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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 4, 26 novembre 2025, n° 22/03700

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/03700

26 novembre 2025

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 26 NOVEMBRE 2025

(n° /2025, 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/03700 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFNV5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Janvier 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 21/02962

APPELANTES

S.E.L.A.R.L. AJASSOCIES prise en la personne de Maître [M] [O] es qualité d'administrateur de la société BUFALINI

[Adresse 10]

[Localité 9]

Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Société BUFALINI agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

S.E.L.A.R.L. FIDES prise en la personne de Maître [Y] [I] es qualité de mandataire judiciaire de la SARL BUFALINI

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

INTIMES

Monsieur [F] [T]

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représenté par Me Arnaud DUQUESNOY, avocat au barreau de PARIS, toque : J143

AGS CGEA IDF OUEST représentée par sa Directrice nationale, Madame [Z] [P], y domiciliée en cette qualité

[Adresse 2]

[Localité 11]

Représentée par Me Anne-france DE HARTINGH, avocat au barreau de PARIS, toque : R1861

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, chargée du rapport et Mme Sonia NORVAL-GRIVET, Conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre rédactrice

Mme Sonia NORVAL-GRIVET, Conseillère

M. LATIL Christophe, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, et par Clara MICHEL, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La société Bufalini exploite un restaurant sous l'enseigne La Parigina, dans le [Localité 1].

Selon la société Bufalini et de l'AGS,M. [F] [T] a été embauché par la société La Prima à l'origine, à compter du 1er janvier 2010 en qualité de serveur à temps partiel.

Par acte de cession du 15 avril 2016, la société La Prima a cédé à la société Bufalini son fonds de commerce. M. [T], associé, a été désigné gérant. Il a été révoqué de ses fonctions de gérant le 28 juin 2019.

Selon M. [T], par un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet prenant effet le 1er mai 2016 avec une reprise d'ancienneté au 1er janvier 2010, il a été embauché par la société Bufalini, en qualité de chef de rang, statut employé, niveau III, échelon 2 moyennant un salaire brut mensuel de 2 536,42 euros pour 151,67 heures mensuelles travaillées.

La relation contractuelle était soumise à la convention collective des hôtels, cafés, restaurants.

M. [T] a été placé en arrêt maladie entre les mois de janvier et mars 2020.

Par courrier en date du 20 décembre 2019, M. [T] a mis en demeure la société Bufalini de lui payer, sous un délai de 5 jours, la somme nette après prélèvement à la source de 12 034,27 euros, à titre de rappel de salaires de base pour les mois de juin à novembre 2019.

Par requête du 20 janvier 2020, M. [T] a saisi la formation des référés du conseil de prud'hommes de Paris, afin d'obtenir la somme de 15 740,56 euros bruts à titre de rappels de salaire pour la période de juin 2019 à janvier 2020.

Par ordonnance du 24 février 2020, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- Ordonné à la SARL Bufalini de payer à M. [F] [T] les sommes suivantes :

* 15 740,56 euros à titre de salaires de juin 2019 à janvier 2020.

- Condamné la SARL Bufalini à payer à M. [F] [T] la somme de :

* 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné la SARL Bufalini aux entiers dépens.

Le 31 juillet 2020, la société Bufalini a interjeté appel de cette ordonnance.

Par courrier du 1er septembre 2020, M. [T] a mis en demeure la société Bufalini d'exécuter l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes du 24 février 2020 et par conséquent de lui payer ses salaires.

Par ordonnance du 30 septembre 2021, la cour d'appel de Paris a prononcé la radiation de l'affaire, faute de régularisation de la procédure à l'égard des organes de la procédure collective.

En parallèle, le 27 janvier 2020, M. [T] a assigné en référé la société Bufalini devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir condamner par provision la société Bufalini à lui payer 96 039 euros.

Par ordonnance de référé du 10 juin 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- Condamné par provision la SARL Bufalini à payer à M. [F] [T] la somme de 96 089 euros produisant intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2019.

- Condamné la SARL Bufalini à verser à M. [F] [T] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné la SARL Bufalini aux dépens.

Par jugement du 17 novembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Bufalini, désignant la Selarl Fides en la personne de Me [I] en qualité de mandataire liquidateur et Me [R] en qualité d'administrateur judiciaire sur déclaration de cessation des paiements.

Par ordonnance du 4 mars 2022, le tribunal de commerce de Paris a désigné en lieu et place de Me [R], la Selarl Ajassociés en la personne de Me [M] [O] avec une mission identique.

