CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 6 mai 2025, n° 24/17129
PARIS
Ordonnance
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
LE VAILLANT
I/ FAITS ET PROCEDURE
1. Le conseiller de la mise en état est saisi par la société de droit italien Alessi Domenico S.p.A (ci-après désignée " la société Alessi Domenico ") d'une demande d'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à Paris dans l'affaire n° ICC 26975 le 25 juin 2024, par un arbitre unique, sous l'égide de la Cour internationale d'arbitrage de la chambre de commerce internationale à l'encontre de la société de droit jordanien Amor Jordan for Advanced Jewelry Technology LLC (ci-après désignée " la société Amor Jordan ").
2. La société Alessi Domenico est spécialisée dans la production industrielle et la commercialisation de chaînes et bracelets en or et argent sous forme finie et semi-finie.
3. La société Amor Jordan a pour activité la production industrielle de bijoux en or et en argent sous forme finie et semi-finie.
4. Suivant accord du 15 avril 2015, la société Alessi Domenico a cédé l'intégralité des titres qu'elle détenait dans le capital social de la société Alessi Domenico Ltd (Jordan), devenue la société Amor Jordan à la suite de cette opération de cession de titres, à ses coassociés, MM. [K] et [I] [W], moyennant un prix de 500 000 dollars américains.
5. Le même jour, les sociétés Alessi Domenico et Amor Jordan (encore sous la dénomination Alessi Domenico Ltd Jordan) ont conclu un accord commercial par lequel la société Alessi Domenico a confié à la société Amor Jordan, d'une part, le soin de vendre des articles de bijouterie en son nom mais pour le compte de la société Alessi Domenico sur le territoire des Etats-Unis d'Amérique et du Canada et, d'autre part, le traitement des produits Alessi destinés à la vente. Une clause compromissoire a été stipulée à l'article 18 de cet accord commercial.
6. Le 18 février 2022, les Conseils de la société Alessi Domenico ont adressé une sommation de payer à la société Amor Jordan pour un montant de 1 787 887,31 dollars américains, avec intérêts, correspondant à des factures demeurées impayées. La sommation était accompagnée d'une invitation à résoudre le différend à l'amiable avec fixation d'un délai de quinze jours pour la réponse de la société Amor Jordan.
7. A défaut de réponse dans ce délai, la société Alessi Domenico a engagé une procédure d'arbitrage le 13 avril 2022 pour obtenir le paiement de cinquante-six factures impayées.
8. Par sentence du 25 juin 2024, le tribunal arbitral a statué en ces termes :
"Based on the reasons outlined above, and after thoroughly reviewing all arguments and evidence presented by the Parties, including those not specifically mentioned in this Award, and deliberating, the Sole Arbitrator:
i. ORDERS Amor Jordan for Advanced Jewelry Technology LLC to pay Alessi Domenico S.p.A. the amount of USD 2,376,435 including: (i) USD 1,787,887, the outstanding amount of the invoices; (ii) USD 167,735 the fixing differences; (iii) USD 420,814,414 the default interests re-calculated as of the date of the PwC report (07/12/2022) plus interest at the Italian legal rate of 8% to be accrued until the date of final payment.
ii. ORDERS Alessi Domenico S.p.A. to pay to Amor Jordan for Advanced Jewelry Technology LLC the amount of USD 496,314.88 for Alessi Domenico S.p.A.'s failure to meet the minimum quantity requirement under the Agreement for the year 2019, plus interest at the Italian legal rate of 8% from the date Amor Jordan for Advanced Jewelry Technology LLC officially notified its debit notes to Alessi Domenico S.p.A. on June 20, 2021, until full payment by Alessi Domenico S.p.A.
iii. ORDERS Alessi Domenico S.p.A. to pay to Amor Jordan for Advanced Jewelry Technology LLC the amount of USD 696,165.95 for Alessi Domenico's S.p.A.'s failure to meet the minimum quantity requirement under the Agreement for the year 2020, plus interest at the Italian legal rate of 8% from the date Amor Jordan for Advanced Jewelry Technology LLC officially notified its debit notes to Alessi Domenico S.p.A. on June 20, 2021, until full payment by Alessi Domenico S.p.A.
iv. ORDERS Alessi Domenico S.p.A. to pay to Amor Jordan for Advanced Jewelry Technology LLC the Penalty Fees for Alessi Domenico S.p.A.'s termination of the Agreement in the principal amount of USD 400,000 plus interest at the Italian legal rate of 8% from the date Amor Jordan officially notified its debit notes to Alessi Domenico S.p.A. on June 20, 2021, until full payment by Alessi Domenico S.p.A.
v. DISMISSES Amor Jordan for Advanced Jewelry Technology LLC's counterclaim for the reimbursement of Shipping Fees due to lack of evidence.
vi. DISMISSES Amor Jordan for Advanced Jewelry Technology LLC's counterclaim for compensation for its loss of chance to have concluded and benefited from the contract with UBS Gold, due to lack of evidence of lost chance.
vii. Each Party bears its own costs of arbitration including the ICC costs and the legal representation costs associated with the present arbitration proceedings.
viii. DISMISSES all other claims of the Parties."
