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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 4 novembre 2025, n° 24/01523

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

BARLOW

Conseillers :

LE VAILLANT, GHORAYEB

CA Paris n° 24/01523

3 novembre 2025

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie de l'appel d'une ordonnance rendue le 13 avril 2023 par le délégué du président du tribunal judiciaire de Paris, déclarant exécutoire en France une sentence arbitrale rendue à Alger le 13 janvier 2023, sous l'égide de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans un litige opposant la Société des Ciments de [Localité 4] (ci-après dénommée « SCIZ ») à la société ASEC Cement Company SAE (ci-après dénommée « ASEC Cement »).

2. Le différend à l'origine de cette sentence porte sur la mise en 'uvre d'un contratayant pour objet la gestion des activités de SCIZ par ASEC Cement.

3. SCIZ est une entreprise publique économique, filiale du Groupe des ciments industriels d'Algérie (ci-après dénommée « GICA »), qui exploite une cimenterie à [Localité 4], en Algérie.

4. ASEC Cement est une société de droit égyptien, majoritairement détenue par une société établie au Caire dénommée Qalaa Holdings, spécialisée dans l'industrie du ciment et les services liés à l'industrie du ciment en Afrique et au Moyen-Orient.

5. En 2007, dans le cadre de la mise en 'uvre des résolutions du Conseil des Participations de l'État, la Société de Gestion des Participations « Industrie des ciments » lançait un avis d'appel à manifestation d'intérêt national et international destiné à ouvrir le capital social, à hauteur de 35 %, des sociétés de ciment relevant de son portefeuille, parmi lesquelles figurait l'Entreprise des Ciments et Dérivés de l'Ouest (ci-après dénommée « ERCO »), alors société mère de SCIZ.

6. A la suite de l'adoption, le 29 octobre 2007, de la résolution n° 02/80 portant sur l'ouverture du capital social de SCIZ, le 31 décembre 2007, deux contrats ont été conclus :

- un contrat de cession des actions de SCIZ entre ERCO et ASEC Cement par lequel cette dernière a acquis 35 % du capital social de SCIZ ;

- un contrat de gestion entre SCIZ et ASEC Cement en vertu duquel cette dernière s'est engagée à assurer la gestion de SCIZ pendant une durée de 10 ans, modifié par avenant du 8 septembre 2009 (ci-après dénommé « Contrat de Management »).

7. Conformément au Contrat de Management, ASEC Cement était tenue à une obligation de résultat consistant à relever le seuil de production de la cimenterie pour atteindre une production nominale de 8.100 tonnes par jour de clinker, avec une production annuelle de 2.440.000 tonnes.

8. ASEC Cement n'ayant pas atteint l'objectif de production convenu pour les exercices 2011 à 2017, SCIZ lui a notifié l'application des pénalités financières prévues au Contrat de Management.

9. ASEC Cement a refusé de les payer considérant que la non-réalisation de ces objectifs était imputable à SCIZ.

10. Par une requête datée du 21 septembre 2020, SCIZ a engagé une procédure d'arbitrage contre ASEC Cement sur le fondement de l'article 8 du Contrat de Management, pour lui réclamer le paiement de la somme de 12 493 441,65 USD correspondant au montant des pénalités qu'elle estime lui être dues en raison de la non-réalisation des objectifs de production prévus au contrat. ASEC Cement

11. Par sa sentence du 13 janvier 2023, le tribunal arbitral a statué en ces termes :

« 354. Par ces motifs, le Tribunal arbitral :

1. Rejette l'exception de litispendance soulevée par la Société des Ciments de [Localité 4] 'EPE-S-C-I-Z-spa'.

2. Dit et juge que la société ASEC Cement Company S.A.E. n'est pas responsable de la mauvaise exécution du Contrat de gestion conclu le 31 décembre 2007 et de la non-réalisation des objectifs de production prévus audit Contrat.

3. Rejette en conséquence la demande de pénalités de la Société des Ciments de [Localité 4] 'EPE-S-C-I-Z-spa'.

4. Dit et juge que la Société des Ciments de [Localité 4] 'EPE-S-C-I-Z-spa' a engagé sa responsabilité contractuelle et doit payer à la société ASEC Cement Company S.A.E. la somme de 60,399,875.00 USD, outre les intérêts selon le taux directeur de la Banque d'Algérie augmenté de toute majoration légale en vertu du droit algérien, notamment l'article 122 du Code des Marchés publics. Ces intérêts courront à compter de la notification de la sentence jusqu'à complet paiement.

5. Dit et juge que la Société des Ciments de [Localité 4] 'EPE-S-C-I-Z-spa' doit restituer à la société ASEC Cement Company S.A.E la somme de 1,000,000.00 USD, montant de la garantie de bonne exécution.

6. Dit et juge que la Société des Ciments de [Localité 4] 'EPF-S-C-I-Z- spa' doit rembourser à la société ASEC Cement Company S.A.E la somme de 350,000.00 USD sa quote-part de la provision sur les frais de l'arbitrage fixés par la Cour d'arbitrage de la CCI.

7. Dit et juge que la Société des Ciments de [Localité 4] 'EPE-S-C-I-Z- spa' doit payer à la société ASEC Cement Company S.A. E. la somme de 1,493,786.78 USD au titre des frais qu'elle a exposés pour sa défense à l'occasion de l'arbitrage.

