préjudices qu'elle a subis en raison du caractère frauduleux des investissements en justifiant la passation.
Mme [I] ne conteste pas avoir donné son consentement à tous les ordres de virements, de sorte qu'ils ne relèvent pas de la législation spécifique aux virements frauduleux car non valablement autorisés par le détenteur du compte de dépôt sur lequel ils ont été débités.
Il ressort des relevés de compte versés aux débats par les parties sur la période de janvier 2019 à février 2020 que Mme [I], qui était retraitée, avait précédemment effectué des opérations de plusieurs milliers d'euros sur son compte, correspondant à des versements sur des comptes personnels ou des rachats d'assurance-vie, en particulier s'agissant de la somme débitée le 17 décembre 2019 à hauteur de 10 000 euros portant la mention "Virement SEPA/Motif 1023/[L] [I]", de la somme créditée le 20 novembre 2019 à hauteur de 9 554, 56 euros intitulée "Virement SEPA/de Swisslife assurance et patrimoine/rachat total" et de celle créditée le 24 décembre 2019 à hauteur de 87 455,29 euros portant la mention "Virement SEPA/Motif à Mme [I]/-QP actif de ssion M. [I]" (pièce n° 1 de l'intimée et 28 de l'appelante).
S'agissant des mouvements opérés, le solde du compte de Mme [I] est demeuré créditeur à l'issue des virements ordonnés, de sorte qu'elle a veillé à alimenter suffisamment le compte avant l'exécution de chaque virement. Ces virements n'ont donc pas relevé d'une gestion patrimoniale incompatible avec les divers avoirs dont disposait alors Mme [I].
Le pays de destination, à savoir l'Espagne, membre de l'Union européenne, n'était pas placé dans des zones à risque particulier.
En outre, à aucun moment la banque BNP Paribas n'a été informée ou n'a pu déceler que les fonds étaient à destination de la société Global Multi Trade Corp.
Il y a lieu de rappeler également que la banque n'est intervenue qu'en qualité de prestataire de services de paiement et gestionnaire de compte, de sorte qu'elle n'était tenue à aucune obligation de mise en garde ou de conseil. L'appelante n'a pas sollicité le conseil de sa banque sur un investissement quelconque et compte tenu de ces circonstances, la banque ne lui en a dispensé aucun.
Enfin, la société BNP Paribas n'était tenue à aucune obligation d'information, ni générale, ni spéciale, à défaut de convention entre les parties prévoyant une telle obligation, alors même qu'elle n'est astreinte à aucune obligation générale d'information légale dans ce domaine, étant rappelé que Mme [I] n'a réalisé aucun placement sur des produits ou services fournis par la société BNP Paribas, mais a préféré des placements financiers alternatifs proposés par la société société Kauffman Corp, remplacée par la société Global Multi Trade Corp.
Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu'il a retenu que la responsabilité de la société BNP Paribas pour manquement à son obligation de vigilance, ne saurait être retenue et a débouté en conséquence Mme [I] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'appelante sera donc condamnée aux dépens.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager dans la présente instance pour assurer la défense de ses intérêts. Elle sera par conséquent déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 7 mars 2024, sauf en ce qu'il a débouté Mme [I] de ses demandes formées à l'encontre de la société Unicaja Banco ;
Statuant à nouveau du chef de la décision infirmée,
DIT y avoir lieu à application de la loi espagnole à l'égard des demandes formées par Mme [I] à l'encontre de la société Unicaja Banco ;
DÉCLARE les demandes de Mme [I] formée à l'encontre de la société Unicaja Banco irrecevables ;
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [I] aux entiers dépens d'appel ;
REJETTE toute autre demande.