9. Le 1er octobre 2024, la société Amor Jordan Advanced Jewelry Technologies LLC a formé un recours en annulation à l'encontre de la sentence arbitrale auprès de la cour d'appel de Paris.
10. Par conclusions d'incident du 9 décembre 2024, la société Alessi Domenico a saisi le conseiller de la mise en état afin de voir accorder l'exequatur à la sentence du 25 juin 2024.
II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES
11. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 février 2025, la société Alessi Domenico demande au conseiller de la mise en état, au visa des articles 1514 et suivants, 1521 et 1526 du code de procédure civile, de bien vouloir :
" À titre principal,
OCTROYER l'exequatur de la Sentence finale dans l'affaire n° ICC 26975 rendue le 25 juin 2024 à Paris (France) par M. [Y] [C] ; et en conséquence
APPOSER la formule exécutoire sur la Sentence finale rendue dans l'affaire n° ICC 26975 le 25 juin 2024 à Paris (France) par M. [Y] [C] ;
- À titre subsidiaire,
OCTROYER l'exequatur partiel de la Sentence finale dans l'affaire n° ICC 26975 rendue le 25 juin 2024 à Paris (France) par M. [Y] [C] en ce qu'elle a ordonné à Amor Jordan Advanced Jewelry Technology Llc de payer à Alessi Domenico S.p.A., un montant de USD 2 376 435, comprenant : i) USD 1 787 887 montant restant dû des factures ; ii) USD 167 735 les différences de fixation ; iii) USD 420 814 (valeur par défaut) intérêts recalculés à la date du rapport PwC (07/12/2022) plus intérêts au taux légal en Italie de 8 % à courir jusqu'à la date de paiement ; et en conséquence
APPOSER la formule exécutoire limitée au chef décisoire (i) du dispositif de la Sentence finale rendue dans l'affaire n° ICC 26975 le 25 juin 2024 à Paris (France) par M. [Y] [C] ;
- À titre infiniment subsidiaire,
ORDONNER à Amor Jordan Advanced Jewelry Technology Llc de consigner la somme de USD 2 376 435, ou tout autre montant que le Conseiller de la mise en état estimerait approprié, sur un compte séquestre CARPA, et ce dans un délai de quinze jours à compter de la délivrance de la copie exécutoire de l'ordonnance à venir, dans l'attente de la décision de la Cour d'appel de Paris sur le recours en annulation ;
DIRE que faute de consignation dans le délai susvisé, l'exécution de l'ordonnance d'exequatur et par conséquent de la Sentence finale retrouvera son entier effet ;
- En tout état de cause,
DEBOUTER Amor Jordan Advanced Jewelry Technology Llc de sa demande de suspension de l'exécution de la Sentence finale ;
CONDAMNER Amor Jordan Advanced Jewelry Technology Llc au paiement de la somme de 5 000 EUR à Alessi Domenico S.p.A. en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER Amor Jordan Advanced Jewelry Technology Llc aux entiers dépens, ces derniers pouvant être recouvrés directement par Me Benjamin Moisan, avocat à la Cour d'appel de Paris, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile. "
12. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 février 2025, la société Amor Jordan demande au conseiller de la mise en état au visa des articles 1514, 1515 et 1526 du code de procédure civile, de bien vouloir :
- A titre principal de :
o Rejeter l'ensemble des demandes soumises par la société Alessi Domenico ;
- En tout état de cause, si l'exequatur devait être accordé à la sentence, de :
o Arrêter l'exécution de la sentence jusqu'au au prononcé de l'arrêt de la cour d'appel de Paris sur le recours en annulation contre la sentence rendue dans l'affaire CCI n° 26975 ;
o Condamner la société Alessi Domenico au paiement de la somme de 5 000 euros à la société Amor Jordan en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'incident ;
o Condamner la société Alessi Domenico aux entiers dépens de l'incident.
