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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 20 mai 2025, n° 24/01866

PARIS

Arrêt

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

DUPUY

Conseillers :

LAMBLING, HERMITE

CA Paris n° 24/01866

19 mai 2025

I/ Faits et procédure

1. La cour est saisie d'un appel contre la sentence arbitrale rendue à Paris le 13 décembre 2023 par M. le Professeur [O] [F], président du tribunal arbitral, M. [V] [L] et M. [D] [T], co-arbitres, dans un litige opposant la SAS Groupe Carré à M. [Y] [H].

2. Le Groupe Carré (ci-après dénommé " la défenderesse "), est une société spécialisée dans le négoce de céréales dans la région des Hauts-de-France.

3. M. [H] (ci-après dénommé " le demandeur "), est un entrepreneur individuel spécialisé dans le secteur d'activité de la culture de céréales.

4. Depuis 2012, les parties ont conclu plusieurs contrats de vente de céréales, avec des échanges préalables entre les commerciaux des deux cocontractants afin de s'accorder sur la quantité et le prix.

5. Le 23 août 2022, le Groupe Carré a adressé au demandeur trois lettres aux fins d'exécution des contrats suivants, dans un délai de huit jours :

- Un contrat n° CTA156669 daté du 28 février 2022 pour l'achat par le Groupe Carré de 200 tonnes de blé meunier à un prix de 260 euros par tonne, avec une période d'exécution moisson au plus tard le 30 août 2022 ;

- Un contrat n° CTA156670 daté du 28 février 2022 pour l'achat de 30 tonnes de Colza à un prix de 660 ' par tonne, avec une période d'exécution moisson au plus tard le 30 août 2022 ;

- Un contrat n°CTA144981 daté du 17 août 2021 pour l'achat de 100 tonnes de blé meunier à un prix de 194 ' par tonne, avec une période d'exécution moisson au plus tard le 30 août 2022.

6. Le 1er septembre 2022, le Groupe Carré a adressé une lettre au demandeur afin de constater qu'il n'avait pas remédié à son défaut d'exécution, de procéder ainsi à la résolution des contrats et de le mettre en demeure de régler le montant de 20.110,30 euros HT au titre du défaut d'exécution des contrats.

7. Le 12 septembre 2022, M. [H] a indiqué au défendeur qu'aucun contrat n'avait été conclu, qu'il n'apportait pas la preuve écrite desdits contrats et que, pour ces raisons, il n'était redevable d'aucune somme.

8. Le 9 mai 2023, le Groupe Carré a transmis à la CAIP une demande d'arbitrage sur le fondement de la clause compromissoire contenue dans chacun des contrats en des termes identiques :

" Toute contestation survenant entre acheteur et vendeur, ayant conclu la présente affaire, même celle concernant son existence et sa validité, sera jugée en dernier ressort par arbitrage organisé par la chambre arbitrale de Paris, conformément au règlement de celle-ci que les parties déclarent connaitre et accepter. "

9. Par sentence du 13 décembre 2023, le Chambre Arbitrale Internationale de Paris s'est déclarée compétente et a statué en ces termes :

' Condamne M. [Y] [H] à payer à la SAS Groupe Carré la somme de 20 100 euros HT ;

' Condamne M. [Y] [H] à payer à la SAS Groupe Carré les intérêts au taux légal sur la somme due au principal à compter du prononcé de la sentence ;

' Condamne M. [Y] [H] au paiement de l'intégralité des frais d'arbitrage et à rembourser à la SAS Groupe Carré les frais qu'il aura avancés ;

' Condamne M. [Y] [H] à payer à la SAS Groupe Carré la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

' Rejette toutes les autres demandes.

10. Par ordonnance du 18 janvier 2024, le Président du tribunal judiciaire de Paris a ordonné l'exequatur de cette sentence.

II/ Prétentions des parties

11. Dans ses dernières conclusions notifiées le 13 janvier 2025, M. [H] demande à la cour de :

- Dire que la Chambre Arbitrale de Paris s'est déclarée compétente à tort ;

- Annuler la sentence de la Chambre Arbitrale de Paris en date du 13 décembre 2023 en tout son dispositif.

