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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 21 octobre 2025, n° 22/15877

PARIS

Arrêt

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

BARLOW

Conseiller :

LE VAILLANT

CA Paris n° 22/15877

20 octobre 2025

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à Paris, le 1er août 2022, sous l'égide de la Cour d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans un litige opposant M. [R] [S] à la République du Kosovo.

2. Le différend à l'origine de cette sentence porte sur les conditions d'exploitation par M. [S], via la société Kosova Petrol, de stations de carburant au Kosovo, M. [S] revendiquant des manquements par la République du Kosovo à ses obligations en application de la Loi n° 04/L-220 sur les investissements étrangers du 24 janvier 2014.

3. M. [S] est un homme d'affaires né en ex-Yougoslavie sur le territoire du Kosovo. Il a acquis la nationalité croate en 1992 et la nationalité kosovare en 2010.

4. Le Kosovo est une ancienne région de l'ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie, rattachée, à partir de 1992, à l'État Serbe, intégré avec le Monténégro dans la République fédérale de Yougoslavie, à la suite de la disparition de la République fédérative socialiste de Yougoslavie.

5. Après des affrontements entre l'armée de la République fédérale de Yougoslavie et l'armée de libération du Kosovo, et une intervention de l'OTAN conduisant à une campagne de bombardements contre l'ancienne République fédérale de Yougoslavie, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté, le 10 juin 1999, la résolution 1244 mettant en place la Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (ci-après dénommée « UNMIK »).

6. À partir de cette date et jusqu'à l'indépendance du Kosovo en 2008, une série d'actes a été adoptée aux fins de l'administration provisoire du Kosovo, relatifs notamment à l'administration des biens et aux investissements étrangers :

- Règlement n° 1999/1 confiant à l'UNMIK les pouvoirs législatifs et exécutifs au Kosovo, y compris l'administration du pouvoir judiciaire, ainsi que l'administration des biens meubles et immeubles de la République fédérale de Yougoslavie et de la République de Serbie sur le territoire du Kosovo ;

- Règlement de l'UNMIK n° 2000/54 du 27 septembre 2000 modifiant le précédent et relatif à l'administration des biens meubles ou immeubles sur le territoire du Kosovo ;

- Règlement de l'UNMIK n° 1999/9 sur l'importation, le transport, la distribution et la vente de produits pétroliers pour et au Kosovo ;

- Règlement de l'UNMIK n° 2001/3 sur les investissements étrangers au Kosovo ;

- Règlement de l'UNMIK n° 2001/9 intitulé « Cadre constitutionnel de 2001 », relatif aux institutions provisoires d'administration autonome au Kosovo ;

- Règlement de l'UNMIK n° 2002/12 portant création de la Kosovo Trust Agency (Agence Fiduciaire du Kosovo ) ayant pour mission d'administrer les entreprises publiques et collectives et les actifs y relatifs, modifié par un règlement n° 2005/18 ;

- Règlement de l'UNMIK n° 2005/22 promulguant une nouvelle loi sur le pétrole et les produits pétroliers (loi n° 2004/5) ;

- Règlement de l'UNMIK n° 2006/28 portant promulgation de la Loi n° 02/L-33 sur les investissements étrangers.

7. Le 17 février 2008, le Kosovo a accédé à l'indépendance. Le 15 juin 2008, la Constitution du Kosovo était adoptée.

8. Une loi n° 04/L-220 sur les investissements étrangers a été promulguée le 30 décembre 2013 et publiée le 9 janvier 2014 (ci-après, la « LIE de 2014 »).

9. M. [S] et l'UNMIK ont entamé des discussions dès le mois de juillet 1999 en vue de la réhabilitation des stations de carburants au Kosovo, qui avaient été sévèrement touchées au cours de la campagne de bombardements.

10. Le 25 janvier 2000, après le lancement des travaux de remise en état des stations de carburants, l'UNMIK a octroyé une autorisation à M. [S], sous l'enseigne Kosova Petrol, aux fins de reprendre l'exploitation d'entreprises et de stations de carburants publiques (ci-après, « l'Autorisation de l'UNMIK»).

11. En vertu cette autorisation, M. [S], via son entreprise Kosova Petrol (ci-après « KP »), s'est vu octroyer le droit d'exploiter 61 stations de carburants désignées dans une annexe à cette autorisation.

12. En 2008, M. [S] et sa fille, [P] [S], devenue entretemps directrice exécutive de Kosova Petrol, ont initié une modernisation des stations de carburants et prévoyaient d'ouvrir une soixantaine de nouvelles stations de carburant.

13. Le 29 avril 2019, M. [S], invoquant de nombreuses difficultés dans l'exploitation des stations de carburants, a engagé une procédure d'arbitrage contre la République du Kosovo, sur le fondement de la LIE de 2014, considérant notamment avoir subi un « harcèlement » de la part de la République Kosovo, en raison de plusieurs événements ayant conduit à la dissipation de l'investissement :

- une campagne de dénigrement ;

- le refus de renouveler les licences par le ministère du commerce et de l'industrie ;

- une privation de recours contre la décision d'expropriation, sans compensation, portant sur la station de carburants « Pristina 1 » ;

- la mise en adjudication des stations de carburants exploitées par Kosova Petrol.