13. L'incident a été plaidé dans les termes des conclusions susvisées à l'audience d'incident du conseiller de la mise en état du 6 mars 2025.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
A. Sur la demande d'exequatur de la sentence du 24 juin 2024
(i) Moyens des parties
14. La société Alessi Domenico fait valoir que la sentence rendue le 25 juin 2024 doit être revêtue de l'exequatur
car les conditions posées par les articles 1514 et 1515 du code de procédure civile sont toutes satisfaites.
15. En réponse à la société Amor Jordan, elle expose qu'elle produit bien une traduction libre de la sentence arbitrale, rédigée en anglais, et soutient qu'il est indifférent que cette traduction n'ait pas été remise avec sa demande d'exequatur dès lors qu'il est seulement nécessaire qu'elle soit produite au jour où le juge de l'exequatur statue.
16. Elle soutient également que la sentence n'est pas manifestement contraire à l'ordre public international, aucune contrariété manifeste ne ressortant prima facie de la sentence arbitrale. Elle fait valoir qu'une telle contrariété ne peut résulter de l'invocation d'un fait postérieur à la délivrance de la sentence, ce qui est le cas du rapport comptable invoqué par la société Amor Jordan, et qu'aucune fraude procédurale n'est en outre démontrée par la société Amor Jordan qui se contente de procéder par voie d'affirmations.
17. La société Alessi Domenico souligne que la procédure d'arbitrage n'a pas porté sur les comptes de l'année 2015 auxquels se réfère le rapport comptable produit par la société Amor Jordan qui, dès lors, n'ont pu en aucun cas être déterminants de la décision prise par l'arbitre unique.
18. Elle conclut que les moyens présentés par la société Amor Jordan imposent un examen au fond de la sentence arbitrale, interdit au juge de l'exequatur.
19. La société Amor Jordan soutient en premier lieu que l'exequatur ne peut être conféré à la sentence querellée car la société Alessi Domenico n'a pas joint une traduction de cette sentence à sa demande d'exequatur, le fait qu'elle ait été transmise ultérieurement n'étant pas de nature à régulariser cette irrégularité.
20. Elle soutient en deuxième lieu que la sentence est manifestement contraire à l'ordre public international dès lors qu'elle a donné effet à une fraude documentaire en ce que le rapport d'audit du 9 décembre 2024 qu'elle produit révèle des irrégularités comptables qui remettent en cause la fiabilité des documents soumis à l'arbitre et ayant servi à fonder sa décision, alors qu'il a procédé à une compensation entre des factures impayées et un passif allégué de la société Amor Jordan sans accomplir de diligences particulières pour contrôler ce passif et solliciter des observations de la part des parties.
(ii) Appréciation de la juridiction
21. L'article 1515 alinéa 2 du code procédure civile prévoit qu'une traduction de la sentence arbitrale qui n'est pas rédigée en langue française doit être produite par la partie requérante.
22. En l'espèce, la société Alessi Domenico n'a pas joint une traduction de la sentence arbitrale du 25 juin 2024 à sa production de pièces concomitante au dépôt de ses conclusions d'incident aux fins d'exequatur du 9 décembre 2024. Elle a fourni cette traduction avec sa production de pièces complémentaires effectuée le 11 février 2025.
23. L'exequatur de la sentence étant en l'espèce demandée dans le cadre d'une procédure contradictoire devant le conseiller de la mise en état, et non par voie de requête adressée au président du tribunal judiciaire de Paris, il est seulement requis, pour que la procédure soit régulière, que la production de pièces, en ce compris la traduction en langue française de la sentence rédigée en anglais, intervienne en temps utile avant l'audience de plaidoirie sur incident afin que le principe de la contradiction soit respecté.
24. La traduction libre de la sentence ayant été produite plus de trois semaines avant que ne se tienne l'audience d'incident fixée au 6 mars 2025, un délai suffisant s'est écoulé afin que la société Amor Jordan puisse prendre connaissance de la traduction soumise au juge de l'exequatur pour statuer sur la demande qui lui est présentée par la société Alessi Domenico.
25. Il convient au surplus de constater que la société Amor Jordan n'élève aucune critique quant à l'exactitude
de la traduction fournie par la société Alessi Domenico.
26. Par suite, les conditions posées par l'article 1515 du code de procédure civile sont en l'espèce satisfaites.
27. Aux termes de l'article 1514 du code de procédure civile, les sentences arbitrales sont reconnues ou exécutées en France si leur existence est établie par celui qui s'en prévaut et si cette reconnaissance ou cette exécution n'est pas manifestement contraire à l'ordre public international.
