CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 4 décembre 2025, n° 24/04183
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sony Interactive Entertainment France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fenayrou
Conseillers :
Mme Zouaoui, Mme Jollec
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Philippe, Me Rigal-Alexandre, Me Mortemard de Boisse
Vu la décision n° 20-S-01 du 23 octobre 2020 relative à des pratiques mises en 'uvre dans le secteur des consoles statiques de jeux vidéo de huitième génération et des accessoires de contrôle compatibles avec la console Playstation 4 ;
Vu la déclaration de recours et l'exposé des moyens, déposés au greffe les 26 novembre et 22 décembre 2020, par les sociétés Sony Interactive Entertainment Europe Limited et Sony Interactive Entertainment France ;
Vu la déclaration d'intervention volontaire et les observations au soutien de celle-ci, déposées au greffe les 21 janvier et 22 février 2021, par la société Subsonic ;
Vu l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 31 janvier 2024 (pourvoi n° 22-16.616) cassant partiellement l'arrêt du 21 avril 2022 (RG n° 20/16953) rendu par la cour d'appel de Paris, et renvoyant devant la même Cour autrement composée ;
Vu la déclaration de saisine des sociétés Sony Interactive Entertainment Europe Limited et Sony Interactive Entertainment France du 11 mars 2024 ;
Vu le mémoire déposé au greffe le 23 octobre 2024 par les sociétés Sony Interactive Entertainment Europe Limited et Sony Interactive Entertainment France ;
Vu les observations déposées au greffe le 13 février 2025 par l'Autorité de la concurrence ;
Vu le mémoire récapitulatif déposé au greffe le 13 février 2025 par la société Subsonic ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe le 10 avril 2025 par les sociétés Sony Interactive Entertainment Europe Limited et Sony Interactive Entertainment France ;
Vu les observations déposées au greffe le 13 février 2025 par le ministre chargé de l'économie ;
Vu l'avis du ministère public du 6 juin 2025, communiqué le même jour aux parties et à l'Autorité de la concurrence ;
Après avoir entendu en audience publique du 12 juin 2025, les conseils des sociétés Sony Interactive Entertainment Europe Limited et Sony Interactive Entertainment France et de la société Subsonic, le représentant de l'Autorité de la concurrence, la représentante du ministre chargé de l'économie puis le ministère public, les parties ayant été en mesure de répliquer.
FAITS ET PROCÉDURE
§ 1
Les faits
§ 1
La procédure devant l'Autorité
§ 4
La décision de l'Autorité
§ 9
Les recours
§ 10
Prétentions des parties
§ 21
MOTIVATION
§ 26
I. SUR LE DÉFAUT DE MOTIVATION
§ 26
II. SUR LE DÉTOURNEMENT DE POUVOIR ET LE CARACTÈRE
ARBITRAIRE DE LA DÉCISION
§ 41
A. Sur le fondement légal de la décision
§ 41
B. Sur la violation du principe de sécurité juridique et la modification des préoccupations de concurrence
§ 56
C. Sur le défaut de notification
§ 78
D. Sur la violation du principe du contradictoire et du principe de l'égalité des armes
§ 91
PAR CES MOTIFS
§ 111
FAITS ET PROCÉDURE
Les faits
1.La société Subsonic (ci-après « Subsonic ») produit et commercialise des accessoires de consoles de jeux vidéo, notamment des manettes destinées aux consoles de jeux PlayStation 4 (ci-après « les consoles PS4 »). Ces consoles de jeux, dites de la huitième génération, ont été mises sur le marché en novembre 2013.
2.Le groupe Sony fabrique et commercialise ces consoles de jeux, ainsi que les manettes compatibles avec celles-ci.
3.Par lettre du 20 octobre 2016, Subsonic a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité ») de plusieurs pratiques qui auraient été mises en 'uvre par le groupe Sony, concernant, notamment :
' d'une part, la politique d'octroi de licences à des tiers leur permettant d'être assurés de la compatibilité des manettes qu'ils produisent et commercialisent avec les consoles de jeux PS4 ;
' d'autre part, le déploiement de mesures techniques affectant la compatibilité des manettes avec les consoles de jeux PS4, lorsque les tiers qui produisent et commercialisent ces manettes ne bénéficient pas desdites licences (ce qui est le cas de Subsonic).
La procédure devant l'Autorité
4.Le 17 octobre 2019, le rapporteur auprès de l'Autorité, en charge de l'instruction du dossier, a établi une note d'évaluation.
5.Cette note a été adressée à la société Sony Interactive Entertainment Europe Limited, société de droit anglais chargée notamment de la gestion du programme des licences, à la société Sony Interactive Entertainment France, chargée du marketing et de la vente des produits Sony relevant de « l'environnement PlayStation » (ci-après « Sony ») et aux sociétés Sony Interactive Entertainment Inc. et Sony Corporation.
6.Aux termes de cette évaluation préliminaire, il est indiqué :
' que les pratiques concernant la politique d'octroi des licences et le déploiement des mesures techniques suscitent des préoccupations de concurrence ;
' que « les sociétés en cause sont susceptibles d'avoir abusé de leur position dominante » dans la mesure où « ces pratiques sont susceptibles d'avoir freiné ou empêché, voire dissuadé, l'entrée et le développement de tiers sur le marché des manettes de jeux compatibles avec la console PS4, privant ainsi les consommateurs d'une offre diversifiée et potentiellement moins chère » ;
' que les sociétés en cause disposent d'un délai d'un mois pour formaliser des propositions d'engagements de nature à mettre un terme à ces préoccupations de concurrence.
7.Le 18 novembre 2019, Sony a transmis à l'Autorité une première proposition d'engagements, qui a été communiquée à Subsonic et a fait l'objet d'une publication sur le site de l'Autorité afin de permettre aux tiers intéressés de présenter leurs observations (test de marché).
