Cass. com., 3 décembre 2025, n° 24-12.462
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
COMM.
HM
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 3 décembre 2025
Cassation partielle
et rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 617 F-D
Pourvoi n° S 24-12.462
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 3 DÉCEMBRE 2025
1°/ la société Bigben interactive, société anonyme,
2°/ la société Nacon, société anonyme,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° S 24-12.462 contre l'arrêt rendu le 21 avril 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Nintendo of Europe SE, société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 3] (Allemagne), venant aux droits de la société Nintendo of Europe AG, (anciennement Nintendo of Europe GmbH), elle-même venant aux droits de la société Nintendo France,
2°/ à la société Nintendo Co.Ltd, société de droit japonais, dont le siège est [Adresse 1] (Japon),
défenderesses à la cassation.
Les sociétés Nitendo Co. Ltd et Nintendo of Europe SE ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sabotier, conseillère, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Bigben Interactive et Nacon, de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat des sociétés Nintendo Co. Ltd et Nintendo of Europe SE, venant aux droits de la société Nintendo of Europe AG, elle-même venant aux droits de la société Nintendo France, après débats en l'audience publique du 14 octobre 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Sabotier, conseillère rapporteure, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffière de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée du président et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 avril 2023), à la fin de l'année 2006, la société de droit japonais Nintendo Co. Ltd a lancé une console de jeux dénommée « Wii » mettant en uvre des fonctionnalités innovantes protégées notamment par le brevet européen désignant la France n° 1 854 518 (le brevet EP 518), déposé le 7 juin 2006, sous priorité d'une demande japonaise du 22 août 2005. Ce brevet, qui procède d'une demande divisionnaire de la demande antérieure de brevet européen n° 1 757 344 (le brevet EP 344), a été délivré le 2 décembre 2009.
2. La commercialisation de la console « Wii » sur le territoire français est assurée de façon exclusive par la société Nintendo France, aux droits de laquelle vient la société de droit allemand Nintendo of Europe SE.
3. La société Bigben Interactive conçoit et commercialise des accessoires et périphériques de jeux vidéo. Le 24 octobre 2011, la société Nintendo Co. Ltd l'a mise en demeure de cesser la fabrication et la commercialisation de manettes de jeux qu'elle estimait contrefaisantes.
4. Le 29 novembre 2011, la société Bigben Interactive a assigné la société Nintendo Co. Ltd en nullité du brevet EP 518.
5. Le 3 mai 2012, les sociétés Nintendo Co. Ltd et Nintendo France (les sociétés Nintendo) ont assigné la société Bigben Interactive en contrefaçon de ce brevet.
6. Le 7 juin 2012, les instances ont été jointes.
7. Le 8 juin 2020, les sociétés Nintendo ont assigné en intervention forcée la société Nacon, filiale de la société Bigben Interactive, à laquelle cette dernière avait cédé son pôle « gaming ».
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. Les sociétés Nintendo font grief à l'arrêt de prononcer la nullité de la partie française du brevet EP 518, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, le paragraphe [0098] de la demande A1 de brevet EP 344, devenu paragraphe [0100] de la traduction présentée par les sociétés Nintendo, précise que "le capteur d'accélération 68 peut être utilisé en combinaison avec le processeur 66 (ou tout autre processeur) pour déterminer l'inclinaison, l'altitude ou la position du boîtier 12" ; qu'en affirmant, pour retenir l'existence d'une généralisation
intermédiaire non admissible, qu'il résulterait de la partie descriptive et de la
figure 8 de la demande EP 344 "un lien nécessaire entre le capteur d'accélération 68 et le processeur 66" et que "la caractéristique du capteur d'accélération est ici directement liée à la présence du processeur 66", cependant que cette demande [antérieure] n'envisageait pas uniquement l'utilisation du capteur d'accélération avec le processeur 66 référencé sur la figure 8 mais également la possibilité d'utiliser ce capteur d'accélération avec "tout autre processeur", la cour d'appel a dénaturé la traduction du brevet EP 344 produite en pièce 9' par les sociétés Nintendo, en violation du principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu le principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
10. Pour retenir l'existence d'une extension de l'objet du brevet EP 518 au-delà du contenu de la demande de délivrance du brevet parent EP 344 telle que déposée (la demande antérieure), l'arrêt retient que, selon le paragraphe [0098] de cette demande, devenu paragraphe [0100] de la traduction présentée par les sociétés Nintendo, le dispositif contrôleur de jeu dispose d'un capteur d'accélération 68 qui permet, utilisé en combinaison avec le processeur 66, de déterminer l'inclinaison, la position ou l'attitude du boîtier, et que le paragraphe [0099] de la même demande, devenu paragraphe [0101] de ladite traduction, confirme que le capteur d'accélération 68 et le processeur 66 fonctionnent ensemble. L'arrêt ajoute que les paragraphes précités permettent d'expliciter la figure 8 et de comprendre que la structure particulière du circuit électrique présentée à cette figure est nécessaire pour émettre les signaux radio, et que les divers signaux, incluant les signaux d'accélération, sont obligatoirement rentrés dans le processeur, puis communiqués au module sans fil. L'arrêt en déduit qu'il ressort tant de la partie descriptive de la demande antérieure que de la figure 8 l'existence d'un lien nécessaire entre le capteur d'accélération 68 et le processeur 66 et que rien n'indique à la personne du métier qu'elle peut utiliser l'un sans l'autre.
