CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 13 avril 2021, n° 18/09809
PARIS
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseillers :
Schaller, Gaffinel
I – FAITS ET PROCÉDURE
Faits
1-La société AD Trade Belgium S.IR.L (ci-après « AD Trade) est une société de droit belge qui intervient dans le secteur de la défense et de la sécurité et a notamment pour activité le commerce d’armes, de munitions, d’équipements militaires et de matériels de surveillance ou d’espionnage.
2-Le 11 janvier 2011, la société AD Trade a conclu avec le Ministère de la Défense Nationale de la République de Guinée deux contrats:
— Un contrat de fourniture de biens et de prestations de services n° ADT-UR 134/11 relatif à l’établissement de l’unité de renseignement présidentielle, dénommé Projet Léopard.
— Un contrat de fourniture de biens et de prestations de services n° ADT-GR 133/11 relatif à la protection du domicile privé et du palais du Président de la République, dénommé Projet Panthère.
Procédure
3-À la suite d’un litige survenu entre la société AD Trade et la République de Guinée du fait de la résiliation unilatérale des contrats par la République de Guinée et de factures non soldées, la société AD Trade a, le 8 octobre 2015, introduit une procédure d’arbitrage sous l’égide de la CCI.
4-Par une Sentence rendue le 22 novembre 2017, le Tribunal arbitral a condamné la République de Guinée à payer à la société AD TRADE les montants suivants :
1) 31 906 745 euros à titre de payement pour les services et matériel fourni dans le cadre du Contrat Léopard ;
2) 13 782 599 euros à titre d’intérêts moratoires de 10.3% calculés jusqu’au paiement intégral sur tous les montants alloués sous le chiffre A.1 ;
3) Un intérêt moratoire capitalisé de 10.3% à partir du 6 octobre 2016 jusqu’au paiement intégral sur tous les montants alloués sous le chiffre A.1 ;
4) 157 402.50 USD au titre des frais d’arbitrage de la CCI et 385 119 euros à titre de frais de défense.
5-La Sentence a été notifiée le 16 mars 2018 à un représentant de l’agence judiciaire de l’État de la République de Guinée.
6-La Sentence a fait l’objet d’une ordonnance d’exequatur du président du tribunal de grande instance de Paris du 8 décembre 2017.
7-La République de Guinée a formé un recours en annulation devant la cour d’appel de Paris contre cette sentence par déclaration du 17 mai 2018.
II ' PRÉTENTION DES PARTIES
8-Aux termes de conclusions notifiées par voie électronique le 26 novembre 2020, la République de Guinée demande à la cour d’appel de Paris de:
À titre principal :
- JUGER que la reconnaissance et l’exécution de la Sentence seraient contraires à l’ordre public international français ;
— JUGER que le Tribunal arbitral a violé le principe de la contradiction ;
En conséquence :
(i) ANNULER la sentence arbitrale rendue le 22 novembre 2017 en ce que le Tribunal arbitral a condamné la République de Guinée au paiement de:
(A) 31.906.745 Euros, à titre de paiement pour les services et matériels fournis dans le cadre du Contrat Léopard ;
(B) 13.782.599 Euros en tant que intérêts moratoires simples de 10,3% calculés jusqu’au paiement intégral sur tous les montants alloués en compensation des services et matériels fournis dans le cadre du Contrat Léopard ;
(C) un intérêt moratoire capitalisé de 10,3% à partir du 6 octobre 2016 jusqu’au paiement intégral sur tous les montants alloués en compensation des services et matériels fournis dans le cadre du Contrat Léopard ;
(D) 157.402,50 USD au titre des frais d’arbitrage de la CCI et 385.119 Euros à titre de frais de défense ;
(ii) ANNULER l’ordonnance d’exequatur rendue le 8 décembre 2017 par le Président Tribunal de grande instance de Paris, en ce qu’elle rend exécutoires les termes de la Sentence visés dans le point (i) ci-dessus ;
À titre subsidiaire :
JUGER que le Tribunal arbitral a manqué, ensemble, au principe de la contradiction et à sa mission dans sa détermination du taux d’intérêt applicable au montant de la condamnation au principal ;
En conséquence :
(i) ANNULER la Sentence arbitrale rendue le 22 novembre 2017, en ce que le Tribunal arbitral a condamné la République de Guinée au paiement de :
(A) 13.782.599 Euros en tant que intérêts moratoires simples de 10,3% calculés jusqu’au paiement intégral sur tous les montants alloués en compensation des services et matériels fournis dans le cadre du Contrat Léopard ;
(B) un intérêt moratoire capitalisé de 10,3% à partir du 6 octobre 2016 jusqu’au paiement intégral sur tous les montants alloués en compensation des services et matériels fournis dans le cadre du Contrat Léopard ;
(ii) ANNULER l’ordonnance d’exequatur rendue le 8 décembre 2017 par le Président du Tribunal de grande instance de Paris, en ce qu’elle rend exécutoire les termes de la sentence visés dans le point (i) ci-dessus ;
En tout état de cause, de :
CONDAMNER la société A.D. – Trade Belgium S.IR.L. à verser à la République de Guinée la somme de 230.000 Euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’au paiement des entiers dépens de l’instance.
