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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-3, 14 novembre 2025, n° 25/01921

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

FEBVRE

Conseillers :

MARS, TANGUY

CA Aix-en-Provence n° 25/01921

13 novembre 2025

Par actes du 13 décembre 2021 à la société [X] Golf Challenge et au Gan ainsi qu'un acte délivré en Suède à la société Range [Localité 6] AB, la société GRTB a sollicité le paiement d'une somme de 195 113 euros HT en principal à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis.

Par jugement en date du 4 février 2025, le tribunal de commerce de Draguignan :

- s'est déclaré incompétent pour connaitre du litige et a invité les parties à mieux se pourvoir,

- a condamné la société GRTB à payer à la société Range [Localité 6] AB la somme de 2 500 euros et à la Société [X] Golf Challenge la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,

- a débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- a constaté que l'exécution provisoire de la décision était de droit,

- a liquidé les frais du greffe à la somme de 173,98 euros T.T.C.

La cour est saisie de l'appel de la société GRTB formé par une déclaration en date du 17 février 2025.

Par une ordonnance rendue le 28 février 2025 au visa des articles 83, 84 et 85 du code de procédure civile, l'appelante a été autorisée à assigner à jour fixe les sociétés Range [Localité 6] AB et [X] Golf Challenge ainsi que la compagnie Gan Assurances pour l'audience du 15 mai 2025 à 14 heures.

A cette audience, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi à l'audience du 11 septembre 2025 à 14 heures avec un calendrier de procédure pour l'échange des conclusions.

***

Vu les dernières conclusions notifiées le 24 juin 2025 pour la société GRTB, qui demande à la cour en substance (et indépendamment des demandes de « juger que » qui ne constituent pas des prétentions) de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Draguignan le 4 février 2025 en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaitre du litige l'opposant aux sociétés [X] Golf Challenge, Range [Localité 6] Et Gan Assurance,

Statuant à nouveau,

- déclarer le tribunal de commerce de Draguignan compétent pour connaitre du litige,

- condamner in solidum les sociétés [X] Golf Challenge et Range [Localité 6] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les frais et dépens incluant les frais d'expertise judiciaire,

Vu les dernières conclusions de la société Range [Localité 6] AB, notifiées le 22 juillet 2025, aux termes desquelles il est demandé en substance à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Draguignan le 4 février 2025 en toutes ses dispositions,

- condamner la société GRTB à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

Vu les dernières conclusions de la société [X] Golf Challenge, notifiées le 18 juin 2025, par lesquelles il est demandé en substance à la cour de :

- débouter la société GRTB de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer le jugement de tribunal de commerce de Draguignan du 4 février 2025 en toutes dispositions,

- condamner la société GRTB à lui régler la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

Vu les uniques conclusions en date du 22 avril 2025 pour la compagnie d'assurance Gan Assurance, qui se rapporte à justice et sollicite la condamnation de la société GRTB, ou de tout succombant, aux dépens et au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

***

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites susvisées.

A l'issue de l'audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue le 14 novembre 2025 par mise à disposition au greffe.

***

SUR CE :

Aux termes de l'article 2061, alinéa 1er, du code civil, « la clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l'oppose, à moins que celle-ci n'ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l'a initialement acceptée ».

En l'espèce, le tribunal de commerce de Draguignan s'est déclaré incompétent pour connaitre du litige par application de la clause compromissoire figurant dans le contrat conclu entre la société GRTB et la société [X] Golf Challenge après avoir constaté que :

- l'enchainement des contrats de vente entre la société GRTB et la société [X] Golf Challenge, et entre cette dernière et la société Range [Localité 6] constituait une opération économique unique formant une chaîne de contrats translatifs de propriété,

- le contrat entre les deux premières succédait au contrat entre les dernières dans la mesure où le matériel livré avait été fabriqué par la société Range [Localité 6] suite au devis émis par la société [X] Golf Challenge suivant les indications techniques et commerciales de la société Range [Localité 6] lesquelles découlaient de l'expression des besoins de la GRTB,

- par application de l'article 2061 du code civil, la clause compromissoire a été transmise automatiquement à la société GRTB, qui échoue à démontrer que cette clause est manifestement nulle ou inapplicable au cas d'espèce,

- le « règlement de la Cour de justice de l'Union Européenne » en date du 7 février 2013 concernant l'applicabilité d'une clause attributive de juridiction exclut de manière univoque l'arbitrage de son champ d'application tandis que la clause compromissoire figurant à l'article 15 du contrat de distribution est bien une clause d'arbitrage,

- de plus et selon l'article 1465 du code civil, « le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel ».