8.Le 23 juin 2020, Sony a transmis à l'Autorité une deuxième proposition d'engagements, puis, après une séance devant l'Autorité en juillet 2020, une troisième le 30 juillet 2020 et une dernière le 7 septembre 2020.
La décision de l'Autorité
9.Par sa décision n° 20-S-01 du 23 octobre 2020 (ci-après « la décision attaquée »), l'Autorité a mis fin à la procédure d'engagement et a renvoyé le dossier à l'instruction.
Les recours
10.Les 26 novembre et 22 décembre 2020, Sony a formé un recours contre la décision attaquée devant le Conseil d'État et devant la cour d'appel de Paris. Subsonic est intervenue volontairement à la procédure devant la cour d'appel.
11.Par un arrêt du 1er juillet 2022, le Conseil d'État s'est déclaré incompétent.
12.Par arrêt du 21 avril 2022, la Cour s'est déclarée compétente et a déclaré le recours irrecevable.
13.Sony a formé un pourvoi en cassation.
14.Dans le cadre de ce pourvoi, Sony a posé une question prioritaire de constitutionnalité (ci-après « QPC ») portant sur la conformité de l'article L. 464-2, I, al. 1, seconde phrase, du code de commerce à la Constitution, et plus précisément aux principes d'impartialité et au droit à un recours juridictionnel, garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (ci-après « DDHC »).
15.Par un arrêt du 7 décembre 2022, la Cour de cassation a transmis la QPC au Conseil constitutionnel.
16.Par une décision du 10 février 2023, le Conseil constitutionnel a jugé que la disposition litigieuse était conforme à la Constitution. Dans ses motifs, il a retenu qu'une décision de refus d'engagement pouvait faire l'objet d'un recours en application de l'article L. 464-8 du code de commerce.
17.Par un arrêt du 31 janvier 2024 (Com., 31 janvier 2024, pourvoi n° 22-16.616), la Cour de cassation a jugé, au visa de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'un recours immédiat en légalité contre une décision de refus d'engagement devant la cour d'appel de Paris était possible. Elle a précisé que ce recours a « pour objet de faire contrôler, par la cour d'appel de Paris, dans les limites résultant de l'existence du pouvoir discrétionnaire de l'Autorité, que l'entreprise ou organisme concerné a bien été en mesure de présenter, dans les délais et conditions prévus par les dispositions légales et règlementaires applicables, une proposition d'engagements de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence préalablement identifiées par l'Autorité et, à défaut, d'annuler la décision et de renvoyer l'examen de l'affaire devant les services de l'Autorité pour remédier au vice ainsi retenu ».
18.L'arrêt du 21 avril 2022 a été cassé et l'affaire renvoyée devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.
19.Le 11 mars 2024, Sony a saisi la Cour par une déclaration de saisine.
20.La procédure s'est poursuivie devant l'Autorité et par une décision n° 23-D-14 du 20 décembre 2023, l'Autorité a prononcé à l'encontre des quatre sociétés du groupe Sony une sanction de 13 531 000 euros pour abus de position dominante. Sony a formé un recours contre cette décision, recours actuellement pendant devant la cour d'appel de Paris.
Prétentions des parties
21.Aux termes de ses dernières écritures, Sony demande à la Cour de dire recevable et bien fondé son recours, y faisant droit, de prononcer l'annulation de la décision attaquée et, en conséquence, d'en tirer l'ensemble des conséquences et, notamment, de dire et juger que tous les actes subséquents sont nuls.
22.En tout état de cause, elle demande de condamner l'Autorité à lui payer la somme globale de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner l'Autorité aux entiers dépens.
23.Dans ses dernières écritures, Subsonic demande à la Cour de rejeter la demande d'annulation de la décision attaquée et, en tout état de cause, de condamner solidairement les sociétés Sony à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner les sociétés Sony aux entiers dépens.
24.L'Autorité demande à la Cour de rejeter le recours de Sony.
25.Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent cet avis.
MOTIVATION
I. SUR LE DÉFAUT DE MOTIVATION
26.Sony soutient que, compte tenu des attentes formées par les entreprises à la suite de l'ouverture de la procédure d'engagements et, dans la mesure où la décision rejetant une proposition d'engagements fait grief, le rejet des engagements doit être suffisamment motivé pour permettre aux entreprises d'en comprendre les raisons. Elle fait valoir que la décision attaquée fait grief à l'entreprise qui s'est impliquée et a cru légitimement pouvoir échapper à une sanction. Elle affirme que cette motivation s'impose pour que la Cour puisse exercer son contrôle, ce qu'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 mars 2024, n° 20/13093 a jugé. Elle soutient qu'il existe une obligation de motivation tirée de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et que la jurisprudence européenne a déduit de cet article une obligation générale de motivation (CJUE, 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C-439/11 ; CJUE, 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521/09 P ; CJCE, 14 avril 2005, C-335/03, Portugal c. Commission ; Tribunal de l'Union européenne, 14 avril 2021, T-543/19, Roumanie c. Commission). Or, elle estime que la motivation de la décision attaquée concerne le renvoi à l'instruction mais pas le rejet des engagements et qu'il ne lui est pas permis de savoir pourquoi les engagements ne répondaient pas aux préoccupations de concurrence. Elle soutient que ce rejet doit être motivé, sauf à confondre pouvoir discrétionnaire et pouvoir arbitraire.