14. Par sentence du 1er août 2022, le tribunal arbitral a statué en ces termes :

' 644. In accordance with the above findings, the Tribunal unanimously :

a. DETERMINES that Mr. [S] is a qualified foreign investor for purposes of the 2014 LFI ;

b. DETERMINES that it has jurisdiction over Mr. [S]'s claims only to the extent that those claims (i) relate to rights that he continued to lawfully hold in the Republic of Kosovo following its independence in 2008, and (ii) challenge conduct attributable to the Republic of Kosovo that occurred after the 2014 LFI came into force ;

c. ACCORDINGLY, DETERMINES that it does not have jurisdiction in relation to claims (i) arising out of any rights that had ceased to exist prior to the Republic of Kosovo's independence, or (ii) alleging breach of the 2001 UNMIK Investment Regulation or the 2006 LFI; or (iii) arising out of the conduct of UNMIK rather than the Republic of Kosovo ;

d. DETERMINES that Mr. [S]'s claims are not inadmissible on the basis of any time-bar or fork-in-the road clause ;

e. DISMISSES on their merits all of Mr. [S]'s claims that Kosovo has breached its obligations under the 2014 LFI ;

f. ORDERS Mr. [S] to pay 75% of Kosovo's costs, without pre-Award interest; and accordingly,

g. AWARDS Kosovo a total of USD 1,477,165.38 and EUR 71,653.305 from Mr. [S], comprised of USD 1,302,165.38 and EUR 71,653.305 for Kosovo's costs and fees (excluding arbitration costs) and USD 175,000 for Kosovo's share of the costs of arbitration fixed by the ICC Court.

645. This Final Award, which is executed and will be transmitted to the Parties in the form agreed in the ToR, renders a final decision on all claims submitted in this arbitration. All claims not expressly granted in this Final Award are denied.'

Traduction proposée par la cour :

« 644. Conformément aux conclusions ci-dessus, le Tribunal, à l'unanimité :

a. DÉCIDE que M. [S] est un investisseur étranger qualifié aux fins de la Loi de 2014 ;

b. DÉCIDE qu'il est compétent pour connaître des demandes de M. [S] uniquement dans la mesure où ces demandes (i) concernent des droits qu'il a continué à détenir légalement dans la République du Kosovo après son indépendance en 2008, et (ii) contestent un comportement attribuable à la République du Kosovo qui s'est produit après l'entrée en vigueur de la Loi 2014 ;

c. PAR CONSÉQUENT, DÉCIDE qu'il n'est pas compétent pour les demandes (i) découlant de droits qui ont cessé d'exister avant l'indépendance de la République du Kosovo, ou (ii) alléguant une violation du Règlement d'investissement de l'UNMIK de 2001 ou de la Loi de 2006 ; ou (iii) découlant du comportement de l'UNMIK plutôt que de celui de la République du Kosovo ;

d. DÉCLARE que les demandes de M. [S] ne sont pas irrecevables sur la base d'une quelconque clause de prescription ou de fork-in-the-road ;

e. REJETTE sur le fond toutes les demandes de M. [S] selon lesquelles le Kosovo a violé ses obligations au titre de la Loi de 2014 ;

f. CONDAMNE M. [S] à payer 75 % des dépens du Kosovo, sans intérêts pré-sentence ; et en conséquence,

g. OCTROIE au Kosovo un total de 1.477.165,38 USD et 71 653,305 EUR, à payer par M. [S], comprenant 1.302.165,38 USD et 71.653,305 EUR pour les frais et honoraires du Kosovo (à l'exclusion des frais d'arbitrage) et 175.000 USD pour la part du Kosovo pour les frais d'arbitrage fixés par la Cour de la CCI.

645. La présente sentence finale, qui est exécutée et sera transmise aux parties sous la forme convenue dans les ToR, rend une décision finale sur toutes les demandes soumises dans le cadre de cet arbitrage. Toutes les demandes qui ne sont pas expressément accordées dans la présente sentence finale sont rejetées. »

15. M. [S] a formé un recours en annulation contre cette sentence devant la cour de céans le 1er septembre 2022.

16. La clôture a été prononcée le 20 mai 2025 et l'affaire appelée à l'audience du 2 juin 2025 au cours de laquelle les parties ont été entendues en leurs plaidoiries.

