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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 26 novembre 2025, n° 21/09029

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 21/09029

26 novembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 26 NOVEMBRE 2025

N° 2025/ 472

Rôle N° RG 21/09029 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHUXT

[P] [J] [I] [R]

C/

S.C.I. MECENA

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Joseph MAGNAN Me Virginia DUMONT-SCOGNAMIGLIO

Décision déférée à la Cour :

Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MARSEILLE en date du 09 Mars 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 17/11854.

APPELANT

Monsieur [P] [J] [I] [R]

né le 25 Août 1949 à [Localité 3], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et ayant Me Christian GIABICANI de la SELARL SOCIETE CABINET D'AVOCATS GIABICANI, avocat au barreau de CHAMBERY pour avocat plaidant

INTIMÉE

S.C.I. MECENA, prise en la personne de son représentant légal en exercice

demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Virginia DUMONT-SCOGNAMIGLIO, avocat au barreau de MARSEILLE, et ayant Me Emeric BOUSSAID, avocat au barreau de CHAMBERY pour avocat plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre

Madame Catherine OUVREL, Conseillère

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2025. A cette date le délibéré a été prorogé au 26 Novembre 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Novembre 2025

Signé par Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Par acte authentique du 24 juin 2004, la Sci Mecena a fait l'acquisition d'un bien immobilier au prix de 475 000 euros, financé en intégralité par un prêt bancaire souscrit auprès de la société Crédit Agricole des Savoies.

M. [P] [R], concubin de Mme [C] [H], gérante de la Sci Mecena, s'est portée caution de ce prêt.

Le 9 avril 2016, Mme [H] agissant en qualité de gérante de la Sci Mecena, a donné mandat à l'agence immobilière « Marin Immobilier » de rechercher un acquéreur pour procéder à la mise vente du bien immobilier.

Exposant avoir réglé seul les échéances du prêt et se prévalant à ce titre d'une reconnaissance de dette établie le 1er mai 2016, M. [R] a assigné par acte du 18 octobre 2017, la Sci Mecena devant le tribunal judiciaire de Marseille aux fins de la voir condamnée à lui payer la somme de 590 000 euros sur le fondement des articles 1376 et 2305 du Code civil.

En parallèle, par jugement du 16 décembre 2016, le juge du tribunal judiciaire de Chambéry a prononcé la mise sous tutelle de Mme [H], désignant ses deux enfants également associés de la Sci Mecena, en qualité de tuteurs.

Par jugement contradictoire du 9 mars 2021, le tribunal judiciaire de Marseille a :

Prononcé la nullité de la reconnaissance de dette établie le 1er mai 2016 par Mme [C] [H] ;

Déclaré prescrite l'action introduite par M. [P] [R] visant à recouvrer les sommes versées antérieurement au 18 octobre 2012 ;

Rejeté la demande en paiement formée par M. [P] [R] au titre des sommes versées après le 18 octobre 2012 ;

Condamné M. [P] [R] à verser la somme de 3 000 euros à la Sci Mecena sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejeté la demande formée par M. [P] [R] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejeté toute autre demande ;

Condamné M. [P] [R] au paiement des dépens de la présente instance, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration du 17 juin 2021, M. [R] a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur l'intégralité des chefs de jugement.

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 19 août 2025.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS

Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 13 juillet 2022, M. [R] demande à la cour de :

infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

Statuant à nouveau,

condamner la Sci Mecena à lui verser la somme de 590 600 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

condamner la Sci Mecena à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 avril 2022,la Sci Mecena sollicite de la cour qu'elle :

confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

A titre subsidiaire, à titre liminaire,

juge l'action en paiement des sommes réclamées par M. [R] prescrite,

A titre subsidiaire, au fond,

juge que la reconnaissance de dette régularisée le 1er mai 2016 est nulle d'effet juridique,

A titre plus subsidiaire,

juge que la reconnaissance de dette ne lui est pas opposable,

juge que M. [R] ne justifie ni en fait, ni en droit de sa demande,

En tout état de cause,

déboute M. [R] de l'intégralité de ses demandes,

le condamne à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1-Sur la demande en paiement

1-1 sur la validité de la reconnaissance de dette

Moyen des parties

M.[R] soutient détenir une créance à l'égard des intimés née du remboursement du prêt immobilier souscrit par la Sci Mecena et dont la preuve serait établie par la reconnaisse de dette signée par sa gérante alors en exercice, Mme [H], le 1er mai 2016. Il fait valoir qu'à cette date Mme [H] disposait de sa pleine capacité juridique, ainsi que le démontre la signature du mandat de vente et la convocation de l'assemblée générale de la société, moins d'un mois après la reconnaissance de dette. Il ajoute que le bilan cognitif du 30 janvier 2016 ne permet pas de retenir une pathologie privant Mme [H] de son discernement ni que les nouvelles évaluations cognitives produites par l'intimée établies en 2021, soit plus de cinq ans après la reconnaissance de dette, aient une valeur probante.