Par jugement du 22 juin 2022, le tribunal de commerce de Paris a prononcé un jugement d'adoption d'un plan de redressement désignant la Selarl Ajassociés en la personne de Me [M] [O] en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Bufalini et la Selarl Fides en la personne de Me [I] en qualité de mandataire judiciaire.

Par requête du 8 avril 2021, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir, notamment, résilier judiciairement son contrat de travail à titre principal produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner son employeur à lui verser diverses sommes relatives à l'exécution et à la rupture de la relation contractuelle.

Par jugement du 26 janvier 2022, le conseil de prud'hommes de Paris a statué en ces termes :

- Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail

- Fixe la créance de M. [F] [T] sur le redressement judiciaire de la SARL Bufalini aux sommes suivantes :

o 27 235,81 euros à titre de rappels de salaire ;

o 2 723,60 euros au titre des congés payés afférents ;

o 5 072,84 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

o 507,30 euros au titre des congés payés afférents ;

o 6 975,10 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

o 7 609,00 à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

o 1 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Ordonne la remise d'un bulletin de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation destinée au Pôle Emploi conformes au présent jugement

- Déboute M. [T] du surplus de ses demandes.

- Dit la créance opposable à l'AGS CGEA IDF Ouest dans la limite de sa garantie légale.

- Fixe l'emploi des dépens en frais privilégiés de redressement judiciaire.

Par déclaration du 3 mars 2022, la société Bufalini et ses représentants ont interjeté appel de ce jugement intimant M. [T] et l'AGS CGEA Ile de France Ouest.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 juin 2022, la société Bufalini représentée par la Selarl Ajassociés prise en la personne de Me [O] en qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de redressement et la Selarl Fides prise en la personne de Me [I] en qualité de mandataire judiciaire demandent à la cour de :

- Dire et Juger la SARL Bufalini recevable et bien fondée en son appel ;

En conséquence,

- Infirmer le jugement déféré du Conseil des prud'hommes de Paris en date du 26 janvier 2022 en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail, fixé la créance de M. [T] sur le redressement judiciaire de la Société Bufalini, ordonné la remise d'un bulletin de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation destinée au Pôle emploi conformes au présent jugement, fixé l'emploi des dépens en frais privilégiés de redressement judiciaire

Et statuant à nouveau

- Juger qu'il n'existe pas de contrat de travail entre la Société Bufalini et M. [F] [T],

- Dire nul et de nul effet le contrat dont se prévaut M. [F] [T] à l'égard de la société Bufalini en l'absence de toute fonction technique de ce dernier qui aurait pu se distinguer de son mandat social,

En conséquence,

- Ordonner la remise à l'état antérieur et condamner M. [F] [T] à rembourser la société Bufalini, Pôle emploi, CPAM de toutes sommes qui lui ont été versées au titre du contrat de travail nul et de nul effet depuis le 28 juin 2019 date à laquelle M. [F] [T] s'est vu révoquer du mandat social de gérant de la société Bufalini,

Et

- Débouter M. [F] [T] de l'intégralité et du surplus de ses demandes comme étant mal fondées et injustifiées,

- Rappeler que l'ordonnance de référé prononcée pour les mêmes demandes par le présent conseil le 24 février 2020 n'a pas l'autorité de la chose jugée au fond et que l'arrêt de la Cour d'appel s'y substituera,

- Condamner M. [F] [T] à verser à la SARL Bufalini la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel outre 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance.

- Condamner M. [F] [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 septembre 2022, M. [T] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Paris le 26 janvier 2022, à l'exception du quantum du chef portant sur « l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse »;

- Infirmer le jugement rendu par le Conseil des Prud'hommes de Paris le 26 janvier 2022 en ce qu'il a fixé à la somme de 7 609,00 euros « l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse »;

Statuant de nouveau sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- Fixer à la somme de 25 364 euros la créance d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de M. [F] [T], au passif de la procédure collective de la SARL Bufalini,

Pour le surplus,

- Débouter la SARL Bufalini, la Selarl Ajassociés, la Selarl Fides et les AGS de leurs éventuelles demandes, fins et conclusions contraires et supplémentaires à l'encontre de M. [F] [T];

- Se déclarer non saisie des demandes de « Dire et Juger » l'Unédic Délégation AGS CGEA d'Île de France Ouest.