Statuant à nouveau,

- Débouter à la SAS Groupe Carré de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner à la SAS Groupe Carré à payer à M. [H] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner à la SAS Groupe Carré aux entiers frais et dépens.

12. Dans ses dernières conclusions notifiées le 20 décembre 2024, le Groupe Carré demande à la cour de :

A titre principal,

- Rejeter le recours en annulation formé par Monsieur [H] à l'encontre de la Sentence arbitrale rendue à Paris le 13 décembre 2023 par la Chambre arbitrale internationale de Paris dans l'affaire enregistrée sous la référence n°3387 comme étant irrecevable et infondé ;

Par conséquent,

- Confirmer que l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris du 18 janvier 2024 produit son plein effet ;

A titre subsidiaire, si la sentence arbitrale devait être annulée,

- Renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;

A titre infiniment subsidiaire, si la sentence arbitrale devait être annulée,

- Confirmer les ventes parfaites ;

Et en conséquence,

- Juger que Monsieur [H] a violé les termes des trois contrats convenus avec la société Groupe Carré ;

- Condamner Monsieur [Y] [H], au titre la violation de ses obligations contractuelles, à verser à la société Groupe Carré la somme totale de 28 528.08 ' TTC en réparation du préjudice du fait de l'inexécution contractuelle ainsi qu'aux intérêts calculés conformément à ce qui est prévue à chaque facture émise ;

- Condamner Monsieur [H] à payer des dommages et intérêts à hauteur de 5.000 ' ;

En tout état de cause,

- Condamner Monsieur [Y] [H] à payer à la société Groupe Carré la somme de 15.000 ' HT au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner Monsieur [Y] [H] aux entiers dépens.

III/ Motifs de la décision

Enoncé des moyens des parties sur la compétence de la chambre arbitrale internationale de Paris

13. Le demandeur (M. [H]) soutient que :

- Un écrit est nécessaire pour reconnaître la validité de la clause compromissoire et l'acceptation de ladite clause par les parties. En l'espèce, aucune convention principale n'a été régularisée entre les parties permettant de prévoir le recours systématique à l'arbitrage, et la clause compromissoire litigieuse ne se réfère à aucun document, ni à aucune autre règle de droit applicable permettant de considérer que les parties l'auraient acceptée.

- Concernant les relations prétendument établies entre les parties, M. [H] et le Groupe Carré ont toujours voulu que leurs accords soient ponctuels de sorte que la réitération d'un nouvel accord signé était nécessaire dans un nouveau contrat. Or M. [H] n'a jamais accepté les contrats litigieux n°CTA156669, n°CTA156670, n°CTA144981, et la clause qui y est insérée ne répond pas aux exigences de l'article 1443 du code de procédure civile.

- Ainsi, il n'existe pas de commune intention des parties de recourir systématiquement à l'arbitrage pour l'ensemble des relations contractuelles futures. Il n'est donc pas possible de se référer aux anciens contrats passés entre les parties pour prétendre que la clause compromissoire est acceptée pour tous les contrats. Pour preuve, la clause compromissoire incluse dans les contrats précise de manière non équivoque que la clause concerne uniquement " la présente affaire ".

- Le Groupe Carré ne peut pas se prévaloir d'un principe d'oralité, qui n'existe pas en matière de céréales ; ainsi, les contrats adressés par le Groupe Carré portent précisément mention qu'ils doivent être " retournés signés ", et M. [H] signait d'ailleurs systématiquement les contrats. Au cas présent, il avait clairement manifesté oralement son désaccord sur ces contrats auprès de son interlocuteur au sein du Groupe Carré, M. [K], désaccord matérialisé par l'absence de signature des trois contrats litigieux.

- En outre, suivant la jurisprudence constante de la Cour de cassation, il n'est pas possible de se fonder sur une clause compromissoire lorsque le contrat aurait été conclu téléphoniquement puisque la clause est nécessairement écrite (Cass. Com., 15 juillet 1987, n° 86-10592).