8. Rejette toutes les autres demandes des Parties. »

12. Par ordonnance du 13 avril 2023, le délégué du président du tribunal judiciaire de Paris a revêtu cette sentence arbitrale de l'exequatur, lui conférant force exécutoire en France.

13. Par déclaration du 8 janvier 2024, SCIZ a interjeté appel de cette ordonnance.

14. La clôture a été prononcée le 20 mai 2025 et l'affaire appelée à l'audience du 8 juillet 2025 au cours de laquelle les parties ont été entendues en leurs plaidoiries.

II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES

15. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 janvier 2025, SCIZ demande à la cour, au visa des articles 31, 32-1, 643, 699, 700, 903, 1520, 3° et 5°, et 1525 du code de procédure civile, de l'article 1240 du code civil et du protocole judiciaire conclu entre l'Algérie et la France 28 août 1962, de bien vouloir :

- Infirmer l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal judiciaire de Paris le 13 avril 2023 et déclarant exécutoire en France une sentence arbitrale rendue le 13 janvier 2023 à Alger (Algérie) (Dossier n° 25674/DDA/AZO/SP) par un tribunal arbitral constitué de (i) M. [D] [T] (Président), (ii) M. [B] [Y] [G] (Coarbitre), et de (iii) M. [P] [H] (Coarbitre), sous l'égide de la Cour Internationale d'Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale ;

Statuant à nouveau,

- Rejeter la demande d'exequatur de la sentence arbitrale rendue à Alger (Algérie) le 13 janvier 2023 (Dossier n° 25674/DDA/AZO/SP) par un tribunal arbitral constitué de (i) M. [D] [T] (Président), (ii) M. [B] [Y] [G] (Coarbitre), et de (iii) M. [P] [H] (Coarbitre), sous l'égide de la Cour Internationale d'Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale ;

En tout état de cause,

- Rejeter la demande de la société ASEC Cement tendant à condamner la société SCIZ à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile ;

- Rejeter la demande de la société ASEC Cement tendant à condamner la société SCIZ à lui verser la somme de 150.000 euros à titre de frais irrépétibles en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la société ASEC Cement à verser à la société SCIZ la somme de 150.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la société ASEC Cement aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL LX [Localité 2]-Versailles-Reims.

16. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 avril 2025, ASEC CEMENT demande à la cour, au visa des articles 32-1, 699, 700, 1520, 3° et 5° du code de procédure civile, de bien vouloir :

- CONFIRMER l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal judiciaire de Paris le 13 avril 2023 déclarant exécutoire en France la sentence arbitrale rendue le 13 janvier 2023 à Alger (Algérie) (Dossier n°25674/DDA/AZO/SP) par un tribunal arbitral constitué de (i) Monsieur [D] [T] (Président), (ii) Monsieur [B] [Y] [G] (co-arbitre) et (iii) Monsieur [P] [H] (co-arbitre), sous l'égide de la Cour Internationale d'Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale et devenue définitive à l'expiration du délai de recours en annulation le 15 novembre 2023 ;

- CONDAMNER la Société des Ciments de [Localité 4] à payer à la société ASEC CEMENT COMPANY SAE la somme de 50.000 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la Société des Ciments de [Localité 4] à payer à la société ASEC CEMENT COMPANY SAE la somme de 150.000 euros, sauf à parfaire, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la Société des Ciments de [Localité 4] aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Vincent Ribaut, Avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

17. La cour renvoie à ces conclusions pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

III/ EXAMEN DES DEMANDES

A. Sur la demande d'infirmation de l'ordonnance déférée et de rejet de la demande d'exequatur

1. Sur le moyen tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral

i. Position des parties

18. SCIZ conclut à l'infirmation de l'ordonnance déférée et au rejet de la demande d'exequatur de la sentence, au motif que le tribunal arbitral aurait statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée, faute d'avoir motivé sa sentence sur la condamnation de SCIZ à des dommages-intérêts et des intérêts moratoires, d'une part, et pour avoir statué en amiable composition, d'autre part. Elle fait valoir que :

- l'article 32(2) du règlement d'arbitrage de la CCI prévoit que « [l]a sentence doit être motivée » ;

- le tribunal arbitral a manqué à son obligation de motivation de la condamnation de SCIZ au paiement de dommages-intérêts au profit d'ASEC Cement en ce que :

o il a ignoré le régime des pénalités prévu par l'article 5.2.2 du Contrat de Management, aux termes duquel ASEC Cement a souscrit une obligation de résultat dont le non-respect entraîne l'application automatique de pénalités, sans que la démonstration d'une faute de la part d'ASEC Cement ne soit nécessaire ;

o il n'a pas tenu compte des règles et procédures de passation des contrats d'une entreprise publique économique prévues par la réglementation des marchés publics algériennes, pourtant impératives et applicables au sein de SCIZ en vertu de la clause d'arbitrage de l'article 8 du Contrat de Management qui stipule que « [l]es arbitres seront tenus d'appliquer le droit algérien dans toutes ses dispositions y compris ses dispositions d'ordre public et impératives ». Le conseil d'administration était tenu d'adopter et de se conformer à une procédure interne de passation des marchés fondées sur les principes de liberté d'accès à la commande, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures sans motiver sa décision, ce que le tribunal arbitral a ignoré en retenant que SCIZ avait délibérément gêné l'action d'ASEC Cement ;