La Sci Mecena, en réponse, soutient que la reconnaissance de dette régularisée le 1er mai 2016 est nulle en raison de l'altération des facultés cognitives liée à la maladie d'Alzheimer développée par Mme [H], constatée par le juge des tutelles à l'appui de nombreuses pièces médicales dont l'expertise réalisée le 12 août 2016. Elle considère qu'il appartient à la cour, si elle l'estime nécessaire, de solliciter la communication du rapport d'expertise du docteur [S] directement auprès du service des tutelles du tribunal judiciaire et produit de nouvelles pièces médicales établies en 2021 afin d'attester du caractère dégénératif de cette pathologie.

Réponse de la cour

L'article 414-1 du Code civil prévoit que pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit et qu'il incombe à ceux qui agissent en nullité pour cette cause, de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.

Il appartient donc à la SCI Mécéna de rapporter la preuve qu'au jour de l'acte Mme [H] ne disposait pas du discernement nécessaire à l'établissement d'une reconnaissance de dette.

Elle produit pour ce faire de nombreux éléments médicaux antérieurs et postérieurs à la reconnaissance de dette desquels il résulte que Mme [H] présentait, dès 2014, une baisse de ses facultés cognitives et des troubles mnésiques qui ont continué à s'aggraver jusqu'à son placement en établissement spécialisé le 17 mai 2016. L'altération des facultés mentales de la débitrice au jour de l'établissement résulte particulièrement du courrier établi par le docteur [B] le 24 mars 2016 soit antérieurement à l'acte et du courrier du docteur [F] du 26 août 2016 postérieur à l'acte, qui constatent l'altération des facultés cognitives et mnésique de Mme [H] qui n'a pas pu, par voie de conséquences, valablement recouvrer ses facultés dans l'intervalle séparant les deux constats médicaux. Peu importe, ainsi que le bilan cognitif de janvier 2016, ne démontre pas quant à lui l'altération de ses facultés mentales.

Par ailleurs, la gravité et la durée de la mesure de protection (10 ans) prononcée par le juge des tutelles le 16 décembre 2016 qui se fonde sur un certificat établi le 26 août 2016 soit seulement trois mois après la signature de la reconnaissance de dette, confirment l'existence d'une insanité d'esprit ancienne englobant la période de la conclusion de l'acte de mai 2016. A ce titre, la circonstance selon laquelle Mme [H] aurait passé des actes postérieurement non remis en cause par les parties concernées est indifférente quant à l'appréciation de la validité de l'acte soumis à l'appréciation de la cour.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré nulle la reconnaissance de dette .

1-2 Sur la prescription de la demande en paiement de sommes

Moyens des parties

L'appelant fait grief au jugement déclaré prescrite toute action visant à recouvrer des sommes antérieures au 18 octobre 2012.

Il soutient que la prescription de son action a été valablement interrompue par ladite reconnaissance de dette et reproche sur point au tribunal d'avoir statué ultra petita en déclarant son action partiellement prescrite.

La SCI Mécéna réplique que le tribunal était valablement saisi d'une demande avant toute défense au fond tendant à voir prononcer la prescription de l'action en recouvrement de la somme litigieuse. Elle précise que M. [R] produisait en première instance six chèques dont le plus récent daté du 28 mars 2010 pour un montant total de 76 500 euros, chèques qu'il ne produit plus en cause d'appel et fait valoir que la prescription prononcée par le tribunal portait sur ces sommes, seuls montants dont M. [R] rapportait la preuve.

Réponse de la cour

L'article 5 du code de procédure civil énonce que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.

Il est également acquis que les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription, conformément aux dispositions de l'article 2247 du Code civil.

Ainsi que le prévoit l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Aux termes du jugement dont appel, M. [R] demandait au tribunal de déclarer son action recevable et, à l'inverse, la Sci Mecena soulevait in limine litis (sic) la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en paiement introduite et enfin, exposait notamment que « les six chèques versés aux débats pour un montant total de 76 500 euros, dont le plus récent date du 28 mars 2010, ne peuvent plus faire l'objet d'une action en recouvrement pour cause de prescription ».

