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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 30 septembre 2025, n° 20/13086

PARIS

Arrêt

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

BARLOW

Conseillers :

LE VAILLANT, GHORAYEB

CA Paris n° 20/13086

29 septembre 2025

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie d'un recours en annulation formé par la Municipalité Métropolitaine de [Localité 3] (ci-après « MML ») contre une sentence arbitrale internationale rendue le 23 juin 2020 à [Localité 4] dans un litige l'opposant à la société péruvienne [Localité 3] Expresa S.A.C. (ci-après « Limex »), anciennement dénommée Línea Amarilla ou Lamsac, concernant la mise en 'uvre au Pérou d'un contrat de concession routière « Vía Expresa Línea Amarilla » dans la ville de [Localité 3], conclu le 12 novembre 2009 entre la ville de [Localité 3] et la société Limex, alors filiale de la société brésilienne Constructora O.A.S.

2. Le litige est né de difficultés relatives au calcul de l'augmentation des péages réclamée par la société Limex en exécution du contrat de concession et des différents avenants intervenus après la conclusion du contrat.

3. C'est dans ce contexte que la société Limex a introduit, le 27 juillet 2018, une procédure d'arbitrage auprès de la Chambre Arbitrale Internationale de [Localité 4] (ci-après la « CAIP ») en vertu de la convention d'arbitrage contenue dans le contrat de concession pour statuer sur le différend.

4. Au cours de la procédure d'arbitrage, la MML a opposé l'existence d'actes de corruption dont aurait profité la société Limex pour réfuter les prétentions de cette dernière.

5. Par sentence du 23 juin 2020, le tribunal arbitral a statué en ces termes :

a. Déclare qu'il est compétent en vertu du Contrat ;

b. Déclare que les demandes visées aux points c), d), e), h) et i) de la duplique et du R-EPA sont irrecevables dans la mesure où elles visent à obtenir une déclaration positive du Tribunal, et déclare que les demandes visées aux points j) et k) sont irrecevables ;

c. Rejette la prétention de LAMSAC de déclarer qu'il est correct d'appliquer la formule d'ajustement tarifaire prévue à l'article 9.9 du Contrat sur la base de 100% de la variation de l'IPC-Pérou ;

d. Déclare que la règle d'arrondi de l'article 9.8 du Contrat est applicable et, par conséquent, ordonne à la MML de continuer à exécuter le Contrat en arrondissant le tarif à la hausse à la dizaine de centimes de sol supérieure ;

e. Déclare que les dispositions du Procès-verbal de clôture de 2014 ont mis fin au litige relatif à la Compensation concernant les Évènements spéciaux et sont contraignantes et à caractère obligatoire pour les Parties et, par conséquent, ordonne à la MML de continuer à exécuter le Contrat comme convenu dans le Procès-verbal de clôture de 2014 ;

f. Rejette la prétention de LAMSAC d'ordonner à la MML de reconnaître les Compensations A1, A2 et A3 telles que définies dans les Procès-verbaux d'augmentation des tarifs ;

g. Déclare que la sanction imposée par INVERMET à LAMSAC le 30 octobre 2018 est injustifiée et ordonne à la MML de l'annuler ; déclare qu'il n'est pas approprié d'imposer des sanctions pour l'application du tarif comme décidé dans la Deuxième prétention et rejette, à la majorité, la Requête de LAMSAC visant à obtenir une déclaration selon laquelle il n'est pas approprié d'imposer des sanctions pour l'application du tarif tel que décidé dans la Première Prétention ;

h. Rejette la prétention de LAMSAC selon laquelle le tarif au 14 octobre 2018 devrait être fixé à 5,70 S/ et déclare que le tarif pour cette date aurait dû être 5,40 S/ ;

i. Rejette la prétention de LAMSAC pour le paiement d'intérêts sur le montant des Compensations A1, A2 et A3 ;

j. Déclare que la Décision au sujet des demandes de mesures conservatoires et la décision sur l'augmentation du tarif de péage à 5,80 S/ du 21 avril 2019 cessent de produire leurs effets après que cette sentence ait été rendue ;

k. Ordonne que chaque partie prenne en charge ses frais de représentation et 50% des frais de l'arbitrage, et donc que la MML rembourse 411 219, 30 euros à LAMSAC ;

l. Rejette toutes les autres demandes et défenses des Parties.