o pour caractériser le préjudice prétendument subi par ASEC Cement, le tribunal arbitral n'indique, ni dans le passage dans lequel il fait droit à la demande reconventionnelle d'ASEC Cement au titre de laquelle il a condamné SCIZ à payer des dommages-intérêts, ni dans la section VII.b à laquelle il renvoie, quelles seraient les dispositions légales applicables en Algérie ou les stipulations du Contrat de Management que SCIZ aurait violées et aux termes desquelles celle-ci est sanctionnée ; il n'a pas non plus expliqué pourquoi il considère que les prétendues « ingérences » de SCIZ dans l'activité d'ASEC Cement constitueraient des violations des dispositions en question et justifieraient l'indemnisation d'un préjudice ;

o le Tribunal arbitral aurait dû motiver le caractère certain du préjudice allégué par ASEC Cement conformément aux dispositions légales applicables, et plus particulièrement à l'article 182 du Code civil algérien, et dont il a ordonné l'indemnisation, et ne pouvait se contenter d'évoquer simplement une « probabilité », à savoir un dommage éventuel ou hypothétique dont la réalisation serait incertaine ;

- le tribunal arbitral a manqué à son obligation de motivation de la condamnation de SCIZ au paiement d'intérêts moratoires en ce que :

o le tribunal arbitral ne donne aucun fondement légal en droit algérien à une telle condamnation, la sentence se contentant d'indiquer que la demande d'ASEC Cement en vue de l'application de ces intérêts « est justifiée au regard des faits de la cause », ce qui ne saurait constituer une motivation suffisante en droit ;

o il ne motive pas son choix d'appliquer, pour le calcul des intérêts moratoires, le taux directeur de la Banque d'Algérie augmenté de toute majoration légale en vertu du droit algérien, le considérant simplement « approprié » ;

o outre qu'il se réfère par erreur « notamment » à l'article 122 du code des marchés publics algérien, en lieu et place de l'article 122 du Décret présidentiel n° 15-247 du 16 septembre 2015 portant réglementation des marchés publics et des délégations de service public, le tribunal arbitral n'indique pas pourquoi il conviendrait de faire application de ce taux au cas d'espèce ;

o la motivation est d'autant plus justifiée lorsqu'elle a un impact financier important, ce qui est le cas en l'espèce.

- le tribunal arbitral, en condamnant SCIZ à des dommages-intérêts et à des intérêts moratoires aux termes d'un raisonnement ne précisant pas le fondement juridique (légal ou conventionnel), a statué en équité plutôt qu'en droit.

19. ASEC Cement réplique que :

- le contrôle du juge de l'annulation est strictement limité à l'existence de la motivation et ne porte pas sur son contenu, que l'appelant invoque un choix non pertinent des motifs de la part de l'arbitre, une mauvaise application de la loi applicable au litige ou encore une erreur grossière de droit ou de fait ;

- S'agissant du grief tiré de l'absence de motivation de la sentence :

o SCIZ critique ouvertement l'analyse du tribunal arbitral et tente en réalité de rouvrir le débat sur le fond de cette affaire ;

o Le tribunal arbitral a expliqué sur plusieurs pages le raisonnement ayant présidé à sa décision et a même pris soin de rappeler la position de SCIZ, reprise dans ses conclusions d'appelante, de sorte que si le tribunal arbitral n'a pas in fine fait sien l'argumentaire de SCIZ, ce n'est pas pour autant qu'il ne s'est pas conformé à sa mission ;

o En faisant le reproche au tribunal arbitral de ne pas avoir tenu compte des procédures de passation de marché que les organes de SCIZ devaient suivre, SCIZ critique la pertinence de la motivation du tribunal arbitral qui a parfaitement motivé sa décision sur ce point (cf. Sentence, §319-322) en ayant tenu compte des règles de droit algérien pour justement conclure que les diligences confiées à ASEC Cement en vertu du Contrat de Management étaient en définitive impossibles en raison de l'ingérence permanente de SCIZ et partant qu'ASEC Cement ne pouvait être considérée responsable des défauts relevés dans l'exécution dudit Contrat ;

o La façon dont l'arbitre applique la loi algérienne, qu'elle soit d'ordre public ou non, est un élément de fond du litige, qui ne relève pas du juge de l'exequatur ;

o SCIZ tente d'obtenir le contrôle de la pertinence de la motivation du tribunal arbitral et non de l'existence de celle-ci, puisque le tribunal arbitral a analysé la demande reconventionnelle de dommages-intérêts d'ASEC Cement sur quatre pages (cf. Sentence, §329-343) se référant au Contrat de Management, au droit algérien et aux expertises versées à la procédure pour fixer le principe et le quantum du préjudice subi par ASEC Cement ;

o Le moyen d'après lequel l'article 182 du code civil algérien selon lequel seul le préjudice certain peut être indemnisé aurait été violé est nouveau puisqu'il n'en a pas été fait état devant le tribunal arbitral ;

o S'agissant de la condamnation de SCIZ au paiement d'intérêts moratoires, il ne peut être contesté devant le juge de l'exequatur la façon dont l'arbitre a appliqué la loi algérienne, ni la pertinence du choix de la méthode de calcul, ces éléments appartenant au fond ;

o Dans la Sentence, le tribunal arbitral détaille son choix d'appliquer un intérêt moratoire aux condamnations prononcées et précise la méthode de calcul y relative en son paragraphe 343 de sorte qu'il a motivé sa décision ;

o SCIZ critique uniquement la pertinence du raisonnement des arbitres ;

