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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 28 octobre 2025, n° 23/16145

PARIS

Arrêt

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

BARLOW

Conseiller :

LE VAILLANT

CA Paris n° 23/16145

27 octobre 2025

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à [Localité 8], le 23 août 2023, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans une affaire CCI n°25367/DDA/AZO/SP opposant la République Gabonaise, la société gabonaise Clean Africa, la Commune de [Localité 6] et la Commune d'[Localité 2] (ci-après « les Demanderesses ») à la société Averda Environmental Services Gabon S.A (ci-après « Averda Gabon »).

2. Le différend à l'origine de cette sentence porte sur la mise en 'uvre de trois contrats relatifs à la fourniture, par Averda Gabon, de services de gestion des déchets et de nettoyage des voies et espaces publics (« les Contrats ») : un accord-cadre et un contrat complémentaire, conclus entre les parties le 29 décembre 2014, et un accord de sous-traitance signé par Averda Gabon et Clean Africa le 26 décembre 2014.

3. Les Contrats ont été exécutés de 2015 à 2019.

4. Averda Gabon a suspendu ses services à compter du 1er août 2019, alléguant des retards de paiement.

5. Le 5 juin 2020, Averda Gabon a engagé une procédure d'arbitrage devant la Chambre de commerce internationale sur le fondement de la clause compromissoire insérée dans les Contrats.

6. Par sentence du 23 août 2023, le tribunal arbitral a statué en ces termes :

« Par ces motifs, le Tribunal arbitral :

Sur les demandes procédurales relatives à l'accusation de fraude procédurale :

- REJETTE comme non fondée la demande des Défenderesses visant à juger irrecevable la demande d'arbitrage d'Averda Gabon et, en conséquence, à débouter Averda Gabon de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- DECLARE recevable la demande d'arbitrage d'Averda Gabon.

Sur la recevabilité de certaines pièces factuelles produites par les Défenderesses :

- DECLARE recevables les Pièces R-29, R-30, R-31, R-32, R-86, R-87, R-88, R-102, R-103, R-103, R-104, R-105, R-106, R-107, R-112, R-113, R-114, R-115 et R-116 ainsi que les Pièces FL 1.1.1. à PL 1.9.7.2, les deux attestations de témoins de MM. [J] et [B] ainsi que leurs interrogatoires à l'Audience du 29 mars 2022.

- PREND ACTE de la réserve de droits de la Demanderesse s'agissant du rejet de sa demande d'irrecevabilité des pièces R-86, R-87, R-88, et de la réserve de droits de la Demanderesse s'agissant de la recevabilité des Pièces R-102, R-103, R-104, R-105, R-106, R-107 et des Pièces R-112, R-113, R-114, R-115 et R-116.

Sur les demandes procédurales relatives aux accusations de corruption :

- REJETTE la demande de sursis des Défenderesses, le Tribunal s'estimant suffisamment éclairé sur les allégations de corruption.

Sur le refus de M. [W] de participer à l'audience du 1er décembre 2022 :

- ACCUEILLE la demande d'inférences négatives des Défenderesses en lien avec le refus de M. [W] de participer à l'audience du 1er décembre 2022.

Sur la loi applicable, la charge de la preuve et le standard de la preuve en matière de corruption :

- DIT que la loi applicable à la question de la corruption est la loi stipulée dans les Contrats, soit la loi gabonaise, et les règles d'ordre public international.

- DECLARE que la charge de la preuve de la corruption pèse sur les Défenderesses et qu'aucun « déplacement » ou « transfert » de la charge de la preuve ne peut être imposé à Averda Gabon.

- DECLARE que le standard de la preuve de la corruption est celui de « l'intime conviction » des arbitres, ne nécessitant pas autre chose que la réunion d'indices « graves, précis et concordants » conduisant à une « certitude raisonnable ».

Au fond :

- DECLARE qu'il a constaté l'existence d'indices « graves, précis et concordants » de faits de corruption au paragraphe 477 de cette Sentence.

- DECLARE que les Défenderesses ont violé leur obligation de paiement en cours d'exécution des Contrats.

- DIT qu'il a pris en considération l'incidence des faits de corruption sur les demandes d'Averda Gabon.