II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES

17. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 avril 2025, M. [S] demande à la cour, au visa des articles 700 et 1520 du code de procédure civile et de la loi n° 04/L-220 sur les investissements étrangers adoptée le 12 décembre 2013 par l'Assemblée du Kosovo, et entrée en vigueur le 24 janvier 2014, de bien vouloir :

- Annuler la sentence rendue à Paris le 1er août 2022 sous l'égide de la Cour internationale de la Chambre de commerce internationale, par le tribunal arbitral composé de M. [I] [C] [V], arbitre président, et de Messieurs [Z] [L] [T] et [K] [O], co-arbitres de ces chefs suivants uniquement :

o « b. DIT qu'il n'est compétent à l'égard des prétentions de M. [S] que dans la mesure où ces demandes (i) portent sur des droits qu'il a continué à détenir légalement dans la République du Kosovo après son indépendance en 2008, et (ii) contestent un comportement imputable à la République du Kosovo qui a eu lieu après l'entrée en vigueur de la LIE de 2014 ; »

o « c. DECIDE EN CONSEQUENCE qu'il n'a pas compétence en ce qui concerne les demandes (i) découlant de droits qui avaient cessé d'exister avant l'indépendance de la République du Kosovo, ou (ii) alléguant une violation du Règlement de la MINUK de 2001 sur les investissements ou de la LIE de 2006 ; ou (iii) découlant du comportement de la MINUK plutôt que de la République du Kosovo ; »

o « e. REJETTE sur le fond toutes les demandes de M. [S] selon lesquelles le Kosovo aurait violé ses obligations au titre de la LIE de 2014 ; »

o « f. CONDAMNE M. [S] à payer 75 % des dépens du Kosovo, sans intérêt préalable à la Sentence ; »

o « g. ACCORDE au Kosovo un total de 1 477 165,38 USD et 71 653 305 EUR de M. [S], comprenant 1 302 165,38 USD et 71 653 305 EUR pour les frais et honoraires du Kosovo (à l'exclusion des frais d'arbitrage) et 175 000 USD pour la part du Kosovo dans les frais d'arbitrage fixés par la Cour de la CCI » ;

- Condamner la République du Kosovo aux entiers dépens ;

- Condamner la République du Kosovo à verser à Monsieur [S] la somme de 120.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

18. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 mai 2025, la République du Kosovo demande à la cour, au visa des articles 700 et 1520 du code de procédure civile, de bien vouloir :

- REJETER le recours en annulation formé par Monsieur [R] [S] contre la sentence arbitrale rendue le 1er août 2022 sous l'égide la Chambre de commerce internationale, par le tribunal arbitral composé de Mme [I] [W], [V], arbitre président, et de Messieurs [Z] [L] [T] et [K] [O], co-arbitres ;

- DEBOUTER Monsieur [R] [S] de sa demande de condamnation de la République du Kosovo au paiement de 120.000 euros au titre des frais de la procédure et des entiers dépens ;

- CONDAMNER Monsieur [R] [S] aux entiers dépens de l'instance et au versement de la somme de 120.000 euros à la République du Kosovo sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

19. La cour renvoie à ces conclusions pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

III/ EXAMEN DES DEMANDES

A. Sur le moyen unique d'annulation tiré de ce que le tribunal se serait à tort déclaré incompétent

i. Position du demandeur

20. M. [S] soutient que le tribunal arbitral s'est à tort déclaré incompétent, en faisant valoir que :

S'agissant de l'étendue du contrôle du juge de l'annulation :

- En matière de protection des investissements, la compétence du tribunal arbitral est appréciée au regard des dispositions de l'instrument invoqué relatives à la résolution des différends et contenant l'offre d'arbitrer de l'État d'accueil au profit de l'investisseur et le consentement à l'arbitrage de l'État s'exprime dans la clause de règlement des différends prévue par l'instrument de protection des investissements, au regard des définitions que ce dernier donne à l'investisseur et à l'investissement, en évitant d'y ajouter des conditions ;

- Pour la Cour de cassation, la question de la compétence arbitrale, en matière de protection des investissements transnationaux, doit être réglée, par le juge du contrôle des sentences, autant que par l'arbitre, au regard des seules conditions énoncées dans la clause de règlement des différends concernant l'investisseur et l'investissement, à l'exclusion de toute autre disposition du traité, notamment celle relative à la détermination du champ d'application du traité ;

- Le contrôle de la compétence accordée aux arbitres s'effectue :

o sur une décision qui déclare le tribunal arbitral compétent ou incompétent ;

o au regard des seules conditions posées par le droit français de l'arbitrage, qui s'appliquent également dans le contexte de sentences arbitrales rendues sur le fondement de traités de protection des investissements, en tenant compte de tous les aspects factuels et juridiques sur lesquels repose la question de la compétence ;

o sur la base du consentement donné à l'arbitrage résultant de l'acceptation d'une offre d'arbitrage formulée par l'État aux termes de l'instrument de protection des investissements ;

o à partir des seules énonciations de la clause contenue dans l'instrument de protection des investissements énonçant l'offre d'arbitrer les litiges entre l'investisseur et l'État, appréciées à l'aune des définitions de l'investissement et de l'investisseur données par cet instrument (1re Civ., 7 déc. 2022, n°21-15.390, Oschadbank) ;

o indépendamment de l'applicabilité du traité dans la mesure où aucune restriction temporelle n'est prévue par la définition de l'investissement, ni aucun délai pour l'introduction de la demande d'arbitrage ;

- Contrairement à ce que soutient le Kosovo, le tribunal arbitral ne s'est pas prononcé sur le fondement de l'article 20 de la Loi de 2014, ni pour déterminer le domaine d'application, de la Loi de 2014, ni pour statuer sur la compétence, mais sur les articles 16 et 2.1.4 de la Loi de 2014, relatifs à l'offre d'arbitrage et aux notions d'investisseur et d'investissement, l'article 20 de la Loi de 2014, régissant son applicabilité, ayant seulement permis au tribunal arbitral de conforter son interprétation séquencée des termes de l'offre d'arbitrage résultant de l'article 16 compris à l'aune des définitions établies à l'article 2. Il s'ensuit que la cour peut procéder au contrôle de la sentence.