9-Aux termes de conclusions notifiées par voie électronique le 13 janvier 2021, la société A.D Trade Belgium demande à la cour d’appel de Paris, de :
— DIRE ET JUGER que la reconnaissance et l’exécution de la Sentence rendue le 22 novembre 2017 par un tribunal arbitral constitué sous l’égide de la Chambre de Commerce Internationale de Paris (Affaire CCI n° 21390/MCP/DDA) ne violent pas la conception française de l’ordre public international ;
— DIRE ET JUGER que le Tribunal arbitral a respecté le principe du contradictoire ainsi que sa mission ;
— DÉBOUTER la République de Guinée de son recours en annulation de la Sentence rendue le 22 novembre 2017 par un tribunal arbitral constitué sous l’égide de la Chambre de Commerce Internationale de Paris (Affaire CCI n° 21390/MCP/DDA) ;
— CONDAMNER la République de Guinée à payer à AD Trade la somme de 200.000 €, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens qui seront recouvrés par FTMS Avocats en application de l’article 699 du code de procédure civile.
III ' MOTIFS DE LA DECISION
Sur le moyen d’annulation partielle tiré de la contrariété de la sentence à l’ordre public international ( article 1520°5 du Code de procédure civile)
10-La République de Guinée soutient en premier lieu que la sentence encourt l’annulation au visa de l’article 1520°5 du Code de procédure civile, en ce que sa reconnaissance et son exécution seraient contraires à l’ordre public international en ce qu’elle donne effet au contrat Léopard, marché conclu en violation de l’exigence d’approbation des marchés publics prévue par l’article 37 du code des marchés publics guinéen. Elle fait valoir que l’article 37 du code guinéen des marchés publics est une loi de police dont les dispositions relèvent à double titre de l’ordre public international français, en ce qu’elles portent en elles des principes essentiels du droit français et en ce qu’elles reflètent un consensus international sur les modalités de réglementation de la commande publique.
11-Elle explique que ces dispositions sont relatives à la commande publique et ont pour finalité le respect d’un principe fondamental de comptabilité publique et que les règles qui régissent la commande publique sont des règles impératives du droit public, le défaut d’approbation d’un marché
public étant par ailleurs sanctionné par une nullité de plein droit.
12-Elle ajoute qu’au sens du droit guinéen, la qualité de loi de police des dispositions de l’article 37 du code guinéen des marchés publics n’est précisément pas contestable, ni leur impérativité ni leur participation à la sauvegarde de l’ordre économique, politique et social de l’État en ce qu’elles participent du respect du principe du bon usage des deniers publics. Elle précise que des dérogations prévues par la loi ne remettent pas en cause l’impérativité de cet article et qu’elles ne concernent pas l’exigence d’approbation des marchés publics. Elle ajoute que ses dispositions n’ont pas été abrogées avec l’édiction d’un nouveau code des marchés publics et se trouvent à l’article 13 du nouveau code et à l’article 74 de son décret d’application.
13-Selon elle, l’exigence d’approbation des marchés publics du droit guinéen assure la sauvegarde de principes essentiels de la commande publique de bon usage des deniers publics et de licéité des contrats administratifs également reconnus et poursuit des objectifs et valeurs essentiels partagés aussi par l’ordre juridique français de sorte que l’exigence guinéenne d’une approbation des marchés publics relève de la conception française de l’ordre public international.
14-Elle ajoute que l’exigence guinéenne d’approbation des marchés publics relève de l’ordre public international en ce qu’elle reflète un consensus international sur les mécanismes de réglementation de la commande publique que le juge de l’annulation est tenu de préserver.
15-Elle fait enfin valoir que les motifs d’irrecevabilité retenus par le tribunal arbitral, et repris par la société AD trade dans la présente procédure, tirés de prescription et de déchéance en application du droit français, ne sont pas de nature à empêcher un recourant de se prévaloir d’une violation de l’ordre public international de fond, en particulier de direction.
16-La République de Guinée soutient en second lieu que la Sentence est contraire à l’ordre public international en ce qu’elle donne effet au contrat Léopard conclu en violation des dispositions d’ordre public de la Décision 2010/638/PESC du 25 octobre 2010, aux termes de laquelle le Conseil de l’Union européenne a prohibé la réalisation par tout ressortissant européen d’opérations commerciales, liées à certains équipements militaires ou autres équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne, à destination de la République de Guinée.
17-Elle soutient que des mesures d’embargo sur des équipements militaires sont des mesures d’ordre public qui poursuivent un but légitime de maintien de la paix et de sécurité internationale et qu’elles relèvent d’une politique fondamentale de l’Union européenne et ses Etats membres. Elle estime que ces mesures relèvent donc de l’ordre public international français.
18-La République de Guinée soutient que les équipements objet du contrat Léopard entraient dans les prévisions de la décision 2010/638/PESC, au regard de ses « Lignes directrices », qui apportent des éléments de définition. Elle ajoute qu’ils entraient également dans la définition d’équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression, tel que visé à l’article 1.1 de la Décision 2010/638/PESC et au regard de la liste établie à l’annexe I du Règlement n° 1284/2009.
19-La République de Guinée précise qu’il ne peut lui être opposé de ne pas avoir invoqué les sanctions internationales au soutien d’une demande tendant à voir déclarer illicite le contrat litigieux devant les arbitres, car cela ne dispense pas le juge de l’annulation de procéder à ce contrôle.
20-Elle ajoute par ailleurs que l’abrogation des mesures restrictives de la Décision 2010/638/PESC, intervenue le 14 avril 2014 ne l’empêche pas de les invoquer en l’espèce, en raison d’une part du caractère permanent du principe d’ordre public de prohibition du commerce d’équipements militaires en violation de sanctions internationales et d’autre part que la violation d’un embargo sur la vente d’équipements militaires est toujours préjudiciable aux intérêts de la société internationale, ce qui exclut dans un tel cas l’application du principe d’actualité de l’ordre public.
21-En réponse, la société AD Trade fait valoir en premier lieu que la question qui se pose est celle de savoir si la Sentence donne effet à un contrat conclu en violation d’une loi de police française reconnue comme relevant de la conception française de l’ordre public international et non d’une loi de police étrangère.
