CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 26 novembre 2025, n° 24/02451
TOULOUSE
Arrêt
Autre
26/11/2025
ARRÊT N° 25/ 458
N° RG 24/02451
N° Portalis DBVI-V-B7I-QLVK
LI - SC
Décision déférée du 17 Juin 2024
TJ de [Localité 7]- 24/00383
J. POUYANNE
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le 26/11/2025
à
Me Joris MORER
Me Aurélien DELECROIX
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ere Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT SIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTE
Madame [W] [F]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Joris MORER de la SELEURL MORER, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
Madame [G] [N]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Aurélien DELECROIX, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 22 septembre 2025 en audience publique, devant la cour composée de :
M. DEFIX, président
S. LECLERCQ, conseillère
L. IZAC, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffière : lors des débats M. POZZOBON
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après avis aux parties
- signé par M. DEFIX, président et par M. POZZOBON, greffière
EXPOSE DU LITIGE
Mme [G] [N] est propriétaire d'un immeuble ancien sis [Adresse 6] à [Localité 5] (31).
Suivant acte sous-seing privé en date du 23 septembre 2015, elle a conclu avec la Sarl Ingénierie Energétique Globale (transformée par la suite en Sasu et ci-après désignée la société Ieg), alors dirigée par Mme [W] [F], un marché de travaux portant sur la réfection de la toiture de son bien, moyennant la somme de 23.015,30 euros.
La société Ieg a sous-traité l'ensemble des prestations correspondantes à M. [Z] [I], exerçant en qualité d'entrepreneur individuel.
Les travaux, achevés le 16 août 2016, ont été intégralement réglés par Mme [N].
En 2020, constatant la présence d'infiltrations d'eau en toiture, Mme [N] a sollicité l'intervention de la société Ieg. Cette dernière a engagé des travaux de réparation des désordres et malfaçons à partir de l'été mais a dû s'interrompre dès le mois de septembre en raison de difficultés d'approvisionnement de plaques ondulées. Un bâchage de la toiture a été réalisé dans l'attente de la reprise des travaux.
Par courrier en date du 20 avril 2021, Mme [N] a relancé la société Ieg aux fins qu'elle achève les travaux réparatoires. Celle-ci est à nouveau intervenue dans le courant du mois de juillet 2021 en laissant toutefois en place un bâchage partiel de reprise de couverture.
Selon facture en date du 15 septembre 2021, Mme [N] a fait intervenir en urgence la société Tolosan Habitat afin de procéder à la réparation des luminaires et au remplacement des conduits et boites de dérivation des canalisations électriques. Par la suite, la société Ieg est encore intervenue jusqu'en décembre 2021.
Une expertise amiable a été organisée mais n'a pas permis aux parties de trouver un accord.
Mme [N] a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse qui, par ordonnance du 1er juillet 2022, a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. [U] [T].
Par décision prise en assemblée générale le 1er octobre 2019, MM. [M] et [K] [A], fils de Mme [F] et M. [S] [A], ont été nommés co-gérants de la société Ieg.
Par décision prise en assemblée générale le 30 juin 2022, la Sarl Ieg a été transformée en Sasu et la Sarl La Surprise désignée comme dirigeant.
Par deux jugements rendus le 23 octobre 2023, la Sasu Ieg ainsi que la Sarl La Surprise ont été placées en redressement judiciaire (celui-ci étant par la suite converti en liquidation judiciaire).
M. [T] a déposé son rapport le 1er décembre 2023.
Le 13 décembre 2023, Mme [N] a procédé à la déclaration de ses créances au passif des sociétés Ieg et La Surprise pour un montant de 126.172,05 euros.
Par actes des 2, 3 et 5 janvier 2024, Mme [N], autorisée par ordonnance du 22 décembre 2023, a fait assigner à jour fixe devant le tribunal judiciaire de Toulouse, pour l'audience du 12 février 2024 :
- la Sasu Ieg ;
- la Selarl Benoit et Associés, prise en la personne de Me [R] [E], en qualité de mandataire judiciaire de la Sasu Ieg ;
- Me [O] [L], en qualité d'administrateur judiciaire de la Sasu Ieg ;
- la Sarl La Surprise ;
- la Selarl Benoit et Associés, prise en la personne de Me [R] [E], en qualité de mandataire judiciaire de la Sarl La Surprise ;
- Me [O] [L], en qualité d'administrateur judiciaire de la Sasu Ieg ;
- M. [M] [A] ;
- M. [K] [A] ;
- Mme [W] [F] ;
aux fins d'indemnisation de ses préjudices.
Par acte du 6 février 2024, la Sasu Ieg, la Sarl La Surprise, MM. [M] et [K] [A] et Mme [F], autorisés par ordonnance du 2 février 2024, ont fait assigner à jour fixe M. [Z] [I] devant le tribunal judiciaire de Toulouse, pour l'audience du 12 février 2024, aux fins d'appel en cause.
Par jugement du 12 février 2024, le tribunal a joint les deux instances et renvoyé l'affaire à l'audience du 22 avril 2024.
Par acte du 11 avril 2024, Mme [F], autorisée par ordonnance du 10 avril 2024, a fait assigner à jour fixe devant le tribunal judiciaire de Toulouse, pour l'audience du 22 avril 2024, M. [S] [A] aux fins d'appel en cause en sa qualité de gérant de fait de la société Ieg.
Par jugement du 17 juin 2024, le tribunal judiciaire de Toulouse a notamment :
- joint l'appel en cause formé à l'encontre de M. [S] [A] ;
- débouté la Sasu Ieg, la Sarl La Surprise, MM. [M], [K] et [S] [A], ainsi que Mme [F] de leur demande en irrecevabilité des demandes de Mme [N] ;
- condamné Mme [F] à payer à Mme [N], au titre de son préjudice matériel, la somme de 86.466,69 euros ainsi décomposée :
# remplacement de toiture : 81.393,64 euros ;
# luminaires : 700,00 euros ;
# réfection salle de bain : 1.353,99 euros ;
# réfection salon et chambre 2 : 2.634,06 euros ;
# facture Tolosan Habitat : 385,00 euros ;
- condamné Mme [F] à payer à Mme [N], au titre de son préjudice de jouissance, la somme de 3.480 euros ;
- débouté Mme [N] de sa demande de condamnation au titre du préjudice moral ;
- condamné Mme [F] à communiquer l'adresse de son domicile à Mme [N], sous astreinte de 150 euros par jour de retard après le 25 juin 2024 ;
- condamné M. [I] et Mme [F] aux dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire ;
- condamné Mme [F] à payer à Mme [N] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [I] à relever et garantir Mme [F] de l'ensemble des condamnations principales et accessoires prononcées à l'encontre de cette dernière à hauteur de 50%.
Le tribunal a estimé qu'il ressortait du rapport d'expertise judiciaire que les ouvrages réalisés par M. [I] en qualité de sous-traitant de la société Ieg présentaient des malfaçons et désordres à l'origine des infiltrations dénoncées par Mme [N], lesquelles rendaient le bien impropre à sa destination alors que ni M. [I], ni la société Ieg ne disposaient d'assurance décennale couvrant les travaux correspondants. Il a retenu que Mme [F], alors dirigeante de la société Ieg au moment de la conclusion du marché de travaux (23 septembre 2015), avait commis une faute détachable de ses fonctions en ne souscrivant pas cette assurance de responsabilité obligatoire prévue par l'article L. 241-1 du code des assurances et qu'en conséquence, elle devait être déclarée personnellement responsable. Le 1er juge a par ailleurs considéré, d'une part, que le droit à réparation de Mme [N] devait être réduit afin de tenir compte de sa propre responsabilité partielle parce qu'elle avait prévu de faire poser de nouvelles gouttières par ses soins qui ont par la suite posé des problèmes de compatibilité avec leur support et, d'autre part, qu'au regard des manquements respectivement commis par la société Ieg et son sous-traitant, M. [I] devait être tenu de supporter la moitié du poids final de l'indemnisation de Mme [N].