***

Au soutien de son appel, la société GRTB fait valoir, à titre principal :

- que cette clause lui est inopposable en l'absence de tout consentement effectif de sa part à la clause d'arbitrage conclu entre les sociétés [X] Golf Challenge et Range [Localité 6], dont elle n'avait pas même eu connaissance,

- qu'il ne peut lui être opposé les dispositions de l'article 1165 du code civil alors qu'elle exerce une action en responsabilité directement contre la société Range [Localité 6] en qualité de sous-traitant de la société [X] Golf Challenge, et non en vertu de droits qui lui auraient été transmis par le vendeur intermédiaire.

La société GRTB soutient, à titre subsidiaire,

- que la clause compromissoire litigieuse est manifestement inapplicable dès lors que la société Range [Localité 6] a renoncé à son bénéfice, en l'état d'une clause trouvant à s'appliquer à « toute demande (') émanant du présent contrat » (art 15.1) et faute pour cette société d'avoir soulevé l'incompétence de la juridiction commerciale saisie en référé devant laquelle elle s'est contentée d'émettre les protestations et réserves d'usage sur sa demande d'expertise,

- que pour ce qui le concerne, le contrat conclu avec la société [X] Golf Challenge ne contient aucune clause compromissoire de sorte que cette dernière n'est pas fondée à invoquer l'incompétence du tribunal de commerce de Draguignan pour connaître de l'action en responsabilité engagée à son encontre.

De son côté, la société [X] Golf Challenge oppose :

- l'incompétence des juridictions étatiques pour statuer sur l'action engagée par la société GRTB en présence d'une clause compromissoire non manifestement nulle ou inapplicable, seul l'arbitre dispose du pouvoir de statuer sur sa propre compétence, conformément à l'article 1448 ainsi qu'à l'article 1465 du code de procédure civile déclarés applicables aux conventions d'arbitrage internationale par l'article 1506 du même code, le caractère de la nullité ou de l'inapplicabilité devant pouvoir être constaté lors d'un examen sommaire par le juge étatique,

- que la clause compromissoire a été transmise automatiquement dans la chaine de contrats translatifs de propriété en tant qu'accessoire du droit d'action, ayant elle-même acheté le produit litigieux à la société Range [Localité 6] pour le revendre à la société GRTB,

- que les jurisprudences citées par la société GRTB ne font pas références aux clauses compromissoires mais aux clauses attributives de juridiction, ces arrêts étant intervenus en application du règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 qui exclut l'arbitrage de son champ d'application,

- que le consentement ou la connaissance de la clause compromissoire n'est pas nécessaire et, au visa de l'article 2061 du code civil, l'acceptation de la clause compromissoire par la partie n'étant pas requise si celle-ci a succédé aux droits et obligations de la partie qui l'a initialement acceptée, ce qui est le cas en l'espèce, l'action de la société GRTB étant fondée sur le contrat de vente conclu entre elle-même et la société [X] Golf Challenge,

- que la société GRTB est mal fondée à invoquer le caractère intuitu personae de la clause compromissoire n'est manifestement pas rédigée en considération de la personnalité de la société [X] Golf Challenge,

- que, de même, les clauses contractuelles d'arbitrage ne heurtent pas les principes de la Convention européenne de sauvegarde de droits de l'homme, notamment son article 6 qui n'exige pas que toute décision relative à une contestation sur un droit civil soit prise par une juridiction étatique,

- que la renonciation à la clause ne se présume pas et doit être non équivoque et sa participation ou celle de la société [X] Golf Challenge à l'expertise ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile (avant tout procès au fond) ne peut s'interpréter comme une renonciation à l'arbitrage.

La société Range [Localité 6] se prévaut également de l'incompétence du tribunal de commerce de Draguignan :

- du fait de la transmission automatique de la clause compromissoire stipulée au contrat qu'elle a signé avec [X] Golf Challenge, à la société GRTB en l'état de la chaîne contractuelle, cette dernière ayant acquis les produits qu'elle avait elle-même vendu à la société [X] Golf Challenge,

- en l'état du principe de compétence, selon lequel il appartient exclusivement au tribunal arbitral de trancher cette question,

- par application de la clause d'arbitrage et des dispositions de l'article 1448 du code de procédure civile qui prévoit que, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, cette dernière se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

Cette partie objecte également que la clause stipulée au contrat de distribution n'est ni manifestement nulle ni manifestement inapplicable, et la renonciation à une telle clause ne se présume pas et doit être non équivoque, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

***

Les clauses compromissoires (ou clause d'arbitrage) se distinguent des clauses attributives de juridiction : seules ces dernières sont soumises au règlement 44/2001 du 22 décembre 2000, qui exclut expressément l'arbitrage de son champ d'application, de sorte que la société GRTB n'est pas fondée à se prévaloir de l'arrêt rendu le 7 février 2013 par la Cour de justice de l'Union européenne en matière de clause attributive de juridiction.

En matière arbitrale, comme c'était le cas de l'article 1458 du code de procédure dans sa version issue du décret du 12 mai 1981, l'article 1448 dans sa rédaction résultant du décret du 13 janvier 2011, tel qu'interprété par la jurisprudence, prive les tribunaux étatiques du pouvoir de juger de l'existence, de la validité, de l'étendue, de l'application ou de l'interprétation d'une clause d'arbitrage.

