CJUE, 1re ch., 4 décembre 2025, n° C-580/23
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
PARTIES
Demandeur :
Mio Försäljning AB, Mio e-handel AB, Mio AB, USM U. Schärer Söhne AG, konektra GmbH
Défendeur :
Galleri Mikael & Thomas Asplund Aktiebolag
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
F. Biltgen
Juges :
T. von Danwitz, A. Kumin, I. Ziemele, S. Gervasoni
Avocat général :
M. Szpunar
Avocats :
Å. Hellstadius, M. Johansson, R. Wessman, R. Hirsch, N. Tretter, M. Bruder, H. Wistam, E. Keller, V. Zipperich
Arrêt
1 Les deux demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 2 à 4 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, respectivement, Mio AB, Mio e-handel AB et Mio Försäljning AB, sociétés de droit suédois (ci-après « Mio »), à Galleri Mikael & Thomas Asplund Aktiebolag, société de droit suédois (ci-après « Asplund ») (C‑580/23), d’une part, et USM U. Schärer Söhne AG, société de droit suisse (ci-après « USM »), à konektra GmbH, société de droit allemand, et à LN, son directeur (ci-après « Konektra ») (C‑795/23), d’autre part, au sujet de prétendues atteintes au droit d’auteur.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2001/29
3 Les considérants 4, 9, 10 et 60 de la directive 2001/29 énoncent :
« (4) Un cadre juridique harmonisé du droit d’auteur et des droits voisins, en améliorant la sécurité juridique et en assurant dans le même temps un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle, encouragera des investissements importants dans des activités créatrices et novatrices, notamment dans les infrastructures de réseaux, et favorisera ainsi la croissance et une compétitivité accrue de l’industrie européenne, et cela aussi bien dans le secteur de la fourniture de contenus que dans celui des technologies de l’information et, de façon plus générale, dans de nombreux secteurs industriels et culturels. Ce processus permettra de sauvegarder des emplois et encouragera la création de nouveaux emplois.
[...]
(9) Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.
(10) Les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, de même que les producteurs pour pouvoir financer ce travail. L’investissement nécessaire pour créer des produits, tels que des phonogrammes, des films ou des produits multimédias, et des services tels que les services à la demande, est considérable. Une protection juridique appropriée des droits de propriété intellectuelle est nécessaire pour garantir une telle rémunération et permettre un rendement satisfaisant de l’investissement.
[...]
(60) La protection prévue par la présente directive n’affecte pas les dispositions légales nationales ou communautaires dans d’autres domaines, tels que la propriété industrielle, la protection des données, les services d’accès conditionnel et à accès conditionnel, l’accès aux documents publics et la règle de la chronologie des médias, susceptibles d’avoir une incidence sur la protection du droit d’auteur ou des droits voisins. »
4 L’article 2 de cette directive, intitulé « Droit de reproduction », dispose :
« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :
a) pour les auteurs, de leurs œuvres ;
b) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ;
c) pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ;
d) pour les producteurs des premières fixations de films, de l’original et de copies de leurs films ;
e) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite. »
5 L’article 3 de ladite directive, intitulé « Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés », prévoit :
« 1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.
2. Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement :
a) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ;
b) pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ;
c) pour les producteurs des premières fixations de films, de l’original et de copies de leurs films ;
d) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite.
3. Les droits visés aux paragraphes 1 et 2 ne sont pas épuisés par un acte de communication au public, ou de mise à la disposition du public, au sens du présent article. »
6 L’article 4 de la même directive, intitulé « Droit de distribution », dispose :
« 1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles-ci.
2. Le droit de distribution dans la Communauté [européenne] relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre n’est épuisé qu’en cas de première vente ou premier autre transfert de propriété dans la Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement. »
7 L’article 5 de la directive 2001/29, intitulé « Exceptions et limitations », prévoit :
« 1. Les actes de reproduction provisoires visés à l’article 2, qui sont transitoires ou accessoires et constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et dont l’unique finalité est de permettre :
a) une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire, ou
b) une utilisation licite
d’une œuvre ou d’un objet protégé, et qui n’ont pas de signification économique indépendante, sont exemptés du droit de reproduction prévu à l’article 2.
[...]
5. Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. »
8 L’article 9 de cette directive, intitulé « Maintien d’autres dispositions », dispose que celle-ci n’affecte pas les dispositions concernant d’autres domaines.
La directive 98/71/CE
9 Le considérant 8 de la directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1998, sur la protection juridique des dessins ou modèles (JO 1998, L 289, p. 28), énonce :
« [C]onsidérant que, en l’absence d’harmonisation de la législation sur les droits d’auteur, il importe de consacrer le principe du cumul, d’une part, de la protection spécifique des dessins ou modèles par l’enregistrement et, d’autre part, de la protection par le droit d’auteur, tout en laissant aux États membres la liberté de déterminer l’étendue de la protection par le droit d’auteur et les conditions auxquelles cette protection est accordée ».
10 L’article 17 de cette directive, intitulé « Rapports avec le droit d’auteur », prévoit :
« Un dessin ou modèle ayant fait l’objet d’un enregistrement dans ou pour un État membre, conformément aux dispositions de la présente directive, bénéficie également de la protection accordée par la législation sur le droit d’auteur de cet État à partir de la date à laquelle le dessin ou modèle a été créé ou fixé sous une forme quelconque. La portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminées par chaque État membre. »
Le règlement (CE) no 6/2002
11 Le considérant 32 du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), énonce :
« Il importe, en l’absence d’une harmonisation complète du droit d’auteur, de consacrer le principe du cumul de la protection spécifique des dessins ou modèles communautaires et de la protection par le droit d’auteur, tout en laissant aux États membres toute liberté pour déterminer l’étendue de la protection par le droit d’auteur et les conditions auxquelles cette protection est accordée. »
12 L’article 3, sous a), de ce règlement définit la notion de « dessin ou modèle » selon les mêmes termes que ceux de l’article 1er, sous a), de la directive 98/71.
