Livv
Décisions

CA Rennes, 1re ch., 2 décembre 2025, n° 22/06682

RENNES

Arrêt

Autre

CA Rennes n° 22/06682

2 décembre 2025

1e chambre B

ARRÊT N°

N° RG 22/06682

N° Portalis

DBVL-V-B7G-TI3O

(Réf 1e instance : 19/06235)

SARL CAPIMMO

SARL [Localité 12]

c/

SCI LES QUATRE L

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Bommelaer

Me Preneux

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 2 DÉCEMBRE 2025

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Président : Madame Véronique VEILLARD, présidente de chambre

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, président de chambre

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, conseillère

GREFFIER

Madame Elise BEZIER lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS

A l'audience publique du 11 mars 2025, devant Monsieur Philippe BRICOGNE et Madame Caroline BRISSIAUD, magistrats, tenant l'audience en double rapporteur, sans opposition des représentants des parties et qui ont rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT

Contradictoire, prononcé publiquement le 2 décembre 2025 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré

****

APPELANTES

SARL CAPIMMO immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTES sous le numéro 451 341 150, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

SARL [Localité 12] immatriculée au registre du commerce et des sociétés de VANNES sous le numéro 818 402 141, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 18]

[Localité 6]

Toutes deux représentées par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE

SCI LES QUATRE L, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTES sous le numéro 480.234.772, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 19]

[Adresse 14]

[Localité 5]

Représentée par Me Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, postulante, avocate au barreau de RENNES et par Me Maud CENSIER, plaidante, avocate au barreau de NANTES

FAITS ET PROCÉDURE

1. Selon acte sous seing privé du 20 juin 2018 rédigé par Me [K] [V], notaire à Saint-Herblain, la SCI Les 4 L a vendu à la Sarl Capimmo un terrain non bâti situé au [Adresse 8] à [Adresse 15] (35) sur les parcelles cadastrées BO [Cadastre 1] et BO [Cadastre 3], moyennant le prix de 450.000 €.

2. Le compromis prévoyait que l'acquéreur pouvait se substituer toute personne physique ou morale de son choix et que l'acte authentique devrait être réitéré devant Me [K] [V] au plus tard le 31 décembre 2018.

3. Il était envisagé que la Sarl [Localité 12] se substitue à la Sarl Capimmo pour cette acquisition.

4. A la demande de la Sarl Capimmo, la validité du compromis a été prorogée à plusieurs reprises. En dernier lieu, l'acte devait être réitéré le 22 janvier 2019.

5. La Sarl Capimmo a demandé un nouveau report de la signature de l'acte définitif jusqu'en mars 2019.

6. Le 29 janvier 2019, la SCI Les 4 L a fait délivrer à la Sarl [Localité 12] une sommation d'assister au rendez-vous de signature en l'étude de maître [V] le 6 février 2019 et de verser le solde du prix de vente sur le compte de l'étude au plus tard le 4 février 2019.

7. La Sarl [Localité 12] n'ayant pas comparu à cette date, le notaire a dressé un procès-verbal de carence.

8. Par lettre recommandée avec avis de réception du 29 mai 2019, la SCI Les 4 L a mis en demeure la Sarl [Localité 12] de régulariser l'acte de vente dans les 15 jours et la Sarl Capimmo d'obtenir de cette dernière le respect de ses obligations et, à défaut, de pallier sa carence.

9. Par courrier du 14 juin 2019, le conseil des Sarl Capimmo et [Localité 12] a indiqué que ces dernières refusaient de réitérer la vente.

10. Par actes d'huissier des 9 et 11 décembre 2019, la SCI Les 4 L a fait assigner la Sarl [Localité 12] et la Sarl Capimmo devant le tribunal de grande instance de Nantes aux fins d'obtenir la vente forcée.

11. Par jugement du 22 septembre 2022, le tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire de Nantes a :

- déclaré parfaite la vente intervenue le 20 juin 2018 entre la SCI Les 4 Let la Sarl [Localité 12], qui s'est substituée à la Sarl Capimmo,

- dit que le jugement vaut vente,

- dit que le jugement sera publié au service de la publicité foncière,

- condamné solidairement la Sarl [Localité 12] et la Sarl Capimmo à payer à la SCI Les 4 L la somme de 450.000 €,

- dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,

- débouté la SCI Les 4 L du surplus de ses demandes,

- débouté la Sarl [Localité 12] et la Sarl Capimmo de l'ensemble de leurs prétentions,

- condamné solidairement ces dernières à payer à la SCI Les 4 L la somme de 22.500 € à titre de dommages et intérêts,

- condamné solidairement les mêmes à payer à la SCI Les 4 L la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné solidairement la Sarl [Localité 12] et la Sarl Capimmo aux dépens qui pourront être recouvrés par la selarl Gueguen Avocats (Maître Mathieu Baron), avocats au Barreau de Nantes, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

12. La Sarl Capimmo et la Sarl [Localité 12] ont interjeté appel par déclaration du 18 novembre 2022 sauf en ce qu'il a :

- dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,

- débouté la SCI Les 4 L du surplus de ses demandes.