Condamnations résultant de la violation par les Entités Publiques de leur obligation de paiement :

- CONDAMNE solidairement la République gabonaise, la Commune de [Localité 6] et la Commune d'[Adresse 1] à verser à Averda Gabon un montant de 14.143.942.866 [Localité 5] CFA correspondant à l'ensemble des factures impayées en lien avec les prestations contractuelles d'Averda Gabon, avec prise en compte d'une réfaction de 35% du solde des impayés.

- CONDAMNE solidairement la République gabonaise, la Commune de [Localité 6] et la Commune d'[Adresse 1] à verser à Averda Gabon des intérêts de retard à un taux égal au taux directeur de la Banque des Etats de l'Afrique Centrale (BEAC) augmenté de quatre points, commençant à courir pour chaque facture à compter de 60 jours après la réception de ladite facture par les Entités Publiques, et s'élevant au 10 novembre 2021, à 5.258.637.639 [Localité 5] CFA.

Condamnations résultant de la résiliation des Contrats de gestion des déchets :

- JUGE recevable, régulière et non fautive la résiliation unilatérale des Contrats opérée par les Défenderesses le 10 septembre 2019.

- CONDAMNE solidairement la République gabonaise, Clean Africa, la Commune de [Localité 6] et la Commune d'[Localité 2] à verser à Averda Gabon un montant de 5.458.783.005 [Localité 5] CFA, correspondant à la valeur de rachat des Biens Propres prévu par l'article 15.9 de l'Accord de Sous-Traitance et l'article 16.9 du Contrat Complémentaire.

Sur les demandes reconventionnelles :

- DIT que la notion de « demandes reconventionnelles » s'entend des seules réclamations relatives aux pénalités contractuelles et aux restitutions sollicitées par les Défenderesses, à l'exclusion de toute demande concernant la réfaction.

- REJETTE toutes les demandes reconventionnelles des Défenderesses.

Autres condamnations :

- DECIDE que chaque partie supportera ses propres avances sur frais et honoraires des arbitres et frais administratifs de la CCI, à savoir 665.000 USD pour la Demanderesse et 872.428,80 USD pour les Défenderesses (sous réserve des remboursements à effectuer par la CCI), ainsi que ses propres frais et honoraires exposés pour sa défense.

- ORDONNE que toutes les sommes que les Défenderesses devront verser à Averda Gabon au titre de la présente Sentence porteront intérêt à compter de 30 jours après la notification de la Sentence par la CCI aux Défenderesses à un taux égal au taux directeur de la Banque des Etats de l'Afrique Centrale (BEAC) augmenté de quatre points.

- REJETTE tous les autres arguments et demandes des Parties.

- ORDONNE, à toutes fins utiles, l'exécution immédiate de la Sentence. »

7. Les Demanderesses ont formé un recours en annulation contre cette sentence devant la cour de céans le 28 septembre 2023.

8. La clôture a été prononcée le 29 avril 2025 et l'affaire appelée à l'audience du 19 mai 2025 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.

II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES

9. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 avril 2025, les Demanderesses demandent à la cour, au visa de l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, de bien vouloir :

- DÉCLARER recevable le moyen d'annulation partielle formé contre la sentence arbitrale finale rendue le 23 août 2023 sous l'égide de la CCI (affaire n°25367/DDA/AZO/SP) ;

- PRONONCER, au visa de l'article 1520, 5° du Code de procédure civile, l'annulation partielle de la sentence rendue le 23 août 2023 sous l'égide de la CCI (affaire n°25367/DDA/AZO/SP), en ce que le Tribunal arbitral :

« DECLARE que les Défenderesses ont violé leur obligation de paiement en cours d'exécution des Contrats.