22-Elle ajoute que l’article 37 du code guinéen des marchés publics, dont il n’est pas contesté que ses dispositions n’ont pas été appliquées aux contrats Panthère et Léopard, n’est pas une loi de police guinéenne. Elle explique que l’article 37 institue une procédure interne de validation lorsque le contrat est déjà signé et qu’elle doit être mise en 'uvre à la seule initiative de l’administration guinéenne de sorte qu’une règle relative au processus de validation a posteriori d’un marché public, tel que posé par l’article 37, ne constitue pas une loi de police.
23-Elle soutient de plus que le défaut d’approbation a posteriori par le Ministre chargé des finances n’est pas une violation grave, dès lors que la loi elle-même institue plusieurs dérogations qui s’appliquaient aux contrats litigieux. Elle ajoute que l’article 37 est rarement respecté, sans que la sanction de la nullité de soit jamais appliquée, comme l’établit un audit national. Elle ajoute qu’il est désormais supprimé pour les marchés du type Léopard et Panthère, les dispositions ayant été abrogées et remplacées par la Loi n°L/2012/020/CNT du 11 octobre 2012 et un décret n° D/2O12/128/PRG/SGG du 3 décembre 2012 qui attribuent une compétence exclusive au Président de la République, et à une commission spéciale placée à ses côtés et ne relevant que de lui, dont il se déduit que la République de Guinée considère que l’approbation par le Ministre des finances des marchés de sécurité n’est pas nécessaire à la sauvegarde de son organisation politique, sociale et économique.
24-La société AD Trade ajoute que la règle énoncée par l’article 37 ne fait pas partie de la conception française de l’ordre public international. Elle soutient que l’approbation du Ministre des finances n’est pas un principe en droit français. Elle conteste l’affirmation de la République de Guinée selon laquelle la règle instituée par l’article 37 participerait au principe de bon usage des deniers publics, et que cet objectif est sans portée internationale et ne peut relever de l’ordre public international français. Elle ajoute que le principe de licéité des contrats administratifs issu de l’interdiction des vices du consentement ne trouve pas non plus à s’appliquer en l’espèce. Elle souligne enfin que l’article 37 ne fait pas l’objet d’un consensus international et que tous les textes qui, selon la République de Guinée, imposeraient l’approbation a posteriori des marchés publics par le Ministre des finances, ne se réfèrent en réalité qu’à une faculté pour les États de faire approuver les marchés publics avant leur entrée en vigueur.
25-La société AD Trade fait également valoir que le non-respect de l’article 37 invoqué par la République de Guinée ne relève que de la responsabilité de cette dernière, de sorte qu’en application du principe de 'non venire’ et de bonne foi, elle ne peut se prévaloir, après-coup, de la violation de sa propre législation à l’encontre de son co-contractant. Selon elle, le Tribunal arbitral, en n’admettant pas que la République de Guinée puisse se prévaloir, au détriment d’AD Trade, de son propre comportement, n’a pas violé la conception française de l’ordre public international. Elle précise également que le Tribunal arbitral a estimé que la République de Guinée était irrecevable, car prescrite, à soulever la nullité des Contrats Léopard et Panthère et que c’est à juste titre qu’il a appliqué le droit français à cette question.
26-Elle conclut que le moyen développé devant la cour a pour objet de remettre en cause l’appréciation, au fond, du Tribunal arbitral sur la recevabilité de la République de Guinée à se prévaloir du non-respect de l’article 37, ce qu’elle ne peut faire, toute révision de la sentence par le juge de l’annulation étant prohibée.
27-S’agissant de la méconnaissance prétendue des mesures d’embargo, la société Ad Trade expose que les matériels livrés ou reçus, objet des Contrats, pour lesquels la Sentence a prononcé une condamnation n’étaient pas soumis aux mesures d’embargo invoquées par la République de Guinée et
produit au soutien de sa démonstration deux rapports d’expert. Elle fait valoir que les critiques soulevées par la République de Guinée, qui n’a pas demandé d’expertise judiciaire, à l’égard de ces experts sont sans fondement.
28-Elle explique par ailleurs que le contexte sécuritaire et politique en République de Guinée entre 2008 et 2010 a contraint l’UE à mettre en place des mesures restrictives à son encontre, qu’elle a ensuite levées en 2014. Elle soutient qu’aux jours de la demande d’arbitrage et du prononcé de la Sentence (et a fortiori au jour où la cour statuera) les mesures restrictives étaient définitivement annulées par une Décision modificative de l’UE du 14 avril 2014 et un Règlement de la même date et soutient que la République de Guinée s’est déloyalement gardée de les révéler à la cour de sorte que la République de Guinée se prévaut ainsi à tort d’une réglementation européenne qui a été définitivement abrogée de sorte qu’elle ne peut s’en prévaloir devant le juge de l’annulation.
29-La société AD Trade ajoute que la République de Guinée n’a à aucun moment durant l’instance arbitrale prétendu que les contrats litigieux entraient en violation des mesures restrictives européennes de sorte qu’elle reconnaissait que compte tenu de la nature des matériels livrés, celles-ci n’étaient pas violées et qu’elle doit être réputée avoir renoncé à se prévaloir du moyen tiré de la violation des Mesures restrictives alors que l’existence de ces mesures restrictives était connue de la République de Guinée au moment de l’arbitrage.