* * * * *
La greffière La présidente
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 26 NOVEMBRE 2025
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/07951 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJKY7
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Mars 2024 - tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 3ème chambre - RG n° 22/14581
APPELANTE
Madame [P] [I]
née le [Date naissance 3] 1940 à [Localité 9]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Julie BARIANI, avocat au barreau de Paris, toque : B0692
INTIMÉES
S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 2]
[Localité 5]
N°SIREN : 662 042 449
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Nicolas BAUCH-LABESSE de l'AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de Paris, toque : R10, substitué à l'audience par Me Marie LECORDIER de l'AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de Paris, toque : R10
S.A. UNICAJA BANCO, société de droit espagnol
[Adresse 7]
[Localité 4] (Espagne)
agissant poursuites etdiligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Michel SZULMAN, avocat au barreau de Paris, toque : P0551, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Octobre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Valérie CHAMP, présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Valérie CHAMP, Présidente de chambre
Mme Laurence CHAINTRON, conseillère
Mme Anne BAMBERGER, conseillère
Greffière, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Valérie CHAMP, présidente de chambre et par Mélanie THOMAS, greffière, présente lors de la mise à disposition.
* * * * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [I] est titulaire d'un compte ouvert dans les livres de la banque BNP Paribas.
Au début du mois de janvier 2020, Mme [I] indique avoir été contactée par la société Kauffman Corp, remplacée par suite par la société Global Multi Trade Corp, qui s'est présentée comme prestataire de services d'investissement et de conseil en placements alternatifs et lui a proposé des investissements.
Les 18 et 19 mars 2020, Mme [I] a ordonné deux virements bancaires depuis son compte bancaire au profit d'une société Netmar Cold Fish Spain 2020 SL détenant un compte bancaire ouvert en Espagne dans les livres de la société Unicaja Banco, comme suit :
- 44 200 euros le 18 mars 2020,
- 24 100 euros le 19 mars 2020.
Ces virements ont été exécutés par la banque.
Le 28 septembre 2020, Mme [I] a porté plainte auprès des services de police pour des faits d'escroquerie en lien avec les investissements financiers réalisés.
Par lettres recommandées avec accusé de réception distribué les 3 et 10 mars 2022, Mme [I], par l'intermédiaire de son conseil, a mis en cause la responsabilité des banques et les a mises en demeure de lui rembourser la somme de 68 300 euros correspondant aux sommes investies.
Par acte d'huissier des 29 et 30 novembre 2022, Mme [I] a fait assigner les sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco en responsabilité aux fins d'indemnisation de ses préjudices devant le tribunal judiciaire de Paris.
Par jugement rendu le 7 mars 2024, le tribunal judiciaire de Paris a :
- débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;
- débouté Mme [I] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile;
- condamné Mme [I] à payer aux sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco chacune la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [I] aux dépens.
Par déclaration du 19 avril 2024, Mme [I] a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 juillet 2025, Mme [I] demande, au visa des directives européennes n° 91/308/CEE - n° 2001/97/CE - n° 2005/60/CE - n° 2015/849 - n° 2018/843, du Règlement (CE) n° 864/2007, des articles 1240 et 1241 du code civil, de l'article L. 133-10 du code monétaire et financier, des articles 1231-1 et 1104 du code civil, à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 7 mars 2024 par le tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau :
- prononcer la loi française comme applicable à l'action en responsabilité initiée à l'encontre de la société Unicaja Banco ;
- condamner in solidum les sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco à lui rembourser la somme de 68 300 euros en réparation de son préjudice matériel ;
- condamner in solidum les sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco à lui verser la somme de 13 660 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance ;
- condamner in solidum les sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco à lui verser la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner in solidum les sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 septembre 2025, la société BNP Paribas demande, au visa des articles L. 133-1 et suivants, L. 561 et suivants, L. 574-1 du code monétaire et financier et 514-1 et 514-5, 699 et 700 du code de procédure civile, à la cour de :
- confirmer le jugement du 7 mars 2024 en toutes ses dispositions ;
- débouter Mme [I] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner Mme [I] à lui régler une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [I] à supporter l'intégralité des dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 30 septembre 2024, la société Unicaja Banco demande à la cour, de :
- confirmer le jugement entrepris en raison de l'irrecevabilité de la demande de Mme [I] pour être prescrite,
subsidiairement,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- débouter Mme [I] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner Mme [I] à lui régler une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [I] à supporter l'intégralité des dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 16 septembre 2025 et l'audience de plaidoirie fixée au 16 octobre 2025.