27.Enfin, elle affirme que selon la jurisprudence européenne, l'intensité de la motivation dépend du contexte et qu'a contrario, lorsque l'acte s'appuie sur un raisonnement ou une thèse en décalage avec les échanges préalables entre le destinataire de l'acte et l'administration, l'obligation de motivation s'en trouve renforcée. Or, elle estime que tel est le cas en l'espèce puisqu'il existe des écarts importants sur la nature et le nombre de préoccupations de concurrence distinctes reprochées à Sony entre l'évaluation préliminaire et les discussions qui en ont découlé avec les services d'instruction. Elle observe que le Collège a retenu deux préoccupations de concurrence alors que les services de l'instruction n'avaient retenu qu'un seul grief, tout comme la décision attaquée.
28.En réponse, l'Autorité fait valoir que le niveau de motivation demandé par Sony ne correspond pas au niveau de motivation requis lorsqu'il est exercé un pouvoir discrétionnaire reconnu par la Cour de cassation dans son arrêt du 31 janvier 2024. Elle soutient qu'il suffit que la décision explique que les engagements proposés ne permettent pas de mettre un terme à ses préoccupations de concurrence pour que l'obligation de motivation soit satisfaite, ce qui est le cas en l'espèce. Elle cite une décision du tribunal de l'[17] européenne qui a déjà statué en ce sens (10 novembre 2021, Alphabet c/ Commission, « Google Shopping », T-612/17, point 633).
29.Subsonic, le ministre de l'économie et le ministère public considèrent que la décision attaquée est motivée aux paragraphes 10 à 13.
Sur ce, la Cour :
30.Il est constant, d'abord, que l'article L. 464-2, I, du code de commerce confère à l'Autorité un pouvoir discrétionnaire de décider de mettre en 'uvre une procédure d'engagements. Cette décision n'a pas à être motivée et est sans recours. (Com. 2 septembre 2020, pourvoi n° 18-18.501, publié). Ce pouvoir discrétionnaire dans la mise en 'uvre d'une procédure d'engagements est rappelé dans le communiqué de procédure du 2 mars 2009 (ci-après « le communiqué de procédure »).
31.Concernant, ensuite, la décision de refus des engagements proposés, si un recours immédiat existe désormais (Com., 31 janvier 2024, pourvoi n° 22-16.616), son objet est néanmoins restreint en raison des limites résultant du pouvoir discrétionnaire de l'Autorité : ainsi, dans l'arrêt du 31 janvier 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que le recours immédiat contre une décision de refus d'engagement « a seulement pour objet de faire contrôler, par la cour d'appel de Paris, dans les limites résultant de l'existence du pouvoir discrétionnaire de l'Autorité, que l'entreprise ou organisme concerné a bien été en mesure de présenter, dans les délais et conditions prévus par les dispositions légales et réglementaires applicables, une proposition d'engagements de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence préalablement identifiées par l'Autorité et, à défaut, d'annuler la décision et de renvoyer l'examen de l'affaire devant les services de l'Autorité pour remédier au vice ainsi retenu. ».
32.Le recours est donc circonscrit à la vérification du respect des garanties procédurales et n'a pas pour objet de contrôler le bien-fondé du refus.
33.Il en résulte que la décision de refus des engagements n'a pas à expliquer les motivations qui ont conduit au rejet des engagements.
34.Il lui suffit de constater que les engagements ne suffisent pas à mettre fin aux préoccupations de concurrence identifiées par les services d'instruction.
35.Cette exigence de motivation est cohérente avec les limites du pouvoir discrétionnaire de l'Autorité et est conforme à la jurisprudence européenne. Si, en effet, il existe une obligation générale de motivation tirée de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le degré de motivation exigée dépend des circonstances et de la nature du contrôle. Dans le cas du recours immédiat contre une décision de refus d'engagement, l'objet du recours étant restreint au respect des garanties procédurales, la motivation sur le fond est donc nécessairement réduite.
36.Et il importe peu, à supposer établie cette allégation qui sera examinée au paragraphe 66, que les préoccupations de concurrence aient été élargies par l'Autorité, cette question étant étrangère à celle du degré de motivation.
37.En l'espèce, la décision mentionne que :
« 10. En l'espèce, l'Autorité considère que l'ultime proposition d'engagements produite par [SIEE] ne permet pas de répondre de façon pertinente aux préoccupations de concurrence identifiées par les services d'instruction dans l'évaluation préliminaire du 17 octobre 2019.
11. Ainsi, elle ne contient pas d'engagement susceptible de répondre aux préoccupations de concurrence relatives au déploiement, à compter de novembre 2015, d'un dispositif de contre-mesure technique visant à affecter le bon fonctionnement des manettes de jeux tierces que Sony présume comme contrefaisantes.
12. De même, la proposition de [Sony] ne permet pas, faute d'accord sur des améliorations ultérieures de cette même proposition, d'apporter une solution aux préoccupations de concurrence suscitées par l'opacité et l'ambiguïté de la politique d'octroi de licences dans une mesure satisfaisante.
13. Eu égard à ce qui précède, les engagements proposés par [Sony] ne peuvent pas être acceptés car ils ne répondent pas aux préoccupations de concurrence identifiées par les services d'instruction. En conséquence, il y a lieu de renvoyer le dossier a l'instruction ».
38.Il résulte de ces motifs que la décision attaquée explique que les engagements proposés ne permettent pas de mettre un terme aux préoccupations de concurrence préalablement identifiées, d'abord en l'absence d'engagement concernant les mesures techniques et ensuite, en raison de l'insuffisance de l'engagement relatif aux licences dont la politique est opaque et ambigüe.
39.La décision attaquée est, dès lors, suffisamment motivée.
40.Le moyen sera donc rejeté.
II. SUR LE DÉTOURNEMENT DE POUVOIR ET LE CARACTÈRE ARBITRAIRE DE LA DÉCISION
A. Sur le fondement légal de la décision
41.Sony soutient que la décision attaquée n'a pas de fondement légal, autre qu'une référence au livre IV du code de commerce, alors que c'est l'article L. 464-2, I, du code de commerce qui aurait dû fonder la décision et que l'Autorité s'est fondée sur l'article R. 463-7 comme le démontre le dispositif de sa décision.