- S'agissant du grief tiré de ce que le tribunal arbitral aurait statué en équité :

o L'infirmation d'une ordonnance accordant l'exequatur pour violation par le tribunal arbitral de sa mission suppose la démonstration d'une volonté délibérée des arbitres de s'extraire de la volonté des parties et de fonder leur décision sur d'autres motifs que ceux tirés de la loi, c'est-à-dire qu'il doit ressortir de la sentence que les arbitres ont entendu se comporter en amiables compositeurs et s'éloigner ainsi de l'application stricte de la loi choisie par les parties ;

o Il n'appartient pas à la cour d'appel de contrôler le bien fondé en droit de la motivation de la sentence afin d'identifier les raisons d'équité qui ont permis au tribunal arbitral de s'écarter du droit strict ;

o L'annulation ne peut être fondée que sur le constat de la volonté du tribunal arbitral, exprimée dans les motifs de la sentence, d'abandonner délibérément la règle de droit au profit de la pure équité ;

o En l'espèce, à aucun moment le tribunal arbitral n'indique ou ne laisse entendre qu'il aurait jugé en équité ;

o Le tribunal arbitral a expressément motivé sa Sentence en se fondant sur la volonté des parties telle qu'exprimée notamment dans le Contrat de Management en considérant, après analyse des prétentions de chacun, que SCIZ était responsable de la mauvaise exécution dudit contrat ;

o Pour condamner SCIZ au paiement d'intérêts moratoires, le tribunal arbitral a motivé sa Sentence en appliquant le droit algérien conformément à la convention d'arbitrage liant les parties et plus précisément l'article 122 du code des marchés publics conformément à la volonté des parties exprimée dans le Contrat de Management.

ii. Appréciation de la cour

20. En vertu de l'article 1525 du code de procédure civile, la cour, saisie de l'appel interjeté contre la décision qui statue sur une demande de reconnaissance ou d'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger, ne peut refuser la reconnaissance ou l'exequatur de cette sentence que dans les cas prévus à l'article 1520 du même code.

21. Selon l'article 1520, 3°, de ce code, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.

22. Définie par la convention d'arbitrage, cette mission est principalement délimitée par l'objet du litige, lequel est déterminé par les prétentions des parties, sans qu'il y ait lieu de s'attacher uniquement à l'énoncé des questions figurant dans l'acte de mission.

23. L'amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, les parties perdant la prérogative d'en exiger la stricte application, les arbitres recevant corrélativement le pouvoir de modifier ou de modérer les conséquences de cette règle dès lors que l'équité ou l'intérêt commun bien compris des parties l'exige.

24. L'arbitre ne s'écarte pas de sa mission s'il use de la liberté qui lui est accordée par le droit applicable au différend, l'usage par un tribunal arbitral d'une liberté d'appréciation que lui confère la règle applicable pour statuer sur une demande ne suffisant pas à qualifier ce pouvoir d'amiable composition.

25. En l'espèce, ainsi que le relève SCIZ, sans être contredite par ASEC Cement, les parties ont choisi de soumettre leur litige à l'arbitrage conformément au règlement de la Cour d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale de [Localité 2], qui prévoit en son article 32.2 que la sentence rendue doit être motivée, cette motivation constituant, en toute hypothèse, un élément du droit à un procès équitable.

26. Aux termes de l'acte de mission (pièce ASEC Cement n° 7), le tribunal arbitral était saisi d'une demande de SCIZ de condamnation d'ASEC Cement au paiement d'une somme de 12 493 441,65 USD au titre des pénalités qu'elle estime dues au titre du Contrat de Management et d'une demande reconventionnelle d'ASEC Cement de condamnation de SCIZ au paiement de la somme de 82 982 386 USD au titre des revenus qu'elle estime dus au titre de ce même contrat.

27. La sentence précise que, dans ses mémoires en défense et en duplique, ASEC Cement demandait au tribunal arbitral une condamnation de SCIZ au paiement de « dommages-intérêts d'un montant de 59 714 116 USD en réparation de la violation du Contrat de gestion par le Demandeur, plus les intérêts pré-sentence et post-sentence à un taux d'intérêt approprié » ainsi que la restitution de « la garantie de bonne exécution d'1 million USD plus les intérêts appropriés » (sentence §172 et 173).

28. Les prétentions des parties requéraient donc, de part et d'autre, du tribunal arbitral qu'il apprécie le respect par les parties de leurs obligations respectives aux termes du Contrat de Management.

29. Pour ce faire, le tribunal arbitral a, s'agissant de la demande principale de SCIZ de paiement des pénalités, comme de la demande reconventionnelle d'ASEC Cement de paiement de dommages-intérêts assortis d'intérêts, exposé précisément la position de chacune des parties sur l'exécution du Contrat, le fondement et les motifs de leurs prétentions, avant d'exposer l'analyse et la décision du tribunal arbitral sur la responsabilité respective des parties dans l'inexécution du contrat et sur les demandes financières formées par chacune d'elles dans le cadre de l'arbitrage.

30. S'agissant plus particulièrement de la condamnation de SCIZ au paiement de dommage-intérêts à ASEC Cement, le tribunal arbitral l'a motivée tant dans son principe, en exposant les raisons pour lesquelles il considère que SCIZ a engagé sa responsabilité contractuelle (partie VII B et §334 de la sentence) que dans son montant, les modalités de détermination de celui-ci ayant été soumis au débat des parties, y compris s'agissant du montant des intérêts (§335 à 343).

