CJUE, 6e ch., 30 octobre 2025, n° C-398/24
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
F. Biltgen
Juges :
A. Kumin, S. Gervasoni
Avocat général :
M. Campos Sánchez-Bordona
Avocats :
K. Tamm, J. Tehver
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant A à B, deux personnes physiques, au sujet de la compétence des juridictions estoniennes pour connaître d’une demande en paiement d’une créance.
Le cadre juridique
Le règlement no 1215/2012
3 Les considérants 4, 6, 15, 16, 19, 20 et 22 du règlement no 1215/2012 sont libellés comme suit :
« (4) [...] Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de garantir la reconnaissance et l’exécution rapides et simples des décisions rendues dans un État membre sont indispensables.
[...]
(6) Pour atteindre l’objectif de la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale, il est nécessaire et approprié que les règles relatives à la compétence judiciaire, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions soient déterminées par un instrument juridique de l’Union contraignant et directement applicable.
[...]
(15) Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de compétence.
(16) Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. [...]
[...]
(19) L’autonomie des parties à un contrat autre qu’un contrat d’assurance, de consommation et de travail pour lequel n’est prévue qu’une autonomie limitée quant à la détermination de la juridiction compétente devrait être respectée sous réserve des fors de compétence exclusifs prévus dans le présent règlement.
(20) Lorsque la question se pose de savoir si un accord d’élection de for en faveur d’une ou des juridictions d’un État membre est entaché de nullité quant à sa validité au fond, cette question devrait être tranchée conformément au droit de l’État membre de la ou des juridictions désignées dans l’accord, y compris conformément aux règles de conflit de lois de cet État membre.
[...]
(22) Cependant, pour renforcer l’efficacité des accords exclusifs d’élection de for et éviter les manœuvres judiciaires, il est nécessaire de prévoir une exception à la règle générale de la litispendance de manière à traiter de manière satisfaisante une situation particulière pouvant donner lieu à des procédures concurrentes. [...] »
4 L’article 15 de ce règlement prévoit :
« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :
[...]
2) qui permettent au preneur d’assurance, à l’assuré ou au bénéficiaire de saisir d’autres juridictions que celles indiquées à la présente section ;
[...] »
5 L’article 19 dudit règlement dispose :
« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :
[...]
2) qui permettent au consommateur de saisir d’autres juridictions que celles indiquées à la présente section ; [...]
[...] »
6 L’article 23 du même règlement est libellé comme suit :
« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :
[...]
2) qui permettent au travailleur de saisir d’autres juridictions que celles indiquées à la présente section ».
7 L’article 25, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1215/2012 dispose :
« 1. Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ;
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.
[...]
4. Les conventions attributives de juridiction [...] sont sans effet si elles sont contraires aux dispositions des articles 15, 19 ou 23 ou si les juridictions à la compétence desquelles elles dérogent sont exclusivement compétentes en vertu de l’article 24. »
Le droit estonien
8 L’article 104 du tsiviilkohtumenetluse seadustik (code de procédure civile), du 20 avril 2005 (RT I 2005, 26, 197 ; 22/03/2024, 8) (ci-après le « TsMS »), est libellé comme suit :
« (1) Une juridiction peut également exercer sa compétence si celle-ci est prévue par une convention entre les parties et si le litige est lié aux activités économiques ou professionnelles des deux parties, ou si le contrat est lié aux activités économiques ou professionnelles de l’une des parties et si l’autre partie est l’État, une collectivité locale ou une autre personne morale de droit public ou si les deux parties sont des personnes morales de droit public.
[...]
(3) Nonobstant les dispositions du paragraphe 1 du présent article, une convention attributive de juridiction est valide également si :
1) elle est convenue après la naissance du litige ;
2) la compétence a été convenue au cas où le défendeur, après la conclusion de cette convention, établit son domicile dans un pays étranger ou y transfère son établissement ou son siège ou si son établissement, son domicile ou son siège sont inconnus au moment de l’introduction de l’action. »
9 L’article 106, paragraphe 1, point 1, du TsMS prévoit :
« La convention attributive de juridiction est nulle si [...] elle est contraire aux dispositions de l’article 104, paragraphe 1, du présent code [...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
10 À partir de l’année 2020, A et B ont vécu ensemble au Portugal et, le 3 mai 2022, y ont acquis la copropriété d’un appartement à parts égales.