Mme [I] et la société Unicaja Banco visant l'article 4 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), mais développant des moyens au seul visa de l'article 4, § 1, suivant bulletin du 17 octobre 2025, il a été sollicité leurs observations sur une application éventuelle de la règle dérogatoire énoncée à l'article 4, § 3, la cour d'appel envisageant d'examiner également ce dernier point.
Mme [I] et la société Unicaja Banco ont fait valoir leurs observations par voie électronique les 23 et 28 octobre 2025.
MOTIFS
Sur l'irrecevabilité de la demande à l'égard de la société Unicaja Banco
Mme [I] fait valoir qu'en application de l'article 4, § 1, du Règlement Rome II et des jurisprudences européenne et nationale, le droit applicable est le droit français, en ce que, s'agissant d'un préjudice financier, la loi du pays du domicile de la victime est applicable lorsque le dommage se réalise directement sur un compte bancaire de celle-ci ouvert auprès d'une banque établie dans le pays de son domicile. Elle ajoute que d'autres éléments de rattachement concourent à l'application de cette loi, en ce qu'elle est française, domiciliée en France, que l'infraction a été commise via un site internet accessible en France, que le contrat a été signé à distance à son domicile et qu'elle a déposé plainte en France, où une information judiciaire a été ouverte. Elle rappelle ensuite qu'en application du droit français, le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, de sorte qu'elle est fondée à rechercher la responsabilité délictuelle de la société Unicaja Banco au titre d'un manquement à son devoir de vigilance.
Mme [I] n'a pas répliqué à la fin de non-recevoir soulevée tirée de la prescription de ses demandes formées à l'encontre de la société Unicaja Banco.
En réponse à la note en délibéré sollicitée, elle expose que le principe énoncé à l'article 4, § 1 du règlement tend à garantir la sécurité et la protection des victimes en assurant que le dommage subi par celle-ci soit régi par la loi du lieu où il se matérialise, même si le fait générateur est localisé dans un autre pays et cite l'arrêt de la [8] de cassation du 1er octobre 2025, pourvoi n° 22-23.136 . Elle avance ensuite que l'article 4, § 3 constitue une règle dérogatoire et qu'elle justifie de nombreux éléments de rattachement, qui concourent à l'application de la loi française, dès lors qu'elle est française, réside en France, que l'infraction a été commise via un site internet accessible en France, que les victimes françaises sont démarchées en ligne, que le contrat a été conclu à distance en France, que l'exécution des ordres de virement a été réalisée par son établissement bancaire en France, qu'elle a déposé plainte en France et qu'une information judiciaire est ouverte en France.
La société Unicaja Banco rapppelle qu'une fin de non-recevoir peut être proposée en tout état de cause, y compris pour la première fois en appel et que la demande de Mme [Y] doit être déclarée irrecevable pour être prescrite. Elle fait valoir au fond que l'article 4 du règlement Rome II dispose que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient et que, contrairement à ce que soutient Mme [I], la notion de lieu où le dommage s'est produit, ne se confond pas avec le lieu du compte bancaire de l'investisseur, qui a perdu les fonds versés. Elle ajoute que ce lieu peut correspondre en matière de délit financier, soit au lieu de l'évènement causal à l'origine du dommage, i.e au lieu de la prétendue violation de ses obligations professionnelles, soit au lieu du compte vers lequel les fonds litigieux ont été transférés, de sorte que dans les deux cas, le lieu du dommage se situe en Espagne.
Elle précise que le droit espagnol, seul applicable à la demande indemnitaire prévoit en son article 1968 du code civil, que toute action en responsabilité délictuelle se prescrit par un an à compter du jour où la partie lésée a connaissance du préjudice allégué, soit au plus tard à la date du dépôt de sa plainte le 28 septembre 2020 et qu'ayant initié l'action en responsabilité à l'encontre de la société Unicaja Banco le 30 novembre 2022, Mme [I] doit être déclarée irrecevable en ses demandes.