31. Au soutien de son moyen d'annulation, SCIZ reproche au tribunal arbitral, d'avoir « purement et simplement ignoré le régime des pénalités posé par l'article 5.2.2 du Contrat de Management », de ne pas avoir tenu compte des règles et procédures algériennes de passation des contrats d'une entreprise publique économique, de ne pas avoir motivé le caractère certain du préjudice allégué par ASEC Cement, en n'évoquant qu'une « probabilité », de n'avoir donné aucun fondement légal en droit algérien justifiant la condamnation au paiement d'intérêts moratoires et sans justifier le taux retenu, la référence « notamment » à l'article 122 du code des marchés publics étant trop incertaine pour constituer une motivation satisfaisante.

32. Ce faisant, c'est en réalité le contenu et la pertinence de la motivation que SCIZ critique et le sens de la décision au fond, lesquels échappent au contrôle du juge de l'annulation, qui n'est tenu que de contrôler l'existence d'une motivation de la sentence arbitrale.

33. L'appelante échouant à démontrer un défaut de motivation de la sentence arbitrale, le moyen tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral sera rejeté en sa première branche.

34. S'agissant de la seconde branche du moyen, tenant à ce que le tribunal arbitral aurait statué en équité, SCIZ reproche au tribunal arbitral de ne pas avoir fait application des stipulations du Contrat de Management ni des dispositions du droit algérien, pour les mêmes raisons que celles exposées s'agissant de la condamnation de SCIZ à des dommages-intérêts et à des intérêts moratoires, c'est-à-dire au terme d'un raisonnement ne précisant pas le fondement juridique légal ou conventionnel.

35. Contrairement à ce que soutient SCIZ, le tribunal arbitral a fondé sa décision sur son analyse des stipulations prévues au contrat de gestion et son avenant, au regard desquelles il a apprécié la mise en 'uvre de leurs obligations contractuelles par chacune des parties pour en déduire leur responsabilité respective dans l'inexécution du contrat, ainsi que le bien-fondé de la demande de restitution de la garantie de bonne exécution. De la même manière, la condamnation qu'il a prononcée à des dommages-intérêts en faveur d'ASEC Cement découle de son analyse de la responsabilité contractuelle de SCIZ et leur montant a été déterminé par rapport à la rémunération prévue au Contrat de Management.

36. Le tribunal arbitral a en outre rappelé qu'en application de la convention d'arbitrage, les arbitres étaient tenus d'appliquer le droit algérien (Article 8 du Contrat de Management : « Les arbitres seront tenus d'appliquer le droit algérien dans toutes ses dispositions, y compris ses dispositions d'ordre public et impératives. »), auquel la sentence se réfère à plusieurs reprises dans la motivation de sa décision (§ 283, 322 et 343), notamment s'agissant du taux d'intérêt assortissant les dommages-intérêts.

37. Comme le souligne la défenderesse au recours, à aucun moment le tribunal n'indique juger en équité.

38. L'appelante ne démontre nullement en quoi les arbitres auraient entendu se départir de la volonté des parties pour fonder leur décision sur des considérations d'équité et sur d'autres motifs que ceux tirés de l'application de la règle de droit.

39. La seconde branche du moyen d'infirmation sera donc également rejetée, entraînant le rejet dans son ensemble du moyen d'infirmation de l'ordonnance d'exequatur tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral.

2. Sur le moyen tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence à l'ordre public international

i. Position des parties

40. SCIZ conclut à l'infirmation de l'ordonnance et au rejet de la demande d'exequatur au motif que la sentence porterait atteinte à l'ordre public international en ce que le tribunal arbitral a ignoré les dispositions impératives de la règlementation des marchés publics algérienne, faisant valoir que :

- le contrôle de la sentence par le juge français peut, au titre de l'ordre public international, également s'étendre aux dispositions impératives d'une loi étrangère lorsque son respect lui apparaît nécessaire ;

- le juge français vérifie si l'arbitre, qui a l'obligation de rendre une sentence efficace en arbitrage international, a assuré le respect des lois de police applicables au litige, y compris celles désignées par les parties, c'est-à-dire celles qui relèvent de la lex contractus ;

- la prohibition de la révision au fond des sentences ne saurait s'opposer à l'exercice effectif du contrôle de leur conformité à l'ordre public, quand bien même il faudrait pour cela procéder à un réexamen de certains points de fait et de droit, dès lors qu'il ne s'agit pas de statuer à nouveau sur le litige primaire, ni même de vérifier si les arbitres l'ont convenablement tranché, mais seulement de s'assurer que la solution inscrite dans la sentence, si elle devait recevoir exécution en France, ne contreviendrait pas à l'ordre public ;

- en l'espèce, dans sa sentence, le tribunal arbitral a fait droit aux arguments de ASEC Cement en estimant que la vigilance de SCIZ quant à la bonne application de ses règles internes en matière de passation de contrats aurait constitué un obstacle à la bonne exécution du Contrat de Management par ASEC Cement ;

- le tribunal arbitral a, à plusieurs reprises, reproché au conseil d'administration de SCIZ des actions qui ne constituaient en réalité que la stricte application des règles internes de passation des contrats de SCIZ et plus largement, d'avoir veillé à l'application stricte des principes de transparence, d'égalité de traitement des candidats et de liberté d'accès à la commande, qui s'imposaient tant à SCIZ qu'à ASEC Cement en sa qualité de gestionnaire et la réglementation des marchés publics algérienne, pour rejeter la demande de SCIZ en paiement des pénalités prévues par le Contrat de Management et ordonné le paiement de dommages-intérêts au profit d'ASEC Cement pour le prétendu préjudice qu'elle aurait subi ;