S'agissant de l'appréciation de sa compétence par le tribunal arbitral :

- La sentence méconnaît l'engagement du Kosovo de se soumettre à l'arbitrage en ajoutant aux conditions prévues par l'offre d'arbitrer aux motifs que :

o En retenant que la définition de l'investissement comporte une exigence temporelle implicite selon laquelle l'actif doit être détenu légalement dans la République du Kosovo pour exclure du champ d'application de la Loi de 2014 les investissements antérieurs à l'indépendance qui n'étaient plus considérés comme valides une fois l'indépendance proclamée, le tribunal arbitral a effectué une interprétation conduisant à ajouter un critère ratione temporis non prévu par la Loi de 2014 ;

o En dépit de la définition très générale du différend relatif à un investissement prévue à l'article 2.1.19, le tribunal arbitral s'est écarté de ces termes pour se livrer à une interprétation des intentions du législateur au regard de l'ensemble de la Loi de 2014 dans ses rapports avec la Loi de 2006 et exclure les demandes au titre de la violation de la LIE de 2006 ;

o Le tribunal a détourné la condition d'un bien « légalement détenu », prévue par la loi de 2014, en exigeant que l'investisseur revendique des actifs détenus en vertu d'un titre en vigueur au moment de l'indépendance du Kosovo : ce faisant, il conduit à rendre inarbitrable toute demande fondée sur un actif dont le titre d'exploitation est venu à expiration ou a été révoqué ou refusé avant l'indépendance du Kosovo et prive la juridiction arbitrale de toute appréciation de la légalité du comportement de l'État lorsque c'est lui qui accorde le titre, comme c'est souvent le cas ; la cour d'appel de Paris a d'ailleurs déjà énoncé que la question de la légalité n'était pas une question de compétence, mais relevait de la protection au fond ;

o Le tribunal a opéré un tri en fonction de la nature des actes à l'origine des demandes pour en conclure que le Kosovo n'avait pas accepté d'assumer d'obligations en vertu de l'Autorisation de la MINUK, ajoutant ainsi un critère ratione instrumenti non prévue par la Loi de 2014 ;

o En exigeant la démonstration d'un lien entre les dépenses en capital et un bien éligible pour refuser de qualifier ces dépenses d'investissement au sens de la Loi de 2014, le tribunal a encore ajouté une condition non prévue par la Loi de 2014 ;

- S'agissant de l'argument du Kosovo selon lequel l'engagement d'un État ne saurait être rétroactif en droit international, le droit français de l'arbitrage international exclut l'application d'un principe de non-rétroactivité pour le contrôle du consentement de l'État à un arbitrage en matière de protection des investissements transnationaux, M. [S] relevant qu'en tout état de cause l'application de l'article 16 en l'espèce n'est pas rétroactive ;

S'agissant de la compétence du tribunal arbitral :

- M. [S] justifie avoir soumis un différend relatif à un investissement au tribunal arbitral, conformément à l'article 16 de la Loi de 2014, en lui soumettant un litige né ou lié à un investissement au sens de l'article 2 paragraphe 1.4 et dès lors que :

o L'Autorisation UNMIK constitue un investissement au sens de l'article 16 de la Loi de 2014, étant souligné qu'elle n'a jamais été révoquée ;

o Les dépenses effectuées pour la rénovation ou la modernisation des stations de carburants constituent également un investissement, la loi de 2014 n'excluant pas les fonds investis.

21. La République du Kosovo répond que l'étendue du contrôle de la compétence du tribunal arbitral par la cour de céans doit conduire au rejet du recours en annulation, dès lors que :

- Le tribunal arbitral, dans sa sentence, s'est fondé sur l'article 20 de la LIE de 2014 pour définir les contours de l'étendue de sa compétence, qui porte exclusivement sur la rétroactivité des dispositions de fond de ladite loi et de son application à des investissements antérieurs à son entrée en vigueur ;

- En application de la jurisprudence Oschadbank de la Cour de cassation, l'appréciation par le tribunal arbitral de l'application d'une disposition relative à la rétroactivité d'un traité bilatéral d'investissement, telle que l'article 20 de la Loi de 2014, ne peut pas faire l'objet d'une révision par le juge de l'annulation ;

- Contrairement à ce que soutient M. [S], le tribunal arbitral a souhaité interpréter l'article 2.1.4 sur la définition de l'investissement au regard de l'article 20 de LIE de 2014, de sorte qu'une telle interprétation sort du champ de l'étendue du contrôle de la compétence du tribunal arbitral par le juge saisi d'un recours en annulation.