13. La SCI Les 4 L a interjeté appel incident de ces chefs de jugement.

14. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 janvier 2025.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

15. La Sarl Capimmo et la Sarl [Localité 12] exposent leurs prétentions et moyens (lesquels seront repris dans la motivation) dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 20 janvier 2025 aux termes desquelles elles demandent à la cour de :

- déclarer qu'elles sont recevables en leur appel,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- mettre la Sarl [Localité 12] hors de cause,

- condamner la SCI Les 4 L à lui verser la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- juger nul et de nul effet le compromis de vente signé le 20 juin 2018,

- subsidiairement prononcer la résolution du compromis de vente signé le 20 juin 2018,

- plus subsidiairement encore, juger caduc le compromis de vente signé le 20 juin 2018,

- en tout état de cause débouter la SCI Les 4 L de toutes ses demandes à l'encontre de la Sarl Capimmo,

- subsidiairement, débouter la SCI Les 4 L de toutes ses demandes à l'encontre la Sarl [Localité 12],

- juger que tout détenteur du dépôt de garantie de 22.500 € versé par la Sarl Capimmo suite au compromis de vente du 20 juin 2018 sera tenu de restituer cette somme de 22.500 € à cette dernière sur présentation d'une copie de la minute de l'arrêt à intervenir et juger que la SCI Les 4 L devra les intérêts au taux légal sur cette somme depuis son versement le 20 juin 2018 avec capitalisation,

- condamner la SCI Les 4 L à régler à la Sarl Capimmo la somme de 8.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCI Les 4 L aux entiers dépens et accorder le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile à la selarl Cornet-Vincent-Ségurel.

16. La SCI Les 4 L expose ses prétentions et moyens ((lesquels seront repris dans la motivation) dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 20 janvier 2025 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré parfaite la vente intervenue le 20 juin 2018 entre la Sarl [Localité 12] qui s'est substituée à la Sarl Capimmo et elle,

- à titre subsidiaire, si la cour estimait que la substitution ne s'était pas opérée, déclarer parfaite la vente intervenue le 20 juin 2018 entre la Sarl Capimmo et elle,

- dans tous les cas, débouter la Sarl [Localité 12] et la Sarl Capimmo de leur appel comme étant irrecevable et en tout cas mal fondé,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit que la décision valait vente,

* dit qu'elle serait publiée au service de la publicité foncière,

* condamné solidairement la Sarl [Localité 12] et la Sarl Capimmo à lui payer la somme de 450.000 €,

* débouté ces dernières de l'ensemble de leurs prétentions,

* condamné solidairement ces dernières à lui payer la somme de 22.500 € à titre de dommages et intérêts,

* condamné solidairement les mêmes à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné solidairement la Sarl [Localité 12] et la Sarl Capimmo aux dépens,

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,

* omis de statuer sur la demande relative au transfert de propriété,

Statuant à nouveau sur ces chefs,

- assortir la condamnation à payer le prix de vente d'une astreinte de 1.000 € par jour de retard passé un délai de 30 jours suivant la signification de la décision de première instance,

- dire et juger que le transfert de propriété ne s'opérera qu'au jour du parfait paiement du prix de vente,

Additant au jugement,

- condamner solidairement la Sarl [Localité 12] et la Sarl Capimmo à payer la somme de 8.000 € au titre des frais irrépétibles d'appel par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement ces dernières aux dépens d'appel et réserver à la selarl Bazille-Tessier-Preneux (maître Alexandre Tessier), avocats, l'entier bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

17. Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

18. A l'audience du 11 mars 2025, la cour a invité les parties à présenter leurs observations par note en délibéré sur l'apparence d'une contradiction dans le dispositif des conclusions de la SCI Les Quatre L en ce qu'il est demandé :

- d'une part, de confirmer le jugement en ce qu'il a 'déclaré parfaite la vente intervenue le 20 juin 2018 entre la SCI Quatre L et la Sarl [Localité 12] qui s'est substituée à la Sarl Capimmo portant sur les biens suivants (')' et de confirmer le même jugement en ce qu'il a 'dit que le jugement vaut vente'

- d'autre part, en ce qu'il est demandé d'infirmer le même jugement en ce qu'il a 'omis de statuer sur la demande relative au transfert de propriété' et statuant à nouveau de 'dire et juger que le transfert de propriété ne s'opérera qu'au jour du parfait paiement du prix de vente'.