11. En statuant ainsi, alors que le paragraphe [0098] de la demande antérieure, devenu paragraphe [0100] de la traduction présentée par les sociétés Nintendo, précise que « le capteur d'accélération 68 peut être utilisé en combinaison avec le processeur 66 (ou tout autre processeur) pour déterminer l'inclinaison, l'altitude ou la position du boîtier 12 », de sorte que, le capteur d'accélérateur 68 pouvant être utilisé avec tout processeur, cette demande ne peut être lue comme le liant inextricablement au processeur 66, la cour d'appel, qui a dénaturé la traduction du brevet EP 344, a violé le principe susvisé.
Sur le même moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
12. Les sociétés Nintendo font le même grief à l'arrêt, alors « que, dans leurs conclusions d'appel, elles ne faisaient pas seulement valoir que la présence d'un capteur d'accélération était pour la personne du métier inclus ab initio dans l'invention ; qu'elles soutenaient également que, par ses connaissances générales, la personne du métier savait qu'un processeur était nécessairement et implicitement présent pour traiter les données ; qu'en relevant que "rien ne permet d'affirmer qu'un processeur est nécessairement inséré dans une manette de jeu vidéo, de sorte que les sociétés Nintendo ne peuvent être suivies lorsqu'elles prétendent que la présence d'un capteur d'accélération est pour l'homme du métier inclus ab initio dans l'invention de façon directe et non ambiguë", sans rechercher, comme elle y était invitée, si, pour la personne du métier, le capteur d'accélération était implicitement et nécessairement associé à un processeur destiné à traiter les données fournies par ce dernier, de sorte qu'il n'était pas nécessaire de préciser expressément la présence d'un tel processeur dans la revendication, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 123 et 138, paragraphe 1, sous c, de la Convention sur la délivrance de brevets européens signée à Munich le 5 octobre 1973 et de l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 123, paragraphe 2, et 138, paragraphe 1, sous c), de la Convention sur la délivrance de brevets européens signée à Munich le 5 octobre 1973 (la Convention de Munich) et l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle :
13. Selon le dernier de ces textes, la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich. Selon le deuxième, le brevet européen peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, si l'objet du brevet européen s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée ou, lorsque le brevet a été délivré sur la base d'une demande divisionnaire ou d'une nouvelle demande déposée en vertu de l'article 61, si l'objet du brevet s'étend au-delà du contenu de la demande antérieure telle qu'elle a été déposée.
14. Aux termes de l'article 123, paragraphe 2, de la Convention de Munich, la demande de brevet européen ou le brevet européen ne peut être modifié de manière que son objet s'étende au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée.
15. Une modification est considérée comme introduisant des éléments qui étendent le brevet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée, si la modification globale du contenu de la demande, que ce soit par ajout, modification ou suppression d'une caractéristique, est telle que les informations présentées à la personne du métier ne découlent pas directement et sans ambiguïté de celles que la demande contenait précédemment, même en tenant compte d'éléments implicites pour cette personne du métier.