- Débouter l'Unédic Délégation AGS CGEA d'Île de France Ouest de sa demande de mise hors de cause;

En cause d'appel, ajoutant au jugement;

- Condamner et à défaut Fixer à la somme de 3 000 euros la créance de M. [F] [T] au titre de l'article 700 du code de procédure civile à charge de la SARL Bufalini;

- Condamner solidairement la SARL Bufalini, la Selarl Ajassociés et la Selarl Fides aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SCP Millenium avocats qui déclare en avoir avancé les frais conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 septembre 2025, l'AGS CGEA Ile de France Ouest demande à la cour de :

A titre principal,

- Juger et prononcer que la cour est saisie de l'ensemble des demandes et des prétentions de l'AGS et Débouter M. [T] de sa demande contraire,

- Prononcer la mise hors de cause de l'AGS

A défaut, Juger recevable et bien-fondée l'Unédic Délégation AGS en son appel incident et y faisant droit :

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu la qualité de salarié, a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [T] et fixé différentes sommes au passif du redressement judiciaire de la société Bufalini,

- Juger que M. [T] n'a pas la qualité de salarié à l'égard de la société Bufalini et Mettre hors de cause l'Unédic Délégation AGS

En toute hypothèse :

- Débouter M. [T] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions

Sur la garantie

- Juger, Ordonner et inscrire au dispositif de la décision à intervenir, en tout état de cause non couvertes par la garantie de l'AGS et inopposables à celle-ci les créances au titre du chômage partiel/activité partielle et les exclure de ladite garantie

- Juger et inscrire au dispositif de la décision à intervenir qu'en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l'article L 3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens et dans les limites et conditions des articles L 3253-6 et suivants dont l'article L 3253-8 du code du travail, les astreintes, dommages et intérêts, indemnités, mettant en 'uvre la responsabilité de droit commun de l'employeur, article 700 et dépens étant ainsi exclus de la garantie.

- Juger et inscrire au dispositif de la décision à intervenir qu'en tout état de cause la garantie de l'AGS ne pourra excéder, toutes créances confondues, l'un des trois plafonds fixés, en vertu des dispositions des articles L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail.

- Statuer ce que de droit quant aux frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'Unédic Délégation AGS.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 septembre 2025.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les conclusions de l'AGS

M. [T] soutient que la plupart des demandes de l'AGS dans ses conclusions notifiées le 1er septembre 2022 ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile de sorte que la cour n'en est pas saisie.

L'AGS réplique dans ses dernières écritures le 12 septembre 2025 qui lie la cour que ses conclusions sont parfaitement conformes aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile.

A l'examen des conclusions de l'AGS, le moyen soulevé par M. [T] au visa de l'article 954 du code de procédure civile sera rejeté.

Sur le contrat de travail

Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération. Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles la prestation de travail s'est exécutée.

En présence d'un contrat de travail écrit ou apparent , il appartient à la partie qui entend en contester l'existence de rapporter la preuve de son caractère fictif ou de démontrer qu'au-delà de la dénomination donnée à ce contrat , les conditions de fait dans lesquelles une prestation a pu être accomplie ne correspondaient pas à l'exécution d'un contrat de travail. Une telle preuve implique celle de l'absence de tout lien de subordination et ne peut résulter du seul exercice d'une qualité de dirigeant social qui n'est pas nécessairement exclusive de celle de salarié, et qu'enfin, le fait qu'un contrat de travail conclu avec son gérant par une société à responsabilité limitée n'aît pas été soumis à l'approbation de l'assemblée générale n'empêche pas un tel contrat de produire ses effets.

Les juges du fond apprécient souverainement les éléments de nature à caractériser le caractère fictif du contrat de travail et notamment l'existence d'un lien de subordination.

M. [T] invoque un contrat de travail en premier lieu en qualité de serveur puis de chef de rang avant, pendant et après l'exercice du mandat social. Il en veut pour preuve l'édition de bulltins de salaire et l'admission de sa créance par le juge commissaire.

La société Bufalini ne conteste pas que M. [T] ait été engagé en qualité de serveur sur la première période par la société La Prima quand bien l'acte de cession ne fait pas état de ce contrat de travail mais conteste la relation contractuelle à compter de l'acte de cession du fonds de commerce au mois de février 2016.