En réponse à la note en délibéré sollicitée, la société Unicaja Banco expose que Mme [I] a fait des virements depuis son compte ouvert en France vers un compte ouvert en Espagne et qu'elle ne justifie d'aucun démarchage de sa part, ni de la société Netmar Cold Fish, de sorte que l'arrêt de la Cour de cassation du 1er octobre 2025, pourvoi n° 22-23.136 invoqué par Mme [I] n'est pas applicable à l'espèce. Elle soutient ensuite que la règle dérogatoire n'a pas lieu d'être appliquée et qu'en application de l'article 4, § 1 du règlement, le droit espagnol est seul applicable.
Aux termes de l'article 4 § 1 du règlement Rome II, sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
Selon l'article 4 § 3, s'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2 de l'article 4 de ce même règlement, la loi de cet autre pays s'applique.
Selon le considérant n° 7, le champ d'application matériel et les dispositions de ce règlement devraient être cohérents par rapport au règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I).
Pour l'application de l'article 5, § 3, du règlement Bruxelles I, qui prévoit qu'en matière délictuelle ou quasi délictuelle, une personne domiciliée dans un Etat membre peut être attraite devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) s'est prononcée en faveur de la compétence des juridictions du domicile du demandeur au titre de la matérialisation du dommage, lorsque celui-ci se réalise directement sur le compte bancaire de ce demandeur auprès d'une banque établie dans le ressort de ces juridictions, à condition que les autres circonstances particulières de l'affaire concourent également à attribuer la compétence à la juridiction du lieu de matérialisation d'un préjudice purement financier (CJUE 16 juin 2016, Universal Music International Holding, C-12/15 : 12 septembre 2018, Löber aff C-304/17).
Par arrêt du 2 avril 2025 (1re Civ., 2 avril 2025, pourvoi n° 22-23.618, 22-24.596, inédit), la Cour de cassation a jugé qu'il résulte de l'article 4, § 1, du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est, sauf dispositions contraires du règlement, celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent, de sorte que pour dire que la loi hongkongaise était applicable et rejeter l'intégralité des demandes dirigées contre la banque HSBC, l'arrêt, qui retient que s'agissant d'une action en responsabilité délictuelle intentée à l'encontre d'une banque hongkongaise dont il est soutenu que par manque de vigilance elle aurait rendu possible une escroquerie commise par divers animateurs de la société NFT, le lieu de survenance du dommage est le lieu où était matériellement tenu le compte par lequel ont transité les fonds détournés, à savoir à Hong Kong, statue, par des motifs impropres à caractériser la localisation du préjudice purement financier, distinct du lieu du fait générateur du dommage, de sorte que la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Par arrêt du 1er octobre 2025 (Com., 1er octobre 2025, pourvois n° 22-23.136, publié), la Cour de cassation a jugé qu'une cour d'appel ayant constaté que l'investisseur, domicilié en France, était titulaire d'un compte ouvert auprès d'une banque établie en France, à partir duquel des virements avaient été ordonnés pour réaliser des investissements à la suite d'un démarchage dont il avait fait l'objet en France, a ainsi fait ressortir que le préjudice financier avait été directement subi sur le compte bancaire de l'investisseur ouvert en France, de sorte qu'elle a légalement justifié sa décision, sans méconnaître le principe d'interprétation cohérente des règlements, en déduisant que le dommage était survenu en France, de sorte que la loi française était applicable à l'action en responsabilité dirigée contre les sociétés Worldpay et Seroph, a, sans avoir à procéder à la recherche invoquée à la deuxième branche, légalement justifié sa décision.
En l'espèce, il résulte des pièces produites que le dommage s'est réalisé directement sur le compte bancaire sis en France de Mme [I] ouvert dans les livres de la société BNP Paribas, en ce que les virements litigieux ont été ordonnés depuis ce compte et que les effets de l'appropriation ont été ressentis sur ce compte. Toutefois, Mme [I] ne justifie pas que d'autres circonstances particulières de l'affaire concourent à désigner la loi du lieu de matérialisation de ce préjudice purement financier, dès lors que sa nationalité et son domicile sont inopérants, qu'elle soutient avoir été contactée par une société Kauffman Corp, devenue Global Multi Trade Corp, qui s'est présentée comme prestataire de services d'investissement et de conseil en placements alternatifs, mais ne fournit aucun élément sur cette prise de contact et ne justifie d'aucun démarchage ni de celle-ci, ni de la société Unicaja Banco, que le document intitulé "bulletin de souscription, contrat à terme" ne concerne pas la société Unicaja Banco, qu'enfin il n'est démontré aucune activité, ni intention commerciale de celle-ci à son égard, laquelle n'a fait que réceptionner les virements sur ses comptes en Espagne.