16. Le fait d'extraire une caractéristique spécifique en l'isolant d'une combinaison de caractéristiques divulguées initialement et de l'utiliser pour délimiter l'objet revendiqué ne peut être autorisé que s'il n'existe pas de liens structurels et fonctionnels entre les caractéristiques concernées.
17. Pour retenir l'existence d'une généralisation intermédiaire interdite, l'arrêt, après examen de la demande antérieure et du brevet EP 518, énonce que rien ne permet d'affirmer qu'un processeur est nécessairement inséré dans une manette de jeu vidéo, de sorte qu'un capteur d'accélération ne peut être, pour la personne du métier, inclus ab initio dans l'invention de façon directe et non ambigüe.
18. L'arrêt en déduit que s'il était possible d'ajouter le capteur d'accélération 68 comme nouvelle caractéristique, il ne pouvait l'être que si la revendication portait également sur le processeur et que l'ajout du capteur d'accélération 68 dans la revendication 1, sans que soit prévu également un processeur tel que décrit dans la demande du brevet, revient à extraire une seule caractéristique technique d'un ensemble de caractéristiques divulguées uniquement en combinaison les unes avec les autres et constitue une généralisation intermédiaire inadmissible et doit entraîner l'annulation de ladite revendication et des revendications 2 à 6 dépendantes.
19. En se déterminant ainsi, sans définir la personne du métier ni rechercher, comme il lui incombait, si, pour cette personne du métier, le capteur d'accélération n'était pas implicitement mais nécessairement associé à un processeur destiné à traiter les données fournies par ce capteur, de sorte que, si tel était le cas, il ne serait alors pas nécessaire de préciser expressément la présence d'un tel processeur dans la revendication 1 du brevet EP 518, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi incident, la Cour :
Rejette le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce la nullité de la partie française du brevet européen n° 1 854 518, l'arrêt rendu le 21 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne les sociétés Bigben Interactive et Nacon in solidum aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Bigben Interactive et Nacon et les condamne in solidum à payer aux sociétés Nintendo Co. Ltd et Nintendo of Europe SE la somme globale de 4 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le trois décembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
HM
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 3 décembre 2025
Cassation partielle
et rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 617 F-D
Pourvoi n° S 24-12.462
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 3 DÉCEMBRE 2025
1°/ la société Bigben interactive, société anonyme,
2°/ la société Nacon, société anonyme,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° S 24-12.462 contre l'arrêt rendu le 21 avril 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Nintendo of Europe SE, société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 3] (Allemagne), venant aux droits de la société Nintendo of Europe AG, (anciennement Nintendo of Europe GmbH), elle-même venant aux droits de la société Nintendo France,
2°/ à la société Nintendo Co.Ltd, société de droit japonais, dont le siège est [Adresse 1] (Japon),
défenderesses à la cassation.
Les sociétés Nitendo Co. Ltd et Nintendo of Europe SE ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sabotier, conseillère, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Bigben Interactive et Nacon, de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat des sociétés Nintendo Co. Ltd et Nintendo of Europe SE, venant aux droits de la société Nintendo of Europe AG, elle-même venant aux droits de la société Nintendo France, après débats en l'audience publique du 14 octobre 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Sabotier, conseillère rapporteure, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffière de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée du président et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 avril 2023), à la fin de l'année 2006, la société de droit japonais Nintendo Co. Ltd a lancé une console de jeux dénommée « Wii » mettant en uvre des fonctionnalités innovantes protégées notamment par le brevet européen désignant la France n° 1 854 518 (le brevet EP 518), déposé le 7 juin 2006, sous priorité d'une demande japonaise du 22 août 2005. Ce brevet, qui procède d'une demande divisionnaire de la demande antérieure de brevet européen n° 1 757 344 (le brevet EP 344), a été délivré le 2 décembre 2009.
2. La commercialisation de la console « Wii » sur le territoire français est assurée de façon exclusive par la société Nintendo France, aux droits de laquelle vient la société de droit allemand Nintendo of Europe SE.
3. La société Bigben Interactive conçoit et commercialise des accessoires et périphériques de jeux vidéo. Le 24 octobre 2011, la société Nintendo Co. Ltd l'a mise en demeure de cesser la fabrication et la commercialisation de manettes de jeux qu'elle estimait contrefaisantes.