Elle produit à ce titre le bulletin de salaire de M. [T] alors engagé par la société La Prima en qualité de serveur à temps partiel ( 75,84 heures). Selon les statuts de la société Bufalini , les procès verbaux des associés et l'acte de cession du 15 avril 2016, la société La Prima a cédé à la société Bufalini le fonds de commerce et M. [T] a été désigné gérant jusqu'au 28 juin 2019, date à laquelle il a été révoqué.

Elle fait valoir qu'aucune assemblée des associés n'a pu autoriser la conclusion d'un contrat de travail et n'a pu arrêter la rémunération salariée de M. [T]. Elle en conclut qu'il s'est lui même conclu son contrat de travail, ce d'autant que l'acte de cession du fonds de commerce ne faisait pas état du transfert de son contrat de travail.

M. [T], qui a été associé de la société Bufalini, verse aux débats des bulletins de salaire à son nom du mois de juin 2019 au mois de novembre 2020 portant pour mention qu'il est employé en qualité de chef de rang, avec une entrée au 1er mai 2016 et reprise d'ancienneté au 1er janvier 2010. Il y a donc en l'espèce, à tout le moins, apparence de contrat de travail , et ce même si aucun contrat de travail ou aucune déclaration préalable à l'embauche n'est fournie. Dans ce cas, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en apporter la preuve.

Dès lors, il revient à la Sarl Bufalini de rapporter la preuve contraire de l'absence de lien de subordination entre elle même et M. [T] et donc du caractère fictif du contrat de travail de de l'intéressé.

Pour démontrer le caractère fictif du contrat de travail invoqué par M. [T], la société Bufalini se réfère à un échange de courrier de celui-ci avec la société Enedis au cours du mois d'août 2019 qui serait la démonstration de l'absence d'activité salariée de M. [T]. Elle fait encore valoir que ses fonctions ne peuvent se distinguer de celles de gérant, ce qui conduirait à la nullité du contrat de travail.

Pour autant, alors qu'il n'était plus gérant à compter de fin juin 2019, la société a continué à lui délivrer des bulletins de salaire, l'a également placé en activité partielle dans les périodes liées en partie au Covid, a rempli le certificat relatif aux périodes maladie de M . [T] du 1er décembre 2019 au 31 décembre 2019, du 01 janvier 2020 au 31 janvier 2020, du 1er février 2020 au 29 février 2020 et lui a adressé le 30 septembre 2021 une mise en demeure de reprendre son poste, ce qui traduit à tout le moins le lien de subordination. .

Dans son rapport établi cette fois sous la gérance de M. [N], l'administrateur judiciaire précise que la société compte à l'ouverture de la procédure un effectif de 4 salariés , soit un serveur, un chef de rang, un commis de cuisine et un cuisinier et à la date du 3 novembre 2021, 5 salariés, soit un serveur, un chef de rang, un commis de cuisine, un chef de cuisine et un plongeur avec la précision que le poste de serveur est tenu par le gérant, M. [N] et le chef de rang est l'ancien gérant, M. [T].

Force est de constater au vu de l'ensemble de ces éléments, que la société Bufalini ne rapporte pas la preuve du caractère fictif du contrat de travail ou de sa nullité.

Sur le rappel de salaires

M. [T] sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a fixé sa créance à titre de rappel de salaire à la somme de 27 235, 81 euros.

Il ressort des pièces produites que M. [T] a peçu à ce titre la somme de 11 301, 42 euros en rappel de salaire du mois de décembre 2020 ( accompte) au mois de septembre 2021. S'y ajoutent selon les pièces versées par la société (relevés de compte et copie de chèques) la somme de 2005, 85 euros correspondant au paiement du salaire du mois de juin 2019 et la somme de 2000 euros correspondant au mois de décembre 2019.

Selon les mentions figurant sur les bulletins de salaire transmis par la société, M. [T] a été en absence pour maladie du 2 janvier 2020 au 17 janvier 2020, du 1er février au 27 février 2020 et du 6 mars au 29 mars 2020.

Selon les mentions figurant sur les bulletins de salaire transmis par M. [T], il a été déclaré en absence pour maladie du 2 janvier au 31 janvier 2020, du 1er février au 29 février 2020 et du 1er mars au 30 mars 2020.

Selon les arrêts maladie communiqués, M. [T] a été en arrêt du 2 au 17 janvier 2020, du 13 au 27 février 2020 et du 9 au 29 mars 2020.

La somme due pour la période du mois janvier 2020 au mois de mars 2020 inclus au titre du rappel de salaire après déduction des indemnités journalières s'établit à 1631, 15 euros bruts.