DIT qu'il a pris en considération l'incidence des faits de corruption sur les demandes d'Averda Gabon ;

CONDAMNE solidairement la République gabonaise, la Commune de [Localité 6] et la Commune d'[Adresse 1] à verser à Averda Gabon un montant de 14.143.942.866 [Localité 5] CFA, correspondant à l'ensemble des factures impayées en lien avec les prestations contractuelles d'Averda Gabon, avec prise en compte d'une réfaction de 35% du solde des impayés ;

CONDAMNE solidairement la République gabonaise, la Commune de [Localité 6] et la Commune d'[Adresse 1] à verser à Averda Gabon des intérêts de retard à un taux égal au taux directeur de la Banque des Etats de l'Afrique Centrale (BEAC) augmenté de quatre points, commençant à courir pour chaque facture à compter de 60 jours après la réception de ladite facture par les Entités Publiques, et s'élevant au 10 novembre 2021, à 5.258.637.639 [Localité 5] CFA. »

« CONDAMNE solidairement la République gabonaise, Clean Africa, la Commune de [Localité 6] et la Commune d'[Localité 2] à verser à Averda Gabon un montant de 5.458.783.005 [Localité 5] CFA, correspondant à la valeur de rachat des Biens Propres prévu par l'article 15.9 de l'Accord de Sous-Traitance et l'article 16.9 du Contrat Complémentaire ;»

« ORDONNE que toutes les sommes que les Défenderesses devront verser à Averda Gabon au titre de la présente Sentence porteront intérêt à compter de 30 jours après la notification de la Sentence par la CCI aux Défenderesses à un taux égal au taux directeur de la Banque des États de l'Afrique Centrale (BEAC) augmenté de quatre points. »

(paragraphe 613 (11ème, 12ème, 13ème, 14ème, 16ème et 20ème tirets) du dispositif de ladite sentence et, le cas échéant, les paragraphes 480 à 545, 564 à 576 et 592 à 596 de la motivation de ladite sentence) ;

- CONDAMNER la société de droit gabonais AVERDA ENVIRONMENTAL SERVICES GABON S.A. au paiement d'une indemnité de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure ;

- REJETER la demande de la société de droit gabonais AVERDA ENVIRONMENTAL SERVICES GABON S.A. tendant au paiement d'une indemnité de 150.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure ;

- REJETER toute autre demande.

10. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 avril 2025, Averda Gabon demande à la cour, au visa de l'article 1520 du code de procédure civile, de bien vouloir :

A titre principal,

- REJETER dans son intégralité le recours en annulation des Demanderesses au recours ;

A titre subsidiaire,

- REJETER le recours en annulation des Demanderesses au recours en ce qu'il vise les 16ème et 20ème tirets du paragraphe 613 de la Sentence Finale par lequel le Tribunal arbitral :

« CONDAMNE solidairement la République gabonaise, Clean Africa, la Commune de [Localité 6] et la Commune d'[Localité 2] à verser à Averda Gabon un montant de 5.458.783.005 [Localité 5] CFA, correspondant à la valeur du rachat des Biens Propres prévu par l'article 15.9 de l'Accord de Sous Traitance et l'article 16.9 du Contrat Complémentaire ;

[']

ORDONNE que toutes les sommes que les Défenderesses devront verser à Averda Gabon au titre de la présente Sentence porteront intérêt à compter de 30 jours après la notification de la Sentence par la CCI aux Défenderesses à un taux égal au taux directeur de la Banque des Etats de l'Afrique Centrale (BAEC) augmenté de quatre points. »

En tout état de cause,

- DEBOUTER les Demanderesses au recours de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

- CONDAMNER solidairement les Demanderesses au recours au paiement de la somme de 150.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

11. La cour renvoie à ces conclusions pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

III/ EXAMEN DES DEMANDES

A. Sur le moyen unique d'annulation tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence à l'ordre public international

i.Position des parties

12. Les Demanderesses soutiennent que la sentence donne effet à des contrats entachés d'une activité de corruption d'un agent public Gabonais, en faisant valoir que :

- La prohibition de la corruption d'agents publics, qui consiste à offrir à celui-ci, directement ou indirectement, un avantage indu afin qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte dans l'exercice de ses fonctions officielles, en vue d'obtenir ou de conserver un marché ou un avantage indu, en liaison avec des activités de commerce international, est un principe d'ordre public international ;

- La vérification de l'existence d'indices graves, précis et concordants par la cour est limitée aux circonstances tenues pour établies par la sentence ;