Mme [F] a formé appel le 17 juillet 2024, désignant Mme [N] en qualité d'intimée, et visant dans sa déclaration les dispositions du jugement relatives à sa condamnation à payer à Mme [N] la somme de 86.466,69 euros au titre du préjudice matériel, celle de 3.840 euros au titre du préjudice de jouissance, celle de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que sa condamnation avec M. [I] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions du 30 juillet 2025, Mme [F], appelante, demande à la cour, au visa des articles 15, 16, 135, 331 et 768 du code de procédure civile, des articles 1104 et 1231-1 du code civil, de « l'article L. 651-2 du code des assurances » et de l'article L. 651-2 du code de commerce de :
- infirmer le jugement dont appel ;
in limine litis,
- juger irrecevables les demandes de Mme [N] à l'encontre de Mme [F] ;
à titre principal,
- juger comme non fondées les demandes de condamnation de Mme [N] à l'encontre de Mme [F] ;
- juger que Mme [F] n'a commis aucune faute de gestion pouvant entraîner sa responsabilité en qualité d'ancienne dirigeante de la société Ieg ;
- débouter Mme [N] de sa demande relative à son préjudice matériel, à savoir le remplacement de la toiture par des tuiles canal, le remplacement des gouttières et la réfection des intérieurs pour un montant de 95.692,05 euros ;
- débouter Mme [N] de sa demande relative à son trouble de jouissance ;
- débouter Mme [N] de sa demande relative à son préjudice moral ;
- condamner Mme [N] à lui verser la somme de 7.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, y compris les frais d'expertise judiciaire.
Au soutien de l'irrecevabilité des demandes présentées par Mme [N] devant le premier juge, elle fait valoir que cette dernière n'a invoqué aucun fondement juridique pour prétendre engager sa responsabilité personnelle alors même que l'article 768 du code de procédure civile exige que les écritures formulent expressément les moyens en droit sur lesquelles sont fondées chacune des prétentions de la partie concernée.
S'agissant du manquement qui lui est reproché au titre du défaut d'assurance de responsabilité civile décennale, elle oppose le fait que Mme [N], d'une part, n'a pas elle-même souscrit d'assurance dommages-ouvrage alors qu'elle est gérante d'une société dont l'objet social est le « conseil aux entreprises » et, d'autre part, a réclamé des prix bas pour la réalisation des travaux dont elle a réglé en partie le coût grâce à un chèque tiré sur le compte bancaire de ladite société (Euristyle). Elle argue par ailleurs que la société Ieg était en revanche assurée (auprès de la Sma Courtage) pour les travaux de reprise réalisés en 2020 et 2021, et que les travaux initiaux ont été intégralement sous-traités auprès de M. [I], lequel disposait de l'assurance de responsabilité correspondante (auprès de la Maaf Pro).
Elle fait valoir qu'il ne lui appartient pas de supporter le surcoût lié à la nécessité d'utiliser désormais des tuiles canal en lieu et place des plaques de fibrociment installées à l'occasion des travaux querellés alors que, d'une part, cette solution plus onéreuse (doublement du prix) est imposée par des règles d'urbanisme qui n'existaient pas à l'époque du chantier de travaux et que, d'autre part, Mme [N] avait fait le choix desdites plaques pour des raisons de moindre coût.
Elle invoque également le fait que c'est à bon droit que le premier juge a écarté l'indemnisation du coût de remplacement des gouttières PVC en raison du choix fait par Mme [N] de faire intervenir une tierce entreprise, s'exposant ainsi, en l'absence d'un maître d''uvre assurant la coordination du chantier, à un risque de conflit d'interfaces.
Elle soutient encore que les désordres affectant le salon, la salle de bain et la chambre 2 sont dus au caractère ancien de la bâtisse qui date du XIXème siècle.
Elle ajoute qu'aucune fraude ou man'uvre n'a été réalisée à l'occasion de la transformation de la société Ieg en Sasu et de la désignation de la Sarl La Surprise comme gérante tandis qu'il n'existe aucun lien entre les procédures collectives dont elles sont toutes deux l'objet et la présente affaire.
S'agissant des préjudices, elle fait enfin valoir qu'ils ne sont pas démontrés.
Par dernières conclusions du 8 septembre 2025, Mme [N], intimée et formant appel incident, demande à la cour, au visa de l'article 524 du code de procédure civile, des articles 1104, 1792 et 1792-1 du code civil, des articles L. 241-1 et L. 243-3 du code des assurances, des articles « L. 223-251 et suivants », L. 223-22 et suivants du code de commerce et des articles 1242-2 et suivants du code civil, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [F] :
# « à payer Mme [N] au titre de son préjudice matériel en réparation des malfaçons et désordres imputables aux travaux réalisés par la société Ieg » ;
# à payer à Mme [N] au titre de son préjudice immatériel la somme de 3.480 euros suivant les malfaçons et désordres imputables aux travaux réalisés par la société Ieg ;
# à communiquer l'adresse de son domicile à Mme [N] sous astreinte de 150 euros par jour de retard dans les 8 jours suivant la date de la décision à venir, soit au plus tard le 25 juin 2024 ;
# à payer à Mme [N] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;
- réformer le jugement en ce qu'il a :
# limité le préjudice matériel subi par Mme [N] au montant de 86.466,69 euros ;
# débouté Mme [N] de sa demande de condamnation au titre du préjudice moral subi ;
en conséquence,
- condamner Mme [F] à payer à Mme [N] les sommes de :
# 95.692,05 euros au titre de son préjudice matériel en réparation des malfaçons et désordres imputables aux travaux réalisés par la société Ieg ;
# 3.480 euros au titre de son préjudice de jouissance ;
# 7.000 euros au titre du préjudice moral subi ;
- rejeter les demande de Mme [F] tendant au rejet des demandes de Mme [N] ;
- condamner Mme [F] à payer la somme de 10.000 euros à Mme [N] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
Au soutien de l'irrecevabilité de l'appel formé par Mme [F], elle soulève le caractère indivisible du jugement auquel ont été parties, outre elle-même et Mme [N], les sociétés Ieg et La Surprise, leurs mandataires judiciaires, MM. [A] ainsi que M. [I]. Lequel a été condamné à relever et garantir l'appelante.
Elle fait valoir que les conclusions d'appelante notifiées le 30 juillet 2025 sont irrecevables pour ne pas avoir été produites dans le délai de 3 mois (article 910 du code de procédure civile) au sein duquel Mme [F] aurait dû répliquer à l'appel incident qu'elle a elle-même formée à l'occasion de ses conclusions d'intimée du 27 septembre 2024. Elle estime qu'en revanche, ses propres écritures devant le premier juge étaient parfaitement recevables pour comporter l'exposé détaillé des moyens en droit venus au soutien de ses demandes.
S'agissant des désordres affectant les ouvrages objet du marché de travaux conclu avec la société Ieg, elle met en exergue leur caractère décennal relevé dans son rapport par l'expert judiciaire qui en a chiffré le coût à la somme de 95.692,05 euros, outre 3.480 euros au titre de la privation de jouissance. Elle expose que la reprise complète des ouvrages de toiture préconisée par l'expert, laquelle exige le remplacement des plaques de fibrociment par des tuiles canal, renvoie à des travaux réparatoires dont le coût doit être en totalité supporté par Mme [F] en vertu du principe de réparation intégrale du dommage.
Au soutien de la responsabilité personnelle de Mme [F], elle fait valoir qu'il est de jurisprudence constante que le défaut de souscription de l'assurance obligatoire de responsabilité civile décennale, lequel est constitutif d'une faute pénale (art. L. 243-3 du code des assurances), caractérise nécessairement une faute détachable des fonctions de dirigeant. Elle invoque par ailleurs le fait que ce défaut d'assurance (pour des travaux de couverture) concerne aussi bien le chantier réalisé en août et septembre 2016 que les travaux de reprise menés entre l'été 2020 et décembre 2021. Elle estime que les procédures de liquidation judiciaire des sociétés Ieg et La Surprise la privent de tout recours utile en indemnisation contre ces dernières. Elle ajoute que l'absence d'assurance dommages-ouvrage souscrite par le maître de l'ouvrage ne fait pas obstacle à la responsabilité de l'entrepreneur tandis que le marché de travaux conclu avec la société Ieg l'a été par Mme [N] et non par la société Euristyle. Le mode de paiement utilisé pour en régler une partie du prix ne remettant pas en cause le fait que ladite société soit demeurée étrangère à ce marché de travaux.