28. Il en découle que le refus de la demande d'exequatur ne saurait résulter de l'appréciation du seul caractère sérieux allégué d'un cas d'annulation invoqué devant le juge du recours, fût-il celui tiré de la violation de l'ordre public international, le sérieux d'un cas d'annulation ne caractérisant pas nécessairement son caractère manifeste.
29. La contrariété manifeste à l'ordre public international doit ressortir de la seule lecture de la sentence sans qu'il soit nécessaire, pour accéder à la demande de rejet, de procéder à un examen des éléments produits au soutien du recours en annulation.
30. Au soutien de sa demande de rejet de l'exequatur de la sentence formée au motif de l'existence d'une fraude dans l'arbitrage, la société Amor Jordan se fonde sur un rapport d'analyse comptable portant sur la période allant du 1er janvier au 15 avril 2015, établi par son expert-comptable jordanien le 9 décembre 2024 et communiqué pour la première fois dans le cadre du présent incident (pièces n°3 et 4 de la société Amor Jordan).
31. Il en ressort que les irrégularités invoquées sur cette période ayant précédé l'acte de cession de titres et l'accord commercial du 15 avril 2015 portent, d'une part, sur une différence de 46 297,22 grammes d'or fin entre le solde de l'inventaire au 1er janvier 2015 et le solde de l'inventaire effectué pour les besoins de l'acte de cession de titres ainsi qu'une différence de 1 472 971 dollars américains sur les soldes du compte de créances clients entre ces deux mêmes dates.
32. Il en résulte, dans le cadre du contrôle limité de la sentence qui incombe au juge de l'exequatur, que ce rapport comptable commandé par la société Amor Jordan ne peut utilement être invoqué au soutien d'une contestation de la contrariété manifeste de la sentence à l'ordre publique international qui est alléguée en l'espèce dès lors que :
i. les éléments et analyses comptables contenus dans ce rapport sont postérieurs à la clôture de la procédure arbitrale et n'ont en aucune façon été portés à la connaissance de l'arbitre au cours de celle-ci, de sorte qu'il ne peut lui être reproché de ne pas en avoir tenu compte ;
ii. ces éléments et analyses comptables portent sur une période qui n'était pas en litige puisque le solde des sommes dues au titre de l'accord commercial a été arrêté par la société Alessi Domenico sur une période allant du 1er février 2019 au 29 février 2020 (paragraphe 167 de la sentence) et que les réclamations de la société Amor Jordan elle-même portaient sur le non-respect par la société Alessi Domenico de la quantité minimale prévue à l'accord commercial pour les années 2019 et 2020 ;
iii. le rapport comptable élève une contestation afférente aux modalités d'exécution de l'acte de cession de titres et non à l'exécution et à la terminaison de l'accord commercial du 15 avril 2015 qui formaient seules l'objet du litige soumis au tribunal arbitral ;
iv. les éléments contenus dans ce rapport ne présentent aucun lien apparent avec le point débattu entre les parties relatif à l'imputation correcte ou non de paiements directement reçus par la société Alessi Domenico de divers clients au règlement des factures exigibles les plus anciennes ni avec l'analyse effectuée à cet égard par l'arbitre unique, contenue aux paragraphes 234 à 241 de la sentence.
33. La critique élevée par la société Amor Jordan sur le fondement du rapport comptable du 9 décembre 2024 qu'elle produit dans le cadre du présent incident requiert donc un examen au fond de la sentence du 25 juin 2024 qui ne relève pas du pouvoir de contrôle du juge de l'exequatur.
34. La seule lecture de la sentence ne permet nullement quant à elle de caractériser une violation manifeste de l'ordre public international.
35. Il sera en conséquence fait droit à la demande d'exequatur de la sentence rendue le 25 juin 2024.
B. Sur la demande d'arrêt de l'exécution de la sentence arbitrale
(i) Enoncé des moyens
36. La société Amor Jordan soutient que l'exécution de la sentence arbitrale lèserait gravement ses droits car, en cas d'annulation ultérieure de la sentence, elle ne disposerait d'aucun moyen d'obtenir la restitution des fonds réglés en France puisque la société Alessi Domenico n'y possède aucun actif.
37. Elle fait également valoir que l'exécution de la sentence provoquerait une dégradation grave de ses comptes et entrainerait son placement en procédure collective selon la loi jordanienne.
38. En réponse, la société Alessi Domenico fait valoir que la société Amor Jordan ne justifie pas d'un risque de non restitution en cas d'annulation de la sentence par la cour dès lors qu'il s'agit d'une société ayant son siège en Italie et que la reconnaissance des décisions est simplifiée au sein de l'Union européenne.