11 Le 27 août 2022, A et B ont conclu un contrat en vertu duquel A cédait à B sa part de copropriété de 50 % dans cet appartement. En contrepartie, B reconnaissait une dette envers A, dont le montant reflétait, notamment, le fait que A avait contribué à l’acquisition et à la rénovation dudit appartement à concurrence d’un montant de 150 000 euros et que B s’était enrichi de ce montant en acquérant la propriété exclusive du même appartement.
12 Les parties ont convenu que ce contrat était soumis au droit matériel estonien et que les litiges qui y étaient afférents seraient réglés de manière amiable et de bonne foi, étant précisé que si elles ne parvenaient pas à un accord, tout litige directement ou indirectement lié audit contrat serait tranché par le Harju Maakohus (tribunal de première instance de Harju, Estonie).
13 En se fondant sur cette clause d’élection de for, A a introduit, le 23 octobre 2023, une action en paiement d’une créance contre B devant le Harju Maakohus (tribunal de première instance de Harju).
14 Par une décision du 15 novembre 2023, le Harju Maakohus (tribunal de première instance de Harju) a rejeté cette action pour incompétence territoriale. Cette juridiction s’est appuyée sur l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 1215/2012 pour examiner si la convention attributive de juridiction était entachée de nullité quant au fond selon le droit de l’État membre dont la juridiction avait été désignée, à savoir selon le droit estonien. Or, étant donné que l’article 106, paragraphe 1, du TsMS, lu en combinaison avec l’article 104, paragraphe 1, de celui-ci, n’autoriserait les conventions attributives de juridiction que si elles concernent l’activité économique ou professionnelle des deux parties au contrat concerné, ce qui ne serait pas le cas en l’occurrence, ladite juridiction a considéré que cette convention attributive de juridiction était nulle.
15 A a formé un recours contre cette décision devant la Tallinna Ringkonnakohus (cour d’appel de Tallinn, Estonie). Devant cette juridiction, il a fait valoir que la référence, à l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, à un motif de nullité de la convention attributive de juridiction prévu par le droit de l’État membre concerné « quant au fond » renvoyait au droit national matériel et non pas au droit procédural, dont relèveraient pourtant les articles 104 et 106 du TsMS.
16 Par une ordonnance du 6 décembre 2023, la Tallinna Ringkonnakohus (cour d’appel de Tallinn) a rejeté ce recours et a confirmé ladite décision. En effet, pour déterminer si la clause d’élection de for est valable quant au fond selon le droit estonien, il conviendrait de se référer non seulement aux dispositions du droit matériel de celui-ci, mais aussi à l’article 104, paragraphe 1, et à l’article 106, paragraphe 1, du TsMS, lesquels renverraient au type de litige en cause, ce qui relèverait du fond et ne constituerait pas une question de forme.
17 A a formé un pourvoi contre cette ordonnance devant la Riigikohus (Cour suprême, Estonie), qui est la juridiction de renvoi. A estime que la clause attributive de juridiction en cause au principal est valable dès lors que l’article 104, paragraphe 1, du TsMS ne peut être appliqué parallèlement au règlement no 1215/2012, son article 25 ne renvoyant qu’au droit national matériel. B considère que cette clause n’est pas valable en vertu de l’article 104, paragraphe 1, et de l’article 106, paragraphe 1, du TsMS.
18 Selon cette juridiction, ainsi qu’il ressort du considérant 20 du règlement no 1215/2012, l’article 25, paragraphe 1, de celui-ci renvoie au droit de l’État membre dans son ensemble, y compris aux règles de conflit de lois. Or, les règles de conflit de lois du droit estonien ne permettraient pas aux parties d’exclure l’application de celles qui sont applicables aux conventions attributives de juridiction.