S'agissant de la période du mois d'avil 2020 au mois d'août 2020, M. [T] indique avoir perçu de la société la somme de 2800 euros.

La société établit de son côté que le restaurant qu'elle exploite est demeuré fermé du 15 mars 2020 au 2 juin 2020 en raison du Covid-19 puis du 14 octobre 2020 au 30 juin 2021, les salariés ayant été maintenus en activité partielle du mois de mars 2020 au 1er septembre 2021. Il produit à ce titre les bulletins de salaire des autres salariés sur la même période établissant ainsi que la mesure d'activité partielle concernait l'ensemble du personnel.

Les textes relatifs aux mesures dans le cadre du confinement Covid ont prévu le dispositif d'activité partielle, l'employuer devant rémunéré son salarié à hauteur de 70% de sa rémunération brute.

Eu égard à la rémunération de base de 2536, 42 euros et du versement à hauteur de 2800 euros effectué par la société selon les écritures de M. [T] pour la période allant du mois d'avril à août 2020 inclus, il lui reste dû la somme de 6077, 47 euros bruts.

Tenant compte de la somme déjà versée selon les justificatifs transmis qui vient en déduction, la société reste redevable en conséquence des sommes de 1631, 15 euros et 6077, 47 euros, outre les congés payés afférents.

Le jugement sera sur ce point infirmé.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

M. [T] fait valoir au soutien de sa demande que la société Bufalini a manqué de manière répétée à son obligation essentielle de paiement régulier des salaires depuis le mois de juin 2019 et a diminué unilatéralement sa rémunération de base depuis septembre 2019 en l'absence de tout avenant. Il a saisi à cet égard après mise en demeure le conseil de prudhommes lequel a par ordonnance du 24 février 2020 ordonné à la société Bufalini de lui payer la somme de 15 740, 56 euros à titre de salaire de juin 2019 à janvier 2020.

La résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de 1'employeur, lorsque sont établis des manquements par ce dernier à ses obligations d'une gravité suffisante pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail. Dans ce cas, la résiliation du contrat produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il appartient donc à la cour d'apprécier les faits invoqués par le salarié et qui, s'ils étaient établis et suffisamment graves, caractériseraient un manquement de l'employeur à ses obligations, justifiant que la résiliation soit prononcée à ses torts.

Il ressort en effet des bulletins de salaire que l'employeur a à compter du mois de septembre 2019, soit bien avant ses difficultés économiques et la fermeture liée au Covid-19, diminué unilatéralement le taux horaire et donc la rémunération de base du salarié, celle-ci étant passée de 2536, 42 euros à 1825, 99 euros et n'a pas payé la totalité des salaires, des règlements étant intervenus dans la suite de la décision rendue par le conseil de prud'hommes.

Les faits invoqués par le salarié, imputables à l'employeur, que les difficultés économiques ayant abouti à une procédure de redressement judiciaire à compter du 17 novembre 2020 ne suffisent pas à justifier, caractérisent un manquement de sa part à ses obligations justifiant la la résiliation du contrat de travail à ses torts.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail, laquelle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il sera ajouté sur ce point au jugement.

Le jugement est également confirmé sur le montant des créances d'indemnité de préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité de licenciement au regard d'une ancienneté liée à son premier contrat avec la société La Prima ayant été reprise au regard des mentions portées sur les bulletins de salaire.

Par ailleurs, la société comptant moins de 11 salariés, M. [T] peut prétendre à une indemnité minimale de 2, 5 mois de salaire.

Eu égard à l'âge du salarié, sa rémunération, à l'effectif de l'entreprise, à l'absence de tout justificatif sur sa situation professionnelle postérieurement au licenciement, le conseil de prud'hommes doit être approuvé en ce qu'il a fixé la créance de M. [C] en réparation de son préjudice lié à la perte de son emploi à la somme de 7609 euros.

Sur la garantie de l'AGS

La société étant redevenue in bonis, l'AGS sollicite sa mise hors de cause.

Selon les dispositions de l'article L.3253-8, l'assurance mentionnée à l'article L.3253-6, couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l'employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle.

Les sommes dues par l'employeur en exécution du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après l'adoption d'un plan de redressement, au régime de la procédure collective.

La garantie de paiement des créances dues en exécution du contrat de travail s'applique à toutes les sommes dues aux salariés à la date d'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, dès lors qu'elles se rattachent à un contrat de travail.