30-Elle soutient en outre que cette violation n’a pas été invoquée devant l’arbitre de telle sorte qu’elle ne peut être flagrante, et que la cour doit refuser de juger autre chose que le travail de l’arbitre étant observé que si le juge de l’annulation peut porter une appréciation en droit et en fait sur les éléments qui sont dans la sentence déférée à son contrôle, il ne peut statuer au fond sur un litige complexe non tranché par les arbitres et qui nécessiterait une instruction bien plus complète que celle résultant d’un échange de conclusions devant lui. Elle considère que l’attitude procédurale de la République de Guinée démontre qu’elle a reconnu que l’ordre public international, sur lequel l’annexe A1-9 du Contrat Léopard avait attiré son attention, n’avait pas été méconnu puisque le Contrat Léopard 362 visait expressément la décision 2010/638/PESC et le fait qu’une partie du matériel qui devait être livré au titre du Contrat Léopard en relevait.
SUR CE ;
Sur le grief tiré de la méconnaissance d’une loi de police étrangère intégrée dans l’ordre public international français ;
Bref rappel de la sentence rendue le 22 novembre 2017 :
31-En l’espèce, le tribunal arbitral a, au terme de la sentence litigieuse, constaté que les parties s’accordaient pour qualifier les contrats Léopard et Panthère de marchés publics et admis qu’ils devaient être soumis en application de l’article 37 du code des marchés publics, dont le tribunal arbitral a considéré qu’il constituait une loi de police guinéenne, à l’approbation du ministre chargé de l’économie et des finances, à peine de nullité.
32-Cependant rappelant que le contrat était régi par la loi française, et répondant au moyen tiré de la prescription de l’exception de nullité soulevée par la société AD Trade, le tribunal arbitral a considéré que cette exception de nullité était prescrite pour avoir été formée plus de 5 ans après la date à laquelle les autorités connaissaient le défaut formel affectant les contrats estimant en outre que l’irrégularité affectant les marchés publics n’était pas d’une gravité telle qu’elle pouvait justifier la remise en cause des engagements et ce alors que cette irrégularité résultait de la seule attitude de la République de Guinée qui avait seule choisi de ne pas respecter cette exigence.
33-Il ressort également de cette sentence que le tribunal arbitral a rejeté le moyen soulevé par la République de Guinée portant sur la nullité des contrats pour dol en raison de ce que la société AD
Trade l’aurait trompée en violant son devoir de conseil et d’information pendant la phase de négociation notamment sur les prix facturés. Le tribunal arbitral a écarté cette demande en considérant au terme d’un raisonnement en droit et en fait (paragraphes 199 à 217) qu’il n’était pas démontré que « les prix du contrat Léopard révélerait qu’AD TRADE aurait délibérément trompé son cocontractant sur la valeur des prestations et équipements fournis et sur l’adéquation des prix proposés ».
L’office du juge de l’annulation au regard de la loi de police étrangère
34-Il convient de rappeler que le juge de l’annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l’ordre juridique français et non juge de l’affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d’arbitrage.
35-Son contrôle n’a donc pas pour objet de vérifier que des stipulations contractuelles ont été correctement exécutées ou des dispositions légales correctement appliquées, mais seulement de s’assurer, dans le cadre du contrôle du respect de l’article 1520, 5° du code de procédure civile, qu’il ne résulte pas de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence une violation manifeste, effective et concrète de l’ordre public international.
Sur le non respect de la loi de police étrangère de la République de Guinée
36-En l’espèce, le moyen est ici précisément articulé au regard de la seule violation de l’article 37 du code des marchés publics, dont la République de Guinée soutient qu’il constitue une loi de police, et qui dispose que « Tous les marchés publics, [quels que soient] leurs montants et leurs sources de financement, sont soumis à l’approbation du Ministre chargé des finances, lequel peut déléguer son pouvoir d’approbation dans des conditions qu’il fixe par arrêté [']./ Les Marchés publics qui n’ont pas été approuvés, conformément aux dispositions du présent chapitre sont nuls et de nul effet, ainsi que tous les actes accomplis pour leur exécution ».
37-Cependant, d’une part, la République de Guinée ne peut invoquer devant le juge de l’annulation la violation de sa propre législation pour se délier de ses engagements contractuels étant observé que le défaut d’approbation des contrats n’est pas imputable à la société AD Trade.
38-D’autre part, la seule méconnaissance d’une loi de police étrangère ne peut conduire en elle-même à l’annulation d’une sentence arbitrale. Elle ne peut y conduire que si cette loi de police protège une valeur ou un principe dont l’ordre public français lui-même ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international. Ce n’est que dans cette mesure que des lois de police étrangères peuvent être regardées comme relevant de l’ordre public international français.
39-A cet égard, il convient de relever qu’en soi la seule méconnaissance d’une formalité administrative d’approbation ministérielle imposée par une loi de police étrangère, ne peut être constitutive d’une violation de l’ordre public international français, d’autant que le droit français de la commande publique, même impératif, ne comporte pas de disposition similaire à l’article 37 du code des marchés publics guinéens.
40-En outre, les objectifs qui ont conduit la Commission des Nations Unies pour le droit du commerce international (CNUDCI) à adopter une loi type sur la passation des marchés publics, laquelle reflète le consensus international sur la nécessité de mettre en place des législations permettant de réguler la passation des marchés publics, tiennent plus précisément, comme il ressort du préambule de la loi type adoptée par cette Commission le 1er juillet 2011, à la volonté de parvenir à « un maximum d’économie et d’efficacité dans la passation des marchés », à « Favoriser et encourager la participation des fournisseurs et entrepreneurs aux procédures de passation des marchés sans distinction de nationalité, et promouvoir ainsi le commerce international », à « Promouvoir la concurrence entre fournisseurs et entrepreneurs pour la fourniture de l’objet du marché » et à « Garantir le traitement juste, égal et équitable de tous les fournisseurs et entrepreneurs »; à « Promouvoir l’intégrité et l’équité du processus de passation des marchés et la confiance du public dans ce processus » et à « assurer la transparence des procédures de passation des marchés ».