39. Elle soutient également que la société Amor Jordan ne produit aucune pièce de nature à caractériser le risque de dégradation financière qu'elle invoque, soulignant une contradiction avec les déclarations effectuées par son dirigeant au cours de l'audience arbitrale sur l'augmentation de son chiffre d'affaires.
(ii) Appréciation du mérite de l'incident
40. L'article 1526 du code de procédure civile dispose que : " Le recours en annulation formé contre la sentence et l'appel de l'ordonnance ayant accordé l'exequatur ne sont pas suspensifs. Toutefois, le premier président statuant en référé ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut arrêter ou aménager l'exécution de la sentence si cette exécution est susceptible de léser gravement les droits de l'une des parties. "
41. L'arrêt ou l'aménagement de l'exécution de la sentence doit être apprécié strictement, sous peine de rendre ineffectif l'absence d'effet suspensif du recours en annulation ou de l'appel de l'ordonnance d'exequatur.
42. Le bénéfice de l'arrêt ou de l'aménagement est ainsi subordonné à une appréciation in concreto de la lésion grave des droits que l'exécution de la sentence est susceptible de générer, de sorte que ce risque doit être, au jour où le juge statue, suffisamment caractérisé par la partie qui le sollicite.
43. La société Amor Jordan ne verse aux débats aucun élément comptable contemporain à sa demande d'arrêt de l'exécution de la sentence arbitrale. Ainsi, aucun compte de résultat, aucune bilan et aucune annexe détaillée permettant de justifier de la structure de ses actifs immobilisés et circulants ou de son passif ne sont fournis.
44. Elle produit une attestation de son expert-comptable jordanien en date du 29 janvier 2025 (pièce n°2 de la société Amor Jordan) qui indique ce qui suit : " As reflected in the company's accounting records as of the date of this letter, this amount will affect the company's financial position, which will result in a loss of 556,607 JD, and if the losses represent 278 % of the company's capital it will be subject to article 75 of the Jordanian companies Law No (22) of 1997 ('). "
45. Cependant cette attestation n'est étayée par aucun élément comptable circonstancié, l'évolution des produits et des charges de la société Amor Jordan demeurant indéterminée. Au surplus, elle présente un caractère purement hypothétique tant dans son analyse comptable que dans les conséquences économiques d'un règlement effectué par la société Amor Jordan en exécution de la condamnation prononcée à son encontre par la sentence querellée.
46. En outre, la lésion grave à ses droits qu'il appartient à la société Amor Jordan de démontrer ne peut se limiter à une difficulté ponctuelle de trésorerie, susceptible d'être couverte à court terme soit par une restructuration financière et comptable soit par l'ouverture de crédits. Aucun élément ne permet ici de caractériser un tel risque de lésion de ses droits.
47. Le risque de ne pouvoir obtenir la restitution des fonds versés en cas d'annulation de la sentence doit s'apprécier au regard d'une situation financière obérée de la société Alessi Domenico qui ne peut se déduire de la seule absence d'actifs sur le territoire français. La société Amor Jordan ne produit aucune pièce de nature à caractériser un tel risque.
48. Par suite, la demande d'arrêt de l'exécution de la sentence arbitrale du 24 juin 2024 à laquelle l'exequatur est accordé par la présente ordonnance sera rejetée.
C. Sur les frais de l'incident
49. La société Amor Jordan, partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera tenue de supporter la charge des dépens de l'incident, dont distraction au profit de Maître Benjamin Moisan en application de l'article 699 du code de procédure civile.
50. Pour ce motif, la société Amor Jordan sera condamnée à payer à la société Alessi Domenico la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité de procédure afin de compenser les frais de justice qu'elle a été contrainte d'exposer.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, le conseiller de la mise en état :
1) Confère l'exequatur à la sentence finale CCI n°26975/PAR/FJT du 25 juin 2024 rendue sous l'égide de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris,
2) Déboute la société de droit jordanien Amor Jordan Advanced Jewelry Technologies LLC de sa demande d'arrêt de l'exécution de la sentence finale CCI n°26975/PAR/FJT du 25 juin 2024,
3) Condamne la société de droit jordanien Amor Jordan Advanced Jewelry Technologies LLC aux dépens de l'incident, dont distraction au profit de Maître Benjamin Moisan en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
4) Condamne la société de droit jordanien Amor Jordan Advanced Jewelry Technologies LLC à payer la somme de trois mille euros (3 000,00 euros) à la société de droit italien Alessi Domenico S.p.A en application de l'article 700 du code de procédure civile et rejette le surplus de la demande.