S'agissant du remplacement des gouttières réalisé par une tierce entreprise et s'étant avéré incompatible avec les ouvrages de couverture, elle oppose le fait que, profane en matière de construction, elle ne pouvait avoir conscience d'un tel risque en l'absence de conseil ou de mise en garde à ce sujet par la société Ieg. Elle fait enfin valoir que les nombreux manquements de la société Ieg et sa particulière mauvaise foi sont à l'origine d'un grand stress appelant indemnisation au titre du préjudice moral.
La clôture de l'instruction a été fixée au 22 septembre 2025 et l'affaire appelée pour plaidoirie à l'audience tenue à cette même date.
MOTIFS DE LA DECISION
I ' Sur les fins de non-recevoir
Sur la demande tendant à voir déclarer irrecevables les demandes de Mme [N] présentées devant le premier juge
Aux termes de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la cause, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Aux termes de l'article 901 4° du code de procédure civile, la déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l'article 57, et à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
En l'espèce, par sa déclaration d'appel, Mme [F] a limité son appel aux dispositions du jugement relatives à :
- sa condamnation à payer à Mme [N] la somme de 86.466,69 euros au titre du préjudice matériel ;
- sa condamnation à payer à Mme [N] la somme de 3.840 euros au titre du préjudice de jouissance ;
- sa condamnation à payer à Mme [N] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- sa condamnation avec M. [I] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;
de sorte que l'effet dévolutif de la déclaration d'appel n'a pas saisi la cour du chef relatif au débouté de Mme [F] de sa demande en irrecevabilité des demandes de Mme [N].
La demande de Mme [F] tendant à voir juger irrecevables les demandes de Mme [N] présentées devant le premier juge est donc irrecevable.
Sur la demande en irrecevabilité de l'appel de Mme [F]
Selon les dispositions de l'article 553 du code de procédure civile, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l'instance ; l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance.
En l'espèce, la procédure initiée par Mme [N] devant le premier juge à conduit à attraire à l'instance, outre Mme [F], les sociétés Ieg et La Surprise, MM. [A] ainsi que M. [I]. Ce dernier ayant été condamné à relever et garantir indemne l'appelante à hauteur de la moitié des sommes mises à sa charge.
Pour autant, même à considérer que cette disposition du jugement présenterait, avec la condamnation de Mme [F] à indemniser Mme [N], un caractère indivisible entre M. [I] et Mme [F], ce qui n'est pas démontré, l'article 553 du code de procédure civile n'impose pas à cette dernière de former appel contre M. [I], ni a fortiori à l'encontre des sociétés Ieg et La Surprise ainsi que MM. [A]. En effet, l'irrecevabilité prévue par ce texte ne concerne que l'appel formé contre (et non par) l'une des parties à l'égard desquelles il y existe une indivisibilité entre les dispositions du jugement critiquées.
Mme [N] sera déboutée de sa demande en irrecevabilité de l'appel formé par Mme [F].
Sur la demande en irrecevabilité des conclusions de Mme [F] du 30 juillet 2025
Selon les dispositions du 6ème alinéa de l'article 914 du code de procédure civile, en sa rédaction applicable au litige, les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d'appel la caducité ou l'irrecevabilité après la clôture de l'instruction, à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement.
En l'espèce, la tardiveté des conclusions de Mme [F], notifiées le 30 juillet 2025 en réplique aux conclusions du 27 novembre 2024 aux moyens desquelles Mme [N] a notamment sollicité l'infirmation du jugement en ce qu'il a limité ou exclu son indemnisation par Mme [F], ne constitue pas un fait apparu postérieurement à la clôture de l'instruction. De sorte que ce moyen tendant à l'irrecevabilité des conclusions du 30 juillet 2025 aurait dû être soulevé devant le conseiller de la mise en état.
En conséquence, la demande en irrecevabilité de Mme [N] à l'encontre des conclusions notifiées le 30 juillet 2025 par Mme [F] sera déclarée irrecevable.
II ' Sur la demande en responsabilité
Sur la faute de Mme [F] tenant au défaut d'assurance de responsabilité civile décennale
Selon les dispositions de l'article L. 241-1 du code des assurances, toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil, doit être couverte par une assurance.
À l'ouverture de tout chantier, elle doit justifier qu'elle a souscrit un contrat d'assurance la couvrant pour cette responsabilité. Tout candidat à l'obtention d'un marché public doit être en mesure de justifier qu'il a souscrit un contrat d'assurance le couvrant pour cette responsabilité.
Tout contrat d'assurance souscrit en vertu du présent article est, nonobstant toute stipulation contraire, réputé comporter une clause assurant le maintien de la garantie pour la durée de la responsabilité décennale pesant sur la personne assujettie à l'obligation d'assurance.
Aux termes de l'article L. 223-22 alinéa 1er du code de commerce, les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
Il est de principe que le gérant de la société n'ayant pas souscrit d'assurance décennale commet une faute intentionnelle constitutive d'une infraction pénale, laquelle est une faute séparable de ses fonctions sociales qui engage sa responsabilité personnelle (Cass. Civ.(3e), 10 mars 2016, n°14-15326, Bull. III n°846).
En l'espèce, il est constant qu'au moment de l'ouverture du chantier et jusqu'à l'achèvement des travaux (16 août 2016) de réfection de toiture réalisés en vertu du contrat conclu entre Mme [N] et la société Ieg, alors dirigée par Mme [F], cette dernière ne disposait pas d'une assurance obligatoire de responsabilité civile décennale pour l'activité de couverture. Pareil non-respect de l'exigence légale d'assurance caractérise une faute détachable des fonctions de Mme [F], de nature à engager sa responsabilité personnelle envers Mme [N].
A cet égard, Mme [F] ne saurait utilement opposer à Mme [N] le fait qu'elle n'aurait pas elle-même souscrit d'assurance dommages-ouvrage dès lors que celle-ci, prévue par l'article L. 242-1 du code des assurances, n'a ni le même fondement, ni la même portée que l'obligation de l'entrepreneur de souscrire une assurance garantissant sa responsabilité décennale. En effet, l'assurance dommages-ouvrage a pour objet de permettre au maître de l'ouvrage d'obtenir rapidement l'avance des fonds nécessaires afin de procéder sans attendre aux travaux réparatoires, son assureur faisant par la suite son affaire des procédures utiles pour se retourner contre les constructeurs qu'il estime avoir engagé leur responsabilité civile décennale. De sorte que l'éventuelle défaillance du maître de l'ouvrage, fût-il lui-même dirigeant de société, s'agissant de cette exigence n'est pas de nature à exonérer le locateur d'ouvrage ni de la garantie décennale, ni de sa propre obligation d'assurance de responsabilité à ce titre.
De même, le fait que Mme [N] ait pu, dans le cadre de la négociation contractuelle, solliciter et obtenir une baisse du prix des travaux, ou bien encore qu'elle ait réglé une partie desdits travaux à l'aide d'un chèque bancaire tiré sur le compte de la société dont elle est gérante ne caractérisent aucune mauvaise foi de sa part de nature à supprimer ou réduire la responsabilité de Mme [F]. L'appelante ne tirant, en outre, aucune conséquence de droit de pareille affirmation.
Le fait que la société Ieg ait pu éventuellement être assurée à l'occasion des travaux de reprise réalisés en 2020-2021 demeure pareillement sans emport dans la mesure où celle-ci ne saurait pallier l'absence d'assurance de responsabilité civile décennale au moment de l'ouverture du chantier. Celle-ci constitue en effet le seul dispositif assurantiel à même de permettre la prise en charge financière des conséquences des désordres dans la mesure où toute assurance postérieure, fût-elle souscrite en base déclaration, ne peut couvrir le sinistre déjà né et connu de l'entrepreneur puisqu'il intervient précisément pour réaliser des travaux de reprise des ouvrages. En outre, la cour observe que Mme [F] s'abstient de toute offre de preuve contraire et qu'elle s'est abstenue d'attraire à l'instance la société Sma Courtage dont elle produit une attestation visant la « couverture en petits éléments », laquelle est ainsi étrangère aux travaux litigieux puisqu'ils portent sur une couverture réalisée en bardage de plaques de fibrociment.