La société Unicaja Banco justifie, quant à elle, être une banque agréée ayant son siège social en Espagne, tenir les comptes de ses clients et ceux sur lesquels ont été divertis les sommes litigieuses en Espagne et être soumise au droit espagnol.
Il se déduit de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec l'Espagne, pays autre que celui désigné en application de l'article 4, § 1, du règlement Rome II, de sorte qu'il convient de retenir l'application de la loi espagnole.
Il s'ensuit que la loi espagnole s'applique à cette action en responsabilité.
La sociétéUnicaja Banco soutient sans être contredite sur ce point, qu'en droit espagnol, l'action en responsabilité extracontractuelle se prescrit par un an, en application de l'article 1968 du code civil espagnol qui dispose que :
"1968 ' On prescrit par un an :
1° L'action pour recouvrer ou conserver la possession ;
2° L'action civile en réparation de l'injure et de la calomnie et l'action née des obligations dérivant de la faute ou de la négligence que vise l'article 1902. La prescription court du moment où la victime a connu son préjudice."
L'article 1902 du code civil espagnol, auquel renvoie l'article 1968 précité, dispose que : "Celui qui par action ou omission, cause un préjudice à un tiers du fait d'une faute ou d'une négligence est tenu de réparer le dommage causé."
En l'espèce, il convient de relever que Mme [I] a nécessairement eu connaissance du préjudice résultant de l'escroquerie au plus tard à la date du dépôt de sa plainte le 28 septembre 2020, date du point de départ de la prescription, de sorte que l'action qu'elle a initiée le 30 novembre 2022 à l'encontre de la société Unicaja Banco, soit plus d'un an après le 28 septembre 2021, est irrecevable pour être prescrite.
Sur la responsabilité de la société BNP Paribas
A titre principal, Mme [I] expose que la banque a manqué à son devoir de vigilance à son égard.
Elle fait valoir que le présent litige concerne l'application des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier, issus de la transposition de directives européennes qui imposent une obligation de vigilance renforcée aux banquiers teneurs de compte, et conteste l'appréciation juridiquement non fondée des juridictions nationales qui considèrent que ces textes ne peuvent être invoqués au soutien d'une action en responsabilité civile. Elle se prévaut des dispositions des articles 12 et 169 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'article 38 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et le point 61 de la directive UE n° 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015. Elle relève que ces dernières années, les comportements liés au placement de l'épargne ont évolué et la nature des investissements a changé. L'investissement est devenu une affaire de "clic" opéré à partir de plateformes informatiques au contenu séduisant et incitatif, une affaire de démarchage, téléphonique et informatique. Ces placements ont été identifiés par l'Autorité des marchés financiers (AMF) comme étant des "placements à haut risque, avec rendements annoncés parfois irréalistes" et il appartient aux professionnels du secteur financier de faire preuve de prudence et de diligence.
Elle expose qu'en l'espèce, la société BNP Paribas n'a pas été vigilante au regard des achats de nature "atypique" et non réglementée que sa cliente opérait ou encore quant au fonctionnement inhabituel de son compte bancaire, alors qu'elle était retraitée depuis plusieurs années. Elle relève également le caractère exorbitant des sommes investies en 2 jours. Elle ajoute avoir transmis à sa conseillère l'ensemble des documents nécessaires pour justifier des opérations bancaires à exécuter et que sur les factures remises à la banque figuraient des anomalies apparentes qu'un banquier normalement compétent et prudent aurait indéniablement dû déceler notamment l'absence totale de TVA au sein même du marché européen. Elle ajoute être un investisseur profane et que le caractère douteux des virements était évident.