13 L’article 96 dudit règlement, intitulé « Rapports avec les autres formes de protection prévues par les législations nationales », prévoit, à son paragraphe 2 :
« Un dessin ou modèle protégé par un dessin ou modèle communautaire bénéficie également de la protection accordée par la législation sur le droit d’auteur des États membres à partir de la date à laquelle il a été créé ou fixé sous une forme quelconque. La portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminées par chaque État membre. »
Le droit suédois
14 En vertu de l’article 1er de la Lagen om upphovsrätt till litterära och konstnärliga verk (1960:729) [loi relative au droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques (1960:729)] (SFS 1960, n° 729), dans sa version applicable au litige au principal dans l’affaire C‑580/23 (ci-après la « loi relative au droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques ») :
« La personne qui a créé une œuvre littéraire ou artistique possède un droit d’auteur sur cette œuvre, qu’il s’agisse :
1. d’une œuvre de l’esprit ou purement descriptive, par écrit ou par oral,
2. d’un programme d’ordinateur,
3. d’une œuvre musicale ou dramatique,
4. d’une œuvre cinématographique,
5. d’une œuvre photographique ou d’un autre objet des arts plastiques,
6. d’une œuvre d’architecture ou des arts appliqués, ou
7. d’une œuvre exprimée d’une autre manière. »
15 En vertu de l’article 2 de la loi relative au droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques, le droit d’auteur comprend, sous réserve de certaines limitations, le droit exclusif de disposer d’une œuvre par reproduction et de la mettre à la disposition du public, sous sa forme originale ou sous une forme modifiée, traduite ou retravaillée, dans un autre genre littéraire ou artistique, ou selon une autre technique. Par « reproduction d’une œuvre » doit être entendue toute reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit de tout ou partie de celle-ci. Une œuvre est mise à la disposition du public, par exemple, lorsqu’elle est transmise au public ou lorsque des copies de celle-ci sont proposées à la vente, à la location ou au prêt ou diffusées d’une autre manière au public.
16 L’article 53 b de la loi relative au droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques prévoit que le tribunal peut, sous peine d’astreinte, interdire à une personne qui accomplit ou participe à un acte de contrefaçon de continuer cet acte.
Le droit allemand
17 L’article 2 du Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte (Urheberrechtsgesetz) [loi sur le droit d’auteur et les droits voisins (loi sur le droit d’auteur)], du 9 septembre 1965 (BGBl. 1965 I, p. 1273), dans sa version applicable au litige au principal dans l’affaire C‑795/23, intitulé « Œuvres protégées », prévoit, à son paragraphe 1, point 4, que les œuvres littéraires, scientifiques et artistiques protégées comprennent, notamment, les œuvres des beaux-arts, y compris les œuvres d’architecture et des arts appliqués, ainsi que les ébauches de telles œuvres. En vertu de cet article 2, paragraphe 2, seules les créations intellectuelles personnelles sont des œuvres, au sens de cette loi.
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
L’affaire C-580/23
18 Asplund conçoit et fabrique des meubles d’aménagement intérieur. La gamme de produits d’Asplund comprend, notamment, les tables de salle à manger de la série « Palais Royal ».
19 Mio exerce une activité de commerce de détail dans le secteur du mobilier et de l’intérieur de la maison. La gamme de produits de Mio comprend, notamment, les tables de salle à manger de la série de meubles « Cord ».
20 Au mois d’octobre 2021, Asplund a introduit un recours contre Mio devant le Patent- och marknadsdomstolen (Tribunal de la propriété industrielle et de commerce, Suède), pour atteinte au droit d’auteur. Dans le cadre de ce recours, Asplund a, notamment, demandé à cette juridiction d’interdire à Mio, sous peine d’astreinte, de fabriquer, de commercialiser ou de vendre les tables de salle à manger de la série de meubles « Cord », faisant valoir que les tables de la série « Palais Royal » étaient protégées par le droit d’auteur en tant qu’œuvres des arts appliqués et que, par conséquent, les tables de salle à manger de la série de meubles « Cord » constituaient une atteinte au droit d’auteur dans la mesure où elles présenteraient de grandes similitudes avec les tables de la série « Palais Royal ».
21 Mio a contesté le fait que les tables de la série « Palais Royal » étaient protégées par le droit d’auteur, faisant valoir que ces tables ne présentaient pas une originalité suffisante pour obtenir la protection correspondante. Selon Mio, la conception de ces tables repose sur de simples variations de dessins ou de modèles connus antérieurement et figurant au registre des dessins ou modèles enregistrés dans l’Union européenne. En tout état de cause, alors même que les tables de la série « Palais Royal » seraient protégées par le droit d’auteur, cette protection serait limitée et restreinte et les différences existantes entre les deux modèles de tables concernés suffiraient à démontrer que les tables de Mio ne portent pas atteinte au droit d’auteur.
22 Le Patent- och marknadsdomstolen (Tribunal de la propriété industrielle et de commerce) a fait droit à la demande d’Asplund, relevant que les tables de la série « Palais Royal » étaient protégées par le droit d’auteur en tant qu’œuvres des arts appliqués et que les tables de salle à manger de la série de meubles « Cord » constituaient une atteinte au droit d’auteur.
23 Mio a introduit un recours contre la décision du Patent- och marknadsdomstolen (Tribunal de la propriété industrielle et de commerce) devant le Svea hovrätt, Patent- och marknadsöverdomstolen (cour d’appel siégeant à Stockholm en tant que cour d’appel de la propriété industrielle et des affaires économiques, Suède), qui est la juridiction de renvoi.
24 La juridiction de renvoi nourrit des doutes, en substance, sur le point de savoir si les tables de la série « Palais Royal » bénéficient de la protection du droit d’auteur en tant qu’« œuvres ». Elle s’interroge sur les critères permettant de déterminer l’originalité d’un objet afin qu’il puisse être considéré comme étant une « œuvre », au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29, conformément à la jurisprudence issue de l’arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721).
25 La juridiction de renvoi précise que, pour qu’un objet puisse être regardé comme étant original, il est à la fois nécessaire et suffisant que celui-ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier. Lorsque la réalisation d’un objet a été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes, qui n’ont pas laissé de place à l’exercice d’une liberté créative, cet objet ne saurait être regardé comme présentant l’originalité nécessaire pour pouvoir constituer une œuvre. Toutefois, la juridiction de renvoi observe qu’un objet peut satisfaire à une telle exigence d’originalité, quand bien même la réalisation de celui-ci a été déterminée par des considérations techniques, pour autant qu’une telle détermination n’a pas empêché son auteur de refléter sa personnalité dans cet objet, en manifestant des choix libres et créatifs.
26 La juridiction de renvoi rappelle, à cet égard, que, afin d’apprécier si un objet est une création originale, il lui revient de tenir compte de tous les éléments pertinents tels qu’ils existaient lors de la conception de celui-ci, indépendamment des facteurs extérieurs et ultérieurs à la création de cet objet.