42.En réponse, l'Autorité affirme que la décision attaquée n'a pas été prise sur le fondement de l'article R. 463-7 du code de commerce, mais en vertu des pouvoirs conférés à l'Autorité par l'article L. 464-2 du même code. Elle souligne que l'article R. 464-2 du même code est visé dans la décision attaquée et que cette dernière renvoie au communiqué de procédure du 2 mars 2009, lequel renvoie à son tour à l'article L. 464-2 du code de commerce et au règlement n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, relatif à la mise en 'uvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité CE. Elle en conclut que les sociétés Sony ne peuvent prétendre que la décision de renvoi à l'instruction serait prise sur le fondement de l'article R. 463-7 du code de commerce. Concernant le dispositif de la décision attaquée, l'Autorité précise que les décisions d'acceptation d'engagements et celles qui n'acceptent pas de tels engagements n'obéissent pas au même régime. Pour une décision d'acceptation d'engagements, les engagements sont obligatoires de sorte qu'ils doivent figurer au dispositif, alors que pour une décision de rejet d'engagements, rien ne rend obligatoire le fait de mentionner ces engagements dans le dispositif.
43.Subsonic soutient que Sony ne pouvait ignorer que la décision attaquée a été rendue sur le fondement de l'article L. 462-2 du code de commerce puisqu'elle l'a mentionné dans sa QPC et que l'Autorité a bien visé l'article R. 462-2 en rappelant que les propositions d'engagements avaient été communiquées au commissaire du gouvernement conformément à cet article. Concernant le dispositif de cette décision, il est conforme au communiqué de procédure concernant les engagements qui indique qu'en cas de rejet des propositions, l'affaire reprend son cours devant les services d'instruction et que l'Autorité n'avait d'autre choix que de renvoyer à l'instruction.
44.Le ministre chargé de l'économie fait valoir que l'Autorité, dans ses observations du 8 juin 2021, avait admis que la décision attaquée avait été prise en vertu des pouvoirs conférés par l'article L. 464-2 du code de commerce. Elle précise que si l'article L. 464-2 prévoit que l'Autorité peut accepter des engagements, cet article permet aussi à l'Autorité de les refuser lorsqu'ils ne sont pas de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence. Quant à l'article R. 463-7 du code de commerce, il n'est pas applicable, le Collège n'ayant été saisi que de la proposition d'engagements déposée par Sony.
45.Le ministère public est d'avis que la décision attaquée est fondée sur l'article L.464-2, I, du code de commerce.
Sur ce, la Cour :
46.Comme le relève Sony, il résulte de la décision attaquée que son visa est le livre IV du code de commerce et que son dispositif ordonne le renvoi de l'affaire devant les services d'instruction.
47.Néanmoins, sont également visés, dans les motifs de la décision attaquée, l'article R. 464-2 du code de commerce (point 4 de la décision) et le communiqué de procédure du 2 mars 2009 (point 9 de la décision).
48.Ces deux fondements juridiques permettaient à Sony de déterminer que l'Autorité agissait sur le fondement de l'article L. 464-2 du code de commerce.
49.En effet, d'une part, ce texte dispose que l'Autorité peut « accepter des engagements proposés par les entreprises de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l'article L. 410-3 ».
50.Or, l'article R. 464-2 du même code, cité au point 4 de la décision attaquée, organise les modalités procédurales lorsque l'article L. 464-2 est mis en 'uvre.
51.D'autre part, le communiqué de procédure du 2 mars 2009 fait référence à l'article 5 du règlement n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, relatif à la mise en 'uvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité CE (point 1 du communiqué). Ce règlement prévoit que les autorités de concurrence des États membres sont compétentes pour « accepter des engagements ». Le communiqué mentionne en outre l'article L. 464-2, I , du code de commerce (point 2 du communiqué) et l'article R. 464-2 du code de commerce (point 3).
52.Quant au dispositif qui ordonne le renvoi à l'instruction, il est insuffisant à lui seul pour en déduire que l'Autorité a rendu une décision sur le fondement de l'article R. 463-7 du code de commerce lequel dispose que « Lorsqu'elle estime que l'instruction est incomplète, l'Autorité de la concurrence peut décider de renvoyer l'affaire en tout ou partie à l'instruction. Cette décision n'est pas susceptible de recours ».
53.Non seulement en effet, il ne résulte pas des motifs de la décision attaquée que l'instruction serait incomplète, mais le communiqué de procédure prévoit qu'en cas de refus des engagements, la procédure d'instruction reprend son cours (point 40 du communiqué). Le dispositif de cette décision est donc en cohérence avec le refus des engagements dans le cadre de la mise en 'uvre de la procédure prévue aux articles L. 464-2 et R. 464-2 du code de commerce.
54.Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la décision attaquée est prise sur le fondement de ces deux articles. Elle est donc légalement fondée.
55.Le moyen sera, dès lors, rejeté.
B. Sur la violation du principe de sécurité juridique et la modification des préoccupations de concurrence
56.Sony soutient que la décision du Collège est arbitraire et que le Collège a commis un excès de pouvoir en exigeant deux engagements.
57.Elle soutient que dans l'évaluation préliminaire, les services d'instruction ont formulé une seule préoccupation de concurrence reposant sur la combinaison entre le programme de licence de Sony et l'existence de mesures techniques. Elle conteste qu'il s'agisse de deux pratiques distinctes.