À titre subsidiaire, Mme [I] soutient que la société BNP Paribas a manqué à son devoir général de vigilance et relève les anomalies apparentes suivantes : le montant important des sommes transférées en inadéquation avec ses habitudes, le caractère complexe des opérations, le fonctionnement anormal du compte bancaire, la fréquence et la répétition des mouvements de fonds, la localisation à l'étranger du destinataire des fonds, son caractère profane, le caractère frauduleux des opérations en présence d'éléments douteux révélant une possible fraude. Elle développe les mêmes arguments que ceux précédemment exposés à l'appui du moyen tiré du non respect par la banque de son obligation légale de vigilance au titre du dispositif LCB-FT.
L'appelante fait valoir que les fautes ainsi commises par l'intimée sont à l'origine de son préjudice matériel d'un montant de 68 300 euros et moral évalué à la somme de 13 660 euros correspondant à 20 % du montant de son investissement.
Enfin, elle conteste toute négligence de sa part, précisant avoir été victime d'une escroquerie internationale commise en bande organisée.
S'agissant du prétendu manquement de sa part au dispositif LCB/FT, la société BNP Paribas fait valoir que ce dispositif n'est pas destiné à protéger les intérêts particuliers du titulaire d'un compte, mais à défendre et assurer l'ordre public contre d'éventuelles actions illicites.
S'agissant du manquement au devoir de vigilance, elle soutient que son devoir général de vigilance s'exerce sur le consentement à l'opération de paiement - l'opération fondamentale - et non sur la régularité de sa cause sous-jacente. L'anomalie apparente doit donc être attachée aux opérations de paiement et non aux relations du payeur avec des tiers. Elle rappelle qu'aucune responsabilité n'est prévue par le code monétaire et financier en cas d'opération autorisée mais dont la cause sous-jacente serait frauduleuse. Elle relève que Mme [I] a dûment autorisé les virements litigieux pour lesquels elle a donné son consentement. Elle soutient que les virements litigieux ne présentaient pas d'anomalies apparentes. En effet, les opérations de paiement avaient été activement préparées par Mme [I] qui procédait en amont à des mouvements créditeurs importants. Elle ajoute que l'appelante avait procédé, durant l'année précédant les faits, à des opérations de plusieurs milliers d'euros correspondant à des rachats d'assurance-vie ou à des versements sur ses comptes personnels, de sorte que les sommes investies ne sont pas exorbitantes. S'agissant du pays de destination, elle prétend que le principe de non-discrimination bancaire prévu par l'article 9 du Règlement n° 260/2012 du 14 mars 2012, également défendu par les régulateurs (et notamment la DGCCRF) interdit à la banque de refuser l'exécution d'un virement au seul motif que le compte bancaire du bénéficiaire serait situé dans un autre Etat membre et qu'en conséquence, la nationalité de la banque destinataire des paiements est insuffisante à caractériser une anomalie apparente, sauf à discriminer des Etats membres de l'Union Européenne, tels que l'Espagne en l'espèce. Elle allègue que Mme [I] est la cause exclusive de son dommage dans la mesure où elle a confié son épargne sans s'assurer des compétences, de l'expérience et de la probité de son interlocuteur, alors qu'elle ne le connaissait pas, hors tout cadre contractuel.
Enfin, la société BNP Paribas soutient que Mme [I] n'apporte pas la preuve de l'existence et du quantum des préjudices allégués.
Le tribunal a rappelé à bon droit que les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 et L. 561-6 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation de ces obligations de vigilance et de déclaration pour réclamer des dommages et intérêts à l'organisme financier (Com., 28 avr. 2004, n° 02-15.054 ; 21 sept. 2022, n° 21-12.335).
C'est donc à juste titre qu'il en a déduit que Mme [I] n'est pas fondée à en tirer argument pour conclure qu'il appartenait à la banque d'utiliser les moyens dont elle dispose pour procéder à la lutte contre le blanchiment de capitaux et pour l'alerter sur le risque de fraude pouvant être associé aux opérations qu'elle effectuait avec des sociétés tierces situées à l'étranger.
En application de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d'un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n'a pas, en principe, à s'ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s'assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.
S'il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l'obligation de vigilance de l'établissement de crédit prestataire de services de paiement, c'est à la condition que l'opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l'opération ou encore du fonctionnement du compte.