Il sera également observé que, contrairement aux affirmations de Mme [F], M. [I], sous-traitant de la société Ieg, ne bénéficiait pas d'une assurance portant sur les travaux litigieux (couverture) ainsi que le relève l'expert [T] dans son rapport analysant les activités effectivement couvertes en vertu de la police d'assurance souscrite auprès de Maaf Pro. Le relevé d'informations assurantielles produit devant la cour par Mme [F] (pièce n°19) étant dépourvu de toute preuve contraire puisqu'il ne précise pas l'étendue des garanties souscrites. Au surplus, il sera rappelé que l'entrepreneur principal ne saurait prétendre, au motif qu'il recourt à un sous-traitant, s'exonérer ni de la garantie décennale, ni de l'obligation d'assurance de responsabilité afférente. Ces dernières ainsi que ses engagements contractuels à l'égard du maître de l'ouvrage demeurent en effet inchangés quels que soient les procédés techniques ou juridiques auquel il recourt afin de réaliser ou faire réaliser les travaux.
Sur les dommages subis par Mme [N]
Aux termes du 1er alinéa de l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Le principe de réparation intégrale du préjudice commande de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si le dommage n'avait pas eu lieu.
A ce titre, les dommages-intérêts alloués à la victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte, ni profit.
En l'espèce, il est constant qu'en raison de son placement en liquidation judiciaire, la société Ieg est insolvable tandis qu'il ressort du rapport d'expertise de M. [T] que les ouvrages réalisés au titre du marché de travaux comportent de multiples malfaçons rendant l'habitation de Mme [N] impropre à sa destination, puisque la toiture présente des infiltrations et qu'elle doit être remplacée.
Mme [F] ne conteste pas la nécessité d'un tel remplacement mais objecte qu'elle ne saurait supporter un coût supérieur à celui correspondant au procédé initialement retenu par Mme [N], c'est-à-dire grâce à l'emploi de plaques de fibrociment.
En vertu du principe ci-dessus rappelé, Mme [N] est en droit d'obtenir une toiture assurant sa fonction de couverture, comme cela aurait été le cas en l'absence des désordres imputables à la société Ieg.
Il en résulte que, l'usage de plaques ondulées de fibrociment étant dorénavant proscrit par les règles d'urbanisme en vigueur sur le territoire de la commune, le coût du recours à des tuiles canal en remplacement des ouvrages atteint de malfaçons, seul procédé désormais licite, doit être mis à la charge de Mme [F] quand bien même il s'avère être plus onéreux. En effet, le bénéfice de ce procédé ne peut être regardé comme procurant à Mme [N] un enrichissement sans cause dans la mesure où le surcoût qu'il impose à Mme [F], en raison d'un changement de règlementation, résulte des suites de son propre manquement.
La somme de 81.393,64 euros, telle qu'estimée par l'expert judiciaire au titre du coût de remplacement de la toiture, sera ainsi retenue.
S'agissant du coût du remplacement des gouttières, rendu nécessaire en raison de leur incompatibilité avec les ouvrages de toiture réalisés par le sous-traitant de la société Ieg, l'expert l'évalue à la somme de 9.225,36 euros.
Mme [N] fait valoir que le choix de recourir à une tierce entreprise pour effectuer la pose de nouvelles gouttières, l'exposant ainsi au risque d'incompatibilité de surface, n'a pas été éclairé par les conseils de la société Ieg, laquelle a manqué à son obligation de mise en garde.
S'il est exact que la société Ieg ne rapporte pas la preuve d'avoir attiré l'attention de sa cliente sur pareil risque et qu'ainsi privée du conseil adéquat, Mme [N] a subi une perte de chance d'éviter le dommage, ce dommage n'en provient pas moins d'un manquement de la société Ieg à son obligation contractuelle de conseil, lequel est étranger au risque couvert par une police d'assurance obligatoire de responsabilité civile décennale. De sorte que la faute retenue à l'encontre de Mme [F] est dépourvue de lien de causalité avec l'absence de prise en charge assurantielle du coût de remplacement des gouttières.
C'est donc a bon droit, mais pour les raisons qui viennent d'être exposées, que le premier juge a pu rejeter la demande indemnitaire de Mme [N] au titre de ce chef de préjudice.
S'agissant des autres dommages matériels invoqués par Mme [N], le coût de la pose de luminaires dans le faux-plafond de la salle de bain (700 euros) sera écarté dans la mesure où le défaut d'installation desdits éclairages ne relève pas d'un désordre au sens de l'article 1792 du code civil mais d'une inexécution contractuelle, laquelle est étrangère au domaine couvert par l'assurance obligatoire de responsabilité civile décennale.
Il en ira différemment du coût des travaux de réfection intérieure relatifs à la salle de bain (1.353,99 euros) ainsi qu'au salon et à la chambre 2 (2.634,06 euros) dès lors qu'il ressort du rapport d'expertise qu'ils sont rendus nécessaires par les désordres imputables à la société Ieg puisque, comme l'a justement relevé le tribunal, ces pièces ont été dégradées par des écoulements d'eau provenant d'infiltrations en toiture.
La facture de Tolosan Habitat d'un montant de 385 euros Ttc, en date du 15 septembre 2021, sera également retenue parce qu'elle porte sur le remplacement en urgence de luminaires et la réalisation de réparations électriques faisant suite aux mêmes infiltrations d'eau.
S'agissant du préjudice de jouissance et du préjudice moral, il est constant qu'ils appartiennent à la catégorie des préjudices immatériels, lesquels n'entrent pas dans le domaine de l'assurance obligatoire de responsabilité civile décennale. De sorte que la faute retenue à l'encontre de Mme [F] est dépourvue de lien de causalité avec l'absence de prise en charge assurantielle de la privation de jouissance et du préjudice moral invoqués par Mme [N].
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a, d'une part, fixé l'indemnisation de Mme [N] à hauteur de 86.466,69 euros, retenant pour ce faire le coût de la pose de luminaires dans le faux-plafond de la salle de bain (700 euros) et, d'autre part, condamné Mme [F] à indemniser Mme [N] au titre du préjudice de jouissance (3.480 euros).
Mme [F] sera condamnée à verser à Mme [N] la somme de 85.766,69 euros ainsi décomposée :
# 81.393,64 euros au titre du coût de remplacement de la toiture ;
# 1.353,99 euros au titre du coût réfection de la salle de bain ;
# 2.634,06 euros au titre du coût réfection du salon et de la chambre 2 ;
# 385 euros TTC au titre de la facture de Tolosan Habitat en date du 15 septembre 2021 ;
Mme [N] sera déboutée de sa demande au titre du préjudice de jouissance.
Sur les demandes accessoires
L'article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en remette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
Succombant, Mme [F] supportera les dépens de première instance ainsi que retenu par le tribunal, et les dépens d'appel.
L'article 700 du code de procédure civile dispose que dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie, la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en tenant compte de l'équité, de la situation économique de la partie condamnée.
Il y a lieu de condamner Mme [F] à payer Mme [N] à la somme de 3.000 euros sur ce fondement au titre de la procédure d'appel.
Le jugement sera confirmé s'agissant des frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, et dans la limite de sa saisine,
Déclare irrecevable la demande de Mme [W] [F] tendant à voir juger irrecevables les demandes de Mme [G] [N] présentées devant le premier juge ;
Déboute Mme [G] [N] de sa demande en irrecevabilité de l'appel formé par Mme [W] [F] ;
Déclare irrecevable la demande en irrecevabilité de Mme [G] [N] à l'encontre des conclusions de Mme [W] [F] notifiées le 30 juillet 2025 ;
Infirme le jugement entrepris uniquement en ce qu'il a :
- condamné Mme [W] [F] à payer à Mme [G] [N] la somme de 86.466,69 euros au titre des préjudices matériels ;
- condamné Mme [W] [F] à indemniser Mme [G] [N] au titre de son préjudice de jouissance ;
Statuant à nouveau,
Condamne Mme [W] [F] à verser à Mme [G] [N], au titre des préjudices matériels, la somme de 85.766,69 euros ainsi décomposée :
# 81.393,64 euros au titre du coût de remplacement de la toiture ;
# 1.353,99 euros au titre du coût de réfection de la salle de bain ;
# 2.634,06 euros au titre du coût de réfection du salon et de la chambre 2 ;
# 385 euros Ttc au titre de la facture de Tolosan Habitat en date du 15 septembre 2021 ;
Déboute Mme [G] [N] de sa demande au titre du préjudice de jouissance ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [W] [F] aux entiers dépens de l'instance d'appel ;
Condamne Mme [W] [F] à payer à Mme [G] [N] la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière Le président
M. POZZOBON M. DEFIX
.