58.Elle se fonde, d'abord, sur le paragraphe 198, selon lequel la proportionnalité des mesures techniques doit être appréciée en prenant en compte la possibilité pour les concurrents d'avoir accès aux droits de propriété intellectuelle de Sony via l'octroi de licences. Elle se fonde, ensuite, sur la présentation des services d'instruction en ouverture de la séance et de la diapositive intitulée « préoccupations de concurrence ». Elle invoque, par ailleurs, le fait que s'il est mis fin à la première préoccupation, la seconde disparaît également. Elle précise que les services d'instruction n'ont jamais demandé des engagements sur la deuxième préoccupation, alors que six versions préparatoires ont été diligentées entre 2018 et 2019 avec les services d'instruction, qu'ils ont soumis la proposition d'engagement du 18 novembre 2019 à un test de marché et que conformément au communiqué engagements, les services d'instruction ont dû consulter le Collège préalablement. Enfin, elle soutient que la notification de griefs ne contient qu'une seule préoccupation, de même que la décision n° 23-D-14 et que l'infraction est analysée au regard de la combinaison des deux pratiques, tant dans le rapport que dans la décision.
59.Elle fait valoir que ce n'est qu'en juillet 2020, que l'Autorité a refusé d'examiner la proposition d'engagements, au motif qu'elle ne contenait qu'une proposition et non deux.
60.Elle en déduit que l'Autorité a rendu une décision arbitraire et a commis un excès de pouvoir.
61.Elle affirme, en effet, que si l'article L. 464-2, I, du code de commerce permet à l'Autorité d'accepter les engagements proposés par les entreprises de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence, cet article ne lui donne pas le pouvoir arbitraire d'exiger des engagements pour répondre à des préoccupations qui ne leur ont pas été adressées.
62.L'Autorité fait, d'abord, valoir que ce moyen est étranger à l'objet du recours tel que défini par la Cour de cassation. Elle soutient que les propositions d'engagement sont susceptibles d'être modifiées à la demande de l'Autorité et n'ont pas vocation à être acceptés tels quels. Elle souligne que compte tenu de la séparation entre les organes d'instruction et de décision, mais aussi du pouvoir discrétionnaire reconnu au Collège, ce dernier ne saurait être tenu par ce qui est négocié par les services d'instruction. En outre, si le Collège n'était pas en mesure de discuter d'améliorations à apporter aux engagements proposés, cela impliquerait un blanc-seing aux entreprises même si les engagements ne répondaient pas de manière satisfaisante aux préoccupations de concurrence. Cela serait contraire à la raison d'être de la procédure d'engagements et irait, en outre, à l'encontre de la mission de défense de l'ordre public économique. Elle affirme qu'il n'y a pas lieu d'y voir autre chose que le fonctionnement normal d'une négociation d'engagements dans le cadre posé par le communiqué de procédure.
63.Subsonic soutient que l'évaluation préliminaire contenait deux préoccupations, énoncées d'ailleurs par un « premier lieu » et un « second lieu » et au pluriel. Quant à la combinaison des deux préoccupations, elle relève que si l'opacité de la politique de l'octroi des licences renforce l'effet des mesures techniques au détriment des concurrents, rien n'indique que la proposition d'une nouvelle politique de licences mettrait fin à la deuxième préoccupation de concurrence relative aux mesures techniques. Elle soutient par ailleurs qu'affirmer que dès lors que la première proposition de Sony était la base des discussions qui interdisait au Collège d'examiner la deuxième préoccupation constitue une atteinte au pouvoir de l'Autorité d'accepter ou de rejeter les propositions. Enfin, elle affirme que la proposition concernant l'octroi des licences n'était dans tous les cas pas suffisante.
64.Le ministre chargé de l'économie considère que le Collège n'est pas lié par les engagements négociés avec les services d'instruction et qu'affirmer le contraire, reviendrait à résumer le rôle du Collège en chambre d'enregistrement. Il souligne que la demande supplémentaire portant sur le dispositif de contre-mesure technique, doit être analysée comme la poursuite des discussions établies dans le cadre d'une procédure négociée visant à mettre un terme à des préoccupations de concurrence. Il affirme que les propositions discutées en amont sont susceptibles d'être améliorées jusqu'à la clôture de la séance par le Collège. Il souligne par ailleurs que les engagements de Sony relatifs à sa politique de licence n'ont pas été jugés suffisants pour apporter une solution aux préoccupations de concurrence et que, dès lors, le Collège était fondé à rejeter la proposition d'engagements de Sony, en dehors de la formulation d'un engagement lié au dispositif de contre-mesure technique.
65.Le ministère public considère qu'il y avait bien deux préoccupations de concurrence aux paragraphes 196 et 198 et que l'Autorité n'a commis aucun arbitraire en demandant à Sony des engagements relatifs aux mesures techniques. Il constate également que la décision attaquée se fonde sur deux motifs, et que l'engagement concernant les licences, négocié selon Sony depuis des mois, n'était pas non plus suffisant.
Sur ce, la Cour :
66.En premier lieu, il y a lieu de retenir que l'allégation de modification des préoccupations de concurrence entre dans l'office de la Cour dans le cadre du contrôle limité, puisqu'il s'agit de vérifier que l'entreprise a bien été en mesure de présenter, dans les délais et conditions prévus par les dispositions légales et réglementaires applicables, une proposition d'engagements de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence préalablement identifiées par l'Autorité.
67.En second lieu, l'article L. 464-2 du code de commerce dispose que « I. -L'Autorité de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Elle peut aussi accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l'article L. 410-3. ».
68.Le communiqué de procédure précise le cadre de ces négociations et indique notamment:
« 31 Pour être effective, la procédure doit garantir aux entreprises concernées que les propositions négociées en amont avec le rapporteur en charge du dossier seront acceptées comme base de discussion par l'Autorité en séance, sans préjudice de modifications ultérieures.