En l'espèce, entre les 18 et 19 mars 2020, soit sur deux jours, Mme [I] a donné l'ordre à la société BNP Paribas d'effectuer au bénéfice de comptes ouverts dans une banque européenne située en Espagne deux virements pour un montant total de 68 300 euros.
Il est constant que ces virement ont tous été effectués sur instructions expresses et détaillées de la part de Mme [I], qui, comme l'a relevé le tribunal, ne remet pas en cause leur authenticité, mais entend seulement obtenir réparation des préjudices qu'elle a subis en raison du caractère frauduleux des investissements en justifiant la passation.
Mme [I] ne conteste pas avoir donné son consentement à tous les ordres de virements, de sorte qu'ils ne relèvent pas de la législation spécifique aux virements frauduleux car non valablement autorisés par le détenteur du compte de dépôt sur lequel ils ont été débités.
Il ressort des relevés de compte versés aux débats par les parties sur la période de janvier 2019 à février 2020 que Mme [I], qui était retraitée, avait précédemment effectué des opérations de plusieurs milliers d'euros sur son compte, correspondant à des versements sur des comptes personnels ou des rachats d'assurance-vie, en particulier s'agissant de la somme débitée le 17 décembre 2019 à hauteur de 10 000 euros portant la mention "Virement SEPA/Motif 1023/[L] [I]", de la somme créditée le 20 novembre 2019 à hauteur de 9 554, 56 euros intitulée "Virement SEPA/de Swisslife assurance et patrimoine/rachat total" et de celle créditée le 24 décembre 2019 à hauteur de 87 455,29 euros portant la mention "Virement SEPA/Motif à Mme [I]/-QP actif de ssion M. [I]" (pièce n° 1 de l'intimée et 28 de l'appelante).
S'agissant des mouvements opérés, le solde du compte de Mme [I] est demeuré créditeur à l'issue des virements ordonnés, de sorte qu'elle a veillé à alimenter suffisamment le compte avant l'exécution de chaque virement. Ces virements n'ont donc pas relevé d'une gestion patrimoniale incompatible avec les divers avoirs dont disposait alors Mme [I].
Le pays de destination, à savoir l'Espagne, membre de l'Union européenne, n'était pas placé dans des zones à risque particulier.
En outre, à aucun moment la banque BNP Paribas n'a été informée ou n'a pu déceler que les fonds étaient à destination de la société Global Multi Trade Corp.
Il y a lieu de rappeler également que la banque n'est intervenue qu'en qualité de prestataire de services de paiement et gestionnaire de compte, de sorte qu'elle n'était tenue à aucune obligation de mise en garde ou de conseil. L'appelante n'a pas sollicité le conseil de sa banque sur un investissement quelconque et compte tenu de ces circonstances, la banque ne lui en a dispensé aucun.
Enfin, la société BNP Paribas n'était tenue à aucune obligation d'information, ni générale, ni spéciale, à défaut de convention entre les parties prévoyant une telle obligation, alors même qu'elle n'est astreinte à aucune obligation générale d'information légale dans ce domaine, étant rappelé que Mme [I] n'a réalisé aucun placement sur des produits ou services fournis par la société BNP Paribas, mais a préféré des placements financiers alternatifs proposés par la société société Kauffman Corp, remplacée par la société Global Multi Trade Corp.
Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu'il a retenu que la responsabilité de la société BNP Paribas pour manquement à son obligation de vigilance, ne saurait être retenue et a débouté en conséquence Mme [I] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'appelante sera donc condamnée aux dépens.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des sociétés BNP Paribas et Unicaja Banco les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager dans la présente instance pour assurer la défense de ses intérêts. Elle sera par conséquent déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 7 mars 2024, sauf en ce qu'il a débouté Mme [I] de ses demandes formées à l'encontre de la société Unicaja Banco ;
Statuant à nouveau du chef de la décision infirmée,
DIT y avoir lieu à application de la loi espagnole à l'égard des demandes formées par Mme [I] à l'encontre de la société Unicaja Banco ;
DÉCLARE les demandes de Mme [I] formée à l'encontre de la société Unicaja Banco irrecevables ;
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [I] aux entiers dépens d'appel ;
REJETTE toute autre demande.
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La greffière La présidente