ARRÊT N° 25/ 458
N° RG 24/02451
N° Portalis DBVI-V-B7I-QLVK
LI - SC
Décision déférée du 17 Juin 2024
TJ de [Localité 7]- 24/00383
J. POUYANNE
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le 26/11/2025
à
Me Joris MORER
Me Aurélien DELECROIX
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
1ere Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT SIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTE
Madame [W] [F]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Joris MORER de la SELEURL MORER, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
Madame [G] [N]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Aurélien DELECROIX, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 22 septembre 2025 en audience publique, devant la cour composée de :
M. DEFIX, président
S. LECLERCQ, conseillère
L. IZAC, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffière : lors des débats M. POZZOBON
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après avis aux parties
- signé par M. DEFIX, président et par M. POZZOBON, greffière
EXPOSE DU LITIGE
Mme [G] [N] est propriétaire d'un immeuble ancien sis [Adresse 6] à [Localité 5] (31).
Suivant acte sous-seing privé en date du 23 septembre 2015, elle a conclu avec la Sarl Ingénierie Energétique Globale (transformée par la suite en Sasu et ci-après désignée la société Ieg), alors dirigée par Mme [W] [F], un marché de travaux portant sur la réfection de la toiture de son bien, moyennant la somme de 23.015,30 euros.
La société Ieg a sous-traité l'ensemble des prestations correspondantes à M. [Z] [I], exerçant en qualité d'entrepreneur individuel.
Les travaux, achevés le 16 août 2016, ont été intégralement réglés par Mme [N].
En 2020, constatant la présence d'infiltrations d'eau en toiture, Mme [N] a sollicité l'intervention de la société Ieg. Cette dernière a engagé des travaux de réparation des désordres et malfaçons à partir de l'été mais a dû s'interrompre dès le mois de septembre en raison de difficultés d'approvisionnement de plaques ondulées. Un bâchage de la toiture a été réalisé dans l'attente de la reprise des travaux.
Par courrier en date du 20 avril 2021, Mme [N] a relancé la société Ieg aux fins qu'elle achève les travaux réparatoires. Celle-ci est à nouveau intervenue dans le courant du mois de juillet 2021 en laissant toutefois en place un bâchage partiel de reprise de couverture.
Selon facture en date du 15 septembre 2021, Mme [N] a fait intervenir en urgence la société Tolosan Habitat afin de procéder à la réparation des luminaires et au remplacement des conduits et boites de dérivation des canalisations électriques. Par la suite, la société Ieg est encore intervenue jusqu'en décembre 2021.
Une expertise amiable a été organisée mais n'a pas permis aux parties de trouver un accord.
Mme [N] a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse qui, par ordonnance du 1er juillet 2022, a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. [U] [T].
Par décision prise en assemblée générale le 1er octobre 2019, MM. [M] et [K] [A], fils de Mme [F] et M. [S] [A], ont été nommés co-gérants de la société Ieg.
Par décision prise en assemblée générale le 30 juin 2022, la Sarl Ieg a été transformée en Sasu et la Sarl La Surprise désignée comme dirigeant.
Par deux jugements rendus le 23 octobre 2023, la Sasu Ieg ainsi que la Sarl La Surprise ont été placées en redressement judiciaire (celui-ci étant par la suite converti en liquidation judiciaire).
M. [T] a déposé son rapport le 1er décembre 2023.
Le 13 décembre 2023, Mme [N] a procédé à la déclaration de ses créances au passif des sociétés Ieg et La Surprise pour un montant de 126.172,05 euros.
Par actes des 2, 3 et 5 janvier 2024, Mme [N], autorisée par ordonnance du 22 décembre 2023, a fait assigner à jour fixe devant le tribunal judiciaire de Toulouse, pour l'audience du 12 février 2024 :
- la Sasu Ieg ;
- la Selarl Benoit et Associés, prise en la personne de Me [R] [E], en qualité de mandataire judiciaire de la Sasu Ieg ;
- Me [O] [L], en qualité d'administrateur judiciaire de la Sasu Ieg ;
- la Sarl La Surprise ;
- la Selarl Benoit et Associés, prise en la personne de Me [R] [E], en qualité de mandataire judiciaire de la Sarl La Surprise ;
- Me [O] [L], en qualité d'administrateur judiciaire de la Sasu Ieg ;
- M. [M] [A] ;
- M. [K] [A] ;
- Mme [W] [F] ;
aux fins d'indemnisation de ses préjudices.
Par acte du 6 février 2024, la Sasu Ieg, la Sarl La Surprise, MM. [M] et [K] [A] et Mme [F], autorisés par ordonnance du 2 février 2024, ont fait assigner à jour fixe M. [Z] [I] devant le tribunal judiciaire de Toulouse, pour l'audience du 12 février 2024, aux fins d'appel en cause.
Par jugement du 12 février 2024, le tribunal a joint les deux instances et renvoyé l'affaire à l'audience du 22 avril 2024.
Par acte du 11 avril 2024, Mme [F], autorisée par ordonnance du 10 avril 2024, a fait assigner à jour fixe devant le tribunal judiciaire de Toulouse, pour l'audience du 22 avril 2024, M. [S] [A] aux fins d'appel en cause en sa qualité de gérant de fait de la société Ieg.
Par jugement du 17 juin 2024, le tribunal judiciaire de Toulouse a notamment :
- joint l'appel en cause formé à l'encontre de M. [S] [A] ;
- débouté la Sasu Ieg, la Sarl La Surprise, MM. [M], [K] et [S] [A], ainsi que Mme [F] de leur demande en irrecevabilité des demandes de Mme [N] ;
- condamné Mme [F] à payer à Mme [N], au titre de son préjudice matériel, la somme de 86.466,69 euros ainsi décomposée :
# remplacement de toiture : 81.393,64 euros ;
# luminaires : 700,00 euros ;
# réfection salle de bain : 1.353,99 euros ;
# réfection salon et chambre 2 : 2.634,06 euros ;
# facture Tolosan Habitat : 385,00 euros ;
- condamné Mme [F] à payer à Mme [N], au titre de son préjudice de jouissance, la somme de 3.480 euros ;
- débouté Mme [N] de sa demande de condamnation au titre du préjudice moral ;
- condamné Mme [F] à communiquer l'adresse de son domicile à Mme [N], sous astreinte de 150 euros par jour de retard après le 25 juin 2024 ;
- condamné M. [I] et Mme [F] aux dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire ;
- condamné Mme [F] à payer à Mme [N] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [I] à relever et garantir Mme [F] de l'ensemble des condamnations principales et accessoires prononcées à l'encontre de cette dernière à hauteur de 50%.
Le tribunal a estimé qu'il ressortait du rapport d'expertise judiciaire que les ouvrages réalisés par M. [I] en qualité de sous-traitant de la société Ieg présentaient des malfaçons et désordres à l'origine des infiltrations dénoncées par Mme [N], lesquelles rendaient le bien impropre à sa destination alors que ni M. [I], ni la société Ieg ne disposaient d'assurance décennale couvrant les travaux correspondants. Il a retenu que Mme [F], alors dirigeante de la société Ieg au moment de la conclusion du marché de travaux (23 septembre 2015), avait commis une faute détachable de ses fonctions en ne souscrivant pas cette assurance de responsabilité obligatoire prévue par l'article L. 241-1 du code des assurances et qu'en conséquence, elle devait être déclarée personnellement responsable. Le 1er juge a par ailleurs considéré, d'une part, que le droit à réparation de Mme [N] devait être réduit afin de tenir compte de sa propre responsabilité partielle parce qu'elle avait prévu de faire poser de nouvelles gouttières par ses soins qui ont par la suite posé des problèmes de compatibilité avec leur support et, d'autre part, qu'au regard des manquements respectivement commis par la société Ieg et son sous-traitant, M. [I] devait être tenu de supporter la moitié du poids final de l'indemnisation de Mme [N].