L'article L .5122-1 du code du travail énonce, en son paragraphe II, que les salariés placés en position d'activité partielle reçoivent une indemnité horaire, versée par leur employeur, correspondant à une part de leur rémunération antérieure dont le pourcentage est fixé par décret en Conseil d'Etat. L'employeur perçoit une allocation financée conjointement par l'Etat et l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage. Le contrat de travail des salariés placés en activité partielle est suspendu pendant les périodes où ils ne sont pas en activité.

Selon l'article L. 5122-4 du même code, l'indemnité légale d'activité partielle est un revenu de remplacement au sens de l'article L. 136-1-2 du code de la sécurité sociale.

Enfin, selon l'article R. 5122-14 du même code, l'allocation d'activité partielle est liquidée mensuellement par l'Agence de services et de paiement pour le compte de l'Etat et de l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage. Les indemnités mentionnées au II de l'article L. 5122-1 sont versées aux salariés à la date normale de paie par l'employeur.

Il ressort de ce dernier article du code du travail qu'une distinction existe entre l'allocation d'activité partielle, versée à l'employeur, et l'indemnité d'activité partielle, versée par l'employeur au salarié. L'indemnité d'activité partielle versée au salarié n'est pas une allocation d'Etat mais un revenu de remplacement, selon les dispositions de l'article L. 5122-4 du code du travail, et constitue, à ce titre, une somme se rattachant au contrat de travail, justifiée par l'arrêt temporaire de l'activité de la société et la nécessité de préserver l'emploi.

Cette somme, due en exécution du contrat de travail au sens de l'article L. 3253-6 du code du travail, intègre le champ de garantie de l'AGS dès lors que l'employeur en est redevable au jour du jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, conformément à l'article L. 3253-8 du code du travail.

En application de ces dispositions, les créances de M. [T] nées avant l'ouverture de la procédure collective en date du 17 novembre 2020 doivent être garanties par l'AGS quand bien même l'employeur est redevenu in bonis dans l'intervalle.

L'AGS est donc tenue à garantie des rappels de salaires, et congés payés y afférents pour la période antérieure au 17 novembre 2020.

Par ailleurs, la résiliation judiciaire étant intervenue pendant la période d'observation, elle ne peut être mise hors de cause.

Il y a lieu cependant de dire que cet organisme ne devra faire l'avance de la somme représentant les créances garanties que sur justification de l'absence de fonds disponibles au sein de la société Bufalini pour procéder à leur paiement.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Le jugement qui a statué sur les dépens et les frais irrépétibles sera confirmé.

La société Bufalini qui perd le procès sera condamnée aux dépens avec distraction au profit de SCP Millenium Avocats et à verser à M. [T] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Se déclare saisie des demandes formées par l'AGS;

Confirme le jugement du 26 janvier 2022 sauf en ce qu'il a fixé les créances de M. [F] [T] au passif de la société Bufalini aux sommes de 27 235,81 euros à titre de rappel de salaire et 2723, 60 euros au titre des congés payés afférents;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que la résiliation judiciaire aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Fixe les créances de M.[F] [T] à la procédure collective de la société Bufalini aux sommes suivantes:

1631, 15 euros bruts à titre de rappel de salaire de juillet à novembre 2019 inclus;

163, 11 euros bruts au titre des congés payés afférents;

6077, 47 euros bruts à titre de rappel de salaire du mois du mois d'avril à août 2020 inclus;

607, 74 euros bruts au titre des congés payés afférents;

Précise que le jugement d'ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des

intérêts légaux et conventionnels ainsi que tous intérêts de retard et majorations ;

Rappelle que la garantie de l'AGS n'est due, toutes créances avancées pour le compte

du salarié que dans la limite des plafonds définis notamment aux articles L.3253-17,

D.3253-2 et D. 3253-5 du code du travail et dans la limite des textes légaux définissant

l'étendue de sa garantie à savoir les articles L 3253-8 à L 3253-13, L.3253-15 et L.3253-19 à L.3253-24 du code du travail ;

Précise que l'AGS ne sera amenée à garantir les créances salariales que dans la mesure

où l'employeur justifie de l'impossibilité dans laquelle il se trouve de procéder lui même au règlement des dites créances ;

Condamne la société Bufalini à payer à M. [F] [T] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Bufalini aux dépens d'appel avec distraction au profit de SCP Millenium Avocats;

Déboute les parties de toute autre demande.

Le greffier La présidente

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