14. Le Groupe Carré, défendeur, réplique que :

- Aucune exigence d'acceptation spéciale de la clause compromissoire n'est exigée par les textes. La forme que la convention d'arbitrage doit revêtir reste très libre et la façon dont le consentement des parties se manifeste est ouverte. Ainsi, comme le rappelle la sentence arbitrale, l'acceptation de la clause compromissoire ne dépend aucunement d'une signature ou d'une acceptation expresse, mais peut résulter d'une relation d'affaires entre les parties, manifestée par la conclusion régulière de contrats entre elles et l'inclusion systématique d'une clause compromissoire en leur sein (1ère Civ. 13 avril 2023 n° 22-14.708), solution qui ressort au demeurant d'une jurisprudence ancienne, remontant aux années 1970.

- En l'espèce, les parties ont conclu 36 contrats sur une dizaine d'années, tous présentés sous la même forme, à savoir un récapitulatif écrit d'accords verbaux, comportant tous la même clause compromissoire depuis l'origine. Ne s'agissant pas, comme l'indique la partie adverse, de contrat-cadre ni de relation commerciale continue mais bien de 36 contrats indépendants sur dix ans, M. [H] a eu autant de fois l'occasion de prendre connaissance de la clause compromissoire, ainsi que l'opportunité de s'opposer ou de discuter les conditions contractuelles ; or il n'a jamais émis d'avis contraire à l'application de la clause compromissoire.

- La partie adverse a exécuté 33 contrats, dont 26 qui n'avaient pas été signés. Concernant les 3 contrats litigieux, qu'elle n'a pas signés, elle n'a émis aucune réserve durant la période d'exécution, se contentant de ne pas livrer lors de la date prévue et contestant a posteriori les accords.

- La mauvaise foi de la partie adverse est d'autant plus grossière qu'elle rappelle elle-même un extrait de la clause compromissoire (" ayant conclu la présente affaire ") et non la suite qui précise que ladite clause couvre " toute contestation ['] même celle concernant son existence et sa validité ". Le consentement de soumettre systématiquement tout différend à l'arbitrage est par conséquent acquis tant en droit qu'en fait.

- A titre subsidiaire, si l'article 1493 du Code de procédure civile dispose que " Lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l'arbitre, sauf volonté contraire des parties ", il n'en demeure pas moins que la jurisprudence considère de longue date que dans le cas particulier où l'annulation d'une sentence arbitrale est fondée sur l'incompétence, la cour ne peut alors trancher le fond du litige. Elle doit en effet s'abstenir de statuer au fond et renvoyer les parties à mieux se pourvoir sans qu'il y ait lieu à désigner la juridiction qui devrait être saisie. Ce principe est d'autant plus raisonnable que l'absence de juridiction du tribunal arbitral empêche effectivement de facto la cour de céans de pouvoir être investie " dans les limites de la mission de l'arbitre " selon les termes de l'article 1493 du Code de procédure civile, envisagés dans les autres cas d'annulation.

Appréciation de la cour

15. L'article 1492, 1° du code de procédure civile dispose que le recours en annulation est ouvert si le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.

16. Il résulte de ce texte que, sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties, le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage. Ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence.

17. Selon l'article 1443 du code de procédure civile la convention d'arbitrage est, à peine de nullité, écrite. Elle peut résulter d'un échange d'écrits ou d'un document auquel il est fait référence dans la convention principale. Aux termes de l'article 1447 du code de procédure civile, la convention d'arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte et elle n'est pas affectée par la seule inexistence de celui-ci.

18. L'article 2061 du code civil précise par ailleurs que la clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l'oppose, à moins que celle-ci n'ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l'a initialement acceptée. Lorsque l'une des parties n'a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée.

19. Il résulte de ces textes que si la clause compromissoire doit être écrite, son acceptation par les parties n'est quant à elle régie par aucune condition de forme spécifique et, que son existence ne dépend pas de la formation, de la validité ou de l'exécution du contrat principal litigieux.