27 Cependant, une incertitude subsisterait quant à la manière dont l’appréciation concrète concernant l’originalité d’un objet doit être effectuée et quels éléments devraient être pris en compte pour déterminer si un objet des arts appliqués reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier.
28 Selon la juridiction de renvoi, il suffit que l’auteur d’un objet ait disposé d’une marge de manœuvre et ait effectivement effectué des choix de nature différente lors de la création de celui-ci, que ces choix n’aient pas été guidés par des considérations, des règles ou des exigences techniques et que lesdits choix aient été d’une certaine manière reflétés et exprimés dans cet objet. Une interprétation aussi large signifierait, en pratique, que l’appréciation de l’originalité d’un objet doit reposer sur le processus créatif lui-même et sur les choix opérés par son auteur au cours de celui-ci. Cette interprétation signifierait également que, en principe, tous les choix effectués par cet auteur au moment de la création dudit objet, qui n’ont pas été guidés par des considérations, des règles ou des exigences techniques, devraient être considérés comme étant libres et créatifs.
29 À cet égard, la juridiction de renvoi estime que, selon ladite interprétation, l’appréciation de l’originalité d’un objet par la juridiction compétente se concentre sur le processus créatif et les choix faits par son auteur lors de ce processus, plutôt que sur la question de savoir si l’objet lui-même, ou le résultat final du processus créatif, est réellement la manifestation d’une réalisation artistique. La question de savoir si cet objet est suffisamment original deviendrait ainsi « une question de preuve plutôt qu’une question de droit ».
30 En outre, la juridiction de renvoi observe qu’une telle interprétation de l’exigence d’originalité d’un objet reviendrait ainsi à imposer des exigences assez faibles quant aux choix créatifs et libres que doit avoir fait son auteur et que cet objet est censé exprimer. Cela risquerait de conduire à ce que des objets ne méritant pas d’être qualifiés d’« œuvres » bénéficient de la protection du droit d’auteur. Par ailleurs, il pourrait en résulter que des objets simples, qui n’ont pas été créés à des fins artistiques ou, en tout état de cause, ne possèdent pas d’« individualité artistique », soient protégés en tant qu’œuvres.
31 La juridiction de renvoi considère qu’une exigence d’originalité peu élevée pour les objets des arts appliqués risquerait également de vider de sa substance la protection moins étendue des dessins ou modèles. Dans ce contexte, cette juridiction exprime des doutes quant à la manière dont une exigence d’originalité peu élevée pour les objets des arts appliqués s’articulerait avec l’exigence du caractère individuel nécessaire pour obtenir la protection des dessins ou modèles. Même si le droit d’auteur et le droit des dessins ou modèles ont des objectifs différents, il ne semblerait pas raisonnable qu’un dessin ou modèle puisse être protégé par le droit d’auteur en tant qu’œuvre, alors même qu’il ne dispose pas du caractère individuel suffisant pour obtenir la protection des dessins ou modèles. Selon la juridiction de renvoi, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel(C‑683/17, EU:C:2019:721), bien que la protection des dessins ou modèles et la protection par le droit d’auteur puissent être accordées de façon cumulative à un même objet des arts appliqués, ce cumul ne saurait être envisagé que dans certaines situations. Or, une exigence d’originalité très peu élevée risquerait de conduire à une situation où les œuvres des arts appliqués pourraient bénéficier d’un cumul de protection dans la majorité des cas de figure.
32 En revanche, une autre interprétation pourrait être envisagée, à savoir que l’appréciation de la question de savoir si un objet des arts appliqués reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de celui-ci, doit avoir comme point de départ l’objet concerné lui-même. Cet objet devrait en lui-même refléter la personnalité de son auteur et manifester un certain degré d’art ou posséder ce qui, du moins par le passé, en Suède et, notamment, en Allemagne, était appelé le « seuil d’originalité » (« verkshöjd »). Une appréciation effectuée selon cette autre interprétation pourrait signifier que ledit objet doit avoir un certain caractère individuel et être en quelque sorte unique. En d’autres termes, le même objet devrait constituer un objet qui a atteint un certain degré d’indépendance et d’originalité et qui exprime l’individualité de son auteur.
33 Dans ces conditions, le Svea hovrätt, Patent- och marknadsöverdomstolen (cour d’appel siégeant à Stockholm en tant que cour d’appel de la propriété industrielle et des affaires économiques) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Comment convient-il d’effectuer l’examen visant à déterminer si un objet des arts appliqués mérite la protection étendue du droit d’auteur en tant qu’œuvre, au sens des articles 2 à 4 de la directive [2001/29], et quels sont les éléments qui doivent ou devraient être pris en compte pour déterminer si cet objet reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier ? À cet égard, la question se pose, en particulier, de savoir si l’appréciation de l’originalité de celui-ci doit se concentrer sur des éléments relatifs au processus de création et sur les explications fournies par son auteur quant aux choix concrets qu’il a faits lors de la création dudit objet, ou sur des éléments relatifs à l’objet lui-même et au résultat final de ce processus de création et sur le point de savoir si l’objet lui-même exprime un effet artistique.
2) Pour répondre à la première question et à la question de savoir si un objet des arts appliqués reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier, quelle importance revêt le fait que :
a) cet objet est constitué d’éléments qui comptent parmi les formes généralement disponibles ?
b) ledit objet est développé à partir d’un dessin ou modèle déjà connu et en constitue une variation ou s’inscrit dans la tendance actuelle de ce dessin ou modèle ?
c) des objets identiques ou similaires ont été créés avant ou, indépendamment et sans connaissance de l’objet des arts appliqués à protéger en tant qu’œuvre, après la création du même objet ?
3) Comment l’appréciation de la similitude doit-elle être effectuée – et quelle similitude est requise – lorsqu’il convient d’examiner si un objet des arts appliqués prétendument contrefaisant relève du champ de protection d’une œuvre et porte atteinte au droit exclusif accordé à son auteur en vertu des articles 2 à 4 de la directive [2001/29] ? À cet égard, il y a lieu, notamment, de déterminer si un tel examen doit porter sur la question de savoir si cette œuvre est reconnaissable dans l’objet prétendument contrefaisant, si l’objet prétendument contrefaisant produit la même impression globale que ladite œuvre ou sur quels autres éléments doit porter cet examen.