19. La SCI Les Quatre L a fait parvenir une note en délibéré le 19 mars 2025.

20. Les Sarl Capimmo et [Localité 12] ont fait parvenir une réponse à la note en délibéré en date du 28 mars 2025.

21. Le contenu de ces notes en délibéré sera détaillé dans la partie consacrée à la demande de report du transfert de propriété à la date de paiement du prix de vente.

MOTIVATION DE LA COUR

1) Sur la mise hors de cause de la Sarl [Localité 12]

22. Les appelantes rappellent que la Sarl Capimmo et la Sarl [Localité 12] sont deux personnes morales distinctes, chacune étant représentée par son propre gérant. Elles soutiennent que s'il a été envisagé une substitution de la Sarl Capimmo par la Sarl [Localité 12], cette dernière y a cependant renoncé après la découverte du changement de destination du terrain. Elles soulignent que la Sarl [Localité 12] n'a jamais concrétisé par aucun acte sa décision de se substituer à la Sarl Capimmo.

23. La SCI Les quatre L expose que les deux sociétés sont contrôlées directement ou indirectement par les mêmes dirigeants et qu'elles partagent les mêmes intérêts. Elle liste les différents éléments factuels établissant selon elle que la Sarl [Localité 12] s'est bien substituée à la Sarl Capimmo, ce que du reste, leur conseil a confirmé dans un courrier officiel du 14 juin 2019.

Réponse de la cour

24. C'est à juste titre que premier juge a relevé les éléments suivants :

- le compromis de vente signé par chacune des parties le 20 juin 2018 prévoit en page 3 au paragraphe 'SUBSTITUTION' la clause suivante :

'L'ACQUÉREUR pourra se substituer, à titre gratuit, toute personne physique ou morale, mais sous réserve qu'il reste solidairement tenu, avec le substitué, des obligations nées des présentes, jusqu'à la réitération par acte authentique',

- la Sarl [Localité 12] ne conteste pas qu'elle a envisagé de substituer la Sarl Capimmo pour la signature de l'acte authentique mais prétend qu'elle y a finalement renoncé,

- il résulte néanmoins d'un courrier que l'étude de Me [V] a adressé le 25 avril 2019 à la société Les quatre L récapitulant son intervention dans le dossier, que :

* le 17 décembre 2018, il a fait parvenir à [R] [X] (gérant de la Sarl Capimmo) le projet d'acte et l'appel de fonds, lui demandant de préciser si une substitution était prévue et de lui indiquer quelle date lui convenait le mieux pour la signature,

* le 7 janvier 2019, [R] [X] a confirmé son accord pour un rendez-vous au 22 janvier, indiquant que la Sarl [Localité 12] se substituerait à l'acquisition,

- le 6 février 2019, Me [K] [V] a mentionné dans son procès-verbal de carence que fin décembre 2018, il avait reçu un dossier de prêt de la Caisse de crédit mutuel de [Localité 17] au nom de la société [Localité 12],

- la sommation d'assister que la SCI Les quatre L a fait délivrer le 29 janvier 2019 aux fins d'assister le 6 février suivant à la lecture et la signature de l'acte de vente en l'Etude de Me [V], l'a été à la seule Sarl [Localité 12].

25. La cour ajoute les éléments suivants :

- le compromis ne précise aucune forme pour la substitution, laquelle pouvait intervenir 'jusqu'à la réitération de l'acte authentique',

- l'intermédiaire à la vente (la société Atlantique Expansion) dans un mail du 21 janvier 2019 adressé à la SCI Les quatre L, avec en copie M. [X] et le notaire, confirme : 'le souhait des associés de la SCI [Localité 12], Monsieur [R] [X] et Monsieur [L] [N], de décaler la signature du 22 janvier 2019 concernant l'acquisition des terrains de Redon'.

26. Or, la Sarl [Localité 12] n'avait aucun intérêt à solliciter que la date de signature de l'acte authentique soit décalée si la décision de substitution n'était pas prise.

- les sociétés Capimmo et [Localité 12] ont-elles-mêmes confirmé l'existence d'une substitution effective dans un courrier officiel de leur conseil du 14 juin 2019 ainsi rédigé : 'Aux termes du compromis, la SCI LES QUATRE L s'est engagée à vendre, et la société CAPIMMO (qui s'est depuis substituée la société [Localité 12]) à acheter, un terrain présentant une possibilité de construction (') Une caractéristique essentielle du terrain au regard de laquelle le compromis a été conclu ayant ainsi disparu, la SCI LES QUATRE L ne peut pas contraindre la société [Localité 12] qui s'est substituée à la société CAPIMMO à acquérir ce bien qui ne correspond plus à ce qui était annoncé et convenu'.

27. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu'il a considéré que la substitution était effective, de sorte qu' il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la Sarl [Localité 12].

2) Sur la nullité du compromis de vente pour vice du consentement

28. La Sarl Capimmo et la Sarl [Localité 12] considèrent que la SCI Les 4 L a manqué à son obligation d'information lors de la signature du compromis en ne mentionnant pas qu'une procédure de révision du PLU était en cours ni qu'un arrêté de projet de révision du 22 mars 2018, qui concernait particulièrement le terrain litigieux, prévoyait déjà clairement le changement de zonage, alors que la destination commerciale du terrain était entrée dans le champ contractuel.

29. Elles estiment que la venderesse aurait dû délivrer cette information essentielle relative au changement de zonage dans le cadre de la révision du PLU, le certificat d'urbanisme joint au compromis (délivré en décembre 2017) étant trop ancien pour valablement informer l'acquéreur et attirer son attention sur le fait que la destination qu'il projetait pour le terrain devenait ou allait devenir impossible.

30. Elles ajoutent que la société venderesse ne peut se retrancher derrière le caractère public de la procédure de révision d'un PLU ni invoquer la qualité de l'acquéreur, en considérant que celui-ci aurait dû se renseigner en tant que promoteur professionnel.

31. Elles font valoir que contrairement à ce qu'à retenu le tribunal par une erreur d'interprétation des règles d'urbanisme applicables, le terrain litigieux n'était pas inconstructible, bien qu'étant classé en zone 1AUab de la commune (zone à urbaniser), en ce que le règlement de la zone prévoyait une possibilité d'urbanisation immédiate du secteur à la condition de faire l'objet d'un aménagement d'ensemble. Elles soulignent à cet égard que la meilleure preuve en est que la SSCV Cap Nord a obtenu, le 23 mars 2017, un permis de construire sur le terrain situé en face de la parcelle litigieuse, également placée en zone 1AUab.

32. Elles concluent que dépourvue de cette information essentielle, la société Capimmo a accepté d'acquérir au prix fort un terrain dont elle ne pourrait plus rien faire, ce qui caractérise une erreur sur les qualités substantielles voire un dol en présence d'une information qui lui a sciemment été tue.

33. Elles affirment que la société Capimmo n'aurait pas acheté si elle avait su que le terrain allé être classé en zone naturelle inconstructible et considèrent avoir été ainsi induites en erreur ou trompées sur la possibilité de construire sur le terrain, ce dont il résulte un vice du consentement justifiant l'annulation du compromis.

34. La SCI Les 4 L souligne qu'il apparaissait clairement dans le compromis de vente qu'il n'était pas possible d'édifier dans l'immédiat une construction sur le terrain vendu, d'ailleurs qualifié de 'non bâti' et non pas de 'terrain à bâtir'.

35. En premier lieu, elle considère que les appelantes ne peuvent soutenir qu'elles se seraient méprises quant aux qualités du bien objet de la vente dès lors qu'il était clairement indiqué qu'en l'état, le terrain ne pouvait pas être urbanisé, raison pour laquelle d'une part, le compromis de vente comportait une clause 'fiscalité' prévoyant que le prix de vente serait augmenté de 20 % de TVA si le terrain devenait constructible avant la signature de l'acte authentique et d'autre part, aucune condition suspensive relative à l'obtention d'un permis de construire n'a été stipulée, l'acquéreur indiquant faire son affaire personnelle de l'obtention à l'avenir de l'autorisation de construire, sans recours contre le vendeur.

36. Elle ajoute que les appelantes étaient parfaitement informées qu'un nouveau PLU était en cours de révision à la date de signature du compromis, étant précisé que cette procédure, parfaitement publique, était en cours depuis une délibération du conseil municipal du 18 juin 2015.

37. Elle précise que les sociétés Capimmo et [Localité 12] sont deux promoteurs immobiliers, qui se sont nécessairement intéressées aux règles d'urbanisme locales et à l'éventuelle révision du PLU, outre que selon elle, aucune information particulière n'est due en matière d'urbanisme à un promoteur immobilier.

38. En deuxième lieu, elle soutient que les appelantes produisent elles-mêmes le certificat d'urbanisme annexé au compromis de vente, lequel mentionne expressément que par délibération du 18 juin 2015, le conseil municipal de [Localité 16] a prescrit la révision n°1 du Plan Local d'Urbanisme.

39. En troisième lieu, à supposer que les appelantes aient fautivement paraphé les annexes sans les lire, elle rappelle que la procédure de révision est publique et que le notaire avait inséré au compromis les liens hypertexte renvoyant sur le site de la mairie de [Localité 16] et en particulier sur les pages consacrées au PLU.