- Toute sentence prononçant une condamnation sur le fondement de contrats exécutés dans des conditions frauduleuses et au bénéfice d'actes de corruption d'agents publics étrangers ne peut être accueillie dans l'ordre juridique français ;

- En l'espèce, plusieurs indices révèlent l'existence d'un schéma de corruption et de fraude mis en place par Averda Gabon dans l'exécution des Contrats :

' Premièrement, le versement de pots de vin à un agent public gabonais en vue d'obtenir l'apposition de la mention « Certifié Service Fait » sur les factures émises par Averda Gabon :

' Le paiement d'un voyage au Maroc en 2018 ;

' Le paiement d'un véhicule personnel ;

' Des gratifications de carburant à la pompe d'Averda Gabon pour son véhicule personnel ;

' L'octroi d'un marché d'impression de t-shirts à la société gérée par l'épouse de l'agent public ;

' Le versement de 3 à 4 millions de francs CFA à l'agent public.

' Les factures étaient certifiées « en bloc » plusieurs mois après leur émission, ce qui atteste de leur irrégularité ;

' Les témoignages de l'ancien directeur général adjoint d'Averda Gabon confirment que les pots de vins avaient pour but de faciliter la certification des factures ;

' L'agent public en cause a également confirmé avoir reçu des pots de vins dans cet objectif.

' Deuxièmement, la mise en place d'un système de fausses facturations pour disposer d'argent liquide pour le paiement de rémunérations occultes et justifier le montant de celles-ci :

' À la demande d'Averda Gabon, trois sociétés ont émis des fausses factures de location de matériel d'un montant total supérieur à 18.000.000 USD ;

' Les sociétés n'ont jamais réalisé les prestations facturées ;

- La méthodologie du tribunal arbitral pour déterminer le montant des factures dû à Averda Gabon a eu pour effet de faire bénéficier Averda Gabon du produit d'activités de fraude et de corruption, dès lors que :

' Le tribunal arbitral a opéré une distinction entre les factures impayées relevant de la collecte des déchets (qui n'auraient pas été affectées par les actes de corruption et les fraudes) et les factures impayées relevant du nettoiement qui auraient été affectées, à tout le moins partiellement, par ces actes, alors qu'il reconnaît, à de multiples reprises dans la Sentence finale, être dans l'incapacité d'individualiser les factures et les paiements et de distinguer entre les montants impayés au titre des factures de collecte et celles de nettoiement ;

' Le tribunal arbitral a reconnu qu'il ne pouvait pas déterminer avec certitude les factures qui n'étaient pas entachées de corruption ou de fraude ;

' Le tribunal arbitral a imputé les paiement reçus par Averda Gabon sur des factures entachées, au moins partiellement, de fraude et de corruption ;

' Le Tribunal arbitral a ainsi ordonné un paiement en lien avec la commission des agissements caractérisant ces fraudes et actes de corruption ;

' Le calcul du taux de réalisation des prestations effectuées par Averda Gabon retenu ne reflète pas l'activité réelle d'Averda Gabon.

- Dès lors que le tribunal arbitral était dans l'incapacité d'individualiser les factures et les paiements et de distinguer entre les montants impayés au titre des factures de collecte et de nettoiement, ces dernières étant, au moins partiellement, entachées de corruption et de fraudes, il ne pouvait garantir que la condamnation prononcée n'aurait pas pour effet de faire bénéficier Averda Gabon du produit d'activités délictueuses ;

- La décision de valider un contrat et d'ordonner une condamnation au profit d'une partie coupable de corruption d'agents publics dans le cadre de l'exécution du contrat est manifestement contraire à l'ordre public international.

13. En réponse à la demande subsidiaire formée par la Défenderesse qui soutient que l'annulation, si elle était prononcée, ne devrait pas s'étendre à la condamnation au paiement du montant correspondant à la valeur du rachat des Biens Propres, les Demanderesses soutiennent que les questions sont indivisibles puisque la mission du tribunal arbitral était de déterminer le montant dû par les parties au titre des prestations de collecte des déchets et de nettoiement et le prix à payer au titre du rachat des Biens Propres.