41-Cette loi type n’impose nullement l’adoption d’une mesure d’approbation ministérielle pour préserver ces principes de sorte qu’une législation qui ne la reprendrait pas ou la seule méconnaissance d’une telle formalité n’est pas nécessairement de nature à affecter le marché public d’un vice universellement reconnu.
42-Au contraire, il est expressément indiqué dans la note 4 de l’article 27 de cette Loi type consacré aux méthodes de passation des marchés que « Les États pourront choisir de ne pas incorporer dans leur législation toutes les méthodes de passation de marchés énumérées dans le présent article, mais il faudrait toujours prévoir suffisamment d’options, dont l’appel d’offres ouvert. Sur cette question, voir le Guide pour l’incorporation dans le droit interne de la Loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics. Les États peuvent décider d’exiger, pour certaines méthodes de passation de marchés, l’approbation d’une autorité supérieure désignée ».
43-Il en résulte que les Etats conservent une marge d’appréciation pour la régulation de la passation des marchés publics.
44-Il convient en conséquence de considérer que le grief allégué, articulé autour de la seule méconnaissance de la loi de police étrangère, n’est pas de nature à heurter l’ordre public international français.
45-Ce grief sera en conséquence rejeté.
Sur la violation de mesures européennes d’embargo
Sur la recevabilité de ce grief ;
46-Ce grief étant fondé sur une violation de l’ordre public international, il est recevable devant le juge de l’annulation, quand bien même, la République de Guinée ne l’aurait pas soulevé devant le tribunal arbitral.
Sur le bien fondé de ce grief ;
47-Par décision n°2010/638/PESC du 25 octobre 2010, le Conseil de l’Union européenne a interdit « la vente et la fourniture à la République de Guinée ['], par les ressortissants des États membres ou depuis le territoire des États membres, ['], d’armements et de matériels connexes de quelque type que ce soit, y compris des armes et des munitions, des véhicules et des équipements militaires, des équipements paramilitaires et des pièces détachées pour les articles précités, ainsi que des équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne, qu’ils proviennent ou non de leur territoire ».
48-Ainsi que cela résulte des considérants de cette décision, ces mesures ont été prises après que le 27 octobre 2009, « le Conseil a adopté la position commune 2009/788/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la République de Guinée, en réaction à la répression violente à laquelle les forces de sécurité se sont livrées contre des participants à des manifestations politiques, le 28 septembre 2009 à Conakry ».
49-Ces mesures d’embargo prononcées par l’Union européenne, en ce qu’elles visent à contribuer au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales, relèvent de la conception française de l’ordre public international dès lors que les règles et valeurs ainsi véhiculées font partie
de celles dont l’ordre juridique français ne doit pouvoir souffrir la méconnaissance.
50-Cependant,il convient de rappeler que le juge de l’annulation n’étant ni le juge du contrat, ni celui de sa conformité à une norme interne ou internationale mais seulement le juge de l’insertion de la sentence dans l’ordre juridique national, la conformité d’une sentence arbitrale à l’ordre public international s’apprécie au moment où il statue sur celle-ci et non à la date à laquelle elle a été rendue, ni a fortiori à la date des faits à l’origine de l’affaire.
51-Il y a dès lors lieu de prendre en compte l’évolution de la situation internationale et des valeurs communément admises par la communauté internationale pour apprécier si l’insertion d’une sentence dans l’ordre juridique interne est conforme à l’ordre public international et ce sans préjudice des actions en responsabilité le cas échéant civile ou pénale qui pourraient être diligentées à l’encontre des personnes qui enfreignent les mesures d’embargo au moment où elles étaient toujours en vigueur.
52-Il ressort à cet égard des pièces versées aux débats et notamment des écritures des parties ainsi que de la sentence que les mesures d’embargo précitées visaient précisément à sanctionner les actions du « Conseil national pour la démocratie et le développement » (le « CNDD »), dirigée par le Capitaine Moussa Dadis Camara qui avait pris le pouvoir en 2008 à la suite du décès du chef d’État précédent (Lansana Conté), et qui a réprimé le 28 septembre 2009 des manifestations de l’opposition et de la société civile avec un bilan d’au moins 156 morts et 109 femmes victimes de viols et mutilations sexuelles.
53-A la suite du départ forcé du Capitaine Moussa Dadis Camara, une période de transition s’est ouverte ayant permis l’organisation d’élections aux termes desquelles M. D E a été élu président de la République de Guinée avec le soutien de la communauté internationale et qui a reçu l’investiture le 21 décembre 2010 étant observé que les contrats litigieux ont été signés en janvier 2011 par les nouvelles autorités Guinéennes issues de l’élection libre ainsi organisée.
54-Tenant compte de l’évolution de la situation en République de Guinée, l’embargo sur les armes et l’embargo sur les équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne a été levé par décision n°2014/213/PESC du Conseil du 14 mars 2014 (suivi du Règlement UE n°380/2014 du 14 avril 2014).
55-A ce jour, ces mesures d’embargo ne font plus partie de l’ordre public international français.
56-En tout état de cause, il convient de rappeler que seule une violation caractérisée de l’ordre public international est susceptible d’emporter annulation d’une sentence arbitrale.
57-En l’espèce, le contrat n° ADT UR 134/11 dénommé « projet LEOPARD » signé le 11 janvier 2011 portait selon son article 1er sur la « fourniture de biens et la mise en oeuvre de divers services tels que décrits en Annexe A ' Dossier Technique ».