32 Une procédure souple, associant le collège au rapporteur dès le début de la négociation des engagements, a par conséquent été adoptée par l'Autorité afin de garantir un niveau de sécurité juridique optimal pour les entreprises. ».
69.Il en résulte que le Collège ne peut pas modifier les préoccupations de concurrence identifiées par les services d'instruction et sur la base desquelles les engagements ont été proposés.
70.En l'espèce, contrairement à ce que soutient Sony, le Collège n'a pas modifié les préoccupations de concurrence en constatant qu'aucun engagement concernant les mesures techniques n'avait été proposé.
71.En effet, l'évaluation préliminaire mentionne deux préoccupations de concurrence, introduites par les locutions « en premier lieu », « en second lieu », et utilise le pluriel pour nommer les préoccupations. L'une des préoccupations portait sur la politique d'octroi des licences et l'autre sur les mesures techniques. Le terme de « combinaison » est surinterprété par Sony qui en déduit une unique préoccupation, ce qui apparaît contraire aux locutions précitées et au pluriel utilisé pour nommer les préoccupations de concurrence.
72.Par ailleurs, il ne peut pas être déduit de la proposition d'engagement faite pour les licences qu'elle aurait mis un terme à la préoccupation relative aux mesures techniques. Cette affirmation implique dans tous les cas un examen qui outrepasse l'objet du présent recours, lequel est limité à la question de déterminer si l'Autorité a imposé une nouvelle préoccupation de concurrence à l'entreprise.
73.Le fait par ailleurs que la notification de grief et la décision de sanction ne se fondent que sur une seule infraction, qui serait la combinaison des deux préoccupations selon Sony, ne peut asseoir l'affirmation de Sony selon laquelle il ne s'agissait que d'une seule préoccupation. En effet, le paragraphe 17 du communiqué rappelle que « Comme l'a relevé la Cour de cassation dans l'arrêt Canal 9 du 4 novembre 2008, l'évaluation préliminaire 'ne constitue pas un acte d'accusation au sens de l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales' car elle 'n'a pas pour objet de prouver la réalité et l'imputabilité d'infractions au droit de la concurrence en vue de les sanctionner ', contrairement à la notification des griefs. ». L'évaluation préliminaire, quant à elle, a pour objet d'identifier des atteintes à la concurrence « susceptibles de constituer une pratique prohibée ». Évaluation préliminaire et notification de griefs n'ont donc pas le même objet. Il est donc vain de vouloir déduire de la notification de griefs, qui a succédé à la procédure d'engagements, des conséquences quant à l'objet des préoccupations de concurrence.
74.Par ailleurs, le fait que les discussions avec les services d'instruction et les premières propositions d'engagements aient porté sur l'octroi des licences seulement, est indifférent. Le Collège n'est pas, en effet, lié par les discussions de l'entreprise avec les services d'instruction. L'article 40 du communiqué rappelle, en effet, que « L'Autorité n'est jamais tenue de décider de rendre obligatoires des engagements plutôt que d'agir par voie de sanction ou d'injonction à l'encontre des entreprises. ».
75.Il résulte de ces considérations que l'évaluation préliminaire comportait bien deux préoccupations de concurrence et que le Collège n'a ni excédé ses pouvoirs, ni commis d'arbitraire, ni porté atteinte au principe de la sécurité juridique, en considérant que Sony n'avait pas proposé d'engagement relatif aux mesures techniques.
76.En outre, comme le souligne le ministre chargé de l'économie, la décision attaquée se fonde sur deux motifs pour rejeter la proposition d'engagement : l'absence de proposition concernant les mesures techniques, d'une part, et, d'autre part, l'insuffisance de la proposition concernant la politique de licence. Le motif tenant aux mesures techniques, qui constituerait pour Sony une nouvelle préoccupation de concurrence, apparaît donc surabondant et, dès lors, le moyen tenant à la modification des préoccupations de concurrence inopérant.
77.Le moyen tiré de l'absence de sécurité juridique sera donc rejeté.
C. Sur le défaut de notification
78.Sony soutient que la décision attaquée aurait dû lui être notifiée, conformément aux articles L. 464-8 et R. 464-8, I° du code de commerce visés par l'arrêt de la Cour de cassation. Or, en l'espèce, Sony soutient avoir eu connaissance de la décision par la voie d'un communiqué de presse puis par mail après avoir elle-même interrogé l'Autorité. Elle relève que le courriel de l'Autorité en réponse du 18 novembre 2020 ne constitue pas une notification. Concernant l'absence de grief, elle soutient que le contrôle de la cour d'appel porte sur la vérification des garanties de la procédure.
79.En réponse, l'Autorité fait valoir que les requérantes ont reçu un courriel le 18 novembre 2020 auquel était joint en copie la décision attaquée. Elle relève également que la décision est produite par Sony à l'appui de sa déclaration de recours. Elle soutient que dans tous les cas, la décision n'avait pas à être notifiée dès lors qu'aux termes de l'article R. 464-8, I, 4° du code de commerce, la notification des décisions est faite aux « personnes destinataires de la notification des griefs ou du rapport, ainsi que les entreprises ou organismes ayant souscrit des engagements », situation dans laquelle n'étaient pas les requérantes.
80.Subsonic indique que Sony n'a pas subi de grief, puisqu'elle a régulièrement introduit son recours et que la seule conséquence d'une erreur ou d'un défaut de notification est le report du début du délai de recours.
81.Le ministre chargé de l'économie considère que Sony ne peut pas se prévaloir d'une absence de notification pour affirmer que le fondement légal est erroné. Il indique que la conséquence n'est qu'un report de la date de recours.
82.Le ministère public partage cet avis.