40. En quatrième lieu et en toute hypothèse, cette connaissance résulte selon elle du fait que la société Capimmo, qui s'est substituée la Sarl [Localité 12], s'est portée acquéreur de deux parcelles dont le compromis précise qu'elles sont classées en zone AU et qu'elles ne sont pas desservies par les réseaux d'eau et d'électricité, de sorte qu'en application de l'article R.151-20 alinéa 2 du code de l'urbanisme, toute possibilité de construction était subordonnée à une révision du PLU.

41. En dernier lieu, elle souligne que si elles avaient été réellement trompées sur la qualité du terrain vendu, les sociétés Capimmo et [Adresse 13] n'auraient pas manqué de marquer leur mécontentement, ce qu'elles n'ont jamais fait avant la mise en demeure de réitérer la vente par acte authentique, puisqu'au contraire, elles ont sollicité que la date de signature soit repoussée, afin de leur permettre d'infléchir la position des services de l'urbanisme en leur faveur.

Réponse de la cour

42. Aux termes de l'article l'article 1112-1 du code civil, 'celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants'.

43. L'article 1130 du code civil dispose que 'l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné'.

La seule réticence dolosive est de nature à vicier le consentement du co-contractant, comme le consacre l'article 1137, ainsi rédigé : 'le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges.

Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.

Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation'.

44. Aux termes de l'article 1132 du code civil, 'l'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur des qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant'.

45. Il résulte enfin de l'article 1133 du code civil que 'les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté.

L'erreur est une cause de nullité qu'elle porte sur la prestation de l'une ou l'autre partie.

L'acceptation d'un aléa sur une qualité de la prestation exclut l'erreur relative à cette qualité'.

46. En l'espèce, l'information déterminante de leur consentement que les appelantes reprochent à la Sarl Les quatre L d'avoir retenue lors de la signature du compromis porte sur la révision en cours du PLU et plus particulièrement sur l'arrêté de projet de révision du 22 mars 2018 qui prévoyait déjà le changement de zonage.

47. Elles indiquent que la qualité essentielle du terrain litigieux, sans laquelle elles n'auraient certainement pas contracté, résulte de sa possibilité d'être urbanisé et donc de devenir constructible.

48. C'est en effet la possibilité de mener à bien leur projet de construction d'un ensemble commercial, qui a conduit les sociétés Capimmo et [Localité 12] à se positionner sur l'achat de ce terrain. Cette destination est d'ailleurs mentionnée dans le compromis. L'acquisition en vue de construire un immeuble commercial était donc entrée dans le champ contractuel.

49. Il résulte du compromis de vente signé entre la SCI Les quatre L et la Sarl Capimmo le 20 juin 2018 que le bien vendu consiste en un terrain. Il est inséré dans l'acte le paragraphe suivant (page 4):

'Observations sur les dispositions d'urbanisme applicables au bien vendu :

Le notaire soussigné précise qu'il a sollicité et obtenu auprès de la Mairie de [Localité 16] un certificat d'urbanisme. Du document qui lui a été délivré le 4 décembre 2017, sous le numéro CU 035 236 17 R 0317, il résulte que les parcelles cadastrales vendues sont situées en zone 1 AUAb du plan local d'urbanisme de la Commune de [Localité 16] approuvé le 18 avril 2013.

ll résulte de la consultation du règlement d'urbanisme disponible sur le site:https://www.redon.fr/redon-utile/p410-plan-local-urbanísme.html

que la zone 1AU correspond à des secteurs à caractère naturel de la commune, non équipés ou insuffisamment équipés, destinés à être urbanisés à court terme.

Le certificat d'urbanisme et l'extrait des dispositions du PLU traitant des dispositions applicables à la zone 1AU demeureront annexés au présent acte.

En tant que de besoin, le VENDEUR précise que les parcelles ne sont pas desservies par les réseaux d'eaux et d'électricité.' ([Localité 9] et souligné dans l'acte).

50. En page 6, il est mentionné au paragraphe 'FlSCALlTE' :

'Pour la perception des droits, LE VENDEUR déclare :

- être assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, dans le cadre de son activité économique,

- agir en tant que tel,

- que LE BIEN vendu n'est pas un terrain à bâtir, n'étant pas situé dans un secteur désigné comme constructible par un document d'urbanisme (mais en zone I AUA)

En conséquence, la présente mutation, si elle se réalise, sera exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée conformément aux dispositions de l'article 261, 5-1° du Code général des impôts et sera soumise à la taxe de publicité foncière au taux de droit commun prévu par l'article 1594 D du Code général des impôts, qui sera due par L'ACQUEREUR.