58-L’annexe A comporte plusieurs sous annexes et notamment une annexe A1-9 intitulée « Armements et munitions non létaux » qui renvoie à une note qui indique de manière expresse que « les deux parties s’engagent à respecter l’article 2 de la décision n°2010/638/CFSP qui exige une autorisation préalable d’export donnée par les autorités compétentes européennes, et la validité de l’annexe A1-9 est conditionnée à l’obtention de ladite autorisation. Le client s’engage à n’utiliser les biens de l’annexe A1-9 que dans un contexte de missions de protection».
59-Il n’est pas contesté que ces matériels n’ont finalement pas été livrés de sorte que s’agissant de ces matériels aucune violation des mesures européennes n’est caractérisée.
60-Outre les biens visés à cette annexe A1-9, le contrat prévoyait en son annexe A 2 la fourniture de matériel électronique suivant :
— Un système TrackPoint, ayant pour objet de recueillir, analyser et afficher les emplacements d’utilisateurs de téléphones mobiles en temps réels,
— Un système GALTrack qui a pour objet la surveillance de communications téléphoniques,
— Un système Cobra, permettant des mesures de paramètres de fréquences radioélectriques (localisation de l’émetteur),
— Un Centre de contrôle et de commandement (C3),
— Un véhicule de commandement, de filature et de surveillance,
— Un système GTrack d’interception tactique de communications,
— Un système TOPEYE de surveillance aérienne Jour/Nuit depuis un ballon gonflé à l’hélium,
— Divers équipements de surveillance audio et vidéo et de contre-surveillance (détection et localisation de systèmes de surveillance), dont les systèmes Oscor.
61-Pour justifier de ce que ces matériels ne rentrent pas dans le champ des mesures d’embargos précitées, la société AD Trade produit un rapport d’expertise en date du 26 février 2019 et son complément du 31 aout 2020, émanant de Monsieur N O, ingénieur diplômé de l’École Supérieure de Physique et Chimie Industrielles de Paris, dont l’expérience et la compétence ne peuvent être sérieusement mises en doute sur de simples allégations non étayées, et qui a notamment participé ainsi que l’indique son curriculum vitae à la constitution de dossiers de demande d’autorisation d’exportation d’équipement militaires depuis la France auprès de la Commission Interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre, ce qui le qualifie particulièrement pour mener l’expertise précitée.
62-L’expert a procédé à une analyse des caractéristiques techniques des matériels précités afin d’apprécier s’ils pouvaient être considérés comme des matériels militaires entrant dans le champ de la décisions 2010/638/PESC du 25 octobre 2010, de la Position commune n°2008/944/PESC adoptée par le conseil de l’Union du 8 décembre 2008 définissant les règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires, et le Règlement n°428/2009 du Conseil du 5 mai 2009 instituant un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit des biens à double usage (BDU).
63-Il en résulte que si les matériels précités sont susceptibles de relever de la catégorie 3 «électronique » issue de la liste des biens à double usage annexée au Règlement n°428/2009 (s’agissant du système Cobra, le véhicule de commandement et de surveillance, et le système Oscor), de la catégorie 4 «calculateur» (s’agissant du centre C3 de contrôle, commandement et communication), de la catégorie 5 «télécommunication et sécurité de l’information» (s’agissant du système Cobra, et du système Oscor), et de la catégorie 6 «capteurs et lasers» (s’agissant de la caméra thermique installée sur le système TOPEYE), l’expert précise que pour chacun des matériels visés, aucun ne dépasse les seuils effectivement mentionnés dans l’annexe 1 du règlement précité 428/2009.
64-De même au terme de son rapport complémentaire en date du 31 août 2020, l’expert a comparé les matériels du contrat LEOPARD avec ceux de la Liste commune des équipements militaires de l’Union européenne adoptée le 15 février 2010. A cet égard, l’expert a estimé que les équipements précités étaient susceptibles de relever des catégories ML11 « Matériel électronique » (système Cobra, véhicule de commandement et de surveillance et système Oscor, TrackPoint, Gtrack et Galtrack) et ML 15 « matériel d’imagerie » (système TOPEYE).
65-Cependant, s’agissant des matériels relevant de la catégorie ML 11, il ressort de cette liste qu’elle concerne des matériels « spécialement conçus pour l’usage militaire » et l’expert de constater que tel n’est pas le cas des matériels précités qui sont accessibles pour tous publics et y compris civils de sorte qu’ils ne rentrent pas dans le champ couvert.
66-Il en est de même s’agissant des matériels relevant de la catégorie ML 15, dont il ressort qu’elle concerne des matériels « spécialement conçus pour l’usage militaire » et l’expert de constater que les caméras du système TOPEYE et du véhicule de commandement sont conçus pour des applications civiles telles que le contrôle de trafic routier, la sécurité civile de sorte qu’ils ne sont pas « spécialement conçus pour l’usage militaire ».
67-La société AD Trade produit également l’expertise de Monsieur F G, « export control », diplomé de l’Ecole Supérieure Electronique de l’Armée de terre ayant notamment passé sept années à la DGA, qui conclut au terme d’une expertise détaillée qu’il « n’est pas dès lors manifeste que (') la fourniture des équipements et prestations supposément livrés par AD Trade au titre du Contrat Léopard a été effectuée en violation des dispositions impératives de la Décision 2010/638/PESC ».
68-En réponse à ces analyses détaillées et concordantes, la République de Guinée considére que les biens et services ainsi objet du contrat tombent sous le coup de la mesure d’embargo précitée 2010/638/PESC sans procéder à une analyse détaillée et étayées pour le démontrer étant observé qu’elle n’ignorait en tout état de cause pas lors de la conclusion de ce contrat que certains des matériels visés par ce contrat rentraient dans le champ des mesures d’embargo ' et précisément ceux visés à l’annexe A1-9- puisque pour ces matériels (qui n’ont pas été effectivement livrés) le contrat mentionne expressément la décision n°2010/638/PESC et la nécessité d’obtenir une autorisation préalable d’export.