Ce principe dit « de compétence-compétence » emporte un double effet : négatif, en ce qu'il interdit à la juridiction étatique de se déclarer compétente en présence d'une clause compromissoire ; positif, en ce sens qu'il impose à l'arbitre de se prononcer sur sa propre compétence, en cas de contestation, sous le contrôle a posteriori du juge de l'annulation.

Le juge national recouvre néanmoins son pouvoir juridictionnel dès lors que la clause compromissoire qui est opposée pour décliner sa compétence est « manifestement nulle ou manifestement inapplicable ».

En la matière, les juges du fond doivent néanmoins se contenter d'un examen « prima facie » et ils ne peuvent se livrer à un examen substantiel et approfondi des relations contractuelles entre les parties pour refuser, par exemple, l'extension de la convention d'arbitrage à un tiers susceptible d'être bénéficiaire du contrat sans constater que la convention d'arbitrage invoquée était manifestement nulle ou inapplicable (1ère Civ., 13 septembre 2017, pourvoi n° 16-22.326 ; 1ère Civ., 11 octobre 2017, pourvoi n°16-24.590 ; 1ère Civ., 11 avril 2018, pourvoi n° 17-17.996 ; 1ère Civ., 5 septembre 2018, pourvoi n° 17-13.837 ; 1ère Civ., 19 décembre 2018, pourvoi n° 17-28.951).

Ce d'autant qu'il résulte de l'article 2061 alinéa 1er du code civil dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 que ' conformément à la jurisprudence qui a présidé à cette refonte - l'objet de la clause compromissoire est le droit d'action et qu'elle est l'accessoire des droits subjectifs substantiels créés par le contrat, l'effet de la clause d'arbitrage international s'étendant aux parties directement impliquées dans l'exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter, dans une chaîne de contrats (1ère Civ., 27 mars 2007, pourvoi n° 04-20.842, Bull. 2007, I, n° 129 ; 1ère Civ., 9 juillet 2014, pourvoi n° 13-17.495, Bull. 2014, I, n° 126).

En l'état des rapports contractuels entre la société GRTB et la société [X] Golf Challenge ainsi que du contrat de distribution passé entre cette dernière et la société Range [Localité 6] pour les besoins de l'exécution du premier, il est nul besoin de démontrer le consentement de la première à la clause compromissoire inséré dans le contrat passé avec les deux derniers, et le tribunal de commerce de Draguignan a justement rejeté sa compétence en l'absence de démonstration que la clause compromissoire était manifestement nulle ou inapplicable.

En effet, la société GRTB ne soulève pas la nullité de cette clause et, s'agissant de son inapplicabilité manifeste - qui pourrait effectivement se déduire une renonciation irrévocable (cf. 1ère Civ., 20 avril 2017, pourvoi n° 16-11.413, Bull. 2017, I, n° 86) ' la cour rappelle que la renonciation ne se présume pas et doit être non équivoque.

Or, la participation de la société Range [Localité 6] ou celle de la société [X] Golf Challenge à l'expertise ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, dans le cadre d'une mesure d'instruction décidée en référé avant tout procès au fond, ne peut s'interpréter comme une renonciation à l'arbitrage. Cette participation ne constitue en effet pas un acte positif manifestant sans équivoque la volonté expresse ou tacite de renoncer au bénéfice de l'arbitrage, alors que le litige au fond n'était pas encore né et qu'il n'est justifié d'aucune « réclamation » ou de l'émergence d'un « différend » au stade d'une mesure exclusivement destinée à « conserver » ou « établir (') la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ».

Enfin, et contrairement aux allégations de la société GRTB, la clause compromissoire litigieuse n'a pas été conclue intuitu personae, ce qui est de nature à exclure qu'elle soit « manifestement inapplicable » pour ce motif.

Le jugement d'incompétence rendu par le tribunal de commerce de Draguignan mérite donc d'être confirmé en toutes ses dispositions.

***

Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société GRTB supportera les dépens d'appel et sera condamnée à payer à la société Range [Localité 6], à d'une part, à la société [X] Golf Challenge de l'autre, et à la compagnie Gan enfin, une indemnité au titre des frais qu'elles ont dû exposer dans le cadre de la présente procédure en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe et dans les limites de sa saisine :

- confirme le jugement rendu le 4 février 2025 par le tribunal de commerce de Draguignan en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

- condamne la société Golf Resort Terre Blanche à payer les indemnités suivantes au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile :

- 4 000 euros à la société Range [Localité 6] AB,

- 3 000 euros à la société [X] Golf Challenge,

- 1 500 euros à la société Gan Assurance ;

- condamne la société Golf Resort Terre Blanche aux dépens de la procédure d'appel.

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