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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 26 novembre 2025, n° 23/16357

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/16357

26 novembre 2025

RÉPUBLIQUE FRAN'AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 2025

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/16357 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIK2C

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Septembre 2023 - tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 1ère section - RG n° 21/05571

APPELANT

Monsieur [X] [W]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 7]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représenté par Me Gaël COLLIN de la SELARL COLMAN AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : C0907, substitué à l'audience par Me Yann MESSAOUDI de la SELARL COLMAN AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : C0907

INTIMÉE

S.A. LA BANQUE POSTALE

[Adresse 2]

[Localité 4]

N° SIREN : 421 100 645

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Anne ROULLIER de la SELEURL ROULLIER JEANCOURT-GALIGNANI AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : W05, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Octobre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Vincent BRAUD, président de chambre

Mme Valérie CHAMP, présidente de chambre

Mme Anne BAMBERGER, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Anne BAMBERGER dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Vincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

1- EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

[X] [W] a ouvert deux comptes dans les livres de la société La Banque postale.

L'intéressé a fait l'objet d'un démarchage par un tiers se présentant comme un courtier travaillant pour le compte de la société GSS Financial, spécialisée dans le placement financier et notamment le forex, qui lui a proposé d'investir des fonds sur une plate-forme de trading en ligne.

Ces comptes de dépôt ont été débités d'une somme totale de 93.000 €, en exécution de 31 ordres de virement émis par [X] [W] entre le 27 février 2017 et le 31 mai 2018, à destination de sociétés à [Localité 5], au Danemark et en Pologne.

[X] [W] a exposé avoir perdu l'intégralité des fonds investis et déposé une plainte le 2 février 2019, puis, après classement de celle-ci par le procureur de la République, il a déposé une nouvelle plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction du chef d'escroquerie si bien qu'une information a été ouverte et un juge d'instruction désigné.

C'est dans ces circonstances que par acte d'huissier du 16 avril 2021, [X] [W] a fait assigner la société La Banque postale devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de la voir condamner à l'indemniser des préjudices subis.

Par jugement contradictoire du 26 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Paris a :

- Débouté [X] [W] de ses demandes de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice financier et d'un préjudice moral,

- Condamné [X] [W] à payer à la société La Banque postale la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté [X] [W] de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

- Rappelé que l'exécution provisoire de la décision est de droit.

- Condamné [X] [W] aux dépens.

Par déclaration remise au greffe de la cour le 5 octobre 2023, [X] [W] a interjeté appel de cette décision à l'encontre de la Banque Postale.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 27 août 2025, [X] [W] demande à la cour de bien vouloir :

' - INFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Monsieur [X] [W] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice né des manquements de la Banque postale à son devoir de vigilance ;

- INFIRMER la décision de première instance en ce qu'elle a condamné Monsieur [X] [W] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;

Statuant à nouveau :

- CONDAMNER la Banque postale au paiement de dommages et intérêts d'un montant de 75.000 euros au bénéfice de Monsieur [X] [W] en réparation de son préjudice financier ;

- CONDAMNER la Banque postale au paiement de dommages et intérêts d'un montant de 5.000 euros au bénéfice de Monsieur [X] [W] en réparation de son préjudice moral ;

- DEBOUTER La Banque postale de tous ses moyens, fins, conclusions et demandes ;

- CONDAMNER la Banque postale à 3.600 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à tous les dépens de la présente instance ainsi que de la première instance. '

Dans ses dernières écritures communiquées par voie électronique le 8 septembre 2025, la SA La Banque postale demande quant à elle, à la cour de bien vouloir :

'CONFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [W] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de LA BANQUE POSTALE.

Y ajoutant,

CONDAMNER Monsieur [W] au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens d'appel. '

Au soutien de son appel, [X] [W] fait valoir qu'il a été victime d'une escroquerie et qu'à cet égard, la banque a manqué à son devoir de vigilance qui ne consiste pas, selon lui, en la seule vérification de la conformité du virement. Il reproche à la Banque postale, en tant que professionnel averti des fraudes en ligne manifestes, de ne pas l'avoir informé de ces circonstances. Il soutient, à cet égard, que les virements effectués étaient inhabituels ce qui aurait dû être détecté par la banque et analysé comme des anomalies intellectuelles. De même, le montant élevé des virements et leur fréquence auraient dû alerter la banque. Il souligne également qu'[Localité 5], pays vers lequel 16 virements ont été effectués ne se trouve pas dans la zone SEPA. Il ajoute que trois virements ont été rejetés par des banques réceptrices étrangères ce qu'aurait dû relever la banque qui n'a même pas fait connaître les motifs de ces rejets. Il précise que trois virements n'ont également pas été exécutés par la Banque postale sans qu'elle n'en fasse connaître les raisons.

[X] [W] fait également valoir que la plateforme GSS Financial a été placée sur la liste noire de l'AMF le 28 juin 2017, or, la Banque postale a exécuté 15 virements postérieurement.

[X] [W] estime qu'il a subi un préjudice du fait de la perte de chance de n'avoir pas investi, qu'il évalue à 75 000 euros, outre un préjudice moral qu'il évalue à 5 000 euros.

La société Banque postale fait, quant à elle, valoir, à l'appui de ses prétentions qu'il n'est pas contesté que les virements litigieux étaient des opérations autorisées, qu'elle n'était en rien informée du projet d'investissement de [X] [W], dont rien ne prouve qu'il ait été victime d'escroquerie plutôt que de mauvais placements. Elle précise qu'aucun bénéficiaire des virements ne figurait sur la liste noire de l'AMF, que les virements litigieux ne comportaient pas de motif et n'ont pas mis le compte en position débitrice, [X] [W] ayant toujours veillé à l'approvisionner suffisamment avant de procéder aux opérations en cause, si bien qu'elles ne présentaient aucune anomalie apparente.