19 La juridiction de renvoi estime que, afin de pouvoir statuer sur le litige au principal, il convient de répondre à la question de savoir si le fait que le droit estonien subordonne la validité d’une convention attributive de juridiction à la circonstance que les personnes physiques parties à cette convention agissent dans le cadre d’une activité économique et professionnelle, tel qu’exigé à l’article 104, paragraphe 1, et à l’article 106, paragraphe 1, du TsMS, constitue une question de validité de ladite convention quant au fond, au sens de l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012. Selon cette juridiction ni le libellé de cette disposition du droit de l’Union ni la jurisprudence de la Cour ne permettent de déterminer clairement si la notion de « nullité quant au fond » couvre également les conditions prévues par cette réglementation nationale.
20 Dans ces conditions, la Riigikohus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Le fait de lier la validité d’une convention attributive de juridiction conclue entre des personnes physiques à la circonstance que celles-ci agissent dans le cadre d’une activité économique et professionnelle, comme le fait l’article 106, paragraphe 1, point 1, du [TsMS], qui subordonne la validité d’une telle convention au fait qu’elle ne soit pas contraire à l’article 104, paragraphe 1, [de celui-ci], lequel établit à son tour qu’un litige entre personnes physiques porté devant une juridiction en vertu d’une telle convention doit être lié à l’activité économique ou professionnelle des deux parties, est-il une question de validité quant au fond d’une convention attributive de juridiction, au sens de la dernière partie de la première phrase de l’article 25, paragraphe 1, (“sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre”) du règlement[no 1215/2012] ? »
Sur la question préjudicielle
21 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’une condition imposée par le droit national applicable dans l’État membre de la juridiction dont la compétence a été convenue entre des parties contractantes, selon laquelle une convention attributive de juridiction conclue entre personnes physiques n’est valide que si le litige en cause est lié à l’activité économique ou professionnelle de ces parties, relève d’une cause de « nullité quant au fond », au sens de cette disposition.
22 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, dans la mesure où le règlement no 1215/2012 a abrogé et remplacé le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), lequel avait lui-même remplacé la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la « convention de Bruxelles »), l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ces deux derniers instruments juridiques vaut également pour l’interprétation du règlement no 1215/2012 lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d’« équivalentes » à celles de ce dernier règlement [arrêt du 16 mai 2024, Toplofikatsia Sofia (Notion de domicile du défendeur), C‑222/23, EU:C:2024:405, point 49 et jurisprudence citée]. Par conséquent, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne l’article 17, premier alinéa, de la convention de Bruxelles et l’article 23, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 vaut également pour l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, dans la mesure où cette dernière disposition a repris, dans des termes similaires, voire identiques, le contenu de ces premières dispositions.
23 Selon une jurisprudence constante, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de la disposition du droit de l’Union en cause, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit, ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie (arrêts du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, EU:C:1983:335, point 12, et du 9 octobre 2025, Cabris lnvestments, C‑540/24, EU:C:2025:766, point 33 ainsi que jurisprudence citée).
24 En vertu de l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 1215/2012, si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre.
25 S’il ressort du libellé de l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 1215/2012 qu’une convention attributive de juridiction peut être déclarée nulle en vertu du droit de l’État membre dont la juridiction a été désignée par cette convention, ni cet article ni aucune autre disposition de ce règlement ne définissent toutefois la notion de « nullité quant au fond ».
26 Selon le sens habituel des termes « quant au fond », ceux-ci sont employés dans les jugements et actes de procédure par opposition aux notions de « forme » et de « recevabilité », lesquelles sont analysées avant que le juge ne tranche l’objet du procès, à savoir les questions de fait et/ou de droit sur lesquelles se fonde la demande des parties (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2025, Società Italiana Lastre, C‑537/23, EU:C:2025:120, point 31).
27 En outre, il y a lieu de relever que l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 1215/2012 se limite à instaurer une règle de conflit de lois en précisant quel est le droit national applicable s’agissant de la question de savoir si, en dépit du fait que l’ensemble des conditions de validité prévues à cet article sont remplies, une telle convention peut être annulée pour des motifs tenant au fond et relevant de ce droit national (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2025, Società Italiana Lastre, C‑537/23, EU:C:2025:120, point 32).