69-Il ne peut non plus être opposé qu’il n’est pas établi que certains de ces matériels ne puissent pas non plus rentrer dans la catégorie « des équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne », également prohibés, alors que cette circonstance n’est nullement étayée par la République de Guinée qui au surplus est mal placée pour se prévaloir de cette circonstance alors que le contrat a été signé par elle après qu’un processus démocratique d’élections libres a été organisé, que la condition qu’elle dénonce ne dépendait que de sa seule volonté et que de telles utilisations ne sont pas établies, ce qui a d’ailleurs conduit l’Union européennes à lever les mesures restrictives en 2014.
70-Au regard de ces éléments, qui au surplus ne permettent de conclure à l’entrée du contrat LEOPARD dans le champ des mesures d’embargos précitées, le moyen sera rejeté.
Sur le moyen d’annulation tiré de la violation du principe de la contradiction (article 1520.4° du Code de procédure civile)
71-La République de Guinée soutient que le Tribunal arbitral a violé le principe de la contradiction en relevant d’office un moyen de droit sans le soumettre préalablement au débat contradictoire. Elle expose avoir soutenu dans l’arbitrage qu’un marché public ne peut être intégralement sous-traité, toute sous-traitance devant être partielle et préalablement autorisée par l’adjudicateur. Elle fait grief au tribunal arbitral d’avoir retenu que deux sociétés, dont la République de Guinée affirmait qu’elles avaient été sous-traitantes, de manière irrégulière, n’étaient pas dans une relation de sous-traitance dans la mesure où l’une était étroitement supervisée et coordonnée par l’autre, ce qu’aucune des parties à l’arbitrage n’avait avancé. Elle reproche ainsi au Tribunal d’avoir retenu le moyen dans sa Sentence, selon lequel cette supervision empêcherait la qualification de sous-traitance.
72-La République de Guinée ajoute que le tribunal arbitral a violé le principe de la contradiction en procédant à la fixation du taux d’intérêt moratoire applicable à la condamnation au principal de 10,3 % selon une méthode propre non proposée par les parties et non soumise à la discussion
contradictoire des parties. La République de Guinée explique de plus que, sauf à statuer en amiable composition, l’arbitre est tenu de retenir le taux d’intérêt légal lorsqu’il décide de modérer une clause pénale excessive.
73-En réponse la société AD Trade fait valoir que la motivation du Tribunal arbitral relativement à la sous-traitance ne constitue pas un moyen de droit nouveau et s’agissant du taux d’intérêt, que la méthode de calcul que le tribunal arbitral utilise pour évaluer un préjudice n’entre pas dans les éléments devant être soumis contradictoirement aux parties dès lors que les faits et les chiffres sur lesquels il se fonde sont entrés dans le débat préalablement à la sentence.
SUR CE,
74-Le principe de la contradiction exige que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’ait échappé à leur débat contradictoire.
Sur le non respect du principe de la contradiction s’agissant du moyen tiré de l’absence de sous-traitance entre les sociétés AD Con et ESISC ;
75-Il ressort de la sentence que la République de Guinée soutenait devant le tribunal arbitral que la société AD Trade avait violé ses obligations et le code des marchés publics guinéens en sous-traitant les prestations dues au titre du contrat Léopard à sa société mère la société AD Con, laquelle l’aurait sous-traité à la société ESISC s’agissant de la formation des agents de la DGSIE.
76-A cela, la société AD Trade avait répliqué qu’il avait été prévu entre les parties que les prestations seraient fournies par la société Ad Con et qu’il n’y avait en outre pas de sous-traitance au sens juridique en l’espèce.
77-Statuant sur ce point, le tribunal arbitral a rejeté le moyen soulevé par la République de Guinée en considérant que la République de Guinée avait demandé la substitution du co-contractant à la dernière minute et qu’elle savait « pertinemment » que la signature par « AD Trade n’était qu’un écran juridique servant à cacher le fait que la République de Guinée a conclu des contrats avec une société israélienne » et qu’il ne « pouvait y avoir aucun doute dans l’esprit des dirigeants guinéens que le contrat Léopard serait exécuté par Ad Con et Galint, les sociétés qui avaient soumis les offres techniques et commerciales ».
78-Enfin, le tribunal arbitral a ajouté que « Quant à la formation organisée par ESISC, celle-ci ne fut jamais sous-traitée car la formation des agents de la DGSIE était étroitement supervisée et coordonnées par Ad Con ».
79-Il ressort de ces éléments que le débat devant le tribunal arbitral portait sur l’existence d’une relation de sous-traitance entre les sociétés Ad Trade et Ad Con d’une part, et entre la société Ad Con et la société ESISC d’autre part, le tribunal arbitral étant expressément saisi de l’appréciation de la notion de sous-traitance entre ces sociétés.
80-Ainsi en considérant que cette qualification ne pouvait caractériser les relations entre les sociétés Ad Con et ESISC aux motifs que la formation organisée par ESISC « était étroitement supervisée et coordonnées par Ad Con », il n’a soulevé d’office aucun moyen nouveau de droit mais extrait des faits du litige qui étaient dans le débat un élément qu’il a considéré comme permettant d’en déduire que la relation entre ces deux sociétés ne pouvait être qualifiée de sous-traitance, question qui était soumise aux débats et sur laquelle les parties ont pu échanger contradictoirement.
81-Au regard de ces éléments, le grief n’est pas caractérisé.