Mme [F] a formé appel le 17 juillet 2024, désignant Mme [N] en qualité d'intimée, et visant dans sa déclaration les dispositions du jugement relatives à sa condamnation à payer à Mme [N] la somme de 86.466,69 euros au titre du préjudice matériel, celle de 3.840 euros au titre du préjudice de jouissance, celle de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que sa condamnation avec M. [I] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions du 30 juillet 2025, Mme [F], appelante, demande à la cour, au visa des articles 15, 16, 135, 331 et 768 du code de procédure civile, des articles 1104 et 1231-1 du code civil, de « l'article L. 651-2 du code des assurances » et de l'article L. 651-2 du code de commerce de :
- infirmer le jugement dont appel ;
in limine litis,
- juger irrecevables les demandes de Mme [N] à l'encontre de Mme [F] ;
à titre principal,
- juger comme non fondées les demandes de condamnation de Mme [N] à l'encontre de Mme [F] ;
- juger que Mme [F] n'a commis aucune faute de gestion pouvant entraîner sa responsabilité en qualité d'ancienne dirigeante de la société Ieg ;
- débouter Mme [N] de sa demande relative à son préjudice matériel, à savoir le remplacement de la toiture par des tuiles canal, le remplacement des gouttières et la réfection des intérieurs pour un montant de 95.692,05 euros ;
- débouter Mme [N] de sa demande relative à son trouble de jouissance ;
- débouter Mme [N] de sa demande relative à son préjudice moral ;
- condamner Mme [N] à lui verser la somme de 7.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, y compris les frais d'expertise judiciaire.
Au soutien de l'irrecevabilité des demandes présentées par Mme [N] devant le premier juge, elle fait valoir que cette dernière n'a invoqué aucun fondement juridique pour prétendre engager sa responsabilité personnelle alors même que l'article 768 du code de procédure civile exige que les écritures formulent expressément les moyens en droit sur lesquelles sont fondées chacune des prétentions de la partie concernée.
S'agissant du manquement qui lui est reproché au titre du défaut d'assurance de responsabilité civile décennale, elle oppose le fait que Mme [N], d'une part, n'a pas elle-même souscrit d'assurance dommages-ouvrage alors qu'elle est gérante d'une société dont l'objet social est le « conseil aux entreprises » et, d'autre part, a réclamé des prix bas pour la réalisation des travaux dont elle a réglé en partie le coût grâce à un chèque tiré sur le compte bancaire de ladite société (Euristyle). Elle argue par ailleurs que la société Ieg était en revanche assurée (auprès de la Sma Courtage) pour les travaux de reprise réalisés en 2020 et 2021, et que les travaux initiaux ont été intégralement sous-traités auprès de M. [I], lequel disposait de l'assurance de responsabilité correspondante (auprès de la Maaf Pro).
Elle fait valoir qu'il ne lui appartient pas de supporter le surcoût lié à la nécessité d'utiliser désormais des tuiles canal en lieu et place des plaques de fibrociment installées à l'occasion des travaux querellés alors que, d'une part, cette solution plus onéreuse (doublement du prix) est imposée par des règles d'urbanisme qui n'existaient pas à l'époque du chantier de travaux et que, d'autre part, Mme [N] avait fait le choix desdites plaques pour des raisons de moindre coût.
Elle invoque également le fait que c'est à bon droit que le premier juge a écarté l'indemnisation du coût de remplacement des gouttières PVC en raison du choix fait par Mme [N] de faire intervenir une tierce entreprise, s'exposant ainsi, en l'absence d'un maître d''uvre assurant la coordination du chantier, à un risque de conflit d'interfaces.
Elle soutient encore que les désordres affectant le salon, la salle de bain et la chambre 2 sont dus au caractère ancien de la bâtisse qui date du XIXème siècle.
Elle ajoute qu'aucune fraude ou man'uvre n'a été réalisée à l'occasion de la transformation de la société Ieg en Sasu et de la désignation de la Sarl La Surprise comme gérante tandis qu'il n'existe aucun lien entre les procédures collectives dont elles sont toutes deux l'objet et la présente affaire.
S'agissant des préjudices, elle fait enfin valoir qu'ils ne sont pas démontrés.
Par dernières conclusions du 8 septembre 2025, Mme [N], intimée et formant appel incident, demande à la cour, au visa de l'article 524 du code de procédure civile, des articles 1104, 1792 et 1792-1 du code civil, des articles L. 241-1 et L. 243-3 du code des assurances, des articles « L. 223-251 et suivants », L. 223-22 et suivants du code de commerce et des articles 1242-2 et suivants du code civil, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [F] :
# « à payer Mme [N] au titre de son préjudice matériel en réparation des malfaçons et désordres imputables aux travaux réalisés par la société Ieg » ;
# à payer à Mme [N] au titre de son préjudice immatériel la somme de 3.480 euros suivant les malfaçons et désordres imputables aux travaux réalisés par la société Ieg ;
# à communiquer l'adresse de son domicile à Mme [N] sous astreinte de 150 euros par jour de retard dans les 8 jours suivant la date de la décision à venir, soit au plus tard le 25 juin 2024 ;
# à payer à Mme [N] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;
- réformer le jugement en ce qu'il a :
# limité le préjudice matériel subi par Mme [N] au montant de 86.466,69 euros ;
# débouté Mme [N] de sa demande de condamnation au titre du préjudice moral subi ;
en conséquence,
- condamner Mme [F] à payer à Mme [N] les sommes de :
# 95.692,05 euros au titre de son préjudice matériel en réparation des malfaçons et désordres imputables aux travaux réalisés par la société Ieg ;
# 3.480 euros au titre de son préjudice de jouissance ;
# 7.000 euros au titre du préjudice moral subi ;
- rejeter les demande de Mme [F] tendant au rejet des demandes de Mme [N] ;
- condamner Mme [F] à payer la somme de 10.000 euros à Mme [N] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
Au soutien de l'irrecevabilité de l'appel formé par Mme [F], elle soulève le caractère indivisible du jugement auquel ont été parties, outre elle-même et Mme [N], les sociétés Ieg et La Surprise, leurs mandataires judiciaires, MM. [A] ainsi que M. [I]. Lequel a été condamné à relever et garantir l'appelante.
Elle fait valoir que les conclusions d'appelante notifiées le 30 juillet 2025 sont irrecevables pour ne pas avoir été produites dans le délai de 3 mois (article 910 du code de procédure civile) au sein duquel Mme [F] aurait dû répliquer à l'appel incident qu'elle a elle-même formée à l'occasion de ses conclusions d'intimée du 27 septembre 2024. Elle estime qu'en revanche, ses propres écritures devant le premier juge étaient parfaitement recevables pour comporter l'exposé détaillé des moyens en droit venus au soutien de ses demandes.
S'agissant des désordres affectant les ouvrages objet du marché de travaux conclu avec la société Ieg, elle met en exergue leur caractère décennal relevé dans son rapport par l'expert judiciaire qui en a chiffré le coût à la somme de 95.692,05 euros, outre 3.480 euros au titre de la privation de jouissance. Elle expose que la reprise complète des ouvrages de toiture préconisée par l'expert, laquelle exige le remplacement des plaques de fibrociment par des tuiles canal, renvoie à des travaux réparatoires dont le coût doit être en totalité supporté par Mme [F] en vertu du principe de réparation intégrale du dommage.
Au soutien de la responsabilité personnelle de Mme [F], elle fait valoir qu'il est de jurisprudence constante que le défaut de souscription de l'assurance obligatoire de responsabilité civile décennale, lequel est constitutif d'une faute pénale (art. L. 243-3 du code des assurances), caractérise nécessairement une faute détachable des fonctions de dirigeant. Elle invoque par ailleurs le fait que ce défaut d'assurance (pour des travaux de couverture) concerne aussi bien le chantier réalisé en août et septembre 2016 que les travaux de reprise menés entre l'été 2020 et décembre 2021. Elle estime que les procédures de liquidation judiciaire des sociétés Ieg et La Surprise la privent de tout recours utile en indemnisation contre ces dernières. Elle ajoute que l'absence d'assurance dommages-ouvrage souscrite par le maître de l'ouvrage ne fait pas obstacle à la responsabilité de l'entrepreneur tandis que le marché de travaux conclu avec la société Ieg l'a été par Mme [N] et non par la société Euristyle. Le mode de paiement utilisé pour en régler une partie du prix ne remettant pas en cause le fait que ladite société soit demeurée étrangère à ce marché de travaux.