Si avant la réalisation de la vente, le terrain venait à être classé en zone constructible alors, le prix du terrain devenu constructible serait augmenté de la la taxe sur la valeur ajoutée au taux en vigueur.'

51. Il résulte donc très clairement de ces dispositions qu'il n'était pas possible dans l'immédiat d'édifier une construction sur le terrain convoité.

52. Par ailleurs, en page 5, au paragraphe 'DESTINATION', il est précisé :

'Le BIEN acquis est destiné par l'ACQUEREUR à l'usage suivant : construction d'immobilier commercial.

Toutefois, et compte tenu de ce qui est précisé ci-dessus au paragraphe 'Observations sur les dispositions d'urbanisme applicables au bien vendu' il est expressément précisé que l'ACQUEREUR n'entend pas ériger en condition suspensive l'obtention d'une autorisation de construire sur les biens vendus et déclare faire son affaire personnelle de l'obtention à l'avenir de cette autorisation, sans recours possible contre le VENDEUR.'

53. Par cette clause, l'acquéreur a donc décidé de ne pas faire dépendre son consentement à la vente de l'obtention d'un permis de construire.

54. Par ailleurs, le compromis précise bien que :

- d'après la consultation du règlement d'urbanisme disponible sur le site internet suivant : https://www.redon.fr/redon-utile/p410-plan-local-urbanísme.html, la zone 1AU correspond à des secteurs à caractère naturel de la commune, non équipés ou insuffisamment équipés, destinés à être urbanisés à court terme,

- les parcelles ne sont pas desservies par les réseaux d'eaux et d'électricité.

55. Or l'article R. 151-20 du code de l'urbanisme dispose que :

'Les zones à urbaniser sont dites "zones AU". Peuvent être classés en zone à urbaniser les secteurs destinés à être ouverts à l'urbanisation.

Lorsque les voies ouvertes au public et les réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate d'une zone AU ont une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone et que des orientations d'aménagement et de programmation et, le cas échéant, le règlement en ont défini les conditions d'aménagement et d'équipement, les constructions y sont autorisées soit lors de la réalisation d'une opération d'aménagement d'ensemble, soit au fur et à mesure de la réalisation des équipements internes à la zone prévus par les orientations d'aménagement et de programmation et, le cas échéant, le règlement.

Lorsque les voies ouvertes au public et les réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate d'une zone AU n'ont pas une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone, son ouverture à l'urbanisation est subordonnée à une modification ou à une révision du plan local d'urbanisme comportant notamment les orientations d'aménagement et de programmation de la zone.'

56. Il s'infère de ce texte qu'une parcelle située en zone AU, qui n'est pas suffisamment desservie par les réseaux d'eau et d'électricité (comme en l'espèce) ne peut en principe être construite que s'il y a préalablement une modification ou révision du PLU.

57. A tout le moins, les sociétés Capimmo et [Localité 12] soutiennent que d'après le règlement de la commune, la zone de localisation du terrain litigieux pouvait être urbanisée, sans révision préalable du PLU mais à la condition de faire l'objet 'd'une opération d'aménagement d'ensemble, portant sur la totalité du secteur concerné, afin de favoriser un développement cohérent et équilibré de la commune'.

58. Il est effectivement justifié que la Sccv Cap Nord (dirigée par M. [X]) a obtenu en 2016 un permis de construire pour l'édification d'un immeuble d'activité, sur une parcelle située à proximité du terrain litigieux, également classée en zone AUab.

59. A cette date, la révision du PLU était déjà en cours depuis une délibération du 18 juin 2015, mais les orientations, fruits de négociations politiques et de concertations locales (comme le démontre le compte-rendu de séance versé aux débats), n'étaient pas encore arrêtées.

60. Comme l'indiquent les appelantes elles-mêmes, ces orientations n'ont été actées que dans la déclaration du conseil municipal, arrêtant le projet de révision du 22 mars 2018 et prévoyant un changement de zonage de la parcelle litigieuse en zone naturelle inconstructible.

61. La cour observe que les sociétés [Localité 12] et Capimmo ne contestent pas qu'elles étaient informées que le PLU de la commune était en cours de révision lors de la signature du compromis puisqu'elles admettent en page 14 de leurs écritures qu'elles 'n'ont jamais prétendu avoir découvert l'existence de la procédure de révision du PLU postérieurement à la signature du compromis'.

62. Du reste, elles ont-elles-mêmes communiqué devant la cour le certificat d'urbanisme du 4 décembre 2017, sollicité par Me [V] en vue de la vente et annexé au compromis, lequel mentionne expressément que 'Par délibération du 18 juin 2015, le Conseil Municipal de [Localité 16] a prescrit la révision n°1 du Plan Local d'Urbanisme (PLU).'

