Cass. com., 2 février 2016, n° 14-23.921
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Marc Lévis
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la société France Télécom, aux droits de laquelle vient la société Orange, a conclu en 1999 et 2001 deux conventions avec des câblo-opérateurs aux droits desquels vient la société NC Numéricable, et en 2004, deux conventions avec d'autres opérateurs aux droits desquels la société Numéricable SASU est venue, ces deux dernières conventions comprenant une clause d'arbitrage ; qu'à la suite d'une décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (l'ARCEP), reconnaissant les infrastructures du génie civil de la société France Télécom comme essentielles et imposant à celle-ci de faire droit à toute demande raisonnable d'accès à ces infrastructures dans des conditions transparentes et non discriminatoires, la société France Télécom a, sous l'égide de l'ARCEP, publié une offre d'accès GC FTTX ; que des difficultés étant survenues avec les sociétés NC Numéricable et Numéricable SASU pour harmoniser les conditions d'accès et aménager ses contrats, la société France Télécom a saisi l'ARCEP d'une demande de règlement du différend l'opposant à ces deux opérateurs ; que la décision ordonnant la mise en conformité des contrats prise par l'ARCEP a été confirmée par un arrêt du 23 juin 2011, devenu irrévocable sur ce point ; que le tribunal arbitral, saisi par la société Numéricable SASU de demandes indemnitaires au titre des modifications apportées aux contrats de 2004 du fait de cette mise en conformité, a rejeté l'intégralité des demandes par sentence du 25 février 2013 ; que la société NC Numéricable a, pour sa part, assigné la société France Télécom aux mêmes fins, au titre des contrats conclus en 1999 et 2001 ;
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
Attendu que pour rejeter l'ensemble des demandes de la société NC Numéricable, l'arrêt relève que les quatre contrats conclus entre les sociétés Orange et Numéricable en 1999, 2001 et 2004 ont été examinés dans le cadre de la procédure d'arbitrage et que le tribunal arbitral s'est prononcé entre les mêmes parties, en la même qualité ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte des termes clairs et précis de la sentence arbitrale qu'elle a été rendue entre la société Orange et la société Numéricable SASU et que seuls les contrats de 2004 contenant une clause d'arbitrage ont fait l'objet de cette procédure, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;
Sur la recevabilité du même moyen, pris en sa deuxième branche, contestée par la défense :
Attendu que la société Orange soutient que le moyen est irrecevable comme nouveau ;
Mais attendu que ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond, un tel moyen peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation ; qu'en conséquence il est recevable ; Sur ce moyen : Vu l'article 4 du code civil, ensemble l'article 1484 du code de procédure civile ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que du fait de l'absence de toute clause d'arbitrage dans les deux contrats litigieux, les sociétés Orange et Numéricable ont, pour ces deux contrats, la qualité de tiers, que la sentence arbitrale leur est opposable à ce titre et que les motifs de la sentence qui ont conduit au rejet de toutes les demandes de la société Numéricable au titre des contrats de 2004 ne peuvent que conduire au rejet de toutes ses demandes au titre des contrats de 1999 et 2001, sans qu'il soit nécessaire de reprendre l'analyse développée par les parties, qui ne comporte aucun moyen nouveau ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la sentence arbitrale n'est opposable aux tiers qu'eu égard au litige qu'elle tranche, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour condamner la société NC Numéricable à payer à la société France Télécom la somme de 60 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt retient que l'ampleur du contentieux et sa technicité ont nécessité une mobilisation des ressources humaines et financières détournées de leurs attributions courantes dont s'est évincée une désorganisation et que, eu égard à l'état d'endettement de la société, la présente procédure n'a pu que fragiliser sa situation financière ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la faute de la société NC Numéricable de nature à faire dégénérer en abus son droit d'agir en justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que la société NC Numéricable a intérêt à agir et que la société FranceTélécom a qualité de défendeur, l'arrêt rendu le 20 juin 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ; Condamne la société Orange aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société NC Numéricable la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille seize.