4) Pour répondre à la troisième question et à la question de savoir si un objet des arts appliqués prétendument contrefaisant relève du champ de protection d’une œuvre et porte atteinte au droit exclusif sur celle-ci, quelle est l’incidence :
a) du degré d’originalité de cette œuvre sur l’étendue de la protection de celle-ci ?
b) du fait que ladite œuvre et l’objet des arts appliqués prétendument contrefaisant sont constitués d’éléments comptant parmi les formes généralement disponibles ou sont développés à partir d’un dessin ou modèle déjà connu et constituent des variations de celui-ci ou s’inscrivent dans la tendance actuelle de ce dessin ou modèle ?
c) du fait que d’autres objets identiques ou similaires ont été créés avant ou, indépendamment et sans connaissance de la même œuvre, après la création de celle-ci ? »
L’affaire C-795/23
34 USM fabrique et commercialise depuis des décennies un système de meubles modulables sous la dénomination USM Haller. Ce système de meubles se caractérise par le fait que des tubes ronds chromés brillants sont assemblés au moyen de boules de connexion pour former une structure dans laquelle sont insérés des panneaux métalliques colorés. Les structures ainsi créées peuvent être combinées librement et montées les unes sur les autres ou les unes à côté des autres.
35 Konektra offre, par l’intermédiaire de sa boutique en ligne, des pièces de rechange et d’extension pour le système de meubles modulables USM Haller, dont la forme et, pour la plupart d’entre elles, la couleur correspondent aux composants d’USM. Après s’être limitée, tout d’abord, à la simple vente de pièces de rechange, non contestée par USM, Konektra a procédé en 2017 à une refonte de sa boutique en ligne. Depuis l’année 2018, le site Internet de Konektra répertorie tous les composants nécessaires à l’assemblage complet des meubles USM Haller et effectue également la promotion publicitaire de ces derniers avec des images de meubles assemblés. De plus, Konektra propose à ses clients un service de montage pour assembler les pièces détachées livrées en un meuble complet, ses livraisons étant accompagnées d’instructions de montage pour l’assemblage de meubles complets.
36 Selon USM, Konektra ne se limite désormais plus à proposer des pièces détachées pour le système USM Haller, mais fabrique, offre et commercialise son propre système de meubles, identique au sien. USM estime que l’offre de Konektra porte atteinte à son droit d’auteur sur le système USM Haller en tant qu’œuvre des arts appliqués ou, à tout le moins, constitue une imitation illicite au regard du droit de la concurrence.
37 Partant, USM a assigné Konektra « en cessation, en fourniture de renseignements et en reddition de comptes » ainsi qu’« en remboursement des frais de mise en demeure et en constatation de leur obligation d’indemnisation ». Le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne) a fait droit à ces demandes, principalement sur le fondement du droit d’auteur.
38 En revanche, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) a rejeté en appel lesdites demandes au titre du droit d’auteur. Cette juridiction a considéré que le système de meubles modulables USM Haller n’était pas une œuvre des arts appliqués protégée par le droit d’auteur, dans la mesure où il ne satisfaisait pas aux conditions posées par la jurisprudence de la Cour, issue, notamment, des arrêts du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721), et du 11 juin 2020, Brompton Bicycle (C‑833/18, EU:C:2020:461), pour être considéré comme étant une œuvre des arts appliqués, au sens des articles 2 à 4 de la directive 2001/29.
39 USM comme Konektra ont formé des recours en Revision contre la décision de l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi.
40 La juridiction de renvoi considère que la solution du litige au principal dépend de l’interprétation de la notion d’« œuvre », au sens de l’article 2, sous a), de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, selon laquelle un objet doit présenter deux caractéristiques pour être qualifié d’œuvre, à savoir, d’une part, l’objet en question doit être original, en ce sens qu’il doit constituer une création intellectuelle propre à son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier, et, d’autre part, la réalisation de celui-ci ne saurait avoir été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes, qui n’ont pas laissé de place à l’exercice d’une liberté créative.
41 La juridiction de renvoi admet, à cet égard, que le système de meubles modulables USM Haller constitue une « expression suffisante », au sens de la seconde caractéristique de la jurisprudence issue de l’arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721), cette seconde caractéristique supposant l’existence d’un objet qui peut être identifié avec suffisamment de précision et d’objectivité quand bien même cette expression ne serait pas nécessairement permanente. Selon elle, le système de meubles modulables USM Haller permet une « identification objective », étant donné qu’il est composé d’un nombre limité d’éléments individuels qui sont combinés entre eux dans un système et qui véhiculent une impression d’ensemble caractéristique et récurrente.
42 La juridiction de renvoi n’exclut pas, à cet égard, la possibilité que, dans le cas des objets des arts appliqués, il existe un rapport de règle et d’exception entre la protection par le droit des dessins ou modèles et la protection par le droit d’auteur, en ce sens que, lors de l’examen de l’originalité de ces objets en vertu du droit d’auteur, il y a lieu d’imposer des exigences plus élevées en ce qui concerne les choix libres et créatifs de leur auteur que pour d’autres types d’objets.
43 Elle indique, en outre, que se pose la question de savoir si l’examen de l’originalité d’un objet dépend du point de vue subjectif de son auteur ou s’il y a lieu d’appliquer un critère objectif. La juridiction de renvoi considère, à cet égard, qu’il n’a pas encore été clairement établi dans la jurisprudence de la Cour si, dans l’appréciation de l’originalité d’un objet, peuvent être prises en considération des circonstances extérieures et postérieures à la création de celui-ci, telles que sa présentation dans des expositions d’art ou dans les musées, voire sa reconnaissance par les milieux spécialisés.
44 Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Existe-t-il, en ce qui concerne les œuvres des arts appliqués, un rapport de règle et d’exception entre la protection au titre du droit des dessins ou modèles et la protection au titre du droit d’auteur en ce sens que, lors de l’examen de l’originalité de ces œuvres au regard du droit d’auteur, il convient d’appliquer aux choix libres et créatifs de leur auteur des exigences plus élevées que ce n’est le cas pour d’autres types d’œuvres ?
2) Convient-il, lors de l’examen de l’originalité desdites œuvres au regard du droit d’auteur, de se fonder (aussi) sur le point de vue subjectif de leur auteur quant au processus créatif et cet auteur doit-il, en particulier, avoir fait les choix libres et créatifs consciemment pour qu’ils soient considérés comme tels, au sens de la jurisprudence de la Cour ?