La banque soutient également qu'elle n'a pas manqué à son devoir de vigilance et qu'elle est tenue d'un devoir de non ingérence dans les affaires de ses clients. Elle ajoute qu'elle n'est tenue d'aucune obligation de conseil, d'information ou de mise en garde s'agissant d'opérations qu'elle n'a pas proposées.

A titre subsidiaire, la Banque postale allègue que la faute de [X] [W] dans ses choix d'investissements hasardeux doit être considérée comme une cause exonératoire de la responsabilité de la banque.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 septembre 2025 et l'audience fixée au 13 octobre 2025.

2-MOTIFS DE LA DECISION

2-1-1 Sur la responsabilité de la banque

Le prestataire de services de paiement réalisant une opération de virement bancaire, comme en l'espèce, est essentiellement soumis aux dispositions des articles L 133-4 et suivants du code monétaire et financier issus de l'ordonnance du 15 juillet 2009 relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiements, transposant la directive n° 2007/64/CE concernant les services de paiement dans le marché intérieur, son article L 133-21 disposant notamment, en ses alinéas 1 et 5 qu' 'un ordre de paiement exécuté conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l'identifiant unique' et 'si l'utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l'identifiant unique ou des informations définies dans la convention de compte de dépôt ou dans le contrat-cadre de services de paiement comme nécessaires aux fins de l'exécution correcte de l'ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n'est responsable que de l'exécution de l'opération de paiement conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur de services de paiement'.

Il n'est pas contesté que les ordres de virement ont été exécutés conformément aux demandes de [X] [W] et que les sommes litigieuses ont été virées aux bénéficiaires désignés, de sorte qu'aucune mauvaise exécution des opérations de virement réalisées ne peut être reprochée à la société La Banque postale.

En application de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421).

Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d'un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n'a pas, en principe, à s'ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s'assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.

Si ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l'obligation de vigilance de l'établissement de crédit prestataire de services de paiement, c'est à la condition que l'opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l'opération ou encore du fonctionnement du compte.

Au soutien du caractère inhabituel des opérations litigieuses, [X] [W] souligne :

- la destination inhabituelle des virements

- le montant et la fréquence d'exécution des virements

- le rejet de trois virements par la banque réceptrice étrangère

- l'inexécution de trois virements par la Banque postale

- l'inscription de la plateforme frauduleuse sur la liste noire de l'Autorité des marchés financiers le 28 juin 2017 et 15 virements ont été exécutés postérieurement

- 16 virements adressés à [Localité 5] qui n'est pas en zone SEPA

Toutefois, ni l'ancienneté des relations entretenues par la banque avec [X] [W], ni les habitudes antérieures de celui-ci quant aux opérations qu'il pratiquait sur son compte ne devaient conduire la banque à s'interroger sur la cause ou l'opportunité des virements ordonnés et à s'immiscer dans les affaires de l'intéressé (Com., 30 sept. 2008, no 07-18.988).

En outre, au regard du fonctionnement du compte de [X] [W], les virements litigieux n'étaient entachés d'aucune anomalie apparente. En effet, ni le montant des virements, qui demeuraient couverts par le solde créditeur, ni leur destination vers des comptes détenus dans les livres de banques dûment agréées ne constituaient des anomalies devant alerter la vigilance de la Banque postale.

Quant aux rejets de trois des virements litigieux, aucun motif particulier n'étant précisé par les banques réceptrices, ils n'étaient pas de nature à éveiller la suspicion de la banque. De même, il ne peut être tiré argument de l'inexécution de trois virements par la Banque postale, aucun motif particulier ne résultant des pièces produites par les parties.

Enfin, aucun des destinataires des fonds, bénéficiaires des virements ne figurait sur la liste noire de l'Autorité des marchés financiers au moment des virements litigieux, étant précisé que le libellé des opérations ne désignait pas la plateforme frauduleuse qui y était, elle, inscrite concomitamment aux virements litigieux postérieurs au 28 juin 2017.

Il y a lieu de rappeler également que la Banque postale n'est intervenue qu'en qualité de prestataire de services de paiement et gestionnaire de compte, de sorte qu'elle n'était tenue à aucune obligation de mise en garde ou de conseil et qu'en tout état de cause, il n'est nullement démontré que la banque aurait été informée de la nature des investissements effectués, bien au contraire, puisque les virements en cause ne comportaient aucun motif.

Il en résulte qu'en dépit de l'importance des sommes concernées et du nombre de virements ordonnés, ces opérations ne présentaient aucune anomalie apparente, de sorte que la banque aurait violé son devoir de non immixtion si elle avait procédé à des investigations particulières ou était intervenue pour empêcher son client d'effectuer un acte qu'elle jugeait inopportun ou dangereux pour ses intérêts.

Dans ces circonstances, la Banque postale a satisfait à son devoir de vigilance.

Ainsi, c'est par des motifs détaillés et pertinents que la cour fait siens, que le tribunal a estimé que la Banque postale avait rempli ses obligations de prudence. En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et de condamner [X] [W] aux dépens d'appel, l'équité commandant de ne pas prononcer de condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

DIT n'y avoir lieu au prononcé d'une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [X] [W] aux dépens d'appel ;

REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.

* * * * *

Le greffier Le président

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