Sur ce, la Cour :
83.L'article L. 464-8 du code de commerce dispose que « Les décisions de l'Autorité de la concurrence mentionnées aux articles L. 462-8, L. 464-2, L. 464-3, L. 464-6, L. 464-6-1 et L. 752-27 sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l'économie, qui peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris. ».
84.L'article R. 464-8, I du code de commerce prévoit que cette notification est faite soit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, soit par l'intermédiaire d'une plateforme d'échanges sécurisés de documents électroniques.
85.Enfin, l'article L. 464-2 du code de commerce dispose que « l'Autorité de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou leur imposer toute mesure corrective de nature structurelle ou comportementale proportionnée à l'infraction commise et nécessaire pour faire cesser effectivement l'infraction. Elle peut aussi accepter des engagements, d'une durée déterminée ou indéterminée, proposés par les entreprises ou associations d'entreprises et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l'article L. 410-3. ».
86.Il résulte de la combinaison de ces articles et de la reconnaissance d'un recours immédiat contre une décision de refus d'engagement, qu'une telle décision doit être notifiée aux entreprises concernées, à l'instar d'une décision d'engagements, afin que les entreprises concernées puissent former un recours dans le mois de la décision de refus.
87.Quant à l'absence ou l'irrégularité de la notification d'une décision à une partie, conformément à l'article 114 du code de procédure civile, elles constituent un vice de forme qui n'entraîne la nullité de la notification destinée à la partie que sur justification d'un grief. Contrairement à ce que soutient Sony, cette règle a vocation à s'appliquer même si l'objet du contrôle de la Cour ne porte que sur le respect des garanties procédurales de la procédure de refus d'engagement.
88.En l'espèce, il n'est pas contesté que l'Autorité n'a pas notifié la décision de refus d'engagements à Sony dans les formes prévues à l'article L. 464-8 précité, Sony ayant été informée de cette décision, d'abord, par un communiqué de l'Autorité et, ensuite, par un courriel du 18 novembre 2020 en réponse à sa demande.
89.Néanmoins, Sony ne démontrant pas subir un grief, puisqu'elle a formé un recours lequel est déclaré recevable, le défaut de notification dans les formes prévues par l'article L. 464-8 précité ne prive pas la décision attaquée d'un défaut de base légale.
90.Le moyen sera donc rejeté.
D. Sur la violation du principe du contradictoire et du principe de l'égalité des armes
91.Sony soutient que, lors de la dernière séance du 14 septembre 2020, sa dernière proposition n'a pas été examinée de manière concrète et effective, au seul motif qu'elle n'avait pas proposé un deuxième engagement. Elle prétend n'avoir donc pas pu présenter dans les délais et conditions prévus par la loi et les règlements une proposition destinée à mettre fin aux préoccupations de concurrence, telles qu'identifiées par les services d'instruction et non par la nouvelle conception de l'Autorité. Elle en déduit que ces vices de procédure entraînent la nullité de la procédure.
92.En réponse, l'Autorité fait valoir, d'abord, que ce moyen est étranger à l'objet du recours. L'Autorité précise ensuite que cela reviendrait à soutenir que si l'entreprise présente des engagements qui ne peuvent pas être acceptés, elle dispose malgré tout du droit de faire de nouvelles propositions indéfiniment, sans que l'Autorité ait jamais la faculté de clore la procédure, ce qui est excessif et contraire à la loi. Elle soutient, enfin, que les débats du dernier jour de séance n'étaient rien d'autre que la continuation des débats des jours précédents, de sorte que le principe du contradictoire a été respecté, comme en attestent les courriers avec Sony. Concernant l'égalité des armes, ce principe implique l'existence d'un adversaire, ce qui n'existe pas en matière de procédure négociée.
93.Subsonic fait valoir que Sony a délibérément refusé de présenter une deuxième proposition d'engagement relative à la deuxième préoccupation et qu'elle ne peut donc reprocher à l'Autorité sa décision. Elle relève d'ailleurs que le Collège a suspendu à de nombreuses reprises la séance pour permettre à Sony de présenter ses propositions d'engagement et que la procédure a été menée dans le respect des droits de Sony.
94.Le ministre chargé de l'économie rappelle que si un arrêt du 30 novembre 2023 (RG n° 23/01145, § 68), a considéré que « le principe du contradictoire ['] implique, lorsque [le Collège] s'écarte radicalement des hypothèses débattues, de renvoyer l'affaire à l'instruction ». Il estime que ce n'était pas justifié en l'espèce en raison du fait que « plusieurs conditions cumulatives étaient posées par les services d'instruction pour répondre aux obligations de Sony en matière de respect du droit de la concurrence » et le Collège a clos la séance « après s'être assuré que l'une des conditions n'était pas réunie, sans qu'elle puisse par ailleurs être compensée, rendant de facto les préoccupations de concurrence insurmontables en l'état du dossier ». Il souligne enfin le nombre de suspensions de séances et le caractère limité des propositions faites par Sony pour retenir que le Collège ne s'est « pas écarté des hypothèses débattues lors de la séance pour adopter sa décision de refus d'acceptation des engagements ».
95.Le ministère public rappelle que la procédure d'engagements est discrétionnaire et ne constitue pas un droit à un engagement, l'Autorité ayant le dernier mot, et que les séances ont été reportées à plusieurs reprises pour permettre à Sony de modifier sa proposition d'engagements.
Sur ce, la Cour :
96.La procédure d'engagements est une procédure négociée entre l'Autorité et l'entreprise, avec des règles souples prévues à l'article R. 464-2 du code de commerce et au communiqué de procédure du 2 mars 2009.
97.Son objectif, décrit à l'article 5 du communiqué de procédure, est « d'obtenir que l'entreprise cesse ou modifie de son plein gré, pour l'avenir, des comportements ayant suscité des préoccupations de concurrence, à la différence d'une décision de condamnation, qui constate le caractère anticoncurrentiel du comportement en cause, en impose la cessation ou la modification, et le sanctionne le cas échéant. ».