6. Par déclaration du 16 septembre 2020, MML a saisi la cour d'appel de Paris d'un recours en annulation contre cette sentence.

7. Parallèlement à cette première procédure d'arbitrage, MML a initié, le 6 novembre 2019, un second arbitrage sous l'égide de la CAIP aux fins d'annulation du contrat et des avenants. Ce tribunal arbitral a, dans une sentence partielle du 9 janvier 2023, considéré que « l'existence d'une corruption dans la négociation ou la signature du Contrat de concession n'a pas été établie ». Il a rendu une sentence rectificative le 24 juin 2024.

8. Par arrêt rendu dans la présente instance le 13 décembre 2022, la cour a ordonné la réouverture des débats, révoqué l'ordonnance de clôture en date du 20 septembre 2022, admis aux débats la décision de la Haute Cour nationale de justice pénale spécialisée du Pérou rendue le 12 septembre 2022 ainsi que son acte de transmission en date du 20 septembre 2022 et débouté MML de sa demande de sursis à statuer .

9. La clôture a été prononcée à nouveau le 4 mars 2025 et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 20 mai 2025.

II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES

10. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 octobre 2024, la Municipalité Métropolitaine de [Localité 3] demande à la cour, au visa de l'article 1520 du code de procédure civile, de bien vouloir :

- Annuler la sentence arbitrale rendue à [Localité 4] le 23 juin 2020 (CAIP n°3274)

- Condamner la société [Localité 3] Expresa S.A.C à verser à la Municipalité Métropolitaine de [Localité 3] la somme de 400 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la société [Localité 3] Expresa S.A.C aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL LEXAVOUE [Localité 4]-VERSAILLES.

11. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 novembre 2024, la société [Localité 3] Expresa S.A.C demande à la cour, au visa des articles 1520 et 1521 du code de procédure civile, de bien vouloir :

- Rejeter le recours en annulation formé par la Municipalité Métropolitaine de [Localité 3] ;

- Conférer l'exequatur à la sentence arbitrale rendue le 23 juin 2020, par les Professeurs [O] [F] [E], [B] [H] [C] et [P] [N] [Z] [Y] dans l'affaire CAIP n°3286 ;

- À défaut de conférer l'exequatur, de rappeler que le rejet du recours en annulation confère l'exequatur à ladite sentence, en application de l'article 1527 du Code de procédure civile ;

- Condamner la Municipalité Métropolitaine de [Localité 3] au paiement d'une somme de 450 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

12. Au soutien de son recours en annulation formé à l'encontre de la sentence arbitrale rendue à [Localité 4] le 23 juin 2020, MML se fonde sur un seul cas d'ouverture du recours prévu à l'article 1520, 5° du code de procédure civile au motif que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence serait contraire à l'ordre public international car elle donnerait effet à des actes de corruption d'agents publics qui auraient conduit à la conclusion du contrat de concession relatif au projet " Vía Expresa Línea Amarilla " du 12 novembre 2009, d'un protocole d'accord du 20 mai 2011, d'un avenant n°1 au contrat de concession du 13 février 2013, d'un procès-verbal de clôture de contestations du 20 octobre 2014, d'un avenant n°2 au contrat de concession du 2 octobre 2015 et d'un avenant n°3 au contrat de concession du 15 avril 2016.

13. MML fonde ses allégations d'actes de corruption notamment sur des déclarations « d'aspirants collaborateurs efficaces » obtenues dans le cadre d'une enquête pénale par les services du procureur en charge d'établir les actes d'accusation à l'issue de cette enquête.

14. La cour constate que ces contrats et déclarations sont rédigés dans une langue étrangère autre que l'anglais, en l'occurrence en langue espagnole, et que, à l'exception de l'avenant n°3 du 15 avril 2016 (pièce de la demanderesse n°F-18), leur production n'est accompagnée que de la traduction libre d'extraits.