22. Si la cour devait considérer qu'il entre dans son office de contrôler la décision du tribunal arbitral sur la compétence, la République du Kosovo soutient qu'en tout état de cause le tribunal arbitral s'est, à raison, déclaré incompétent, pour les motifs suivants :

- La République du Kosovo n'acquiert la personnalité juridique internationale qu'à partir de son indépendance et tout fait antérieur à son indépendance du Kosovo ne lui est pas imputable dès lors que :

o En application des principes de droit international (article 13 des Articles sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite), le principe selon lequel, pour que l'État soit tenu responsable de la violation d'une obligation internationale, il faut qu'il soit lié par celle-ci au moment où le fait se produit ;

o Le Kosovo n'était lié par aucune obligation internationale avant sa déclaration d'indépendance du 17 février 2008, sauf pour les obligations internationales qu'il a acceptées d'assumer ;

o Conformément à l'article 145 de la Constitution adoptée par la République du Kosovo après son indépendance, celle-ci accepte néanmoins d'assumer les obligations internationales et la législation qui seraient en vigueur à la date d'entrée en vigueur de la Constitution, à la condition que ces obligations internationales ou législations en cours n'aient pas été remplacées par des actes adoptés ultérieurement par la République du Kosovo ;

o En application du droit international, la conduite de l'UNMIK ne saurait être attribuable à la République du Kosovo , de sorte que la législation et les obligations internationales édictées sous l'égide de l'UNMIK et encore en vigueur, telle que la Loi de 2006, sont assumées par le Kosovo après son indépendance ce que le Règlement de l'UNMIK n° 1999/1 avait lui-même prévu ;

- Le consentement de la République du Kosovo à l'arbitrage n'existe et ne lie le Kosovo qu'à compter de l'entrée en vigueur de la LIE de 2014, dès lors que M. [S], demandeur à l'arbitrage, ne démontre pas le consentement clair et non équivoque de la République du Kosovo à une application rétroactive de ses obligations en vertu de ladite loi ;

- Le tribunal arbitral a correctement statué sur sa compétence en retenant que la protection de la LIE de 2014 s'étend aux investissements effectués avant l'indépendance de la République du Kosovo uniquement s'ils continuent à être légalement détenus après cette indépendance dès lors que :

o Le tribunal arbitral a justement précisé que la référence à des biens légalement détenus n'exige pas que la personne étrangère respecte parfaitement toutes les conditions d'un bail, d'une concession, d'une licence ou d'un contrat, qui pourraient être pertinentes s'agissant du fond du litige, mais que le statut d'investisseur est accordé en vertu de l'article 2.1.4 dès lors que le mécanisme d'autorisation de la détention reste valablement en vigueur, en ce sens qu'il n'a pas été révoqué, résilié ou invalidé ;

o Comme le relève le tribunal arbitral, l'article 2.1.4 et l'article 20 peuvent aisément être lus ensemble, l'article 20 faisant bénéficier les protections de loi de 2014 aux investissements réalisés entre 2008 et 2014, tandis qu'en vertu de l'article 2.1.4, les investissements réalisés avant 2008 ne seraient couverts que dans la mesure où ils ont continué à être légalement détenus dans la République du Kosovo à partir de 2008, en vertu de ses lois ;

o M. [S] se trompe dans l'interprétation donnée par le tribunal arbitral à la légalité de l'investissement : ce n'est pas tant l'appréciation de la licéité de l'investissement que le tribunal a définie mais plutôt la continuité de la licéité après la naissance de la République du Kosovo d'un investissement effectué avant la naissance de l'État. A aucun moment le tribunal n'énonce que le maintien d'un titre en vigueur est une condition pour que l'investissement soit protégeable ;

o Le consentement à l'arbitrage de la République du Kosovo ne s'applique que pour les différends qui naissent à compter de l'entrée en vigueur de la LIE de 2014.

- M. [S] se devait de justifier, pour tout investissement effectué avant l'indépendance de la République du Kosovo, d'un investissement qui continuait d'être légalement détenu à cette date pour qu'il puisse bénéficier de la protection de la Loi de 2014, de sorte que le tribunal arbitral a correctement décidé que M. [S] ne justifiait pas d'un investissement au sens de la loi de 2014, l'Autorisation provisoire accordée par l'UNMIK ayant été résiliée au mois de décembre 2001 et ayant été, en tout état de cause, abrogée avec l'entrée en vigueur de la Loi de 2005 sur le pétrole ;

- Les dépenses de capital prétendument effectuées par M. [S] ne constituent pas un investissement au sens de la Loi de 2014 dans la mesure où M. [S] n'apporte aucun élément de preuve au soutien de ses allégations et, en tout état de cause, ces dépenses ne sauraient être considérées comme un investissement protégeable indépendamment d'un actif éligible.

ii. Appréciation

23. L'article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.

24. Pour l'application de ce texte, il appartient au juge de l'annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage.