28 Cependant, outre la référence à la notion de « nullité quant au fond », l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 prévoit des conditions de validité propres aux conventions attributives de juridiction, parmi lesquelles figurent des conditions matérielles ainsi que différentes conditions de forme que doit respecter une telle convention (voir, en ce sens, arrêts du 7 juillet 2016, Hőszig, C‑222/15, EU:C:2016:525, point 33 et jurisprudence citée, ainsi que du 27 février 2025, Società Italiana Lastre, C‑537/23, EU:C:2025:120, point 35).
29 Ainsi, afin d’être valide, une convention attributive de juridiction doit, en vertu de l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, être conclue soit par écrit, soit verbalement avec une confirmation écrite, soit sous une forme conforme aux habitudes établies entre les parties soit, dans le commerce international, sous une forme qui est conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance.
30 En exigeant qu’une convention attributive de juridiction réponde aux conditions de fond et de forme qu’il impose, l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 permet de garantir la réalité du consentement des intéressés afin d’éviter, dans un souci de protection de la partie contractante la plus faible, que des clauses attributives de juridiction, insérées dans un contrat par une seule partie, ne passent inaperçues (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2016, Hőszig, C‑222/15, EU:C:2016:525, point 36 et jurisprudence citée).
31 À cet égard, la Cour a jugé que la validité d’une clause attributive de juridiction ne peut être subordonnée au respect d’une condition particulière de forme que si cette condition se rattache aux exigences de l’article 25 du règlement no 1215/2012 et que les États contractants n’ont pas la liberté de prescrire d’autres exigences de forme que celles prévues par ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 1999, Castelletti, C‑159/97, EU:C:1999:142, points 35 et 37). La Cour a également précisé que des considérations relatives aux liens entre la juridiction désignée et le rapport litigieux ou à la validité substantielle de la convention attributive de juridiction sont étrangères à ces exigences (voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2024, Inkreal, C‑566/22, EU:C:2024:123, point 34).
32 Il en découle que la notion de « nullité quant au fond », employée dans la dernière partie de la première phrase de l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, en ce qu’elle se réfère nécessairement à des conditions de validité différentes de celles qui sont propres aux conventions attributives de juridiction prévues par ce règlement, vise les causes générales de nullité qui peuvent affecter une relation contractuelle, à savoir notamment les vices de consentement, tels que l’erreur, le dol, la violence ou l’incapacité de contracter, causes qui sont prévues par le droit de l’État membre dont les juridictions sont désignées (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2025, Società Italiana Lastre, C‑537/23, EU:C:2025:120, point 36).
33 Cette conclusion est corroborée par la genèse de cette dernière partie de la première phrase de l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, qui ne figurait ni dans l’article 23 du règlement no 44/2001 ni dans l’article 17, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, et qui avait vocation à introduire une règle harmonisée de conflit de lois en matière de validité quant au fond des accords d’élection de for, garantissant ainsi une décision similaire sur cette question quelle que soit la juridiction saisie et correspondant aux solutions arrêtées dans la convention de La Haye sur les accords d’élection de for, conclue le 30 juin 2005 (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2025, Società Italiana Lastre, C‑537/23, EU:C:2025:120, point 40). Or, le rapport explicatif, établi par les professeurs Hartley et Dogauchi, fait référence, au titre des « motifs substantiels d’invalidité », à ses points 125 et 126, aux motifs de nullité généralement reconnus tels que l’erreur, le dol, la violence, la fraude, l’incompétence ou l’incapacité.
34 En l’occurrence, il y a lieu de constater que la condition imposée par le droit estonien, selon laquelle une convention attributive de juridiction applicable entre personnes physiques n’est valide que si le litige concerné est lié à l’activité économique et professionnelle de ces personnes, pourrait, certes, être rapprochée de celle de la capacité à contracter des personnes en cause. Toutefois, elle ne relève pas d’un cas classique d’incapacité de mineur ou de majeur protégé, mais fait référence, en réalité, au type d’activité, non privée, menée par les parties contractantes.