- le respect de ces principes et des procédures internes de passation des contrats d'une entreprise publique économique relève des règles impératives du droit algérien mais aussi de l'ordre public algérien, de sorte qu'elles auraient dû être prises en compte par le tribunal arbitral conformément à la clause d'arbitrage de l'article 8 du Contrat de Management qui indique que « les arbitres seront tenus d'appliquer le droit algérien dans toutes ses dispositions, y compris ses dispositions d'ordre public et impératives » ;

- le juge peut considérer que l'insertion dans son ordre juridique d'une sentence qui viole une loi de police étrangère est contraire à son ordre public lorsque l'intérêt défendu par la loi de police étrangère est partagé par le for ou lorsque l'intérêt défendu par la loi de police étrangère fait l'objet d'un large consensus en droit comparé ;

- les dispositions de la réglementation des marchés publics algérienne et notamment les dispositions des décrets n° 10-236 et n° 15-247 ou de la loi n° 23-12 quant au strict respect par chaque entreprise publique économique des stipulations de sa procédure interne de passation des contrats constituent des lois de police algériennes ;

- en droit français, le non-respect des règles et procédures de passation de marchés publics régies par le code de la commande publique entré en vigueur le 1er avril 2019 est susceptible de constituer des faits de corruption, de conflits d'intérêts, de favoritisme, d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics ainsi que d'autres irrégularités graves ;

- certains principes, relatifs aux règles et procédures applicables à la passation de marchés, tels que la liberté d'accès à la commande publique, l'égalité de traitement et la transparence des procédures, constituent des dispositions impératives (article L-3 du code de la commande publique) ;

- les règles et procédures applicables à la passation de marché, et au premier chef les principes de transparence, d'égalité de traitement, de liberté d'accès qui les nourrissent sont très largement prévues et admises dans de nombreux pays, voire à des échelons supranationaux tels que l'Union européenne ou les Nations Unies et reflètent ainsi un consensus international.

41. ASEC Cement réplique que :

- l'article 1520, 5°, du code de procédure civile dispose que le recours en annulation n'est ouvert que si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international ;

- pour que la sentence soit annulée, il faut qu'en conséquence de la violation d'une règle d'ordre public, les effets de la sentence énoncés dans son dispositif soient contraires à l'ordre public, étant observé que le contrôle de la cour d'appel se limite au caractère manifeste, effectif et concret de la violation alléguée ;

- l'annulation ou le refus d'exequatur de la sentence n'est encouru que si la solution qu'elle porte est contraire à l'ordre public ;

- si l'interprétation erronée du contrat par le tribunal arbitral conduit à la non-application de la règle d'ordre public, la sentence ne sera pas jugée contraire à l'ordre public car le juge de l'annulation s'interdit de réviser cette erreur d'interprétation ;

- la Sentence ne reproche pas à SCIZ de respecter les règles algériennes de passation des marchés mais son ingérence qui a empêché une correcte exécution du Contrat de Management ;

- SCIZ se contente d'énumérer une série de décrets algériens pour soutenir que les règles de passation des marchés publics en Algérie doivent être respectées ce qui n'a jamais été contesté par personne ;

- SCIZ n'explique pas en quoi lesdites règles auraient en l'espèce été violées que ce soit par ASEC Cement au cours de l'exécution du Contrat de Management ou par la Sentence elle même ;

- aucune règle d'ordre public n'a été violée par ASEC Cement au cours de l'exécution du Contrat de Management ;

- la Sentence n'entérine aucune situation de fait ou de droit qui pourrait s'apparenter à une violation de l'ordre public international ;

- à aucun moment SCIZ ne se risque à alléguer que le dispositif de la Sentence violerait de manière manifeste, effective et concrète la conception française de l'ordre public international ;

- le seule méconnaissance d'une loi de police étrangère ne peut conduire en elle-même à l'annulation d'une sentence arbitrale : il faut démontrer qu'une telle réglementation entre dans la conception de l'ordre public international français et que la sentence a violé de manière manifeste, effective et concrète cet ordre public international ;

- les réglementations relatives aux procédures de passation de marchés ne font pas indubitablement partie de l'ordre public international et leur inobservation n'est pas en elle même contraire à l'ordre public international français ;

- SCIZ se contente de dresser un inventaire des règles algériennes relatives à la passation des marchés publics sans jamais arguer d'une quelconque méconnaissance de celles ci par ASEC Cement dans l'exécution du Contrat de Management ou du fait de la sentence et n'avait pas davantage soutenu une telle violation dans le cadre de l'arbitrage ;

- SCIZ n'a jamais démontré ou ne serait-ce que soutenu qu'il aurait pu exister un quelconque fait attentatoire à la probité, à savoir un fait de corruption ou de favoritisme, dont lesdites règles sont censées prévenir la réalisation.

ii. Appréciation de la cour

42. Selon l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, l'annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l'ordre public international.

43. L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.

44. Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.

45. En l'espèce, SCIZ fait grief au tribunal arbitral, dans son appréciation de la responsabilité contractuelle de l'appelante, de lui avoir reproché sa stricte application des règles et procédures algériennes.

46. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le juge de la sentence opère son contrôle pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français et n'est pas juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage. Son contrôle n'a donc pas pour objet de vérifier que des stipulations contractuelles ont été correctement exécutées ou des dispositions légales correctement appliquées, mais seulement de s'assurer, dans le cadre du contrôle du respect de l'article 1520, 5° du code de procédure civile, qu'il ne résulte pas de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence une contrariété manifeste à l'ordre public international.

47. La seule méconnaissance d'une loi de police étrangère ne peut conduire en elle-même à l'annulation d'une sentence arbitrale. Elle ne peut y conduire que si cette loi de police protège une valeur ou un principe dont l'ordre public français lui-même ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international. Ce n'est que dans cette mesure que des lois de police étrangères peuvent être regardées comme relevant de l'ordre public international français.

48. A cet égard, il ne suffit pas qu'une législation étrangère participe dans son ensemble à la protection d'une valeur ou d'un principe commun avec la conception française de l'ordre public international, telle que la lutte contre la corruption, pour autoriser le juge de la sentence à contrôler son application par le tribunal arbitral ou pour que sa méconnaissance constitue une atteinte à la conception française de l'ordre public international au sens de l'article 1520, 5° du code de procédure civile.

49. Encore faut-il que le demandeur au recours apporte la double démonstration que la sentence viole effectivement une loi de police étrangère et que cette méconnaissance de la loi de police étrangère porte atteinte de manière caractérisée à un principe ou une valeur entrant dans le champ de l'ordre public international français.

50. SCIZ, qui se contente d'alléguer que le tribunal arbitral a ignoré la réglementation algérienne des marchés publics alors qu'il était tenu de le faire, sollicite en réalité de la cour qu'elle contrôle l'application du droit algérien par le tribunal arbitral. L'appelante ne démontre aucune violation effective de ladite réglementation, ni a fortiori la violation caractérisée d'un principe équivalent dans la règlementation française des marchés publics entrant dans le champ de l'ordre public international.

51. Ce faisant, elle n'établit pas en quoi l'exécution ou la reconnaissance de la sentence porterait atteinte à l'ordre public international, de sorte que le moyen d'infirmation de ce chef doit être rejeté.

52. L'ensemble des moyens d'infirmation de l'appelante étant rejetés, l'ordonnance déférée sera confirmée.

B. Sur la demande reconventionnelle d'ASEC Cement de condamnation de SCIZ pour procédure abusive

i. Position des parties

53. ASEC Cement sollicite la condamnation de SCIZ à lui payer la somme de 50 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, faisant valoir que :

- l'article 32-1 du code de procédure civile dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés ;

- toute faute dans l'exercice des voies de droit est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur ;

- les deux principaux comportements sanctionnés au titre de la procédure abusive ou dilatoire sont l'utilisation de l'appel à des fins dilatoires et l'acharnement judiciaire ;

- une instance introduite dans l'unique but de gagner du temps et de retarder l'exécution de ses obligations découlant d'une décision de justice est dilatoire ;

- l'appelant d'une ordonnance ayant conféré l'exequatur à une sentence arbitrale qui se prévaut de moyens identiques et de mauvaise foi à ceux soutenus dans l'instance arbitrale dans le seul objectif dilatoire peut être condamné à des dommages-intérêts pour avoir abusé de cette voie de recours ;

- le recours en annulation formé à l'encontre d'une sentence arbitrale internationale claire et précise pour échapper à son exécution est abusif de même que l'appel interjeté à l'encontre d'une ordonnance ayant conféré l'exequatur à une sentence claire et précise, dès lors que les seuls griefs soulevés tendent en réalité à obtenir une révision de ladite sentence ;

- en l'espèce, SCIZ refuse d'exécuter la sentence en multipliant les recours contre celle-ci (recours en annulation introduit en Algérie, appel déféré devant la cour de céans contre l'ordonnance d'exequatur) de sorte que le préjudice subi par ASEC Cement est établi, puisqu'elle est dans l'impossibilité de mettre un terme à ce litige qui était supposé revêtir un caractère confidentiel et d'obtenir l'exécution des termes de la sentence, ce à quoi les parties s'étaient pourtant engagées en recourant à l'arbitrage ;

- au soutien de ses recours, SCIZ invoque des griefs qui n'entrent pas dans les cas d'ouverture limités de l'article 1520 du code de procédure civile mais tendent en réalité à une révision au fond de la Sentence alors qu'elle sait que cela lui est interdit ;

- SCIZ sait que son appel ne saurait prospérer puisqu'elle recycle au soutien de cet appel des moyens d'ores et déjà soulevés et rejetés par la cour de céans dans le cadre d'un recours en annulation d'une sentence arbitrale introduit par une société s'ur, SCIBS, filiale comme elle de GICA, il y a deux ans seulement ;

- afin de tenter de donner force et crédit à ses allégations, SCIZ se prévaut de l'introduction d'un recours en annulation contre la sentence devant la cour d'appel d'Alger alors que ce recours est en toute hypothèse irrecevable puisque formé le 23 mai 2024, soit plus d'un mois après la signification, le 15 octobre 2023, à SCIZ, de l'ordonnance accordant l'exequatur à la sentence de sorte que la sentence est définitive ;

- ni SCIZ, ni son conseil, n'ont à l'époque souhaité participer à l'audience arbitrale où ils auraient eu tout le loisir d'évoquer ces questions de fond dans le forum choisi par les parties et pour les parties ce, dans le respect de la confidentialité que procure une instance arbitrale de sorte que l'attitude de SCIZ est d'autant plus entachée de mauvaise foi.