63. A toutes fins, il convient de souligner que cette information était parfaitement publique (les procédures de révision d'un PLU faisant l'objet d'une publicité légale dès le stade de la décision de révision, puis tout au long de la procédure). Il n'est pas crédible que les sociétés acquéreuses, promoteurs professionnels, ne se soient pas intéressées aux règles d'urbanisme applicables à la commune avant de signer le compromis de vente, étant précisé que le notaire avait pris le soin d'y insérer les liens nécessaires à la consultation des pages dédiées à l'urbanisme sur le site de la mairie.

64. En revanche, s'agissant des orientations du PLU et plus particulièrement du changement de zonage de la parcelle litigieuse, aucun élément ne permet d'affirmer que la société venderesse était informée de l'arrêté de projet de révision du 22 mars 2018 (classant la parcelle en zone Na), ni que cette décision aurait précipité sa décision de vendre.

65. D'ailleurs, les négociations étaient manifestement en cours entre les parties depuis plusieurs mois avant cette délibération municipale, comme en atteste la demande par le notaire d'un certificat d'urbanisme en décembre 2017.

66. Par conséquent, il ne peut être fait grief à la SCI Les quatre L de ne pas avoir communiqué, et a fortiori d'avoir sciemment dissimulé, une information publique et connue des sociétés Capimmo et [Localité 12], s'agissant de la procédure de révision du PLU en cours.

67. Il ne peut davantage lui être reproché d'avoir tu une information dont elle-même ne disposait pas, du moins cela n'est-il pas démontré, s'agissant du changement de zonage de la parcelle vendue.

68. La demande de nullité du compromis de vente sur les fondements du manquement au devoir d'information et du dol ne peut donc prospérer.

69. S'agissant de l'erreur sur une qualité essentielle, il s'évince des éléments qui précèdent que les dirigeants des sociétés Capimmo et [Localité 11] Guerche, forts du succès d'une précédente opération immobilière dans le secteur (projet de la SCCV Cap Nord), qu'ils ont manifestement tenté de réitérer, ont fait le choix en toute connaissance de cause d'acquérir un terrain qui n'était pas immédiatement constructible comme étant classé en zone Ua au PLU de la commune. Ce terrain était effectivement susceptible de l'être à terme mais sous certaines conditions (notamment de révision du PLU selon la loi, à tout le moins d'un aménagement de l'ensemble du secteur, selon le règlement du PLU). La constructibilité de ce terrain était d'autant moins garantie que le PLU était en cours de révision et que le terrain était déjà classé en zone naturelle Ua.

70. Dans ce contexte, les sociétés Capimmo et [Localité 12], promoteurs professionnels, ont néanmoins accepté de faire leur affaire personnelle de la délivrance d'un permis de construire en renonçant à toute condition suspensive à ce titre.

71. Elles ont donc accepté de supporter le risque de l'inconstructibilité du terrain dans un contexte très incertain.

72. La potentielle constructibilité du terrain présentait un aléa important lors de la signature du compromis de vente dont l'acquéreur avait parfaitement conscience, de sorte qu'il a accepté d'en supporter les risques en renonçant à la condition suspensive.

73. Ce choix assumé par un promoteur professionnel doit être mis en perspective avec le prix de vente, qui aurait été 20 % plus élevé si le terrain avait été immédiatement constructible.

74. En réalité, la possibilité de construire sur la parcelle relevait d'un pari sur l'avenir de la part d'un promoteur professionnel ce qui empêche de retenir l'existence d'une erreur excusable et déterminante, en application de l'article 1133 alinéa 3 précité.

75. A cet égard, la cour relève qu'après la 'découverte' des orientations de la commune dans le cadre de la révision du PLU (classement envisagé de la parcelle litigieuse en zone Na), les sociétés Capimmo et [Localité 12] n'ont émis aucune protestation à l'égard de la venderesse. Aucun vice du consentement tenant au dol ou à l'erreur n'a été invoqué. Tout au contraire, l'acquisition était toujours envisagée, comme le confirme M. [S] [Z] Expansion (intermédiaire à la vente) dans un courriel 21 janvier 2019 rédigé en ces termes : 'Pour faire suite à notre entretien téléphonique de vendredi après-midi, je vous confirme le souhait des associés de la SCI [Localité 12], Monsieur [R] [X] et Monsieur [L] [N], de décaler la signature du 22 janvier 2019 concernant l'acquisition des terrains de Redon. Il faut repousser la date de signature au 29 mars 2019, car ils espèrent infléchir la décision du commissaire dans le cadre de la révision du PLU et du futur SCOT, de façon à maintenir un niveau de construction commerciale acceptable sur ce site.'