15. En l'absence de remise d'une traduction intégrale de ces pièces, la cour n'est pas mise en mesure de procéder à une analyse complète de l'affaire et des moyens présentés par les parties, en demande comme en défense.

16. Par suite, en application des articles 6, 8, 16, 442 et 444 du code de procédure civile, il convient d'ordonner la réouverture des débats et d'inviter MML à remettre, par voie de communication de pièces entre avocats suivant bordereau, une traduction libre de ses pièces suivantes :

' F-9 : contrat de concession du 12 novembre 2009,

' F-14 : protocole d'accord du 20 mai 2011,

' F-15 : avenant n°1 au contrat de concession du 13 février 2013,

' F-16 : Procès-verbal de clôture du 20 octobre 2014,

' F-17 : Avenant n°2 au contrat de concession du 2 octobre 2015,

' F-25 : acte de transcription de la déclaration du collaborateur de justice n°130-2019 ([R] [D]) du 2 mai 2019,

' F-26 : acte de transcription de la déclaration du collaborateur de justice n°130-2019 ([R] [D]) du 24 juin 2019,

' F-28 : acte de transcription de la déclaration du collaborateur de justice n°12-2017 ([G] [S]) du 5 juin 2018,

' F-29 : acte de transcription de la déclaration du collaborateur de justice n°155-2019 ([A] [I]) du 25 septembre 2019,

' F-32 : acte de transcription de la déclaration du collaborateur de justice n°120-2019 du 2 mai 2019,

' F-33 : acte de transcription de la déclaration du collaborateur de justice n°110-2019 du 6 mai 2019,

' F-34 : acte de transcription de la déclaration du collaborateur de justice n°101-2019 du 3 mai 2019,

' F-49 : protocole d'accord du 7 mai 2010,

' F-58 : procès-verbal des accords n°1 du 21 août 2014,

' F-59 : procès-verbal des accords n°2 du 15 septembre 2014.

17. MML est également invitée à produire les annexes au protocole d'accord du 20 mai 2011 accompagnée d'une traduction libre intégrale.

18. Par ailleurs, la cour observe que MML l'a saisie de recours en annulation à l'encontre des sentences arbitrales rendues le 9 janvier 2023 (RG 24/15234) et le 24 juin 2024 (RG 24/15237) fondés sur le même grief et les mêmes moyens d'annulation qu'en l'espèce.

19. Pour une bonne administration de la justice, afin d'assurer une unité temporelle d'appréciation des moyens des parties au vu des pièces produites et d'éviter tout risque de disparité de solution, la cour juge indispensable que les trois recours en annulation actuellement pendants soient instruits et traités de conserve.

20. Il convient donc d'ordonner un renvoi de la présente instance à l'audience de mise en état du mardi 28 octobre 2025 à 13H00 afin qu'elle puisse suivre ensuite le même calendrier de clôture et plaidoirie déjà fixé en concertation avec les parties dans les instances RG 24/15234 et 24/15237.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Révoque l'ordonnance de clôture prononcée le 4 mars 2025,

2) Ordonne la réouverture des débats,

3) Invite la Municipalité Métropolitaine de [Localité 3] à produire une traduction libre de l'intégralité de ses pièces communiquées suivant bordereau joint à ses conclusions notifiées le 18 octobre 2024 sous les numéros F-9, F-14, F-15, F-16, F-17, F-25, F-26, F-28, F-29, F-32, F-33, F-34, F-49, F-58 et F-58,

4) Invite la Municipalité Métropolitaine de [Localité 3] à produire les annexes au protocole d'accord du 20 mai 2011 accompagnée d'une traduction libre intégrale,

5) Dit que l'instruction et le traitement du présent recours se feront de conserve avec ceux des recours en annulation inscrits au répertoire général sous les numéros 24/15234 et 24/15237,

6) Renvoie l'affaire et les parties à l'audience de mise en état du mardi 28 octobre 2025 à 13H00 pour fixation d'un calendrier de clôture et de plaidoirie identique à celui convenu dans les instances RG 24/15234 et 24/15237.

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