14. Averda Gabon conclut à l'absence de violation de l'ordre public international au motif que la sentence ne donne aucun effet à la corruption alléguée dans la mesure où :

- Le contrôle du juge de l'annulation porte sur tous les éléments de droit et de fait concernant le vice affectant la sentence sans toutefois que le juge révise la sentence au fond, de sorte qu'il se limite à vérifier que la reconnaissance et l'exécution de la sentence considérée ne violent pas « de manière caractérisée » la conception française de l'ordre public international et doit porter sur les effets concrets de la sentence arbitrale afin de déterminer si l'insertion de celle-ci dans l'ordre juridique français est compatible avec la conception française de l'ordre public international ;

- Il s'agit de contrôler si la solution donnée au litige, et non le raisonnement suivi par les arbitres, heurte concrètement et de manière caractérisée l'ordre public international ;

- Dans ce cadre, il incombe à la partie demanderesse au recours de prouver que la reconnaissance et l'exécution de la sentence violent de manière caractérisée l'ordre public international français ;

- En l'espèce, le tribunal arbitral a adopté une approche très sévère tant pour conclure à la caractérisation d'indices de corruption que pour en tirer les conséquences dans le montant de l'indemnisation accordée à Averda Gabon ;

- Tout en ayant émis de nombreuses réserves sur les éléments factuels versés au débat par les Demanderesses pour établir les pots de vins et le système de fausses facturations, le Tribunal arbitral n'en a pas moins conclu qu'ils constituaient des indices graves, précis et concordants de corruption ;

- Le Tribunal arbitral a adopté une méthodologie stricte permettant de neutraliser effectivement tous les effets, même potentiels, de la corruption alléguée :

' Le Tribunal arbitral a appliqué à la lettre la méthodologie proposée par l'expert des Demanderesses au recours, qui repose sur un calcul facture par facture de la part du montant correspondant à des services effectivement réalisés selon la position des Demanderesses elles-mêmes;

' Le tribunal arbitral a exclu l'intégralité des montants facturés pour des prestations qui n'avaient pas été réalisées de façon satisfaisante ou qui devaient être considérées comme entachées de corruption ;

' Le tribunal arbitral a retenu un taux de réfaction de 35% dans son estimation des sommes impayées facturées pour des services non rendus, en tenant compte de la dégradation des services de nettoiement rendus à partir de la fin de l'année 2016 et afin de s'assurer qu'Averda Gabon ne tirerait aucun bénéfice des actes de corruption allégués ;

- La thèse des Demanderesses, selon laquelle le tribunal arbitral aurait dû imputer le montant des paiements effectués, non pas sur l'intégralité des factures émises mais sur les seules factures correspondant à des prestations effectivement réalisées, soit celles correspondant aux services de collecte, d'une part, et celles correspondant aux services de nettoiement pour les seules années 2015 à 2016, d'autre part, repose sur une attribution artificielle de paiements à des factures plutôt qu'à d'autres, alors que le caractère chaotique des paiements effectués par les Demanderesses empêchait tout rattachement à des factures spécifiques ;

- En tout état de cause, la méthodologie alternative proposée par les Demanderesses au recours conduit exactement au même résultat que celle utilisée par le Tribunal arbitral.

15. Subsidiairement, Averda Gabon soutient que l'annulation de la sentence ne saurait en aucun cas s'étendre au chef du dispositif portant condamnation des Demanderesses au titre du rachat des Biens Propres, dans la mesure où celle-ci est une condamnation totalement indépendante de celle liée aux factures impayées, les Demanderesses ne formulant aucune allégation de corruption relatives au transfert des Biens Propres.

ii. Appréciation

16. Selon l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, l'annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l'ordre public international.

17. L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.

18. Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.

19. La prohibition de la corruption et du blanchiment figure au nombre des principes dont l'ordre juridique français ne saurait souffrir la violation même dans un contexte international. Elle relève par conséquent de l'ordre public international, étant rappelé que la lutte contre la corruption et le blanchiment d'argent provenant d'activités délictueuses fait l'objet d'un consensus international exprimé notamment dans la Convention des Nations Unies contre la corruption faite à [Localité 7] le 9 décembre 2003 et entrée en vigueur le 14 décembre 2005.