25. En matière de protection des investissements transnationaux, le consentement de l'État à l'arbitrage procède de l'offre permanente d'arbitrage formulée dans un traité, adressée à une catégorie d'investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu'il définit.

26. Il en va de même lorsque l'offre est formulée par une loi nationale de protection des investissements étrangers.

27. Le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l'annulation n'ayant à se prononcer ni sur la recevabilité des demandes, ni sur leur bienfondé.

28. En l'espèce, la demande d'arbitrage de M. [S] est fondée sur la loi n° 04/L-220 sur les investissements étrangers (LIE) de 2014.

29. L'offre d'arbitrage est prévue à l'article 16 de ce texte, dénommé « Mechanisms for the Resolution of Investment Disputes » (« Mécanisme de résolution des différends »), aux termes duquel :

'1. A foreign investor shall have the right to require that an investment dispute be resolved in accordance with any applicable requirements or procedures that have been agreed upon in writing between the foreign investor and the Republic of Kosovo.

2. In the absence of such an agreed procedure, a foreign investor shall have the right to require that the investment dispute be settled either through litigation before a court of competent jurisdiction in the Republic of Kosovo or through local and international arbitration. The foreign investor may choose any of the following procedural rules to govern the arbitration of the investment dispute:

2.1. the ICSID Convention, if the foreign investor is a citizen of a foreign country and that country and the Republic of Kosovo are both parties to that convention at the time of the submission of the request for arbitration;

2.2. the ICSID Additional Facility Rules, if the jurisdictional requirements "ratione personae" of Article 25 of the ICSID Convention are not fulfilled at the time of the submission of the request for arbitration;

2.3. the UNCITRAL Rules, in such case the appointing authority referred to therein shall be the Secretary General of ICSID; or

2.4. the ICC Rules.

3. The consent of the Republic of Kosovo to the submission of an Investment Dispute for arbitration under this Article is hereby given under the authority of the present law. The consent of the foreign investor may be given at any time either by filing a request for arbitration or by providing to the Agency a written statement expressing such consent.

4. The consents referenced above shall be deemed to satisfy the requirements for the forms of consent under Chapter II of the ICSID Convention, the ICSID Additional Facility Rules, the UNCITRAL Rules, the ICC Rules, as well as the New York Convention. In particular, if an arbitral award is issued by a foreign or international arbitration body under a procedure authorized by this Article, such award shall be enforceable in accordance with law applicable to arbitration and the enforcement of foreign arbitral awards.

5. Unless the concerned foreign investor and the Republic of Kosovo agree otherwise in writing, any arbitration under the present law shall be held in an EU member country that is also a party to the New York Convention'

Traduction proposée par la cour :

« 1. Un investisseur étranger a le droit d'exiger qu'un différend relatif à un investissement soit réglé conformément à toute exigence ou procédure applicable convenue par écrit entre l'investisseur étranger et la République du Kosovo.

2. En l'absence d'une telle procédure agréée, un investisseur étranger a le droit d'exiger que le différend relatif à un investissement soit réglé soit par voie de procès devant un tribunal compétent de la République du Kosovo, soit par voie d'arbitrage local et international. L'investisseur étranger peut choisir l'une des règles de procédure suivantes pour régir l'arbitrage du différend relatif à un investissement :

2.1. la Convention CIRDI, si l'investisseur étranger est un citoyen d'un pays étranger et que ce pays et la République du Kosovo sont tous deux parties à cette convention au moment du dépôt de la demande d'arbitrage ;

2.2. le Règlement du Mécanisme supplémentaire du CIRDI, si les exigences juridictionnelles " ratione personae " de l'article 25 de la Convention CIRDI ne sont pas remplies au moment du dépôt de la demande d'arbitrage ;

2.3. le Règlement de la CNUDCI, auquel cas l'autorité de nomination qui y est visée est le Secrétaire général du CIRDI ; ou

2.4. le Règlement de la CCI.

3. Le consentement de la République du Kosovo à soumettre à l'arbitrage un Différend relatif à un Investissement en vertu du présent article est ici donné sous l'autorité de la présente loi. Le consentement de l'investisseur étranger peut être donné à tout moment, soit en déposant une demande d'arbitrage, soit en remettant à l'Agence une déclaration écrite exprimant ce consentement.

4. Les consentements susmentionnés sont réputés satisfaire aux exigences des formes de consentement prévues par le Chapitre II de la Convention CIRDI, le Règlement du Mécanisme supplémentaire CIRDI, le Règlement de la CNUDCI, le Règlement de la CCI, ainsi que la Convention de New York. En particulier, si une sentence arbitrale est rendue par un organe d'arbitrage étranger ou international en vertu d'une procédure autorisée par le présent article, cette sentence est exécutoire conformément à la loi applicable à l'arbitrage et à l'exécution des sentences arbitrales étrangères.