Sur la violation du principe de la contradiction dans la détermination du taux d’intérêt moratoire;
82-La République de Guinée reproche au Tribunal arbitral d’avoir retenu d’office une méthode de calcul du taux d’intérêt qu’aucune des parties n’avait proposée, sans toutefois soumettre cette méthode au débat contradictoire des parties et d’avoir en particulier passé outre l’opportunité que lui laissait l’audience de plaidoiries d’introduire cette méthode dans les débats.
83-Cependant, il ressort de la sentence que le tribunal arbitral n’a pas statué sur le taux d’intérêt applicable mais plus précisément considéré, comme le soutenait la République de Guinée, que le cumul des intérêts moratoires conférait à ces dispositions le caractère d’une clause pénale manifestement excessive au sens de l’ancien article 1152 al. 2 du code civil.
84-C’est donc en exerçant son pouvoir modérateur autorisé par cet article que le tribunal arbitral, qui n’est pas tenu dans ce cadre de retenir l’une ou l’autre proposition des parties, a considéré qu’il convenait de réduire le taux à 10,3% comme cela résulte des paragraphes 292 à 295 de la sentence, sans qu’il soit aussi dans ce cadre tenu de soumettre au préalable à la discussion des parties le détail de son raisonnement lui permettant de réduire le taux.
85-Ce grief sera en conséquence écarté et avec lui le moyen d’annulation tiré du non respect du principe de la contradiction.
Sur le moyen tiré de la violation par le tribunal arbitral de sa mission
86-La République de Guinée fait valoir qu’en écartant les taux d’intérêts légaux en vigueur et en retenant comme taux d’intérêt applicable la somme de la moyenne des taux annuels d’intérêt légaux et un taux annuel de 9,75 % qu’il a qualifié de prime de « risque pays », le Tribunal arbitral a outrepassé les pouvoirs de révision qui lui avaient été confiés par les Parties en vertu du droit français applicable et s’est arrogé un pouvoir d’amiable composition, que les parties ne lui avaient pas consenti.
87-En réponse, la société AD Trade conteste que le Tribunal arbitral ait statué en amiable compositeur, au motif que lorsqu’il décide du taux d’intérêt à appliquer, un tribunal arbitral ne statue pas en amiable compositeur mais fait application de la règle de droit qu’il estime appropriée à la solution du litige. Elle ajoute que la question des intérêts contractuels, de leur requalification juridique en clause pénale et de leur éventuelle réduction sur le fondement de l’article 1152 al. 2 ancien du code civil français faisait partie de la mission du Tribunal arbitral et a été contradictoirement débattue devant lui. Elle estime que la République de Guinée reproche en réalité au Tribunal arbitral la méthode de calcul utilisée pour réviser le taux d’intérêt stipulé dans la clause que le Tribunal arbitral a qualifié, conformément à sa demande, de clause pénale.
Sur ce ;
88-La mission des arbitres, définie par la convention d’arbitrage, est délimitée principalement par l’objet du litige, tel qu’il est déterminé par les prétentions des parties sans s’attacher uniquement à l’énoncé des questions dans l’acte de mission.
89-En l’espèce, il n’est pas contesté qu’il n’a pas été confié aux arbitres la mission de statuer en amiable composition.
90-Il ressort de la sentence que le tribunal arbitral a fixé le taux d’intérêt à 10,3% en tenant compte d’une part, du comportement contractuel de la société AD Trade « qui a largement contribué à l’impasse dans lequel les parties se trouvent aujourd’hui » après avoir considéré qu’elle « savait pertinemment que la GUINEE n’avait pas les moyens de payer le prix des contrats », et d’autre part de la nécessité de rémunérer le « risque pays », que le tribunal arbitral a fixé à hauteur de 9,75%
puisque ce taux avait été celui fixé par les parties pour le préfinancement de la société AD Trade.
91-Enfin, le tribunal arbitral a ajouté un taux d’intérêt effectif qu’il a évalué à la moyenne des taux légaux fixés par la banque de France sur la période comprise entre 2012 et 2016.
92-Il convient de relever que le tribunal a ainsi évalué le taux d’intérêt applicable après avoir considéré que le taux d’intérêt prévu initialement à 18% par an était « assimilable à une clause pénale manifestement excessive, même en tenant compte du risque pays que représentait la Guinée ».
93-Il ressort de ces éléments, dont il n’appartient pas à la cour d’apprécier le bien ou le mal jugé, que c’est donc « en exerçant le pouvoir modérateur que lui confère l’article 1152 al.2 (ancien) du code civil » comme il l’indique au paragraphe 292 de sa sentence, que le tribunal s’est livré à une évaluation du taux d’intérêt applicable et que dans l’exercice de ce pouvoir, l’arbitre n’a pas agi en amiable compositeur ne s’étant à aucun moment remis à l’équité pour procéder à la modération requise.
94-En conséquence, ce moyen sera rejeté.
Il convient en conséquence de rejeter le recours en annulation contre la sentence rendue le 22 novembre 2017, ainsi que celui contre l’ordonnance du juge ayant conféré l’exequatur.
Sur les frais et dépens ;
95-Il y a lieu de condamner la République de Guinée, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
96-En outre, elle doit être condamnée à verser à la société AD Trade, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 200 000 euros.
VI- DISPOSITIF
La cour, par ces motifs :
1-Rejette le recours en annulation contre la sentence CCI n°21390/MCP/DDA rendue le 22 novembre 2017 ;
2-Déboute la République de Guinée du surpplus de ses demandes ;
3-Condamne la République de Guinée à payer à la société AD Trade Belgium S.IR.L la somme de 200 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
4-Condamne la République de Guinée aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.