3) Dans l’hypothèse où, dans le cadre de l’examen de l’originalité des mêmes œuvres, il convient de se fonder de manière décisive sur le point de savoir si, et dans quelle mesure, l’œuvre concernée est l’expression objective d’une création artistique : peut-il également être tenu compte pour cet examen de circonstances postérieures au moment de la genèse de la création, déterminant pour l’appréciation de l’originalité de cette œuvre, comme sa présentation dans des expositions d’art ou des musées, voire sa reconnaissance par les milieux spécialisés? »
La procédure devant la Cour
45 Par décision du président de la Cour du 13 mai 2024, les affaires C‑580/23 et C‑795/23 ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure et de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question dans l’affaire C-795/23
46 Par sa première question, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑795/23 demande, en substance, si la directive 2001/29 doit être interprétée en ce sens qu’il existe un rapport de règle et d’exception entre la protection au titre du droit des dessins ou modèles et la protection au titre du droit d’auteur, de sorte que, lors de l’examen de l’originalité d’objets des arts appliqués, il conviendrait d’appliquer des exigences plus élevées que celles prévues pour d’autres types d’œuvres.
47 En l’occurrence, les interrogations de la juridiction de renvoi portent spécifiquement sur la qualification d’« œuvre », au sens de la directive 2001/29, d’un objet utilitaire. Cette juridiction cherche notamment à clarifier la portée du point 52 de l’arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel (C‑683/17, EU:C:2019:721), dans lequel la Cour a considéré que, bien que la protection des dessins ou modèles et la protection associée au droit d’auteur puissent, en vertu du droit de l’Union, être accordées de façon cumulative à un même objet, ce cumul ne saurait être envisagé que dans certaines situations.
48 À cet égard, il convient de rappeler que la notion d’« œuvre » visée par l’article 2, sous a), de la directive 2001/29 constitue, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, une notion autonome du droit de l’Union qui doit être interprétée et appliquée de façon uniforme, et qui suppose la réunion de deux éléments cumulatifs. D’une part, elle implique qu’il existe un objet original, en ce sens qu’il est une création intellectuelle propre à son auteur. D’autre part, la qualification d’œuvre est réservée aux éléments qui sont l’expression d’une telle création (arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel, C‑683/17, EU:C:2019:721, point 29 et jurisprudence citée).
49 S’agissant du premier de ces éléments, il découle de la jurisprudence que, pour qu’un objet puisse être regardé comme étant original, il est à la fois nécessaire et suffisant que celui-ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier. En revanche, lorsque la réalisation d’un objet a été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes, qui n’ont pas laissé de place à l’exercice d’une liberté créative, cet objet ne saurait être regardé comme présentant l’originalité nécessaire pour pouvoir constituer une œuvre (arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel, C‑683/17, EU:C:2019:721, points 30 et 31 ainsi que jurisprudence citée).
50 Ainsi, le reflet de la personnalité de l’auteur dans l’objet dont la protection est revendiquée, par la manifestation de choix libres et créatifs de cet auteur, constitue la condition déterminante de la notion d’« originalité » et, par conséquent, de la protection par le droit d’auteur dans le droit de l’Union.
51 En revanche, pour ce qui est de la protection des dessins et modèles relevant soit de la directive 98/71, applicable aux dessins et modèles enregistrés dans ou pour un État membre, soit du règlement no 6/2002, applicable aux dessins et modèles protégés au niveau de l’Union, un autre critère de protection objectif, celui de la nouveauté et du caractère individuel, s’applique. Ce critère s’apprécie par rapport aux dessins ou modèles antérieurs et, dans ce cadre, tout dessin ou modèle qui s’en distingue suffisamment pour créer une impression visuelle globale différente peut bénéficier de ladite protection.
52 Cette différenciation entre les critères de protection s’explique par le fait que la protection des dessins et modèles, d’une part, et la protection assurée par le droit d’auteur, d’autre part, poursuivent des objectifs différents et sont soumises à des régimes distincts. En effet, la protection des dessins et modèles vise à protéger des objets qui, tout en étant nouveaux et individualisés, présentent un caractère utilitaire et ont vocation à être produits en série. En outre, cette protection est destinée à s’appliquer pendant une durée limitée mais suffisante pour permettre de rentabiliser les investissements nécessaires à la création et à la production de ces objets, sans pour autant entraver excessivement la concurrence. Quant à elle, la protection associée au droit d’auteur, dont la durée est très significativement supérieure, est réservée aux objets méritant d’être qualifiés d’œuvres (arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, EU:C:2019:721, point 50).
53 Pour ces raisons, l’octroi d’une protection, au titre du droit d’auteur, à un objet protégé en tant que dessin ou modèle ne saurait aboutir à ce qu’il soit porté atteinte aux finalités et à l’effectivité respectives de ces deux protections (arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, EU:C:2019:721, point 51).
54 Il en découle, premièrement, que les objets protégés en vertu d’un dessin ou d’un modèle ne sont en principe pas assimilables à ceux qui constituent des œuvres protégées par la directive 2001/29 (arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, EU:C:2019:721, point 40). Deuxièmement, aucun automatisme n’existe entre l’octroi de la protection au titre du droit des dessins et modèles et celle au titre du droit d’auteur. Troisièmement, les conditions de cette protection, à savoir celles, d’une part, de nouveauté et de caractère individuel et, d’autre part, d’originalité, ne doivent pas être confondues.
55 Bien que la protection réservée aux dessins ou modèles et celle assurée par le droit d’auteur ne soient pas exclusives l’une de l’autre (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, EU:C:2019:721, point 43) et puissent être accordées de façon cumulative à un même objet, ce cumul est limité à certains cas de figure (arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel, C‑683/17, EU:C:2019:721, point 52), un auteur étant censé créer une œuvre unique portant l’empreinte de sa personnalité qui, en tant que telle, est protégée conformément à la directive 2001/29.
56 Pour autant, il n’existe pas de rapport de règle et d’exception entre la protection réservée aux dessins ou modèles et celle assurée par le droit d’auteur.
57 Il y a donc lieu de considérer qu’un dessin ou modèle peut être qualifié d’« œuvre », au sens de la directive 2001/29, s’il satisfait aux deux exigences énoncées au point 48 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, EU:C:2019:721, point 48) et que l’originalité des objets des arts appliqués doit être appréciée selon les mêmes exigences que celles utilisées pour apprécier celle des autres types d’objets.
