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Décisions

CA Rennes, référés 8e ch., 26 novembre 2025, n° 25/04801

RENNES

Ordonnance

Autre

CA Rennes n° 25/04801

26 novembre 2025

Référés 8ème Chambre

ORDONNANCE N°12

N° RG 25/04801 -

N° Portalis DBVL-V-B7J-WDFM

S.A. AALBERTS HFC COMAP

C/

M. [T] [D]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Sarra JOUGLA,

- Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

DU 26 NOVEMBRE 2025

Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre délégué par ordonnance de Monsieur le Premier Président du 02 Juillet 2025

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats, et Monsieur Philippe RENAULT, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l'audience publique du 20 Octobre 2025

ORDONNANCE :

Contradictoire, prononcée publiquement le 26 Novembre 2025, par mise à disposition date indiquée à l'issue des débats

****

Vu l'assignation en référé délivrée le 07 Août 2025

ENTRE :

La S.A. AALBERTS HFC COMAP prise en la personne de ses représentants légaux et ayant son siège social :

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Anne-Marie CARO, Avocat au Barreau de RENNES, substituant à l'audience Me Sarra JOUGLA, Avocat postulant du Barreau de PARIS et ayant Me Pierre-Jacques CASTANET, Avocat au Barreau de PARIS, pour conseil

ET :

Monsieur [T] [D]

né le 16 Août 1975 à [Localité 5] (56)

demeurant [Adresse 1]

[Localité 2]

représenté à l'audience par Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN, Avocat postulant du Barreau de RENNES et ayant Me Bruno LOUVEL, Avocat au Barreau de RENNES, pour conseil

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Comap aux droits de laquelle se trouve la société Aalberts HFC Comap SA qui a pour activité la vente de composants pour systèmes thermiques a embauché M. [D] en qualité de Commercial suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 6 décembre 2004.

En 2006, la société Comap est devenue membre du Groupe néerlandais Aalberts Industries NV.

M. [D] a occupé différents postes au sein de l'entreprise et au dernier état de la relation contractuelle de travail il était employé en qualité de Directeur de région- Responsable grands comptes moyennant un salaire brut mensuel de 7.781,18 euros.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 3 mars 2021, M. [D] s'est vu notifier son licenciement pour motif économique intervenu dans le cadre d'une procédure de licenciement collectif pour motif économique.

Suivant requête en date du 1er mars 2022, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Vannes afin de voir juger son licenciement nul, à défaut sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir le paiement de différentes sommes à titre de dommages-intérêts et indemnités.

L'exécution provisoire était demandée.

Par jugement rendu le 19 juin 2025, le conseil de prud'hommes a :

- Déclaré nul le licenciement de M. [D]

- Condamné la société Comap à payer à M. [D] la somme de 105.045,93 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul avec intérêts au taux légal à compter de la décision

- Ordonné la capitalisation des intérêts par année entière

- Ordonné la délivrance par la société Comap à M. [D] de bulletins de paie et d'une attestation France Travail conformes à la décision sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard passé un délai de 2 mois suivant la notification de la décision et pendant un délai de 3 mois, après quoi il sera de nouveau statué

- Fixé la moyenne des salaires des trois derniers mois à la somme de 7.781,18 euros

- Débouté M. [D] de sa demande tendant à condamner la société Comap à lui verser la somme de 46.687,08 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la priorité de réembauchage;

Le conseil de prud'hommes s'est réservé la liquidation de l'astreinte.

L'exécution provisoire a été ordonnée.

La société Comap était condamnée aux dépens.

La société Aalberts HFC Comap SA a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 17 juillet 2025.

Suivant exploit de Commissaire de justice délivré le 7 août 2025, la société Aalberts HFC Comap SA (ci-après: Comap) a fait assigner M. [D] en référé devant le Premier président de la cour d'appel de Rennes à l'audience du 16 septembre 2025 à 14 heures, aux fins de voir :

A titre principal :

Vu les articles 515, 517-1 et suivants du code de procédure civile

Ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Vannes ;

A titre subsidiaire:

Vu l'article 521 du code de procédure civile

Ordonner la consignation des sommes mises à la charge de la société Comap entre les mains de la Carpa ou tout autre séquestre désigné, dans l'attente de l'arrêt à intervenir ;

A titre infiniment subsidiaire :

Vu l'article 517 du code de procédure civile

Ordonner la constitution d'une garantie des sommes allouées par le conseil de prud'hommes de Vannes (somme d'argent à la Caisse des dépôts et consignations, hypothèque).

Dire les dépens comme de droit.

A l'audience du 16 septembre 2025, les parties ont sollicité un renvoi qui a été ordonné pour l'audience du 20 octobre 2025.

Par l'intermédiaire de son avocat, la société Comap a réitéré à l'audience les prétentions contenues dans son exploit introductif d'instance.