S'agissant du remplacement des gouttières réalisé par une tierce entreprise et s'étant avéré incompatible avec les ouvrages de couverture, elle oppose le fait que, profane en matière de construction, elle ne pouvait avoir conscience d'un tel risque en l'absence de conseil ou de mise en garde à ce sujet par la société Ieg. Elle fait enfin valoir que les nombreux manquements de la société Ieg et sa particulière mauvaise foi sont à l'origine d'un grand stress appelant indemnisation au titre du préjudice moral.
La clôture de l'instruction a été fixée au 22 septembre 2025 et l'affaire appelée pour plaidoirie à l'audience tenue à cette même date.
MOTIFS DE LA DECISION
I ' Sur les fins de non-recevoir
Sur la demande tendant à voir déclarer irrecevables les demandes de Mme [N] présentées devant le premier juge
Aux termes de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la cause, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Aux termes de l'article 901 4° du code de procédure civile, la déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l'article 57, et à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
En l'espèce, par sa déclaration d'appel, Mme [F] a limité son appel aux dispositions du jugement relatives à :
- sa condamnation à payer à Mme [N] la somme de 86.466,69 euros au titre du préjudice matériel ;
- sa condamnation à payer à Mme [N] la somme de 3.840 euros au titre du préjudice de jouissance ;
- sa condamnation à payer à Mme [N] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- sa condamnation avec M. [I] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;
de sorte que l'effet dévolutif de la déclaration d'appel n'a pas saisi la cour du chef relatif au débouté de Mme [F] de sa demande en irrecevabilité des demandes de Mme [N].
La demande de Mme [F] tendant à voir juger irrecevables les demandes de Mme [N] présentées devant le premier juge est donc irrecevable.
Sur la demande en irrecevabilité de l'appel de Mme [F]
Selon les dispositions de l'article 553 du code de procédure civile, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l'instance ; l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance.
En l'espèce, la procédure initiée par Mme [N] devant le premier juge à conduit à attraire à l'instance, outre Mme [F], les sociétés Ieg et La Surprise, MM. [A] ainsi que M. [I]. Ce dernier ayant été condamné à relever et garantir indemne l'appelante à hauteur de la moitié des sommes mises à sa charge.
Pour autant, même à considérer que cette disposition du jugement présenterait, avec la condamnation de Mme [F] à indemniser Mme [N], un caractère indivisible entre M. [I] et Mme [F], ce qui n'est pas démontré, l'article 553 du code de procédure civile n'impose pas à cette dernière de former appel contre M. [I], ni a fortiori à l'encontre des sociétés Ieg et La Surprise ainsi que MM. [A]. En effet, l'irrecevabilité prévue par ce texte ne concerne que l'appel formé contre (et non par) l'une des parties à l'égard desquelles il y existe une indivisibilité entre les dispositions du jugement critiquées.
Mme [N] sera déboutée de sa demande en irrecevabilité de l'appel formé par Mme [F].
Sur la demande en irrecevabilité des conclusions de Mme [F] du 30 juillet 2025
Selon les dispositions du 6ème alinéa de l'article 914 du code de procédure civile, en sa rédaction applicable au litige, les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d'appel la caducité ou l'irrecevabilité après la clôture de l'instruction, à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement.
En l'espèce, la tardiveté des conclusions de Mme [F], notifiées le 30 juillet 2025 en réplique aux conclusions du 27 novembre 2024 aux moyens desquelles Mme [N] a notamment sollicité l'infirmation du jugement en ce qu'il a limité ou exclu son indemnisation par Mme [F], ne constitue pas un fait apparu postérieurement à la clôture de l'instruction. De sorte que ce moyen tendant à l'irrecevabilité des conclusions du 30 juillet 2025 aurait dû être soulevé devant le conseiller de la mise en état.
En conséquence, la demande en irrecevabilité de Mme [N] à l'encontre des conclusions notifiées le 30 juillet 2025 par Mme [F] sera déclarée irrecevable.
II ' Sur la demande en responsabilité
Sur la faute de Mme [F] tenant au défaut d'assurance de responsabilité civile décennale
Selon les dispositions de l'article L. 241-1 du code des assurances, toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil, doit être couverte par une assurance.
À l'ouverture de tout chantier, elle doit justifier qu'elle a souscrit un contrat d'assurance la couvrant pour cette responsabilité. Tout candidat à l'obtention d'un marché public doit être en mesure de justifier qu'il a souscrit un contrat d'assurance le couvrant pour cette responsabilité.
Tout contrat d'assurance souscrit en vertu du présent article est, nonobstant toute stipulation contraire, réputé comporter une clause assurant le maintien de la garantie pour la durée de la responsabilité décennale pesant sur la personne assujettie à l'obligation d'assurance.
Aux termes de l'article L. 223-22 alinéa 1er du code de commerce, les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
Il est de principe que le gérant de la société n'ayant pas souscrit d'assurance décennale commet une faute intentionnelle constitutive d'une infraction pénale, laquelle est une faute séparable de ses fonctions sociales qui engage sa responsabilité personnelle (Cass. Civ.(3e), 10 mars 2016, n°14-15326, Bull. III n°846).
En l'espèce, il est constant qu'au moment de l'ouverture du chantier et jusqu'à l'achèvement des travaux (16 août 2016) de réfection de toiture réalisés en vertu du contrat conclu entre Mme [N] et la société Ieg, alors dirigée par Mme [F], cette dernière ne disposait pas d'une assurance obligatoire de responsabilité civile décennale pour l'activité de couverture. Pareil non-respect de l'exigence légale d'assurance caractérise une faute détachable des fonctions de Mme [F], de nature à engager sa responsabilité personnelle envers Mme [N].
A cet égard, Mme [F] ne saurait utilement opposer à Mme [N] le fait qu'elle n'aurait pas elle-même souscrit d'assurance dommages-ouvrage dès lors que celle-ci, prévue par l'article L. 242-1 du code des assurances, n'a ni le même fondement, ni la même portée que l'obligation de l'entrepreneur de souscrire une assurance garantissant sa responsabilité décennale. En effet, l'assurance dommages-ouvrage a pour objet de permettre au maître de l'ouvrage d'obtenir rapidement l'avance des fonds nécessaires afin de procéder sans attendre aux travaux réparatoires, son assureur faisant par la suite son affaire des procédures utiles pour se retourner contre les constructeurs qu'il estime avoir engagé leur responsabilité civile décennale. De sorte que l'éventuelle défaillance du maître de l'ouvrage, fût-il lui-même dirigeant de société, s'agissant de cette exigence n'est pas de nature à exonérer le locateur d'ouvrage ni de la garantie décennale, ni de sa propre obligation d'assurance de responsabilité à ce titre.
De même, le fait que Mme [N] ait pu, dans le cadre de la négociation contractuelle, solliciter et obtenir une baisse du prix des travaux, ou bien encore qu'elle ait réglé une partie desdits travaux à l'aide d'un chèque bancaire tiré sur le compte de la société dont elle est gérante ne caractérisent aucune mauvaise foi de sa part de nature à supprimer ou réduire la responsabilité de Mme [F]. L'appelante ne tirant, en outre, aucune conséquence de droit de pareille affirmation.
Le fait que la société Ieg ait pu éventuellement être assurée à l'occasion des travaux de reprise réalisés en 2020-2021 demeure pareillement sans emport dans la mesure où celle-ci ne saurait pallier l'absence d'assurance de responsabilité civile décennale au moment de l'ouverture du chantier. Celle-ci constitue en effet le seul dispositif assurantiel à même de permettre la prise en charge financière des conséquences des désordres dans la mesure où toute assurance postérieure, fût-elle souscrite en base déclaration, ne peut couvrir le sinistre déjà né et connu de l'entrepreneur puisqu'il intervient précisément pour réaliser des travaux de reprise des ouvrages. En outre, la cour observe que Mme [F] s'abstient de toute offre de preuve contraire et qu'elle s'est abstenue d'attraire à l'instance la société Sma Courtage dont elle produit une attestation visant la « couverture en petits éléments », laquelle est ainsi étrangère aux travaux litigieux puisqu'ils portent sur une couverture réalisée en bardage de plaques de fibrociment.