54. SCIZ réplique que :

- une condamnation au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile implique de démontrer une faute commise dans l'exercice de son droit d'agir en justice, constitutif d'un abus, la réparation de cet abus supposant également l'existence d'un préjudice en lien avec cette faute, conformément à l'article 1240 du code civil ;

- en l'espèce, ASEC Cement ne démontre pas l'existence d'une faute ;

- le droit d'agir en justice constitue un droit fondamental permettant à toute personne de saisir une juridiction compétente en vue faire valoir ses droits ou défendre ses intérêts et inclut le droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction ainsi que le droit d'être entendu sur le fond de ses prétentions ;

- en l'espèce, SCIZ a saisi la cour de céans pour valablement interjeter appel contre l'ordonnance accordant l'exequatur à la sentence, en invoquant des griefs entrant dans les cas d'ouverture limités de l'article 1520 du code de procédure civile ;

- la sentence rendue par le tribunal arbitral est loin d'être claire et précise de sorte que les arrêts cités par ASEC Cement ne sont pas pertinents ;

- ASEC Cement ne démontre pas l'existence d'un préjudice qu'elle aurait prétendument subi conformément à l'article 1240 du code civil ;

- les frais occasionnés par la procédure non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de sorte que les juges font la distinction entre la demande de dommages et intérêts pour recours abusif et les frais et dépens ;

- en l'espèce, ASEC Cement ne justifie d'un préjudice direct, certain et légitime, ni dans son principe ni dans son montant ;

- elle ne justifie pas d'un préjudice distinct de sa demande d'indemnisation de 150 000 € formée par ailleurs pour frais irrépétibles ;

- les autres arguments invoqués sont factuellement inexacts :

o il ne saurait être reproché à SCIZ d'exercer son droit d'agir en justice et tenter d'obtenir l'annulation d'une sentence dénuée de motivation, manifestement contraire à l'ordre public algérien et à l'ordre public international français ;

o SCIZ a tenté à plusieurs reprises de notifier à ASEC Cement les actes dans les procédures devant les tribunaux algériens et français, par plusieurs biais (concernant le présent appel, tentative de notification par le greffe le 8 janvier 2024 puis signification de déclaration d'appel par un commissaire de justice le 15 avril 2024) ;

o les conseils de SCIZ dans la présente procédure n'ont pas participé à la procédure d'arbitrage et les griefs aujourd'hui formulés par SCIZ concernent les irrégularités de la sentence et non des arguments conservés en vue d'un potentiel recours en annulation ;

- ASEC Cement n'a pas tenté d'obtenir l'exequatur de la sentence en Algérie, étant parfaitement consciente que cette demande serait rejetée en raison de la contrariété de la sentence à l'ordre public algérien et a sollicité l'exequatur en France alors que SCIZ, société algérienne, ne dispose d'aucun actif en France.

ii. Appréciation de la cour

55. Selon l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

56. La condamnation à des dommages et intérêts de ce chef suppose la démonstration d'une faute commise dans l'exercice du droit d'agir faisant dégénérer l'action en abus, l'octroi de dommages et intérêts étant subordonné à l'existence d'un préjudice en lien de causalité avec cette faute, conformément à l'article 1240 du code civil.

57. En l'espèce, en dépit du recours en annulation contre la sentence formé par SCIZ devant la cour d'appel d'Alger le 23 mai 2024 et de la similitude du présent appel avec le recours formé par la Société des Ciments de Beni Saf, également filiale du groupe GICA dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rendu le 13 septembre 2022 par la cour de céans sous le numéro RG n° 21/02217, l'appel interjeté par SCIZ ne révèle pas d'abus dans l'exercice du droit d'agir, le caractère infondé des prétentions soutenues étant à cet égard insuffisant.

58. La cour relève par ailleurs que la société SCIZ n'a pas fait preuve, dans le cadre de la présente instance, d'une attitude dilatoire ni d'un comportement malveillant ou malhonnête qui excèderait l'exercice légitime du droit d'ester en justice.

59. ASEC Cement ne démontre par ailleurs aucun préjudice distinct de celui résultant de la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée d'avoir eu à exposer des frais pour les besoins de la présente procédure, frais dont la prise en compte ressortit aux seules dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

60. Sa demande doit, en conséquence, être rejetée.

C. Sur les frais du procès

61. SCIZ, partie perdante, sera condamnée aux dépens, avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Vincent Ribaut, avocat au barreau de Paris, qui en fait la demande.

62. Pour ce motif, elle sera déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à la société ASEC Cement la somme de cent mille euros en application de cet article.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Confirme l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris du 13 avril 2023 déclarant exécutoire la sentence rendue le 13 janvier 2023 à Alger dans l'affaire CCI N° 25674/DDA/AZO/SP ;

2) Rejette la demande de la société ASEC Cement Company de condamnation de la Société des Ciments de [Localité 4] 'EPE-S.CI.Z-spa' à des dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

3) Condamne la Société des Ciments de [Localité 4] 'EPE-S.CI.Z-spa' aux dépens, dont distraction au profit de Maître Vincent Ribaut, avocat au barreau de Paris, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

4) Déboute la Société des Ciments de [Localité 4] 'EPE-S.CI.Z-spa' de ses demandes formées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile ;

5) Condamne la Société des Ciments de [Localité 4] 'EPE-S.CI.Z-spa' à payer à la société ASEC Cement Company la somme de cent mille euros (100 000 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile.

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