20. En l'espèce, le tribunal arbitral a été saisi par le Groupe Carré sur le fondement de la clause compromissoire figurant parmi les conditions générales des contrats n° CTA156669, CTA156670 et CTA144981 qu'il affirme avoir conclus avec M. [H], qui dispose que " CLAUSE COMPROMISSOIRE : Toute contestation survenant entre acheteur et vendeur, ayant conclu la présente affaire, même celle concernant son existence et sa validité, sera jugée en dernier ressort par arbitrage organisé par la chambre arbitrale de Paris ([Adresse 2]), conformément au règlement de celle-ci que les parties déclarent connaître et accepter (Règlement disponible sur le site internet du Groupe Carré www.groupe-carre.fr ou au dépôt de réception) ".

21. Les trois contrats litigieux se présentent comme des confirmations de " contrats d'achat collecte - prix ferme ", et comportent sept paragraphes de conditions générales au bas du document, qui font état de la clause compromissoire susvisée (pièces n° 4 et 6).

22. M. [H] ne conteste pas avoir reçu les confirmations d'achat, dont le Groupe Carré justifie par la production de journaux informatiques d'envoi de documents.

23. Dès lors que la réception de ces confirmations d'achat, comportant une clause compromissoire directement rédigée en leur sein, est justifiée, il est établi que la clause d'arbitrage a été stipulée par écrit, la circonstance que les confirmations d'achat n'aient pas été signées par M. [H] étant, contrairement à ce qu'il allègue, sans incidence sur la validité de la clause.

24. S'agissant de l'acceptation de la clause compromissoire, il ressort du tableau récapitulatif des relations d'affaires entre les parties depuis 2012 et de l'échantillon de contrats produit par le Groupe Carré que M. [H] a exécuté 33 contrats sur dix années, dont seuls 7 étaient signés (pièce n° 4). La cour relève même que trois contrats de même date que les contrats litigieux ont été exécutés sans être signés (contrats n° CTA 144978 du 17 août 2021 et n° CTA 1566677 et n° CTA 156668 du 28 février 2022). L'affirmation de M. [H] selon laquelle il signait systématiquement tous ses contrats est donc inexacte.

25. Il est ainsi établi que 33 contrats ont été honorés sans avoir donné lieu à litige, et qu'ils ont été exécutés sans que ne soit soulevée par M. [H] une quelconque réserve ou opposition quant à la stipulation de la clause compromissoire y figurant. A cet égard, contrairement aux allégations de M. [H] qui dit avoir fait part téléphoniquement de son désaccord sur les contrats litigieux à M. [J] [K], son interlocuteur au sein du Groupe Carré, ce dernier témoigne au contraire ne pas avoir souvenir que ce dernier ait souhaité annuler un quelconque contrat en 2022 (pièce n° 9 du Groupe Carré).

26. Il en résulte que l'existence d'une relation d'affaire habituelle et suivie entre le demandeur au recours et le Groupe Carré est établie, et que cette relation contractuelle a été régie de façon constante par la même clause compromissoire figurant au recto des contrats. Il en découle que la preuve est apportée par le Groupe Carré de la parfaite connaissance et l'acceptation de la clause compromissoire par M. [H].

27. Il s'ensuit que le tribunal arbitral ne s'est pas déclaré compétent à tort et que le moyen doit être rejeté.

IV/ Sur les frais du procès

28. Echouant en son recours en annulation, M. [Y] [H] sera condamné au paiement des dépens en application des articles 695 et 696 du code de procédure civile.

29. Pour ce motif, il sera débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné à verser la somme de 10.000 euros au Groupe Carré.

V/ Dispositif

Par ces motifs, la cour :

1) Rejette le recours en annulation formé par M. [Y] [H] à l'encontre de la sentence arbitrale rendue le 13 décembre 2023 par la Chambre Arbitrale Internationale de Paris ;

2) Dit que ce rejet confère l'exequatur à la sentence arbitrale rendue le 13 décembre 2023 par la Chambre Arbitrale Internationale de Paris ;

3) Condamne M. [Y] [H] aux dépens du recours en annulation ;

4) Déboute M. [Y] [H] de sa demande formée au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile ;

5) Condamne M. [Y] [H] à payer à la SAS Groupe Carré la somme de 10.000 euros (dix mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

6) Déboute les parties de leurs autres demandes.

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