Ainsi contrairement à ce que soutient M.[R], le tribunal n'a pas soulevé d'office le moyen tiré de la prescription de l'action en paiement, fin de non recevoir qui n'avait pas au demeurant à être soulevée in limine litis.

En application des dispositions de l'article 2224 du Code civil les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Si la reconnaissance de la dette est une cause d'interruption de la prescription en application de l'article 2240 du Code civil, en l'espèce celle-ci ayant été déclarée nulle elle n'a pas pu avoir d'effet interruptif.

Par ailleurs, l'intimée fait observer que M. [R] produisait en première instance six chèques dont le plus récent était daté du 28 mars 2010 pour un montant total de 76 500 euros.

Ces chèques ne sont plus produits en cause d'appel et aucune autre pièce versée aux débats ne permet d'établir à quel date il aurait payé des sommes pour le compte de la SCI Mécéna. Ainsi et dés lors que son action en paiement a été valablement interrompue par l'acte introductif d'instance conformément aux dispositions de l'article 2241 du même code, toute demande de remboursement de somme qu'il aurait payé avant le 18 octobre 2012, soit plus de 5 ans avant le 18 octobre 2017 date de l'assignation est prescrite.

1-3 Sur sa demande en paiement de sommes versées postérieurement au 18 octobre 2012

Moyens des parties

M. [R] soutient encore que la preuve de sa créance résulte, outre de la reconnaissance de dette, de sa qualité de caution solidaire et du dépôt de plainte effectué par les enfants de Mme [H] à son encontre le 5 avril 2016 qui constitue un véritable aveu judiciaire de l'existence de sa créance de la part des intimés. Il ajoute qu'il incombe dès lors à l'intimée de rapporter la preuve du remboursement du prêt par ses soins.

La Sci Mecena fait valoir que l'appelant ne pouvant se prévaloir d'aucune reconnaissance de dette, ne rapporte pas plus la preuve de l'existence d'une créance et de son étendue en l'absence de tout justificatif des règlements qu'il aurait effectués à titre personnel ou au titre de son engagement de caution. Elle soutient que le dépôt de plainte, exempt de tout montant et reprenant les propos de Mme [H], est dépourvu de caractère probant et ne saurait constituer aveu judiciaire de l'existence de la créance de 560 600 euros détenue par l'appelant.

Réponse de la cour

En application des dispositions de l'article 1353 du Code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. A ce titre, il incombe à l'appelant qui agît en paiement de la somme de 590 600 euros de rapporter la preuve de sa créance, à charge pour l'intimée une fois cette preuve rapportée de démontrer l'exécution de son obligation de paiement ou d'une cause justifiant l'inexécution de cette obligation et l'absence de toute prescription de son action.

La reconnaissance de dette entachée de nullité tel que rappelé ci-dessus est dépourvue à ce titre de caractère probant comme rappelé ci-dessus.

M. [R] qui ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1376 du Code civil, vise à défaut, les dispositions de l'article 2035 du Code civil.

Si la preuve de sa qualité de caution résulte de l'acte de vente du 24 juin 2024, M. [R] ne produit aucun justificatif ou autre élément de preuve démontrant l'existence des paiements qu'il prétend avoir effectués ni leur montant au titre de son engagement de caution.

Les déclarations contenues dans le dépôt de plainte ne sauraient constituer un aveu judiciaire de l'existence d'une créance de 590 600 euros au profit de M. [R], dès lors qu'elles ne contiennent aucune information sur le montant effectivement réglé par l'appelant qui ne saurait à ce titre procéder à un inversement de la charge de la preuve.

En outre, les lettres du Crédit Agricole versées aux débats par l'intimée démontrent qu'au mois de juin 2016, la Sci Mecena restait redevable de sommes au titre du prêt. Ces éléments démontrent qu'il n'aurait pas dés lors réglé comme il le prétend l'intégralité du prêt.

En conséquence, le jugement mérite confirmation en ce qu'il a dit que M. [R] ne rapportait pas la preuve du remboursement de la somme de 590 600 euros auprès du Crédit Mutuel Des Savoies et l'a débouté de ses demandes formulées à ce titre.

2-Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées.

M. [R], qui succombe, supportera la charge des entiers dépens d'appel et sera débouté de ses demande au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

L'équité commande d'allouer à la Sci Mecena la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Condamner M. [P] [R] à supporter les dépens d'appel ;

Déboute M. [P] [R] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [P] [R] à payer à la Sci Mecena la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente.

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