Il sera également observé que, contrairement aux affirmations de Mme [F], M. [I], sous-traitant de la société Ieg, ne bénéficiait pas d'une assurance portant sur les travaux litigieux (couverture) ainsi que le relève l'expert [T] dans son rapport analysant les activités effectivement couvertes en vertu de la police d'assurance souscrite auprès de Maaf Pro. Le relevé d'informations assurantielles produit devant la cour par Mme [F] (pièce n°19) étant dépourvu de toute preuve contraire puisqu'il ne précise pas l'étendue des garanties souscrites. Au surplus, il sera rappelé que l'entrepreneur principal ne saurait prétendre, au motif qu'il recourt à un sous-traitant, s'exonérer ni de la garantie décennale, ni de l'obligation d'assurance de responsabilité afférente. Ces dernières ainsi que ses engagements contractuels à l'égard du maître de l'ouvrage demeurent en effet inchangés quels que soient les procédés techniques ou juridiques auquel il recourt afin de réaliser ou faire réaliser les travaux.
Sur les dommages subis par Mme [N]
Aux termes du 1er alinéa de l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Le principe de réparation intégrale du préjudice commande de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si le dommage n'avait pas eu lieu.
A ce titre, les dommages-intérêts alloués à la victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte, ni profit.
En l'espèce, il est constant qu'en raison de son placement en liquidation judiciaire, la société Ieg est insolvable tandis qu'il ressort du rapport d'expertise de M. [T] que les ouvrages réalisés au titre du marché de travaux comportent de multiples malfaçons rendant l'habitation de Mme [N] impropre à sa destination, puisque la toiture présente des infiltrations et qu'elle doit être remplacée.
Mme [F] ne conteste pas la nécessité d'un tel remplacement mais objecte qu'elle ne saurait supporter un coût supérieur à celui correspondant au procédé initialement retenu par Mme [N], c'est-à-dire grâce à l'emploi de plaques de fibrociment.
En vertu du principe ci-dessus rappelé, Mme [N] est en droit d'obtenir une toiture assurant sa fonction de couverture, comme cela aurait été le cas en l'absence des désordres imputables à la société Ieg.
Il en résulte que, l'usage de plaques ondulées de fibrociment étant dorénavant proscrit par les règles d'urbanisme en vigueur sur le territoire de la commune, le coût du recours à des tuiles canal en remplacement des ouvrages atteint de malfaçons, seul procédé désormais licite, doit être mis à la charge de Mme [F] quand bien même il s'avère être plus onéreux. En effet, le bénéfice de ce procédé ne peut être regardé comme procurant à Mme [N] un enrichissement sans cause dans la mesure où le surcoût qu'il impose à Mme [F], en raison d'un changement de règlementation, résulte des suites de son propre manquement.
La somme de 81.393,64 euros, telle qu'estimée par l'expert judiciaire au titre du coût de remplacement de la toiture, sera ainsi retenue.
S'agissant du coût du remplacement des gouttières, rendu nécessaire en raison de leur incompatibilité avec les ouvrages de toiture réalisés par le sous-traitant de la société Ieg, l'expert l'évalue à la somme de 9.225,36 euros.
Mme [N] fait valoir que le choix de recourir à une tierce entreprise pour effectuer la pose de nouvelles gouttières, l'exposant ainsi au risque d'incompatibilité de surface, n'a pas été éclairé par les conseils de la société Ieg, laquelle a manqué à son obligation de mise en garde.
S'il est exact que la société Ieg ne rapporte pas la preuve d'avoir attiré l'attention de sa cliente sur pareil risque et qu'ainsi privée du conseil adéquat, Mme [N] a subi une perte de chance d'éviter le dommage, ce dommage n'en provient pas moins d'un manquement de la société Ieg à son obligation contractuelle de conseil, lequel est étranger au risque couvert par une police d'assurance obligatoire de responsabilité civile décennale. De sorte que la faute retenue à l'encontre de Mme [F] est dépourvue de lien de causalité avec l'absence de prise en charge assurantielle du coût de remplacement des gouttières.
C'est donc a bon droit, mais pour les raisons qui viennent d'être exposées, que le premier juge a pu rejeter la demande indemnitaire de Mme [N] au titre de ce chef de préjudice.
S'agissant des autres dommages matériels invoqués par Mme [N], le coût de la pose de luminaires dans le faux-plafond de la salle de bain (700 euros) sera écarté dans la mesure où le défaut d'installation desdits éclairages ne relève pas d'un désordre au sens de l'article 1792 du code civil mais d'une inexécution contractuelle, laquelle est étrangère au domaine couvert par l'assurance obligatoire de responsabilité civile décennale.
Il en ira différemment du coût des travaux de réfection intérieure relatifs à la salle de bain (1.353,99 euros) ainsi qu'au salon et à la chambre 2 (2.634,06 euros) dès lors qu'il ressort du rapport d'expertise qu'ils sont rendus nécessaires par les désordres imputables à la société Ieg puisque, comme l'a justement relevé le tribunal, ces pièces ont été dégradées par des écoulements d'eau provenant d'infiltrations en toiture.
La facture de Tolosan Habitat d'un montant de 385 euros Ttc, en date du 15 septembre 2021, sera également retenue parce qu'elle porte sur le remplacement en urgence de luminaires et la réalisation de réparations électriques faisant suite aux mêmes infiltrations d'eau.
S'agissant du préjudice de jouissance et du préjudice moral, il est constant qu'ils appartiennent à la catégorie des préjudices immatériels, lesquels n'entrent pas dans le domaine de l'assurance obligatoire de responsabilité civile décennale. De sorte que la faute retenue à l'encontre de Mme [F] est dépourvue de lien de causalité avec l'absence de prise en charge assurantielle de la privation de jouissance et du préjudice moral invoqués par Mme [N].
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a, d'une part, fixé l'indemnisation de Mme [N] à hauteur de 86.466,69 euros, retenant pour ce faire le coût de la pose de luminaires dans le faux-plafond de la salle de bain (700 euros) et, d'autre part, condamné Mme [F] à indemniser Mme [N] au titre du préjudice de jouissance (3.480 euros).
Mme [F] sera condamnée à verser à Mme [N] la somme de 85.766,69 euros ainsi décomposée :
# 81.393,64 euros au titre du coût de remplacement de la toiture ;
# 1.353,99 euros au titre du coût réfection de la salle de bain ;
# 2.634,06 euros au titre du coût réfection du salon et de la chambre 2 ;
# 385 euros TTC au titre de la facture de Tolosan Habitat en date du 15 septembre 2021 ;
Mme [N] sera déboutée de sa demande au titre du préjudice de jouissance.
Sur les demandes accessoires
L'article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en remette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
Succombant, Mme [F] supportera les dépens de première instance ainsi que retenu par le tribunal, et les dépens d'appel.
L'article 700 du code de procédure civile dispose que dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie, la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en tenant compte de l'équité, de la situation économique de la partie condamnée.
Il y a lieu de condamner Mme [F] à payer Mme [N] à la somme de 3.000 euros sur ce fondement au titre de la procédure d'appel.
Le jugement sera confirmé s'agissant des frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, et dans la limite de sa saisine,
Déclare irrecevable la demande de Mme [W] [F] tendant à voir juger irrecevables les demandes de Mme [G] [N] présentées devant le premier juge ;
Déboute Mme [G] [N] de sa demande en irrecevabilité de l'appel formé par Mme [W] [F] ;
Déclare irrecevable la demande en irrecevabilité de Mme [G] [N] à l'encontre des conclusions de Mme [W] [F] notifiées le 30 juillet 2025 ;
Infirme le jugement entrepris uniquement en ce qu'il a :
- condamné Mme [W] [F] à payer à Mme [G] [N] la somme de 86.466,69 euros au titre des préjudices matériels ;
- condamné Mme [W] [F] à indemniser Mme [G] [N] au titre de son préjudice de jouissance ;
Statuant à nouveau,
Condamne Mme [W] [F] à verser à Mme [G] [N], au titre des préjudices matériels, la somme de 85.766,69 euros ainsi décomposée :
# 81.393,64 euros au titre du coût de remplacement de la toiture ;
# 1.353,99 euros au titre du coût de réfection de la salle de bain ;
# 2.634,06 euros au titre du coût de réfection du salon et de la chambre 2 ;
# 385 euros Ttc au titre de la facture de Tolosan Habitat en date du 15 septembre 2021 ;
Déboute Mme [G] [N] de sa demande au titre du préjudice de jouissance ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [W] [F] aux entiers dépens de l'instance d'appel ;
Condamne Mme [W] [F] à payer à Mme [G] [N] la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière Le président
M. POZZOBON M. DEFIX
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