5. À moins que l'investisseur étranger concerné et la République du Kosovo n'en conviennent autrement par écrit, tout arbitrage prévu par la présente loi aura lieu dans un pays membre de l'UE qui est également partie à la Convention de New York. »

30. L'article 2 de la LIE de 2014, consacré aux définitions, définit l'investissement dans les termes suivants :

' 1.4. Investment - any asset owned or otherwise lawfully held by a Foreign Person in the Republic of Kosovo for the purpose of conducting lawful commercial activities, including but not limited to:

1.4.1. movable and immovable property, including rights in and to such property such as a mortgage, lien, pledge, lease or servitude;

1.4.2. intangible and intellectual property, including rights in such property, as well as goodwill, technical processes and knowledge;

1.4.3. cash, securities, commercial paper, guarantees, shares of stock or other types of ownership interests in the Republic of Kosovo or foreign business organization, bonds, debentures; other debt instruments

1.4.4. Claims or rights to money, goods, services, and performance under contract;

1.4.5. concessions or licenses conferred by law, administrative act or contract and

1.4.6. returns yielded by an investment in the Republic of Kosovo or an investment elsewhere.'

Traduction proposée par la cour :

« 1.4. Investissement - tout actif dont une Personne Etrangère est propriétaire ou qu'elle détient légalement en République du Kosovo aux fins d'exercer des activités commerciales légales, notamment :

1.4.1. des biens meubles ou immeubles, en ce compris des droits à ou sur ces biens tels qu'une hypothèque, un privilège, un gage, une location ou une servitude ;

1.4.2. des biens incorporels ou droits de propriété intellectuelle, en ce compris des droits sur ces biens ainsi que le goodwill , les procédés techniques et le savoir-faire ;

1.4.3. du numéraire, des sûretés, des titres de créances négociables, des garanties, des actions ou autres types de droits de propriété dans une structure commerciale en République du Kosovo ou à l'étranger, des obligations, débentures ou autre instruments de dette ;

1.4.4. des créances ou droits à des sommes d'argent, biens, services, ou à exécution d'un contrat ;

1.4.5. des concessions or licences accordés par la loi, un acte administrative ou un contrat et

1.4.6. le rendement d'un investissement en République du Kosovo ou ailleurs. »

31. L'article 2 § 1.19 définit par ailleurs les termes « Foreign Investment Dispute » (Différend relatif à un Investissement Etranger) comme tout litige ou action né d'un investissement étranger ou qui y est relatif (« Any dispute or claim arising from a foreign investment or that is related to it. »).

32. Aux termes de l'article 20 relatif à l'application de la LIE aux investissements préexistants (« Application to Pre-existing Investments ») :

' The present law - and the rights, guarantees, privileges and protections established by the present law - shall apply equally to foreign investors that invested in the Republic of Kosovo prior to the effective date of this law.'

Traduction proposée par la cour :

« La présente loi - et les droits, garanties, privilèges et protections établis par la présente loi - s'appliqueront également aux investisseurs étrangers qui ont investi en République du Kosovo avant la date d'entrée en vigueur de cette loi. »

33. Dans le cadre ainsi défini, M. [S] a initié une procédure d'arbitrage à l'encontre de la République du Kosovo, aux motifs que celle-ci aurait manqué aux obligations auxquelles elle est tenue en vertu de la LIE de 2014, l'ensemble de ces manquements affectant selon lui les droits d'exploiter des stations-service et d'exercer une activité de commerce de pétrole, qu'il détiendrait en vertu de l'Autorisation de l'UNMIK.

34. Il considère que le tribunal arbitral a fondé sa déclaration d'incompétence sur la seule interprétation de la notion d'investissement au sens de la LIE de 2014 et lui fait grief d'avoir , à tort, ajouté à la notion d'investissement des critères et conditions non prévus par la LIE de 2014 en retenant une interprétation conduisant à exclure les investissements antérieurs à l'indépendance du Kosovo qui n'étaient plus valides ou qui n'étaient plus détenus en vertu d'un titre en vigueur à cette date et les demandes au titre de la violation de la LIE de 2006.

35. L'article 2.1.4 de la LIE de 2014 conditionne la qualification d'investissement et, partant, l'éligibilité des actifs à la protection offerte par la loi de protection des investissements, à une condition de légalité de leur détention en République du Kosovo, le même article imposant en outre que ces actifs soient détenus aux fins de conduire des activités commerciales légales (« for the purpose of conducting lawful commercial activities »). Ce texte pose donc une double condition de légalité : la légalité du droit sur l'actif considéré et celle de l'activité commerciale que ledit actif permet de conduire.

36. L'article 20 de la loi sur les investissements étrangers de 2014 étend quant à lui la protection de la loi aux investissements désignés comme « préexistants », c'est-à-dire réalisés en République du Kosovo avant son entrée en vigueur. Elle régit donc l'application de la loi sur la protection des investissements dans le temps.

37. En ce qu'elle requiert de déterminer si la loi sur les investissements étrangers exige une continuité dans la légalité de la détention des actifs ou une condition de légalité de cette détention à la date de l'indépendance du Kosovo, la question de la légalité de l'investissement et de l'activité commerciale rejoint en l'espèce, sans se confondre avec elle, celle de savoir si la République du Kosovo est tenue d'accorder la protection offerte par la LIE de 2014 au titre d'investissements antérieurs à son entrée en vigueur, d'une part, et à son indépendance, d'autre part.