20. La cour n'étant pas le juge du contrat ou de l'opération, l'annulation n'est toutefois encourue que s'il est démontré par des indices graves, précis et concordants que l'insertion de la sentence dans l'ordre juridique interne aurait pour effet de donner force à un contrat obtenu par corruption ou de permettre à une partie de bénéficier du produit d'activités de cette nature.

21. Une telle recherche, menée pour la défense de l'ordre public international, n'est ni limitée aux éléments de preuve produits devant les arbitres, ni liée par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux.

22. Il n'entre pas dans la mission de la cour, saisie d'un recours en annulation d'une sentence internationale, de rechercher si une partie à l'arbitrage peut être déclarée coupable du délit de corruption d'agent public étranger ou de blanchiment en application des dispositions pénales d'un ordre juridique national, mais seulement de rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est de nature à entraver l'objectif de lutte contre la corruption et le blanchiment en faisant bénéficier une partie du produit d'activités de cette nature.

23. En l'espèce, les allégations de corruption concernent la mise en place par Averda Gabon d'un schéma de surfacturations de ses services consistant en :

- le versement par Averda Gabon de « pots de vin » à un agent public gabonais ;

- l'établissement, avec les sociétés Basic Services, Ets Sajoux et les Complices du Bâtiment, de fausses factures pour des prestations de location d'engins, afin de disposer de numéraire servant au paiement de rémunérations occultes ; et

- la dissimulation de la réalité des services objet du contrat et de ses données financières et comptables.

24. Le tribunal arbitral a retenu que les faits portés à sa connaissance et instruits au cours de la procédure d'arbitrage, considérés conjointement, constituaient un faisceau d'indices graves, précis et concordants de la commission d'actes de corruption en cours d'exécution des Contrats.

25. Devant la cour, les parties ne s'opposent pas sur la caractérisation des faits de corruption mais sur les conséquences à en tirer dans le cadre du présent recours en annulation, les demanderesses considérant que la sentence du tribunal arbitral doit être annulée en ce qu'elle conduit à faire bénéficier Averda Gabon des produits de la corruption, tandis qu'Averda Gabon soutient que le tribunal arbitral, dans sa sentence, a sévèrement pris en compte les faits de corruption dans le montant de l'indemnisation qui lui a été accordée, de sorte qu'aucune atteinte ne serait portée à l'ordre public international.

26. La cour relève tout d'abord qu'il n'est pas allégué que le contrat aurait été obtenu par corruption et qu'il n'existe pas d'éléments permettant de considérer que la formation du contrat aurait été entachée par les faits de corruption allégués. Il appartient ainsi à la cour de considérer seulement la portée des surfacturations supposées dans l'exécution des Contrats, pour apprécier si l'exécution de la sentence donnerait effet à des actes de corruption.

27. Au titre des Contrats, Averda Gabon fournissait des prestations de collecte de déchets et des prestations de nettoiement, seules ces dernières étant affectées par le système de surfacturations.

28. Dans ses auditions devant la police judiciaire et le tribunal arbitral, l'ancien directeur général adjoint d'Averda Gabon a indiqué et réitéré qu'en dehors des prestations de collecte, toutes les autres prestations, notamment les prestations de balayage, qui étaient forfaitaires, n'étaient pas quantifiables et difficilement contrôlées et que ces prestations de balayage et de nettoyage n'étaient, pour certaines, pas du tout réalisées.

29. Les factures produites (pièces Demanderesses n° 16 à 20) ainsi que les tableaux récapitulatifs de celles-ci (pièces Demanderesses n° 40 et Défenderesse n° 17) confirment à cet égard que, tandis que les prestations de collecte facturées étaient associées à une quantité de déchets précise, la facturation des prestations de nettoiement ne faisait l'objet d'aucune précision autre qu'un nombre de jours forfaitaire.

30. Il n'est en outre pas contesté qu'au cours de la période d'exécution des Contrats de 2015 à 2019, des prestations de nettoyage et de balayage ont effectivement été réalisées par Averda Gabon au bénéfice des Demanderesses.