Elle fait valoir en substance que:

- Il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Vannes qui a fait une application erronée des dispositions de l'article L1233-27 du code du travail en considérant que la société avait procédé à plus de 18 ruptures pour motif économique en 2020 et qu'elle n'avait pas respecté la procédure prévue à l'article L1233-27 du même code sur les trois premiers mois de 2021 ; en effet il n'y a eu que 10 licenciements pour motif économique notifiés en 2020, ce que démontrent les registres du personnel certifiés conformes aux DSN ; les autres ruptures (démissions, ruptures conventionnelles, fin de contrat de travail à durée déterminée, départs en retraite) n'ont rien à voir ; au demeurant, même si elle avait procédé à 18 licenciements en 2020, il n'y avait pas lieu à PSE puisque le licenciement de M. [D] n'a pas été 'envisagé' au sens de l'article L1233-27 du code du travail, au cours des 3 premiers mois de l'année suivante ;

- Il existe un risque de conséquences manifestement excessives : elle rencontre des difficultés économiques récurrentes ; l'exercice comptable 2024 révèle des pertes de plus de 3 millions pour la première fois en 4 ans ; le résultat d'exploitation du 1er trimestre 2025 se solde par une perte de plus de 1,1 millions d'euros ; le chiffre d'affaires a chuté de 18% entre 2022 et 2024 ; les marges brutes sont en recul et la trésorerie est faible ; en outre, M. [D] ne serait pas en mesure de restituer les fonds en cas d'infirmation ; il est désormais gérant d'une entreprise dont il refuse de communiquer les comptes.

Par voie de conclusions développée à l'audience par son avocat, M. [D] demande au Premier président de débouter la société Comap de l'intégralité de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

M. [D] fait valoir en substance que :

- Il n'existe pas de moyen sérieux de réformation du jugement ; il est fondé à invoquer l'application de l'article L1233-27 du code du travail compte-tenu du nombre de licenciements intervenus en 2020 (dépassement du seuil de 18 salariés) et de la notification de son licenciement intervenue le 3 mars 2021 ; nombreux sont les emplois qui ont été supprimés dans les 3 mois qui suivent le 2 novembre 2020 ; l'employeur est particulièrement peu transparent sur les mouvements de personnel et refuse de produire toutes les lettres de rupture ;

- En outre, l'employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement ; lorsque le salarié a exprimé sa repentance le 9 février 2021 suite à l'acceptation d'une offre de reclassement, il a été immédiatement convoqué à un entretien préalable au licenciement, sans que l'offre de reclassement ne soit actualisée avec les postes disponibles au sein du groupe ;

- La société Comap ne justifie pas des difficultés financières alléguées ; elle ne produit pas ses bilans et se limite à un 'extrait Pappers' ; le salarié produit quant à lui le dernier bilan et un extrait du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire du 23 juin 2025 qui fait ressortir la somme de 20.004.490,92 euros à titre de dividendes dont l'intégralité est affectée au résultat bénéficiaire 2023 (19.271.259,19 euros) avec un prélèvement de 733.231,73 euros affecté au poste 'autres réserves' ; en outre, le montant inscrit aux dotations exceptionnelles aux amortissements et provisions (36.250.885 euros) témoigne de la capacité financière qui dispose de 116.871.494 euros de capitaux propres et d'importantes réserves ;

- M. [D] est propriétaire d'un bien immobilier ; il dispose d'une épargne de 53.449 euros et d'un contrat d'assurance-vie valorisé au 30 juin 2025 à 55.321 euros.

A l'issue des débats, la date de prononcé de l'ordonnance a été fixée au 26 novembre 2025.

* * *

MOTIFS DE LA DECISION

1- Sur la demande d'arrêt de l'exécution provisoire:

Aux termes de l'article R1454-28 du code du travail, à moins que la loi ou le règlement n'en dispose autrement, les décisions du conseil de prud'hommes ne sont pas exécutoires de droit à titre provisoire. Le conseil de prud'hommes peut ordonner l'exécution provisoire de ses décisions.

L'article 515 du code de procédure civile dispose: 'Lorsqu'il est prévu par la loi que l'exécution provisoire est facultative, elle peut être ordonnée, d'office ou à la demande d'une partie, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire.

Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la décision'.

Aux termes de l'article 517-1 du même code, lorsque l'exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d'appel, que par le premier président et dans les cas suivants :

1° Si elle est interdite par la loi ;

2° Lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation de la décision et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ; dans ce dernier cas, le premier président peut aussi prendre les mesures prévues aux articles 517 et 518 à 522 (...).

Le risque de conséquences manifestement excessives doit être apprécié au regard des facultés de paiement du débiteur ou des facultés de remboursement du créancier, ces deux critères étant alternatifs et il suppose la perspective d'un préjudice irréparable ainsi que d'une situation irréversible en cas d'infirmation.

En l'espèce, le conseil de prud'hommes a décidé d'appliquer l'exécution provisoire sur la totalité des condamnations prononcées, soit, pour ce qui est des condamnations pécuniaires, 105.045,93 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul avec intérêts au taux légal à compter de la décision.

S'agissant d'un risque de conséquences manifestement excessives et ainsi que le relève M. [D], la société Comap ne produit strictement aucun élément de nature comptable propre à établir que ses facultés de paiement soient obérées.

