Cass. com., 3 décembre 2025, n° 24-16.962
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
COMM.
JB
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 3 décembre 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 616 F-D
Pourvoi n° G 24-16.962
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 3 DÉCEMBRE 2025
La société Guy Demarle grand public, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 24-16.962 contre l'arrêt rendu le 7 mai 2024 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à Mme [K] [E], épouse [S], domiciliée [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseillère, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Guy Demarle grand public, de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat de Mme [E], épouse [S], après débats en l'audience publique du 14 octobre 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseillère rapporteure, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffière de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée du président et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 7 mai 2024), la société Guy Demarle grand public (la société Demarle), spécialisée dans la vente à domicile en réunion de matériels et accessoires de cuisine, à l'occasion d'ateliers culinaires organisés par son réseau de vendeurs et qui a notamment commercialisé, jusqu'en février 2022, un robot multi-fonctions « i-Cook'in » relevant de la catégorie des assistants intelligents pour les préparations culinaires, a, le 8 avril 1999, conclu avec Mme [S] un contrat d'« agent commercial/prestataire de service » confiant à cette dernière à la fois une activité de « représentation vente » et une activité d' « animation des ventes » et comportant une clause dite « d'exclusivité ».
2. Le 19 mars 2021, soutenant qu'elle avait découvert, en 2020, que Mme [S] avait commencé une activité parallèle au profit de la société concurrente WMF Consumer Goods, agissant sous l'enseigne commerciale « All Clad », et qu'elle l'avait vainement mise en demeure de régulariser sa situation, la société Demarle a résilié le contrat pour manquement grave.
3. Reprochant à la société Demarle le défaut de paiement d'une partie de ses commissions et la rupture de son contrat d'agent commercial, Mme [S] l'a assignée en paiement d'un rappel de commissions et d'indemnités de rupture et de préavis.
4. Reconventionnellement, la société Demarle a sollicité le paiement de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices.
Examen du moyen
Sur le moyen, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Demarle au paiement d'un rappel de commissions
5. Les motifs critiqués ne fondent pas le chef de dispositif attaqué. Le moyen est donc inopérant.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Demarle au paiement d'indemnités de fin de contrat et de préavis
Enoncé du moyen
6. La société Demarle fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à Mme [S] les sommes de 30 000 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat et de 4 000 euros au titre de l'indemnité de préavis, alors « que, devant les juges du fond, la société Demarle soutenait que l'activité de vendeur à domicile indépendant ressortait des dispositions de l'article L. 135-1 du code de commerce, exclusif de l'application de l'article L. 134-1 du même code et qu'en l'occurrence, Mme [S] exerçait bien l'activité de vendeur à domicile indépendant, tel que prévu par les articles L. 135-1 et suivants du code de commerce, tant par son activité de vente à domicile des produits de la société Guy Demarle que par son activité de développement d'un réseau de vendeurs à domicile indépendants, en application de l'article L. 135-2 du code de commerce" ; qu'en s'abstenant dès lors de répondre à ce moyen déterminant pour la solution du litige en ce qu'il était de nature à établir la véritable qualification du contrat liant les parties et, partant, les droits de Mme [S], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
7. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
8. Pour retenir que Mme [S] avait la qualité d'agent commercial et condamner la société Demarle à lui payer les sommes de 30 000 euros à titre d'indemnité de fin de contrat et de 4 000 euros à titre d'indemnité de préavis, l'arrêt retient que, s'agissant de son activité de « représentation vente », Mme [S] pouvait exercer sa mission de manière indépendante en ayant le pouvoir de négocier, au sens de l'article L. 134-1, alinéa 1er, du code de commerce.
9. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Demarle, soutenant que la mission de « représentation vente » confiée à Mme [S] répondait à la définition de l'activité de vendeur à domicile indépendant, régie aux articles L. 135-1 à L. 135-3 du code de commerce, de sorte qu'en vertu de l'alinéa 2 de l'article L. 134-1 du même code, elle ne relevait pas des dispositions dudit code relatives aux agents commerciaux, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Demarle au paiement d'indemnités de fin de contrat et de préavis
Enoncé du moyen
10. La société Demarle fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge doit donner à la relation des parties son exacte qualification, quelle que soit la dénomination retenue par lesdites parties ; qu'en l'espèce, après avoir rappelé que l'application du statut d'agent commercial dépend ( ) des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée" de sorte qu' il convient de rechercher si Mme [S] pouvait exercer sa mission de manière indépendante en ayant le pouvoir de négocier au sens de l'article L. 134-1 du code de commerce", la cour d'appel s'est bornée à reproduire les termes du contrat d'agent commercial/prestataire de service" du 22 décembre 2002 puis ceux de l'avenant du 31 octobre 2003 pour en déduire que Mme [S] bénéficiait bien du statut d'agent commercial pour la partie d'activité correspondante" ; qu'en statuant de la sorte, sans examiner in concreto, comme elle y était tenue, la nature réelle de l'activité effectivement exercée par Mme [S], alors même que la société Demarle établissait que l'activité principale de Mme [S] consistait non pas dans la représentation des produits Demarle, mais dans le développement et l'animation d'un réseau de vendeurs à domicile indépendants, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article L. 135-1 du code de commerce et, par fausse application, l'article L. 134-1 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 134-1 du code de commerce :
11. lI résulte de ce texte que l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. L'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.
12. Pour retenir que Mme [S] avait la qualité d'agent commercial et condamner la société Demarle à lui payer des indemnités de fin de contrat et de préavis, l'arrêt retient que le contrat signé le 22 décembre 2002 lui confie à la fois une mission de « représentation vente (agent commercial) » et une mission d' « animation du réseau (prestataire de services) », que la lettre accompagnant l'avenant du 31 octobre 2003 à ce contrat insiste sur le fait qu'il met le contrat en adéquation avec celui d'un agent commercial traditionnel et que si le relevé des commissions perçues par Mme [S] arrêté au 28 février 2021 démontre qu'une part de son activité est bien celle de prestataire de services, la preuve n'est pas rapportée qu'elle aurait renoncé à se prévaloir de la qualité d'agent commercial pour sa mission de « représentation vente ».
13. En statuant ainsi, en se fondant exclusivement sur les termes du contrat et de son avenant, sans rechercher concrètement, comme il lui incombait, quelle était la nature réelle de l'activité de Mme [S] relevant de sa mission de « représentation vente », la cour d'appel a violé le textes susvisé.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Demarle au paiement d'une indemnité de fin de contrat
Enoncé du moyen
14. La société Demarle fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en ne répondant pas au moyen proposé par la société Demarle, qui rappelait les termes de l'article 13 du contrat signé entre les parties stipulant que : L'indemnité n'est due que pour autant que l'activité d'agent commercial soit l'activité principale de l'Agent", ce qui caractérisait la volonté des parties d'écarter l'application à leurs relations du statut des agents commerciaux et notamment de l'article L. 134-12 du code de commerce, ainsi que l‘autorise expressément l'article L. 134-15 du même code de commerce, dès lors que l'activité de l'agent est exécutée à titre principal pour un autre objet, ce qui était bien la situation de Mme [S] telle que résultant des constatations de l'arrêt, ce dont il s'inférait que Mme [S] exerçait à titre principal une activité de développement de réseau qui ne relevait pas de l'activité d'agent commercial, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
15. Pour condamner la société Demarle à payer à Mme [S] une indemnité de fin de contrat, l'arrêt, après avoir relevé que l'article 13 du contrat prévoit qu'en cas de rupture du fait du mandant, l'indemnité n'est due que pour autant que l'activité d'agent commercial soit l'activité principale de l'agent, retient que les dispositions des articles 134-12 et suivants du code de commerce sont d'ordre public, de sorte qu'un contrat ne peut y déroger.
16. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Demarle, qui soutenait que l'activité d'agent commercial de Mme [S] n'étant pas son activité principale, les parties avaient pu, en application de l'article L. 134-15 du code de commerce, prévoir à l'article 13 du contrat qu'à la cessation de ce contrat du fait de la société Demarle, Mme [S] n'aurait pas droit à l'indemnisation du préjudice consécutif à l'arrêt de son activité de « représentation vente », la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en ses cinquième, sixième et septième branches, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Demarle au paiement d'indemnités de fin de contrat et de préavis et de rejeter sa demande en dommages et intérêts
Enoncé du moyen
17. La société Demarle fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à Mme [S] les sommes de 30 000 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat et de 4 000 euros au titre de l'indemnité de préavis et de rejeter sa demande de dommages et intérêts, alors :
« 5°/ que l'agent commercial, tenu d'une obligation de loyauté à l'égard de son mandant, doit obtenir son accord pour représenter une entreprise concurrente de celui-ci ; que le manquement du mandataire à son obligation de loyauté, inhérente à ses obligations contractuelles, est constitutif d'une faute grave portant atteinte à la finalité du mandat d'intérêt commun et, à ce titre, est privatif des indemnités de rupture et de préavis ; qu'en l'espèce, la société Guy Demarle a rappelé que Mme [S] était tenue d'une obligation de loyauté à son égard, notamment au regard de son contrat ; que la cour s'est focalisée sur la charte de bonne conduite sans considération aucune pour le contrat d'agent lui-même ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si Mme [S] n'était pas tenue tant par les stipulations de son contrat que par une obligation générale de loyauté excluant qu'elle dissimule l'exercice parallèle d'une activité concurrente de celle de son mandant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-3 du code de commerce, ensemble l'article 1103 du code civil ;
6°/ que l'activité concurrentielle entre deux sociétés doit s'apprécier en considération de l'activité générale de celles-ci et non pas seulement au regard de la catégorie de produits commercialisés par l'agent [commercial] ; qu'en l'espèce, en écartant toute faute grave résultant d'une concurrence déloyale, motif pris de ce que Mme [S] fait la promotion du produit All Clad Autosense (qui) se présente comme un grill multifonction", visuellement très différent du i-Cook'in, lequel est plus proche de l'autocuiseur programmable" et qu' ils ne proposent pas les mêmes utilisations", sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si les sociétés Demarle et All Clad n'intervenaient pas sur le même marché pertinent et, partant, étaient directement concurrentes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-3 du code de commerce ;
7°/ que l'activité concurrentielle entre deux sociétés doit s'apprécier en considération de l'activité générale de celles-ci et non pas seulement au regard de la catégorie de produits commercialisés par l'agent [ commercial] ; qu'en relevant, pour écarter toute activité concurrentielle entre les société All Clad et Demarle, que la société Guy Demarle, [qui] rapproche sa gamme très large de matériels avec celle de la société All Clad [ ] ne démontre pas que Mme [S] aurait fait la promotion de ces ustensiles All Clad avant la résiliation du contrat avec Demarle", quand il lui appartenait d'apprécier le caractère concurrentiel de l'activité exercée au profit de la société All Clad au regard de l'activité générale de cette société et non au regard de la seule activité personnelle de l'agent, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article L. 134-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 134-3 du code de commerce :
18. Aux termes de ce texte, l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants. Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans l'accord de ce dernier.
19. Pour juger que Mme [S] n'a commis aucune faute grave à l'encontre de la société Demarle, condamner la société Demarle au paiement d'une indemnité de fin de contrat et d'une indemnité de préavis et rejeter sa demande en dommages et intérêts, l'arrêt, après avoir retenu que Mme [S] bénéficiait du statut d'agent commercial, retient qu'en l'état du contrat, elle pouvait présenter et commercialiser des produits culinaires de sociétés tierces en dehors de tout atelier [2], à condition d'en informer son mandant et de ne pas proposer des produits concurrents de ceux de la société Demarle. Elle ajoute que le grill multifonctions de la société All Clad est visuellement très différent du produit i-Cook'in de la société Demarle et ne répond pas à la même fonction, et que la société Demarle ne démontre pas que Mme [S] aurait fait la promotion des ustensiles de ces produits avant la résiliation du contrat.
20. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que les société Demarle et All Clad n'étaient pas des entreprises concurrentes sur le marché de la vente de matériels et accessoires de cuisine, la cour d‘appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Guy Demarle grand public à payer à Mme [S] la somme de 1 756,32 euros HT, outre la TVA applicable, au titre des rappels de commissions du mois de mars 2021, l'arrêt rendu le 7 mai 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Condamne Mme [E], épouse [S], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [E], épouse [S], et la condamne à payer à la société Guy Demarle grand public la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le trois décembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
JB
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 3 décembre 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 616 F-D
Pourvoi n° G 24-16.962
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 3 DÉCEMBRE 2025
La société Guy Demarle grand public, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 24-16.962 contre l'arrêt rendu le 7 mai 2024 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à Mme [K] [E], épouse [S], domiciliée [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseillère, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Guy Demarle grand public, de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat de Mme [E], épouse [S], après débats en l'audience publique du 14 octobre 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseillère rapporteure, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffière de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée du président et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 7 mai 2024), la société Guy Demarle grand public (la société Demarle), spécialisée dans la vente à domicile en réunion de matériels et accessoires de cuisine, à l'occasion d'ateliers culinaires organisés par son réseau de vendeurs et qui a notamment commercialisé, jusqu'en février 2022, un robot multi-fonctions « i-Cook'in » relevant de la catégorie des assistants intelligents pour les préparations culinaires, a, le 8 avril 1999, conclu avec Mme [S] un contrat d'« agent commercial/prestataire de service » confiant à cette dernière à la fois une activité de « représentation vente » et une activité d' « animation des ventes » et comportant une clause dite « d'exclusivité ».
2. Le 19 mars 2021, soutenant qu'elle avait découvert, en 2020, que Mme [S] avait commencé une activité parallèle au profit de la société concurrente WMF Consumer Goods, agissant sous l'enseigne commerciale « All Clad », et qu'elle l'avait vainement mise en demeure de régulariser sa situation, la société Demarle a résilié le contrat pour manquement grave.
3. Reprochant à la société Demarle le défaut de paiement d'une partie de ses commissions et la rupture de son contrat d'agent commercial, Mme [S] l'a assignée en paiement d'un rappel de commissions et d'indemnités de rupture et de préavis.
4. Reconventionnellement, la société Demarle a sollicité le paiement de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices.
Examen du moyen
Sur le moyen, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Demarle au paiement d'un rappel de commissions
5. Les motifs critiqués ne fondent pas le chef de dispositif attaqué. Le moyen est donc inopérant.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Demarle au paiement d'indemnités de fin de contrat et de préavis
Enoncé du moyen
6. La société Demarle fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à Mme [S] les sommes de 30 000 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat et de 4 000 euros au titre de l'indemnité de préavis, alors « que, devant les juges du fond, la société Demarle soutenait que l'activité de vendeur à domicile indépendant ressortait des dispositions de l'article L. 135-1 du code de commerce, exclusif de l'application de l'article L. 134-1 du même code et qu'en l'occurrence, Mme [S] exerçait bien l'activité de vendeur à domicile indépendant, tel que prévu par les articles L. 135-1 et suivants du code de commerce, tant par son activité de vente à domicile des produits de la société Guy Demarle que par son activité de développement d'un réseau de vendeurs à domicile indépendants, en application de l'article L. 135-2 du code de commerce" ; qu'en s'abstenant dès lors de répondre à ce moyen déterminant pour la solution du litige en ce qu'il était de nature à établir la véritable qualification du contrat liant les parties et, partant, les droits de Mme [S], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
7. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
8. Pour retenir que Mme [S] avait la qualité d'agent commercial et condamner la société Demarle à lui payer les sommes de 30 000 euros à titre d'indemnité de fin de contrat et de 4 000 euros à titre d'indemnité de préavis, l'arrêt retient que, s'agissant de son activité de « représentation vente », Mme [S] pouvait exercer sa mission de manière indépendante en ayant le pouvoir de négocier, au sens de l'article L. 134-1, alinéa 1er, du code de commerce.
9. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Demarle, soutenant que la mission de « représentation vente » confiée à Mme [S] répondait à la définition de l'activité de vendeur à domicile indépendant, régie aux articles L. 135-1 à L. 135-3 du code de commerce, de sorte qu'en vertu de l'alinéa 2 de l'article L. 134-1 du même code, elle ne relevait pas des dispositions dudit code relatives aux agents commerciaux, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Demarle au paiement d'indemnités de fin de contrat et de préavis
Enoncé du moyen
10. La société Demarle fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge doit donner à la relation des parties son exacte qualification, quelle que soit la dénomination retenue par lesdites parties ; qu'en l'espèce, après avoir rappelé que l'application du statut d'agent commercial dépend ( ) des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée" de sorte qu' il convient de rechercher si Mme [S] pouvait exercer sa mission de manière indépendante en ayant le pouvoir de négocier au sens de l'article L. 134-1 du code de commerce", la cour d'appel s'est bornée à reproduire les termes du contrat d'agent commercial/prestataire de service" du 22 décembre 2002 puis ceux de l'avenant du 31 octobre 2003 pour en déduire que Mme [S] bénéficiait bien du statut d'agent commercial pour la partie d'activité correspondante" ; qu'en statuant de la sorte, sans examiner in concreto, comme elle y était tenue, la nature réelle de l'activité effectivement exercée par Mme [S], alors même que la société Demarle établissait que l'activité principale de Mme [S] consistait non pas dans la représentation des produits Demarle, mais dans le développement et l'animation d'un réseau de vendeurs à domicile indépendants, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article L. 135-1 du code de commerce et, par fausse application, l'article L. 134-1 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 134-1 du code de commerce :
11. lI résulte de ce texte que l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. L'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.
12. Pour retenir que Mme [S] avait la qualité d'agent commercial et condamner la société Demarle à lui payer des indemnités de fin de contrat et de préavis, l'arrêt retient que le contrat signé le 22 décembre 2002 lui confie à la fois une mission de « représentation vente (agent commercial) » et une mission d' « animation du réseau (prestataire de services) », que la lettre accompagnant l'avenant du 31 octobre 2003 à ce contrat insiste sur le fait qu'il met le contrat en adéquation avec celui d'un agent commercial traditionnel et que si le relevé des commissions perçues par Mme [S] arrêté au 28 février 2021 démontre qu'une part de son activité est bien celle de prestataire de services, la preuve n'est pas rapportée qu'elle aurait renoncé à se prévaloir de la qualité d'agent commercial pour sa mission de « représentation vente ».
13. En statuant ainsi, en se fondant exclusivement sur les termes du contrat et de son avenant, sans rechercher concrètement, comme il lui incombait, quelle était la nature réelle de l'activité de Mme [S] relevant de sa mission de « représentation vente », la cour d'appel a violé le textes susvisé.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Demarle au paiement d'une indemnité de fin de contrat
Enoncé du moyen
14. La société Demarle fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en ne répondant pas au moyen proposé par la société Demarle, qui rappelait les termes de l'article 13 du contrat signé entre les parties stipulant que : L'indemnité n'est due que pour autant que l'activité d'agent commercial soit l'activité principale de l'Agent", ce qui caractérisait la volonté des parties d'écarter l'application à leurs relations du statut des agents commerciaux et notamment de l'article L. 134-12 du code de commerce, ainsi que l‘autorise expressément l'article L. 134-15 du même code de commerce, dès lors que l'activité de l'agent est exécutée à titre principal pour un autre objet, ce qui était bien la situation de Mme [S] telle que résultant des constatations de l'arrêt, ce dont il s'inférait que Mme [S] exerçait à titre principal une activité de développement de réseau qui ne relevait pas de l'activité d'agent commercial, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
15. Pour condamner la société Demarle à payer à Mme [S] une indemnité de fin de contrat, l'arrêt, après avoir relevé que l'article 13 du contrat prévoit qu'en cas de rupture du fait du mandant, l'indemnité n'est due que pour autant que l'activité d'agent commercial soit l'activité principale de l'agent, retient que les dispositions des articles 134-12 et suivants du code de commerce sont d'ordre public, de sorte qu'un contrat ne peut y déroger.
16. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Demarle, qui soutenait que l'activité d'agent commercial de Mme [S] n'étant pas son activité principale, les parties avaient pu, en application de l'article L. 134-15 du code de commerce, prévoir à l'article 13 du contrat qu'à la cessation de ce contrat du fait de la société Demarle, Mme [S] n'aurait pas droit à l'indemnisation du préjudice consécutif à l'arrêt de son activité de « représentation vente », la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en ses cinquième, sixième et septième branches, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Demarle au paiement d'indemnités de fin de contrat et de préavis et de rejeter sa demande en dommages et intérêts
Enoncé du moyen
17. La société Demarle fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à Mme [S] les sommes de 30 000 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat et de 4 000 euros au titre de l'indemnité de préavis et de rejeter sa demande de dommages et intérêts, alors :
« 5°/ que l'agent commercial, tenu d'une obligation de loyauté à l'égard de son mandant, doit obtenir son accord pour représenter une entreprise concurrente de celui-ci ; que le manquement du mandataire à son obligation de loyauté, inhérente à ses obligations contractuelles, est constitutif d'une faute grave portant atteinte à la finalité du mandat d'intérêt commun et, à ce titre, est privatif des indemnités de rupture et de préavis ; qu'en l'espèce, la société Guy Demarle a rappelé que Mme [S] était tenue d'une obligation de loyauté à son égard, notamment au regard de son contrat ; que la cour s'est focalisée sur la charte de bonne conduite sans considération aucune pour le contrat d'agent lui-même ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si Mme [S] n'était pas tenue tant par les stipulations de son contrat que par une obligation générale de loyauté excluant qu'elle dissimule l'exercice parallèle d'une activité concurrente de celle de son mandant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-3 du code de commerce, ensemble l'article 1103 du code civil ;
6°/ que l'activité concurrentielle entre deux sociétés doit s'apprécier en considération de l'activité générale de celles-ci et non pas seulement au regard de la catégorie de produits commercialisés par l'agent [commercial] ; qu'en l'espèce, en écartant toute faute grave résultant d'une concurrence déloyale, motif pris de ce que Mme [S] fait la promotion du produit All Clad Autosense (qui) se présente comme un grill multifonction", visuellement très différent du i-Cook'in, lequel est plus proche de l'autocuiseur programmable" et qu' ils ne proposent pas les mêmes utilisations", sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si les sociétés Demarle et All Clad n'intervenaient pas sur le même marché pertinent et, partant, étaient directement concurrentes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-3 du code de commerce ;
7°/ que l'activité concurrentielle entre deux sociétés doit s'apprécier en considération de l'activité générale de celles-ci et non pas seulement au regard de la catégorie de produits commercialisés par l'agent [ commercial] ; qu'en relevant, pour écarter toute activité concurrentielle entre les société All Clad et Demarle, que la société Guy Demarle, [qui] rapproche sa gamme très large de matériels avec celle de la société All Clad [ ] ne démontre pas que Mme [S] aurait fait la promotion de ces ustensiles All Clad avant la résiliation du contrat avec Demarle", quand il lui appartenait d'apprécier le caractère concurrentiel de l'activité exercée au profit de la société All Clad au regard de l'activité générale de cette société et non au regard de la seule activité personnelle de l'agent, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article L. 134-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 134-3 du code de commerce :
18. Aux termes de ce texte, l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants. Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans l'accord de ce dernier.
19. Pour juger que Mme [S] n'a commis aucune faute grave à l'encontre de la société Demarle, condamner la société Demarle au paiement d'une indemnité de fin de contrat et d'une indemnité de préavis et rejeter sa demande en dommages et intérêts, l'arrêt, après avoir retenu que Mme [S] bénéficiait du statut d'agent commercial, retient qu'en l'état du contrat, elle pouvait présenter et commercialiser des produits culinaires de sociétés tierces en dehors de tout atelier [2], à condition d'en informer son mandant et de ne pas proposer des produits concurrents de ceux de la société Demarle. Elle ajoute que le grill multifonctions de la société All Clad est visuellement très différent du produit i-Cook'in de la société Demarle et ne répond pas à la même fonction, et que la société Demarle ne démontre pas que Mme [S] aurait fait la promotion des ustensiles de ces produits avant la résiliation du contrat.
20. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que les société Demarle et All Clad n'étaient pas des entreprises concurrentes sur le marché de la vente de matériels et accessoires de cuisine, la cour d‘appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Guy Demarle grand public à payer à Mme [S] la somme de 1 756,32 euros HT, outre la TVA applicable, au titre des rappels de commissions du mois de mars 2021, l'arrêt rendu le 7 mai 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Condamne Mme [E], épouse [S], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [E], épouse [S], et la condamne à payer à la société Guy Demarle grand public la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le trois décembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.