Cass. com., 3 décembre 2025, n° 24-15.734
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Lowe Strateus (SAS)
Défendeur :
Olga (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocats :
SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mars 2024), à la suite d'un appel d'offres lancé en 2009 par la société Triballat Noyal (la société Triballat) et remporté par la société Lowe Strateus (la société Lowe), ces sociétés, qui étaient en relations d'affaires depuis 2005, ont passé un contrat arrêtant les nouvelles conditions de leur collaboration à compter du 1er janvier 2010 (le contrat de 2010). Ce contrat, conclu pour une durée de trois ans, puis renouvelable tacitement chaque année, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties à chaque échéance, moyennant le respect d'un préavis de six mois, confiait, à titre exclusif, à la société Lowe la mission de conseil en communication portant sur les marques « Sojasun », « Vrai », « Merzer », « Petit Billy » et « Sojade ».
2. Après qu'en 2013, un nouvel appel d'offres portant sur la seule marque « Vrai » a été remporté par une entreprise concurrente de la société Lowe, celle-ci n'a plus été en charge du développement de cette marque.
3. Par lettre du 14 novembre 2019, la société Triballat a notifié à la société Lowe la résiliation du contrat de 2010, avec effet au 31 mars 2020.
4. Soutenant, d'abord, que, s'agissant de la marque « Vrai », l'exclusivité consentie par le contrat de 2010 avait été violée à compter de l'année 2013, ensuite, que, faute de dénonciation avant le 30 juin 2019, ce contrat s'était renouvelé pour la période du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020, enfin, que la société Triballat avait violé l'article L. 442-1 du code de commerce en ne lui consentant pas un préavis raisonnable, la société Lowe a assigné la société Triballat, devenue la société Olga, en réparation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La société Lowe fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre de l'omission de statuer relativement à la résiliation fautive du contrat, alors :
« 1°/ que le juge doit examiner la demande subsidiaire formulée par une partie dès lors qu'il ne fait pas intégralement droit à sa demande principale ; qu'en jugeant que le tribunal n'avait pas omis de statuer sur la demande de la société Lowe tendant à voir condamner la société Olga à lui verser diverses sommes sur le fondement de la résiliation fautive du contrat au motif que le tribunal avait fait droit à la demande principale fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies et n'avait pas à examiner sa demande subsidiaire fondée sur la rupture fautive du contrat, quand la cour d'appel était tenue d'examiner la demande subsidiaire dès lors qu'elle rejetait partiellement la demande formée à titre principal, la cour d'appel a violé les articles 4 et 463 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge doit statuer sur les prétentions dont il est saisi ; qu'en jugeant que le tribunal n'avait pas omis de statuer sur la demande de la société Lowe tendant à voir condamner la société Olga à lui verser diverses sommes sur le fondement de la résiliation fautive du contrat au motif que dans les développements de ses écritures devant le tribunal la société Lowe avait indiqué que cette demande était subsidiaire par rapport à celle fondée sur la rupture brutale des relations commerciales, quand la société Lowe avait saisi le juge de cette demande « en tout état de cause » de sorte que le tribunal était tenu de statuer sur cette demande en toute hypothèse, la cour d'appel a violé les articles 4, 5 et 463 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
7. Après avoir énoncé qu'en application du principe dispositif, le juge ne peut examiner une demande subsidiaire que s'il rejette la demande principale, l'arrêt, procédant à l'interprétation des conclusions de première instance de la société Lowe rendue nécessaire par leur ambiguïté, exclusive de toute dénaturation, retient que la société Lowe y demandait, à titre principal, à voir juger brutale la rupture des relations commerciales établies entre les parties et condamner la société Triballat au paiement de dommages et intérêts à ce titre et, à titre subsidiaire, à voir juger fautive la résiliation du contrat de 2010 et condamner la société Triballat au paiement de dommages et intérêts de ce chef. Il relève que le jugement a retenu que la rupture par la société Triballat de la relation commerciale établie avait été brutale et engageait la responsabilité de cette société.
8. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, faisant ressortir que la demande subsidiaire de la société Lowe n'était présentée que dans l'hypothèse où il ne serait pas retenu que la société Triballat avait brutalement rompu la relation commerciale établie, la cour d'appel a exactement jugé qu'elle n'avait pas à se prononcer sur cette demande.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
10. La société Lowe fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner la société Olga à lui verser la somme de 338 234,17 euros au titre de la résiliation fautive du contrat, alors « que, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, la cour d'appel doit statuer sur tous les points du litige soumis aux premiers juges et critiqués devant elle ; qu'en rejetant la demande de la société [Lowe] fondée sur la rupture fautive du contrat au motif que le tribunal n'avait pas omis de statuer sur ce point sans se prononcer à nouveau en fait et en droit sur cette demande, quand, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, il appartenait à la cour d'appel de statuer sur cette demande soumise aux premiers juges et formulée à nouveau dans ses conclusions d'appel, la cour d'appel a violé les articles 561 et 562 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. La société Lowe n'ayant demandé à voir juger fautive la résiliation du contrat de 2010 et à voir condamner la société Olga au paiement de dommages et intérêts de ce chef qu'au titre de la rectification de l'omission de statuer dont aurait été affecté le jugement de première instance, c'est sans violer les articles 561 et 562 du code de procédure civile que la cour d'appel, qui a rejeté la demande de la société Lowe en rectification d'une omission de statuer, n'a pas examiné la demande fondée sur la résiliation fautive du contrat.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
13. La société Lowe fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à être indemnisée du préjudice résultant de la violation de l'exclusivité consentie sur la marque « Vrai », alors « que la renonciation tacite ne se présume pas et ne peut résulter que de circonstances établissant sans équivoque la volonté du débiteur de ne pas se prévaloir de son droit ; qu'en se bornant à juger qu'il résultait de la participation de la société Lowe à l'appel d'offres réalisé par la société Olga en 2013 pour la marque « Vrai » et du projet d'avenant de la société Lowe jointe à son courriel du 4 juin 2014, que la société Lowe aurait tacitement accepté la sortie de la marque « Vrai » de son périmètre contractuel, peu important que cet avenant n'ait pas été signé, de sorte qu'elle ne pouvait reprocher à la société Olga d'avoir violé l'exclusivité qui lui avait été consentie initialement sur la marque « Vrai », sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société Lowe n'était pas économiquement contrainte de participer à l'appel d'offres, compte tenu de l'importance du chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec la société Triballat, et si la proposition d'avenant qu'elle souhaitait voir régularisée n'était pas motivée par la compensation qu'elle entendait obtenir pour la perte de la marque « Vrai », de sorte que ces deux circonstances ne constituaient pas une manifestation non équivoque de renoncer au droit de se prévaloir de la violation de la clause d'exclusivité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1193 du code civil. »
Réponse de la Cour
14. Ayant relevé que la société Lowe avait participé à l'appel d'offres lancé par la société Olga en 2013 pour la marque « Vrai » et avait proposé à la société Olga un projet d'avenant intégrant la sortie de cette marque de son périmètre contractuel, qu'elle avait joint à son courriel du 4 juin 2014, et retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient présentés, que la société Lowe avait tacitement accepté la sortie de la marque « Vrai » de son périmètre contractuel, de sorte qu'elle ne pouvait reprocher à la société Olga d'avoir violé l'exclusivité qui lui avait été consentie initialement, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations et énonciations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches
16. La société Lowe fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, alors :
« 1°/ que la stabilité des relations commerciales établies s'apprécie au regard de leur durée, de leur continuité, de leur régularité et de leur caractère significatif, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances ayant précédé cette relation ; qu'en jugeant que la société Lowe ne pouvait se prévaloir de relations commerciales établies avec la société Olga, au motif que le contrat qui les unissait depuis 2010 et qui avait été reconduit tacitement jusqu'en 2019 avait été conclu après deux appels d'offres intervenus en 2005 et 2009, quand la circonstance que la relation contractuelle exclusive des parties se soit nouée après deux appels d'offres et que l'exposante ait été auparavant mise en concurrence n'était pas de nature à écarter la stabilité de la relation contractuelle dont la cour d'appel constatait qu'elle avait perduré pendant dix ans sans interruption et sans recours à des appels d'offres, la cour d'appel qui s'est prononcée par des motifs impropres à exclure la stabilité de la relation commerciale, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-1, II, du code de commerce ;
2°/ que la stabilité des relations commerciales établies s'apprécie au regard de leur durée, de leur continuité, de leur régularité et de leur caractère significatif ; qu'en jugeant que la société Lowe ne pouvait se prévaloir de relations commerciales établies avec la société Olga au motif que le dernier contrat conclu en 2010 et renouvelé tacitement depuis avait fait l'objet d'une remise en cause partielle en 2013 d'où il résultait que la société Lowe s'était vue déchargée de sa mission relativement à l'une seule des cinq marques dont elle assurait le développement, quand il s'évinçait de ses constatations que la société Lowe avait continué à assurer la communication des quatre autres marques qui lui avaient été confiées à titre exclusif depuis 2010 pendant dix ans sans interruption, ce dont il résultait que la relation des parties était stable, pour ces quatre marques, la cour d'appel a violé l'article L. 442-1, II, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
17. La société Olga conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la première branche serait irrecevable car contraire aux conclusions d'appel de la société Lowe soutenant que la relation était établie depuis 2005.
18. Cependant, la société Lowe, qui soutenait dans ses écritures d'appel qu'elle avait noué avec la société Triballat une relation commerciale établie entre 2005 et 2019, ne s'est pas contredite en faisant valoir, au stade du pourvoi, le caractère établi de cette relation entre 2010 et 2019.
19. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 442-1, II, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 :
20. Selon ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, de rompre brutalement une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
21. Pour infirmer le jugement en ce qu'il avait retenu l'existence d'une relation commerciale établie entre 2010 et 2019 et rejeter la demande de la société Lowe en dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de cette relation commerciale, l'arrêt retient que le recours à des appels d'offres successifs, en 2005 puis en 2009, a nécessairement précarisé la relation entre les parties. Il ajoute que cette précarité de la relation commerciale s'est vérifiée au cours du contrat de 2010, puisque la marque « Vrai » concernée par ce contrat a fait l'objet d'un appel d'offres en 2013, qui a été remporté par un tiers, ce dont la société Lowe a pris acte.
22. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à écarter le caractère établi de la relation commerciale entre les sociétés Lowe et Triballat entre 2010 et 2019, cependant qu'elle constatait que le contrat de 2010, conclu initialement pour une période de trois ans, s'était, en ce qui concerne les marques « Sojasun », « Merzer », « Petit Billy » et « Sojade », renouvelé annuellement par tacite reconduction de 2013 à 2019, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Lowe Strateus en dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 27 mars 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Olga aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Olga et la condamne à payer à la société Lowe Strateus la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le trois décembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.