A cet égard, la seule production de deux feuillets extraits du site internet Pappers, site internet proposant une 'information gratuite sur les entreprises de France' sans la moindre certification, apparaît parfaitement insuffisante, en l'absence de tout document financier à tout le moins visé, voire commenté par l'expert comptable de la société Comap, pour caractériser le risque allégué par la société débitrice, alors que de son côté, M. [D] produit d'une part, un procès-verbal d'assemblée générale ordinaire du 23 juin 2025 faisant état d'une distribution de dividendes à hauteur de plus de 20 millions d'euros sur la période allant du 31 décembre 2021 au 31 décembre 2023.

Le fait que l'exercice 2024 se solde par une perte de 3.571.958 euros n'est pas suffisant pour caractériser le risque de conséquences manifestement excessives du paiement au titre de l'exécution provisoire d'une somme de 105.045,93 euros, étant observé que les capitaux propres s'élèvent au 31 décembre 2024 à 116.871.494 euros mais également qu'à cette même date, les provisions pour risques et charges s'élèvent à 33.968.116 euros.

Surabondamment, il n'est pas plus justifié de ce que les facultés de remboursement de M. [D] ne lui permettent pas de restituer les sommes assorties de l'exécution provisoire ordonnée par le conseil de prud'hommes, alors que l'intéressé justifie par la production d'un avis de taxe foncière pour 2025 être propriétaire d'un bien immobilier situé dans le Morbihan et qu'il justifie également disposer de différents livrets d'épargne ouverts au Crédit mutuel de Bretagne pour un montant total de 53.449,20 outre un contrat d'assurance-vie Crédit Agricole valorisé à hauteur de 55.321,99 euros au 30 juin 2025.

Dans ces conditions, l'une des deux conditions cumulatives posées par l'article 517-1 précité du code de procédure civile pour que soit ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire faisant défaut, la demande principale de la société Comap doit être rejetée sans qu'il soit justifié d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties sur la question du risque allégué de réformation du jugement entrepris.

2- Sur la demande de consignation :

Aux termes de l'article 521 alinéa 1er du code de procédure civile, la partie condamnée au paiement de sommes autres que des aliments, des rentes indemnitaires ou des provisions peut éviter que l'exécution provisoire soit poursuivie en consignant, sur autorisation du juge, les espèces ou les valeurs suffisantes pour garantir, en principal, intérêts et frais, le montant de la condamnation.

Il doit être rappelé qu'il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire du premier président et que cette possibilité d'aménagement de l'exécution provisoire n'est pas subordonnée à la condition que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.

En l'espèce, outre le défaut de preuve d'un risque de conséquences manifestement excessives en cas de poursuite de l'exécution provisoire, il ne peut qu'être relevé que si, évoquant un futur procédural, la société Comap indique qu'elle 'produira dans le cadre de la procédure au fond toutes les lettres de rupture (...)', force est de constater que les dites lettres ne sont pas versées aux débats à la présente instance alors que les premiers juges, statuant en formation de départage, ont expressément relevé la piètre lisibilité du registre unique du personnel produit et le fait que ce faisant, n'était pas rapportée 'la preuve qu'il s'agit de démission ou de causes de rupture excluant l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi (...)', éléments ayant conduit la juridiction de première instance à considérer que le licenciement de M. [D] ne pouvait intervenir sans qu'ait été élaboré un PSE, de telle sorte que le dit licenciement se trouvait entaché de nullité en application des articles L1235-10, L1235-11 et L1233-61 du code du travail.

La demande de consignation est injustifiée et doit être rejetée.

3- Sur la demande de constitution d'une garantie :

L'article 517 du code de procédure civile dispose : 'L'exécution provisoire peut être subordonnée à la constitution d'une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations'.

En l'espèce et ainsi que cela résulte des développements qui précèdent, la société Comap qui procède par voie d'affirmation sur un risque d'insolvabilité de M. [D] tout en se dispensant de produire tous éléments comptables certifiés et/ou attestations comptables, ne justifie pas d'une quelconque insolvabilité l'empêchant de régler les causes du jugement querellé.

Il ne saurait être exigé dans un tel contexte de M. [D] qu'il doive constituer une garantie réelle ou personnelle pour répondre d'éventuelles restitutions.

La demande sera rejetée.

4- Sur les dépens et frais irrépétibles :

En application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de la présente instance seront supportés par la société Comap qui échoue en ses demandes.

L'équité commande de condamner la société Comap à payer à M. [D] une indemnité d'un montant de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, par ordonnance mise à la disposition des parties au greffe,

Déboutons la société Aalberts HFC Comap SA de toutes ses demandes ;

Rappelons qu'en vertu de l'article L 111-10 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution, l'exécution est poursuivie aux risques du créancier. Celui-ci rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre est ultérieurement modifié ;

Condamnons la société Aalberts HFC Comap SA à payer à M. [D] la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamnons la société Aalberts HFC Comap SA aux dépens de l'instance en référé.

LE GREFFIER, LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRÉSIDENT.

H. BALLEREAU

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