4. Le 29 novembre 2011, la société Bigben Interactive a assigné la société Nintendo Co. Ltd en nullité du brevet EP 518.
5. Le 3 mai 2012, les sociétés Nintendo Co. Ltd et Nintendo France (les sociétés Nintendo) ont assigné la société Bigben Interactive en contrefaçon de ce brevet.
6. Le 7 juin 2012, les instances ont été jointes.
7. Le 8 juin 2020, les sociétés Nintendo ont assigné en intervention forcée la société Nacon, filiale de la société Bigben Interactive, à laquelle cette dernière avait cédé son pôle « gaming ».
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. Les sociétés Nintendo font grief à l'arrêt de prononcer la nullité de la partie française du brevet EP 518, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, le paragraphe [0098] de la demande A1 de brevet EP 344, devenu paragraphe [0100] de la traduction présentée par les sociétés Nintendo, précise que "le capteur d'accélération 68 peut être utilisé en combinaison avec le processeur 66 (ou tout autre processeur) pour déterminer l'inclinaison, l'altitude ou la position du boîtier 12" ; qu'en affirmant, pour retenir l'existence d'une généralisation
intermédiaire non admissible, qu'il résulterait de la partie descriptive et de la
figure 8 de la demande EP 344 "un lien nécessaire entre le capteur d'accélération 68 et le processeur 66" et que "la caractéristique du capteur d'accélération est ici directement liée à la présence du processeur 66", cependant que cette demande [antérieure] n'envisageait pas uniquement l'utilisation du capteur d'accélération avec le processeur 66 référencé sur la figure 8 mais également la possibilité d'utiliser ce capteur d'accélération avec "tout autre processeur", la cour d'appel a dénaturé la traduction du brevet EP 344 produite en pièce 9' par les sociétés Nintendo, en violation du principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu le principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
10. Pour retenir l'existence d'une extension de l'objet du brevet EP 518 au-delà du contenu de la demande de délivrance du brevet parent EP 344 telle que déposée (la demande antérieure), l'arrêt retient que, selon le paragraphe [0098] de cette demande, devenu paragraphe [0100] de la traduction présentée par les sociétés Nintendo, le dispositif contrôleur de jeu dispose d'un capteur d'accélération 68 qui permet, utilisé en combinaison avec le processeur 66, de déterminer l'inclinaison, la position ou l'attitude du boîtier, et que le paragraphe [0099] de la même demande, devenu paragraphe [0101] de ladite traduction, confirme que le capteur d'accélération 68 et le processeur 66 fonctionnent ensemble. L'arrêt ajoute que les paragraphes précités permettent d'expliciter la figure 8 et de comprendre que la structure particulière du circuit électrique présentée à cette figure est nécessaire pour émettre les signaux radio, et que les divers signaux, incluant les signaux d'accélération, sont obligatoirement rentrés dans le processeur, puis communiqués au module sans fil. L'arrêt en déduit qu'il ressort tant de la partie descriptive de la demande antérieure que de la figure 8 l'existence d'un lien nécessaire entre le capteur d'accélération 68 et le processeur 66 et que rien n'indique à la personne du métier qu'elle peut utiliser l'un sans l'autre.
11. En statuant ainsi, alors que le paragraphe [0098] de la demande antérieure, devenu paragraphe [0100] de la traduction présentée par les sociétés Nintendo, précise que « le capteur d'accélération 68 peut être utilisé en combinaison avec le processeur 66 (ou tout autre processeur) pour déterminer l'inclinaison, l'altitude ou la position du boîtier 12 », de sorte que, le capteur d'accélérateur 68 pouvant être utilisé avec tout processeur, cette demande ne peut être lue comme le liant inextricablement au processeur 66, la cour d'appel, qui a dénaturé la traduction du brevet EP 344, a violé le principe susvisé.