31. Il résulte de ces différents éléments des indices graves, précis et concordants permettant de conclure que les sommes facturées par Averda Gabon correspondent pour partie à des surfacturations des prestations de nettoiement, facilitées par des actes de corruption, le restant correspondant à des prestations de collecte et de nettoiement effectivement réalisées.

32. Le tribunal arbitral, après avoir vérifié les allégations de corruption et retenu un faisceau d'indices en faveur de faits de corruption et de surfacturations, en a tiré les conséquences juridiques et financières :

- En rejetant la demande de résolution du contrat ;

- En retenant que les prestations de collecte étaient dues dans leur intégralité, tandis qu'une partie des services de nettoiement facturés n'avait pas été réalisée ;

- En s'employant à neutraliser les surfacturations par un taux de réfaction permettant de s'assurer qu'Averda Gabon ne puisse pas bénéficier des actes de corruption et que ne soient payées que des prestations effectivement réalisées.

33. La cour relève à cet égard que ce taux de réfaction, qui correspond à un taux de réduction du solde des impayés, a été débattu par les parties devant le tribunal arbitral et que, tandis que l'expert d'Averda Gabon concluait à une réduction de 17 % du solde des impayés, l'expert des Demanderesses, dans son rapport produit devant le tribunal arbitral (pièce Demanderesses n° 34), retenait un taux de réfaction de 33 % ou de 35 %.

34. Par suite, le tribunal arbitral, en appliquant un taux de réfaction de 35%, a retenu le taux auquel concluait l'expert des Demanderesses elles-mêmes, soit le taux le plus strict pour s'assurer que ne soient payées que les prestations effectivement réalisées par Averda Gabon.

35. C'est ce que souligne le tribunal arbitral au paragraphe 540 de sa sentence lorsqu'il indique : « Le Tribunal estime qu'une réfaction à hauteur de 35% du solde des impayés, soit une réfaction de 7.642 milliard FCFA (Hypothèse 1) est justifié. Ce pourcentage est le plus conservateur. Il a par ailleurs été avancé par les Défenderesses et leur expert, qui ne prétendent pas qu'une réfaction supérieure serait appropriée. En d'autres termes, les Défenderesses ne contestent pas que 65% des factures dont le paiement est sollicité par la Demanderesse [Averda Gabon] dans cet arbitrage correspondent à des services (de collecte et de nettoiement) réellement effectués [mise en exergue par le tribunal arbitral]. Le Tribunal estime que ce pourcentage est donc le plus à même d'effacer les conséquences de la surfacturation et de s'assurer que la Demanderesse ne tirera aucun bénéfice des actes de corruption allégués. ».

36. Le tribunal arbitral, qui, après une instruction minutieuse des éléments du dossiers, a retenu des indices graves, précis et concordants de corruption dans l'exécution d'une partie des prestations objet du contrat, s'est ainsi attaché a en neutraliser les effets économiques et financiers pour n'ordonner le paiement que de services effectivement fournis, sans qu'aucun élément produit par les Demanderesses ne vienne remettre en cause le bienfondé de l'analyse faite à ce titre par les arbitres, de sorte qu'il ne peut être considéré que l'exécution de la sentence donnerait effet à des actes de corruption.

37. Le moyen unique d'annulation tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence avec l'ordre public international sera en conséquence rejeté, ce rejet emportant celui du recours.

B. Sur les frais du procès

38. Les Demanderesses, parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens et déboutées de leur demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

39. Elles seront condamnées in solidum à payer à Averda Gabon la somme de cent mille euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Rejette le recours en annulation formé par la République Gabonaise, la société Clean Africa, la Commune de [Localité 6], la Commune d'[Localité 2] contre la sentence rendue le 23 août 2023 par la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale dans l'affaire CCI n° 25367/DDA/AZO/SP ;

2) Condamne in solidum la République Gabonaise, la société Clean Africa, la Commune de [Localité 6], la Commune d'[Localité 2] aux dépens ;

3)Rejette leur demande de condamnation de la société Averda Environmental Services Gabon S.A. en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

4) Les condamne in solidum à payer à la société Averda Environmental Services Gabon S.A. la somme de cent mille (100 000) euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

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