58 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la première question dans l’affaire C-795/23 que la directive 2001/29 doit être interprétée en ce sens qu’il n’existe pas de rapport de règle et d’exception entre la protection au titre du droit des dessins ou modèles et la protection au titre du droit d’auteur, de sorte que, lors de l’examen de l’originalité des objets des arts appliqués, il conviendrait d’appliquer des exigences plus élevées que celles prévues pour d’autres types d’œuvres.
Sur les première et deuxième questions dans l’affaire C‑580/23 ainsi que les deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑795/23
59 Par les première et deuxième questions dans l’affaire C-580/23 ainsi que les deuxième et troisième questions dans l’affaire C-795/23, qu’il convient d’examiner ensemble, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 2, sous a), l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doivent être interprétés en ce sens que, lors de l’appréciation de l’originalité des objets des arts appliqués, il y a lieu de prendre en compte les éléments liés au processus créatif et aux intentions de leur auteur ou bien seulement les éléments perceptibles dans l’objet lui-même. À cet égard, les juridictions de renvoi se demandent quel rôle jouent dans cette appréciation des éléments additionnels, tels que l’utilisation dans la création de l’objet concerné de formes déjà disponibles, l’inspiration de son auteur par des objets existants, la possibilité d’une création similaire indépendante ou encore sa reconnaissance par les milieux spécialisés.
Sur l’appréciation de l’originalité des objets des arts appliqués
60 En ce qui concerne l’appréciation du critère de l’originalité, il convient de rappeler que, en l’occurrence, les deux juridictions de renvoi s’interrogent sur la manière dont doivent être appréciés les choix créatifs effectués dans la création d’objets utilitaires, tels que des meubles.
61 Il résulte de la jurisprudence citée aux points 48 et 49 du présent arrêt que, pour établir le caractère original d’une œuvre en droit d’auteur, la juridiction saisie doit apprécier si l’objet dont la protection est revendiquée constitue l’expression des choix libres et créatifs reflétant la personnalité de son auteur.
62 Ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 41 de ses conclusions, cette appréciation doit être effectuée en tenant compte de la spécificité du type d’œuvres concerné. En effet, les œuvres des arts appliqués se distinguent d’autres catégories d’œuvres par le fait qu’elles constituent, en premier lieu, des objets utilitaires. Or, de tels objets sont le fruit du savoir-faire et des choix de leurs créateurs, ces derniers pouvant être dictés par des contraintes techniques, ergonomiques ou de sécurité, ou résulter des standards ou des conventions adoptés dans le secteur concerné.
63 La Cour a précisé, à cet égard, qu’un objet satisfaisant à la condition d’originalité peut bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur quand bien même la réalisation de celui-ci a été en partie déterminée par des considérations techniques, pour autant qu’une telle détermination n’a pas empêché son auteur de refléter sa personnalité dans celui-ci, en manifestant des choix libres et créatifs (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Brompton Bicycle, C-833/18, EU:C:2020:461, point 26).
64 Il découle en effet de la jurisprudence que le critère de l’originalité ne saurait être rempli par les composantes d’un objet qui seraient uniquement caractérisées par leur fonction technique, puisque la protection au titre du droit d’auteur ne s’étend pas aux idées. Lorsque l’expression de ces composantes est dictée par leur fonction technique, les différentes manières de mettre en œuvre une idée sont, en effet, si limitées que cette idée et son expression se confondent (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Brompton Bicycle, C-833/18, EU:C:2020:461, point 27 et jurisprudence citée).
65 Il s’ensuit que, dans le droit d’auteur, le caractère créatif des choix de l’auteur de l’objet ne saurait être présumé. Ainsi, la juridiction saisie de la question de l’originalité d’un objet utilitaire doit rechercher et identifier les choix créatifs dans la forme de celui-ci pour pouvoir le déclarer protégé par le droit d’auteur, étant précisé que, même lorsque son auteur a effectué des choix qui ne sont pas dictés par des contraintes techniques ou autres, le caractère créatif de ces choix, au sens du droit d’auteur, ne saurait être présumé (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Brompton Bicycle, C‑833/18, EU:C:2020:461, point 32).
66 En ce qui concerne les composantes d’un objet utilitaire, celles-ci sont soumises au même régime que l’objet dans son ensemble. Les composantes d’une œuvre bénéficient ainsi d’une protection au titre de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29 à condition qu’elles contiennent certains des éléments qui sont l’expression originale de l’auteur de cette œuvre et qu’elles participent, comme telles, à l’originalité de l’œuvre entière (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International, C‑5/08, EU:C:2009:465, points 38 et 39).
67 Il convient d’ajouter que, s’il est vrai que des considérations d’ordre artistique ou esthétique participent de l’activité créative, la circonstance qu’un modèle génère un tel effet ne permet pas, en soi, de déterminer si ce modèle constitue une création intellectuelle reflétant la liberté de choix et la personnalité de son auteur, et satisfaisant donc à l’exigence d’originalité (arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel, C‑683/17, EU:C:2019:721, point 54).
68 Ainsi, la circonstance qu’un modèle génère, au-delà de son objectif utilitaire, un effet visuel propre et notable du point de vue esthétique ou artistique n’est pas de nature à justifier, par elle-même, qu’il soit qualifié d’« œuvre », au sens de la directive 2001/29 (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel, C‑683/17, EU:C:2019:721, point 55).
Sur la prise en compte du processus créatif et des intentions de l’auteur
69 Les juridictions de renvoi demandent si l’originalité d’un objet utilitaire, tels les meubles dont la protection est revendiquée au titre du droit d’auteur en l’occurrence, doit être appréciée en tenant compte, notamment, des intentions de son auteur lors du processus de création.
70 Il découle de la jurisprudence rappelée aux points 48 et 49 du présent arrêt que, pour qu’un objet puisse être regardé comme étant une création originale, il est à la fois nécessaire et suffisant que celui-ci « reflète » la personnalité de son auteur, en « manifestant » les choix libres et créatifs de ce dernier.
71 Or, comme M. l’avocat général l’a souligné au point 45 de ses conclusions, l’emploi des termes « reflète » et « manifestant » indique clairement que de tels choix ainsi que la personnalité de l’auteur doivent être visibles dans l’objet dont la protection est revendiquée.