Sur le même moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
12. Les sociétés Nintendo font le même grief à l'arrêt, alors « que, dans leurs conclusions d'appel, elles ne faisaient pas seulement valoir que la présence d'un capteur d'accélération était pour la personne du métier inclus ab initio dans l'invention ; qu'elles soutenaient également que, par ses connaissances générales, la personne du métier savait qu'un processeur était nécessairement et implicitement présent pour traiter les données ; qu'en relevant que "rien ne permet d'affirmer qu'un processeur est nécessairement inséré dans une manette de jeu vidéo, de sorte que les sociétés Nintendo ne peuvent être suivies lorsqu'elles prétendent que la présence d'un capteur d'accélération est pour l'homme du métier inclus ab initio dans l'invention de façon directe et non ambiguë", sans rechercher, comme elle y était invitée, si, pour la personne du métier, le capteur d'accélération était implicitement et nécessairement associé à un processeur destiné à traiter les données fournies par ce dernier, de sorte qu'il n'était pas nécessaire de préciser expressément la présence d'un tel processeur dans la revendication, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 123 et 138, paragraphe 1, sous c, de la Convention sur la délivrance de brevets européens signée à Munich le 5 octobre 1973 et de l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 123, paragraphe 2, et 138, paragraphe 1, sous c), de la Convention sur la délivrance de brevets européens signée à Munich le 5 octobre 1973 (la Convention de Munich) et l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle :
13. Selon le dernier de ces textes, la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich. Selon le deuxième, le brevet européen peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, si l'objet du brevet européen s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée ou, lorsque le brevet a été délivré sur la base d'une demande divisionnaire ou d'une nouvelle demande déposée en vertu de l'article 61, si l'objet du brevet s'étend au-delà du contenu de la demande antérieure telle qu'elle a été déposée.
14. Aux termes de l'article 123, paragraphe 2, de la Convention de Munich, la demande de brevet européen ou le brevet européen ne peut être modifié de manière que son objet s'étende au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée.
15. Une modification est considérée comme introduisant des éléments qui étendent le brevet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée, si la modification globale du contenu de la demande, que ce soit par ajout, modification ou suppression d'une caractéristique, est telle que les informations présentées à la personne du métier ne découlent pas directement et sans ambiguïté de celles que la demande contenait précédemment, même en tenant compte d'éléments implicites pour cette personne du métier.
16. Le fait d'extraire une caractéristique spécifique en l'isolant d'une combinaison de caractéristiques divulguées initialement et de l'utiliser pour délimiter l'objet revendiqué ne peut être autorisé que s'il n'existe pas de liens structurels et fonctionnels entre les caractéristiques concernées.
17. Pour retenir l'existence d'une généralisation intermédiaire interdite, l'arrêt, après examen de la demande antérieure et du brevet EP 518, énonce que rien ne permet d'affirmer qu'un processeur est nécessairement inséré dans une manette de jeu vidéo, de sorte qu'un capteur d'accélération ne peut être, pour la personne du métier, inclus ab initio dans l'invention de façon directe et non ambigüe.
18. L'arrêt en déduit que s'il était possible d'ajouter le capteur d'accélération 68 comme nouvelle caractéristique, il ne pouvait l'être que si la revendication portait également sur le processeur et que l'ajout du capteur d'accélération 68 dans la revendication 1, sans que soit prévu également un processeur tel que décrit dans la demande du brevet, revient à extraire une seule caractéristique technique d'un ensemble de caractéristiques divulguées uniquement en combinaison les unes avec les autres et constitue une généralisation intermédiaire inadmissible et doit entraîner l'annulation de ladite revendication et des revendications 2 à 6 dépendantes.
19. En se déterminant ainsi, sans définir la personne du métier ni rechercher, comme il lui incombait, si, pour cette personne du métier, le capteur d'accélération n'était pas implicitement mais nécessairement associé à un processeur destiné à traiter les données fournies par ce capteur, de sorte que, si tel était le cas, il ne serait alors pas nécessaire de préciser expressément la présence d'un tel processeur dans la revendication 1 du brevet EP 518, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi incident, la Cour :
Rejette le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce la nullité de la partie française du brevet européen n° 1 854 518, l'arrêt rendu le 21 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne les sociétés Bigben Interactive et Nacon in solidum aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Bigben Interactive et Nacon et les condamne in solidum à payer aux sociétés Nintendo Co. Ltd et Nintendo of Europe SE la somme globale de 4 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le trois décembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.