98.La procédure demeure néanmoins soumise au respect du contradictoire, qui participe de la loyauté procédurale.
99.Ce principe est rappelé à l'article 30 du communiqué qui mentionne qu'« à l'issue du test de marché, les parties à la procédure et le commissaire du Gouvernement sont convoqués en séance et ont, lors de celle-ci, à nouveau l'occasion de s'exprimer sur la proposition d'engagements que le rapporteur général leur fait parvenir trois semaines au moins avant cette date. ».
100.En l'espèce, il résulte du procès-verbal du 31 juillet 2020 (pièce n° 32 de Sony) que la séance du 28 juillet 2020 avait été suspendue et a repris le 31 juillet. Ce procès-verbal mentionne :
« Le point de blocage concernant 'le programme de licence' se pose de nouveau. Le collège suspend la séance pour en délibérer. À son retour, le président de séance reformule les propos du conseil du groupe Sony. Les services d'instruction donnent leur avis. Le conseil de Subsonic en prend acte. Le collège suspend un court instant pour délibérer.
À la suite du délibéré, le collège informe les parties que les éléments dont il dispose à présent sont une base pour poursuivre la procédure.
Le président de séance demande au conseil du groupe Sony de confirmer par écrit l'intention de leur client de ne pas effectuer de mises à jour telle que visées par la note d'évaluation préliminaire jusqu'à la prochaine séance.
Il énumère les éléments demandés aux conseils au cours de la séance à transmettre au plus tard avant le 7 septembre 2020. ».
101.Quant au procès-verbal de séance du 14 septembre 2020 (pièce n° 16 de SONY), il y est mentionné que « concernant la nouvelle proposition d'engagement présentée par Sony, la rapporteure Générale adjointe présente 4 remarques :
1/ remarque Générale sur la compatibilité PS4/PS5 et sur l'extension de la proposition d'engagements à la console PS5
2/ sur l'architecture et les remèdes ;
3/ sur la différence qualifiante ;
4/ sur les critères de refus d'octroi de la licence.
Au regard de ces éléments, sauf si la société Sony présente lors de la séance une nouvelle proposition d'engagement qui répond a minima aux quatre points listés ci-dessus, les services d'instruction proposent au collège de mettre un terme à la procédure d'engagements et de renvoyer le dossier à l'instruction.
Le commissaire du Gouvernement formule ensuite des observations.
À la suite de ces observations, le vice-président invite les représentants des parties à intervenir.
Le collège suspend la séance un court instant.
À son retour, le président résume les propos des services d'instruction et du commissaire du Gouvernement. ».
102.Il résulte de ces procès-verbaux que, contrairement à ce que soutient Sony, le contradictoire a bien été respecté.
103.En effet, d'abord, il sera relevé que plusieurs séances ont été tenues, le Collège ayant suspendu la séance le 28 juillet puis le 31 juillet pour, enfin, la reporter au 7 septembre 2020.
104.L'article 36 du communiqué procédure prévoit, en effet, que « [e]n pratique, une suspension de séance peut intervenir lorsque l'entreprise concernée accepte de modifier les engagements sur-le-champ. La séance reprend son cours dès que les engagements sont finalisés. ».
105.Ainsi, lors de la réouverture de la séance, le Collège doit disposer de la nouvelle proposition d'engagements.
106.Or, lors de la séance du 14 septembre 2020, le Collège a sollicité une nouvelle proposition en cours de séance portant notamment sur le refus d'octroi des licences. Il peut en être déduit que le Collège n'était pas satisfait de la dernière proposition transmise entre le 31 juillet et le 7 septembre (date de transmission des documents) relative à l'octroi des licences.
107.Un débat a eu lieu puisqu'il est indiqué que les conseils des parties ont eu la parole, comme ils l'ont d'ailleurs toujours eue au cours des différentes séances.
108.C'est donc à tort que Sony invoque une violation du principe du contradictoire pour avoir été empêchée de présenter sa dernière proposition d'engagement relative à l'octroi des licences au motif qu'elle n'avait pas présenté de proposition d'engagement concernant les mesures techniques.
109.À l'instar du ministère public, il convient de relever que cette proposition d'engagement avait déjà fait l'objet de plusieurs modifications et suspensions de séances, sans finalement que Sony ne se conforme aux exigences du Collège, lequel « n'est jamais tenue de décider de rendre obligatoires des engagements plutôt que d'agir par voie de sanction ou d'injonction à l'encontre des entreprises. » (article 40 du communiqué).
110.Quant à l'égalité des armes, dont l'objet est de permettre à chaque partie de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire, il n'a pas vocation à s'appliquer s'agissant d'une procédure négociée, comme tel est le cas en l'espèce, ainsi que le fait valoir à juste titre l'Autorité.
111.Le moyen pris de la violation du principe du contradictoire et de l'égalité des armes sera, dès lors, rejeté.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement,
DÉCLARE recevable le recours formé par les sociétés Sony Interactive Entertainment France SA et Sony Interactive Entertainment Europe Limited contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-S-01 du 23 octobre 2020 relative à des pratiques mises en 'uvre dans le secteur des consoles statiques de jeux vidéo de huitième génération et des accessoires de contrôle compatibles avec la console PlayStation 4 ;
REJETTE le recours formé contre la décision n° 20-S-01 du 23 octobre 2020 ;
CONDAMNE les sociétés Sony Interactive Entertainment France SA et Sony Interactive Entertainment Europe Limited aux dépens ;
CONDAMNE les sociétés Sony Interactive Entertainment France SA et Sony Interactive Entertainment Europe Limited à payer à la société Subsonic la somme globale de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.