72 S’agissant du second élément évoqué au point 48 du présent arrêt, la Cour a précisé que la notion d’« œuvre », visée par la directive 2001/29 implique l’existence d’un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité. En effet, d’une part, les autorités chargées de veiller à la protection des droits exclusifs inhérents au droit d’auteur doivent pouvoir connaître avec clarté et précision l’objet ainsi protégé. Il en va de même des tiers auxquels la protection revendiquée par l’auteur de cet objet est susceptible d’être opposée. D’autre part, la nécessité d’écarter tout élément de subjectivité, nuisible à la sécurité juridique, dans le processus d’identification dudit objet suppose que ce dernier ait été exprimé d’une manière objective (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, EU:C:2019:721, points 32 et 33 ainsi que jurisprudence citée).
73 Ainsi, comme il est rappelé au point 65 du présent arrêt, la juridiction appelée à examiner la question de l’originalité d’un objet doit rechercher et identifier les choix créatifs « dans la forme » de celui-ci afin de le déclarer protégé en tant qu’œuvre par le droit d’auteur.
74 Cette exigence de l’existence d’un objet identifiable trouve son fondement dans le principe fondamental du droit d’auteur selon lequel sont protégées non pas les idées, mais uniquement leurs expressions (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Brompton Bicycle, C-833/18, EU:C:2020:461, point 27). Or, les intentions de l’auteur se situent dans le domaine des idées. Elles ne peuvent donc être protégées que dans la mesure où l’auteur les a exprimées dans l’œuvre concernée.
75 Par conséquent, le juge saisi de la question de l’originalité de cet objet peut prendre en compte le processus créatif et les intentions de l’auteur, à condition que ces éléments trouvent leur expression dans ledit objet lui-même, sans toutefois pouvoir fonder son appréciation de manière déterminante sur lesdits éléments.
Sur la prise en compte d’autres éléments
76 Les juridictions de renvoi demandent quelle importance doit être accordée, lors de l’appréciation de l’originalité d’un objet des arts appliqués, à des éléments tels que l’utilisation par son auteur de formes déjà disponibles, l’inspiration de ce dernier par des objets existants, l’existence d’une création similaire indépendante ou la possibilité de celle-ci ou encore à des circonstances postérieures à la création de cet objet, telles que sa présentation dans des expositions ou des musées ou, plus généralement, sa reconnaissance par les milieux spécialisés.
77 Il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, afin d’apprécier si un objet est une création originale et est ainsi protégé au titre du droit d’auteur, il revient à la juridiction saisie de tenir compte de tous les éléments pertinents du cas d’espèce, tels qu’ils existaient lors de la conception de cet objet, indépendamment des facteurs extérieurs et postérieurs à la création (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Brompton Bicycle, C‑833/18, EU:C:2020:461, point 37).
78 À cet égard, premièrement, ainsi que M. l’avocat général l’a rappelé au point 54 de ses conclusions, l’utilisation par l’auteur d’un objet de formes déjà disponibles n’exclut pas, en soi, l’originalité de celui-ci. En effet, un objet composé uniquement de formes disponibles peut être original, lorsque son auteur a exprimé ses choix créatifs dans l’agencement de ces formes.
79 Deuxièmement, en ce qui concerne l’hypothèse dans laquelle l’auteur d’un objet a été inspiré par des objets existants, la protection au titre du droit d’auteur sera limitée à l’identification des éléments créatifs propres à cet auteur. En effet, lorsque l’objet en question est une « variante » d’une œuvre existante, émanant du même auteur et par définition originale, il peut bénéficier de la protection du droit d’auteur tant que les éléments créatifs repris demeurent dans celui-ci et constituent l’empreinte de la personnalité de ce même auteur. En revanche, lorsque les auteurs sont différents, cet objet doit alors être considéré comme étant une œuvre inspirée, à savoir une œuvre qui ne reprend pas tels quels les éléments créatifs d’une autre œuvre, mais qui s’en inspire d’une autre façon. Cette nouvelle œuvre peut néanmoins aussi bénéficier, en tant que telle, de cette protection, à condition que les exigences prévues par la jurisprudence citée au point 48 du présent arrêt soient satisfaites.
80 Troisièmement, il convient de constater que, même si le droit d’auteur ne prévoit pas de condition de nouveauté, la création par un autre auteur d’objets semblables ou identiques à un objet déterminé, avant la création de celui-ci, peut constituer un indice pertinent du faible degré voire de l’absence d’originalité de cet objet. Il n’en demeure pas moins que, dans le cas d’objets des arts appliqués, où différentes contraintes caractérisées par leur fonction technique limitent la liberté des auteurs, la possibilité que deux auteurs aient fait, de manière indépendante, des choix créatifs similaires, voire identiques, ne peut être totalement exclue.
81 Enfin, quatrièmement, en ce qui concerne les circonstances, telles que la présentation d’un objet dans des expositions d’art ou des musées et sa reconnaissance par les milieux spécialisés, ces circonstances, extérieures et postérieures à la création de celui-ci, ne sont, conformément à la jurisprudence citée au point 77 du présent arrêt, ni nécessaires ni déterminantes en tant que telles.
82 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre aux première et deuxième questions dans l’affaire C-580/23 ainsi qu’aux deuxième et troisième questions dans l’affaire C-795/23 que l’article 2, sous a), l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doivent être interprétés en ce sens que constitue une œuvre, au sens de ces dispositions, un objet qui reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de celui-ci. Ne sont pas libres et créatifs non seulement les choix dictés par différentes contraintes, notamment techniques, ayant lié cet auteur lors de la création de cet objet, mais également ceux qui, bien que libres, ne portent pas l’empreinte de la personnalité de l’auteur en donnant audit objet un aspect unique. Des circonstances telles que les intentions dudit auteur lors du processus créatif, les sources d’inspiration de celui-ci et l’utilisation de formes déjà disponibles, la possibilité d’une création similaire indépendante ou la reconnaissance du même objet par les milieux spécialisés peuvent, le cas échéant, être prises en compte, mais ne sont, en tout état de cause, ni nécessaires ni déterminantes pour établir l’originalité de l’objet dont la protection est revendiquée.
Sur les troisième et quatrième questions dans l’affaire C‑580/23
83 Par ses troisième et quatrième questions dans l’affaire C‑580/23, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, sous a), l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doivent être interprétés en ce sens que, pour constater une atteinte aux droits d’auteur, il convient, d’une part, de déterminer si les éléments créatifs ont été repris de manière reconnaissable dans l’objet, ou bien si une même impression visuelle globale est suffisante à cet égard, et, d’autre part, de prendre en compte le degré d’originalité de l’œuvre concernée et l’existence d’une création similaire.