35 De surcroît, il convient de souligner, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que cette disposition nationale n’est pas applicable de manière générale aux relations contractuelles, la condition de validité qu’elle impose étant spécifique aux conventions attributives de juridiction. Cette condition ne relève donc pas des causes générales de nullité telles que celles visées au point 32 in fine du présent arrêt et pourrait tout au plus figurer parmi les conditions de validité propres à ces conventions, lesquelles sont toutefois, ainsi qu’il ressort des points 28 à 31 du présent arrêt, régies de manière exhaustive à l’article 25 du règlement no 1215/2012.
36 Par conséquent, une telle condition, qui ne fait pas partie des causes générales de nullité affectant les relations contractuelles entre parties, ne saurait relever des causes de « nullité quant au fond », au sens de l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 1215/2012.
37 L’interprétation qui ressort des points 30 à 36 du présent arrêt est confortée par les objectifs poursuivis à l’article 25 du règlement no 1215/2012, visant à respecter l’autonomie des parties et à renforcer l’efficacité des accords exclusifs d’élection de for, visés aux considérants 15, 19 et 22 de ce règlement (arrêt du 9 octobre 2025, Cabris lnvestments, C‑540/24, EU:C:2025:766, point 43 et jurisprudence citée).
38 En effet, l’article 25 du règlement no 1215/2012 est fondé sur le principe de l’autonomie de la volonté des parties (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2020, DelayFix, C‑519/19, EU:C:2020:933, point 38) et c’est au nom de ce principe que l’accord de volontés entre les parties permet de justifier la primauté accordée au choix d’une juridiction autre que celle qui aurait été éventuellement compétente en vertu du règlement no 1215/2012 (voir, en ce sens, arrêt du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, point 26).
39 Or, le fait d’imposer une condition dans le droit national selon laquelle une convention attributive de juridiction n’est pas valide si le litige n’est pas lié à l’activité économique et professionnelle des parties contractantes contreviendrait à cette autonomie de la volonté des parties.
40 En outre, cette interprétation est conforme à la finalité du règlement no 1215/2012, qui vise, ainsi qu’il ressort notamment des considérants 4, 6, 15 et 16 de celui-ci, à unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale dans un instrument juridique de l’Union contraignant et directement applicable, par lequel le législateur de l’Union a voulu adopter des règles de compétence présentant un haut degré de prévisibilité et de transparence en vue de renforcer la sécurité juridique et de faciliter la bonne administration de la justice (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2025, Società Italiana Lastre, C‑537/23, EU:C:2025:120, point 38).
41 À cet égard, la Cour a itérativement jugé que, en vue de promouvoir ces objectifs, en particulier celui ayant trait à la sécurité juridique, il y a lieu de renforcer la protection juridique des personnes établies dans l’Union, en permettant à la fois au demandeur d’identifier facilement la juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2025, Società Italiana Lastre, C‑537/23, EU:C:2025:120, point 39 et jurisprudence citée).
42 Or, la sécurité juridique garantie par le règlement no 1215/2012 se trouverait compromise s’il était possible, pour un législateur national, d’instaurer des conditions supplémentaires de validité propres aux conventions attributives de juridiction et tenant notamment au lien existant avec le type d’activité des parties en cause.
43 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle posée que l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’une condition imposée par le droit national applicable dans l’État membre de la juridiction dont la compétence a été convenue entre des parties contractantes, selon laquelle une convention attributive de juridiction conclue entre personnes physiques n’est valide que si le litige en cause est lié à l’activité économique ou professionnelle de ces parties, ne relève pas d’une cause de « nullité quant au fond », au sens de cette disposition.
Sur les dépens
44 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
L’article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,
doit être interprété en ce sens que :
une condition imposée par le droit national applicable dans l’État membre de la juridiction dont la compétence a été convenue entre des parties contractantes, selon laquelle une convention attributive de juridiction conclue entre personnes physiques n’est valide que si le litige en cause est lié à l’activité économique ou professionnelle de ces parties, ne relève pas d’une cause de « nullité quant au fond », au sens de cette disposition.