38. L'application de la LIE de 2014 dans le temps, qui implique en particulier d'apprécier la portée des dispositions de l'article 20 de la LIE de 2014 précité, sur lequel, contrairement à ce qu'affirme M. [S], s'est notamment fondé le tribunal arbitral dans sa sentence, échappe au contrôle de la cour, s'agissant, non pas d'une condition tenant à l'offre d'arbitrage, mais d'une condition de fond relative à l'applicabilité de la LIE de 2014.

39. La cour relève à cet égard que le tribunal arbitral, pour se déclarer incompétent, a combiné l'application des articles 2.1.4 et 20 précités, en retenant :

- dans sa motivation, que la LIE de 2014 « étendait la protection (a) aux investissements réalisés avant l'indépendance sur le territoire du Kosovo, mais uniquement, si ceux-ci continuaient d'être légalement détenus dans la République du Kosovo après son indépendance en 2008 (Article 2.1.4) et (b) aux investissements réalisés après l'indépendance qui étaient légalement détenus dans la République du Kosovo, même s'ils étaient antérieurs à l'entrée en vigueur de la LIE de 2014 (Article 20) » (sentence arbitrale § 419) ;

- dans son dispositif, sa compétence pour connaître des demandes de M. [S] uniquement dans la mesure où ces demandes (i) concernent des droits qu'il a continué à détenir légalement dans la République du Kosovo après son indépendance en 2008, et (ii) contestent un comportement attribuable à la République du Kosovo qui s'est produit après l'entrée en vigueur de la Loi 2014.

40. Ainsi, sous couvert de faire grief au tribunal arbitral d'avoir ajouté des critères de compétence non prévus par l'offre d'arbitrage, M. [S] entend en réalité obtenir une révision de l'appréciation portée par le tribunal arbitral sur l'application de la LIE dans le temps, qu'il n'appartient pas au juge de l'annulation de contrôler.

41. De la même manière, s'agissant du grief tiré de ce que le tribunal arbitral aurait ajouté un critère de compétence ratione instrumenti à l'offre d'arbitrage, M. [S] critique l'analyse faite par le tribunal arbitral de l'obligation de la République du Kosovo d'assumer les engagements pris à la période de l'administration de l'UNMIK (Développements intitulés « Attribution of UNMIK Conduct, Obligations and Liability », §386 à 398 de la sentence). Cette question relève par construction de l'application de la loi sur les investissements étrangers dans le temps, puisqu'elle concerne la portée de l'obligation de la République du Kosovo de protéger les investissements réalisés pendant la période d'administration du territoire par la MINUK, avant l'indépendance du Kosovo en 2008 et l'entrée en vigueur de la LIE.

42. M. [S] soutient enfin avoir dépensé plusieurs millions d'euros dans un projet de rénovation et de modernisation des installations des stations de carburants et reproche au tribunal arbitral de s'être, à tort, déclaré incompétent s'agissant de ces dépenses de capital en ajoutant une condition de lien entre une dépense et un investissement.

43. Toutefois, si une dépense peut constituer un investissement au sens de la LIE, c'est nécessairement la destination de ces sommes qui permet de caractériser la détention légale d'un actif au Kosovo, laquelle conditionne la protection de la LIE. M. [S] est donc mal fondé à reprocher au tribunal arbitral d'avoir ajouté une condition à la LIE en exigeant qu'il soit démontré que les fonds étaient destinés à la rénovation d'un bien éligible au sens de la LIE (§357 de la sentence).

44. En tout état de cause, M. [S] ne produit au soutien de son allégation qu'une attestation de sa fille, dirigeante de Kosova Petrol à compter de 2008, qui décrit l'historique et l'évolution du projet de rénovation et de modernisation des stations de carburant (pièce demandeur au recours n° 53), sans précision quant au montant ni à la destination des dépenses. Il n'établit pas, ce faisant, l'existence de dépenses constituant un investissement au sens de la LIE, distinctes de l'activité au titre de laquelle il sollicite la protection de la LIE, et pour laquelle le tribunal s'est déclaré incompétent pour des motifs échappant au contrôle du juge de l'annulation.

45. Le moyen unique d'annulation tiré de ce que le tribunal arbitral se serait déclaré à tort incompétent sera en conséquence rejeté.

Sur les frais du procès

46. M. [S] sera condamné aux dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la demande qu'il forme au titre des frais irrépétibles étant rejetée.

47. Il sera en outre condamné à payer à la République du Kosovo la somme de 120 000 euros en application de l'article 700 du même code.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Rejette le recours en annulation formé par Monsieur [R] [S] contre la sentence arbitrale rendue le 1er août 2022 sous l'égide de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire n° 24443/MHM/HBH ;

2) Rappelle qu'en application de l'article 1527 du code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l'exequatur à la sentence arbitrale ;

3) Condamne Monsieur [R] [S] aux dépens ;

4) Le condamne à payer à la République du Kosovo la somme de cent vingt mille euros (120 000 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile.

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