84 À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que, dans le droit d’auteur, l’atteinte est la conséquence de l’utilisation d’une œuvre sans l’autorisation de son auteur (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Brompton Bicycle, C‑833/18, EU:C:2020:461, point 21).
85 La Cour a jugé que l’utilisation non autorisée d’une œuvre est susceptible de constituer une telle atteinte même lorsqu’elle concerne un élément relativement mineur de cette œuvre, pour autant que cet élément, en tant que tel, exprime la création intellectuelle propre à son auteur (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International, C‑5/08, EU:C:2009:465, point 47).
86 Ainsi, afin de constater une atteinte au droit d’auteur, il revient à la juridiction de renvoi, premièrement, de constater une utilisation non autorisée à tout le moins des éléments originaux créatifs de l’œuvre protégée et, deuxièmement, de déterminer si ces éléments, c’est-à-dire ceux qui sont l’expression des choix reflétant la personnalité de l’auteur de cette œuvre, ont été repris de manière reconnaissable dans l’objet prétendument contrefaisant (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 29 juillet 2019, Pelham e.a., C‑476/17, EU:C:2019:624, point 39).
87 En revanche, aux fins de l’appréciation d’une atteinte au droit d’auteur en application de l’article 2, sous a), de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, la comparaison d’impression globale produite par chacun des objets en conflit ne saurait être déterminante, dès lors que ce critère concerne la protection des dessins ou modèles.
88 En deuxième lieu, en ce qui concerne la prise en compte du degré d’originalité de l’œuvre protégée, il convient de rappeler que, lorsqu’un objet présente les caractéristiques énoncées au point 48 du présent arrêt, et constitue donc une œuvre, il doit, en cette qualité, bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur, conformément à la directive 2001/29, étant observé que l’étendue de cette protection ne dépend pas du degré de liberté créative dont a disposé son auteur et qu’elle ne saurait dès lors être inférieure à celle dont bénéficie toute œuvre relevant de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, Cofemel, C‑683/17, EU:C:2019:721, point 35).
89 À cet égard, il importe de souligner que la Cour a jugé, notamment à propos des objets utilitaires, que l’existence de différentes formes possibles permettant d’aboutir au même résultat technique, si elle permet de constater l’existence d’une possibilité de choix, n’est pas déterminante pour apprécier les facteurs ayant guidé le choix effectué par leur auteur. De même, la volonté du prétendu contrefacteur est sans pertinence dans le cadre d’une telle appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Brompton Bicycle, C‑833/18, EU:C:2020:461, point 35).
90 En troisième lieu, en ce qui concerne l’existence d’une source d’inspiration commune des deux objets en conflit, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 71 de ses conclusions, d’une part, lorsque les deux objets en question s’inspirent d’une même œuvre, ou bien, d’un dessin ou modèle antérieur, seuls les éléments créatifs « nouveaux » sont originaux dans l’œuvre dérivée et seule la reprise de ces éléments nouveaux est constitutive d’une éventuelle atteinte au droit d’auteur. D’autre part, le seul fait de suivre une même tendance ou un même courant artistique que l’auteur d’une œuvre antérieure n’est pas constitutif d’une telle atteinte en l’absence de reprise d’éléments créatifs concrètement identifiables de cette œuvre antérieure.
91 Enfin, quant à l’existence d’une création similaire indépendante, si les possibilités de créativité sont limitées pour des raisons techniques dans le cas d’objets des arts appliqués, une telle situation n’est pas totalement exclue, et n’est pas, à la supposer établie, constitutive d’une atteinte au droit d’auteur. Afin de constater une éventuelle atteinte au droit d’auteur, il appartient au juge saisi d’apprécier la réalité de l’existence d’une telle création similaire indépendante, en tenant compte de tous les éléments pertinents du cas d’espèce, tels qu’ils existaient au moment de la création des objets en question, indépendamment de facteurs extérieurs et postérieurs à celle-ci. La simple possibilité d’une telle situation ne peut justifier un refus de protection au titre du droit d’auteur.
92 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions dans l’affaire C-580/23 que l’article 2, sous a), l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doivent être interprétés en ce sens que, pour constater une atteinte au droit d’auteur, il convient de déterminer si des éléments créatifs de l’œuvre protégée ont été repris de manière reconnaissable dans l’objet prétendument contrefaisant. La même impression visuelle globale créée par les deux objets en conflit et le degré d’originalité de l’œuvre concernée ne sont pas pertinents. La possibilité d’une création similaire ne peut justifier le refus de protection.
Sur les dépens
93 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant les juridictions de renvoi, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) La directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information,
doit être interprétée en ce sens que :
il n’existe pas de rapport de règle et d’exception entre la protection au titre du droit des dessins ou modèles et la protection au titre du droit d’auteur, de sorte que, lors de l’examen de l’originalité des objets des arts appliqués, il conviendrait d’appliquer des exigences plus élevées que celles prévues pour d’autres types d’œuvres.
2) L’article 2, sous a), l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29
doivent être interprétés en ce sens que :
constitue une œuvre, au sens de ces dispositions, un objet qui reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de celui-ci. Ne sont pas libres et créatifs non seulement les choix dictés par différentes contraintes, notamment techniques, ayant lié cet auteur lors de la création de cet objet, mais également ceux qui, bien que libres, ne portent pas l’empreinte de la personnalité de l’auteur en donnant audit objet un aspect unique. Des circonstances telles que les intentions dudit auteur lors du processus créatif, les sources d’inspiration de celui-ci et l’utilisation de formes déjà disponibles, la possibilité d’une création similaire indépendante ou la reconnaissance du même objet par les milieux spécialisés peuvent, le cas échéant, être prises en compte, mais ne sont, en tout état de cause, ni nécessaires ni déterminantes pour établir l’originalité de l’objet dont la protection est revendiquée.
3) L’article 2, sous a), l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29
doivent être interprétés en ce sens que :
pour constater une atteinte au droit d’auteur, il convient de déterminer si des éléments créatifs de l’œuvre protégée ont été repris de manière reconnaissable dans l’objet prétendument contrefaisant. La même impression visuelle globale créée par les deux objets en conflit et le degré d’originalité de l’œuvre concernée ne sont pas pertinents. La possibilité d’une création similaire ne peut justifier le refus de protection.