76. Au bénéfice de ces observations, il ne peut être considéré que le consentement des sociétés Capimmo et [Localité 12] aurait été vicié par le dol ou l'erreur. Le jugement ne pourra qu'être confirmé en ce qu'il les a déboutées de leur demande de nullité du compromis de vente.

3) Sur les demandes de caducité et de résolution du compromis de vente

77. La Sarl Capimmo et la Sarl [Localité 12] rappellent que le compromis prévoit en page 7 plusieurs conditions suspensives dont l'une tenant à ce qu'aucun certificat ou note d'urbanisme ne révèle l'existence d'une servitude susceptible de rendre le bien impropre à la destination que l'acquéreur envisage de lui donner.

78. Elles soutiennent que le classement du terrain en zone Na (inconstructible) constitue une servitude d'urbanisme empêchant de construire l'immeuble commercial envisagé. Elles expliquent que la SCI Les quatre L aurait dû demander un nouveau certificat d'urbanisme à la date prévue pour la réitération de l'acte authentique afin d' apprécier si la condition suspensive devait ou non s'appliquer. Elles considèrent que la condition suspensive a défailli dans la mesure où la construction envisagée ne pourra jamais être édifiée et que de ce fait, le compromis est caduc.

79. Elles ajoutent qu'à tout le moins, à supposer que la condition suspensive ne soit plus en vigueur, il doit être considéré que la SCI Les quatre L n'est plus en mesure de délivrer le terrain convenu (à savoir potentiellement constructible) de sorte que le compromis doit être résolu.

80. La SCI Les quatre L soutient que l'acquéreur ne saurait ériger en condition suspensive la constructibilité du terrain alors qu'il a expressément déclaré ne pas entendre ériger en condition suspensive l'obtention d'une autorisation de construire, et déclaré faire son affaire personnelle de l'obtention à l'avenir de l'obtention d'une telle autorisation, et ce sans recours contre le vendeur.

81. Elle rappelle que la condition suspensive relative aux servitudes concerne les servitudes d'utilité publique (telles que celles relatives aux monuments historiques, au périmètre de protection des eaux potables, au voisinage des cimetières') et n'a donc aucun rapport avec le caractère constructible ou non d'un terrain en fonction de son zonage au PLU de la commune.

82. S'agissant de la résolution du compromis à défaut de pouvoir délivrer un terrain conforme aux stipulations contractuelles, elle fait valoir qu'aucune non-conformité tirée de la non-constructibilité du terrain ne saurait être retenue dès lors qu'elle ne s'est nullement engagée à transférer la propriété d'un terrain constructible, ni à garantir un classement de celui-ci en zone constructible, lequel relève de la compétence de l'administration, qui plus est dans un contexte de révision du PLU, ce qui explique d'ailleurs les stipulations convenues entre les parties.

Réponse de la cour

a. Sur la demande de caducité

83. Il résulte de l'article 1304-6 alinéa 3 qu' 'en cas de défaillance de la condition suspensive, l'obligation est réputée n'avoir jamais existé'.

84. Il est admis que la défaillance de la condition suspensive prévue au compromis de vente entraîne la caducité de celui-ci.

85. Le compromis prévoit en page 7 plusieurs conditions suspensives, dont l'une tenant à l'urbanisme, ainsi rédigée : 'La présente convention est soumise à la condition que le certificat ou la note de renseignements d'urbanisme et le certificat d'alignement et de voirie ne révèlent pas l'existence d'une servitude susceptible de rendre le bien impropre à la destination que l'acquéreur envisage de lui donner.'

86. Les sociétés Capimmo et [Localité 12] soutiennent à tort que le classement du terrain en zone Na (non constructible) constituerait une servitude d'urbanisme.

87. Comme le rappelle la SCI Les quatre L, un PLU est constitué de plusieurs documents, dont notamment un règlement, un zonage (U, AU, A, etc') et, entre autres, une liste des éventuelles servitudes d'utilité publique.

88. D'évidence, cette clause renvoie aux servitudes d'utilité publique relatives à la protection des monuments historiques, au périmètre de protection des eaux potables, au voisinage des cimetières, etc' et n'a donc rien à voir avec le zonage de la parcelle.

89. Le caractère désormais inconstructible du terrain litigieux ne résultant pas d'une servitude d'urbanisme mais de sa localisation en zone Na après changement de zonage de la parcelle, la condition suspensive ne peut donc être considérée comme défaillie.

90. Au surplus, il ne peut utilement être reproché à la venderesse de ne pas avoir sollicité un certificat d'urbanisme à la date prévue pour la signature de l'acte authentique. D'une part, c'eût été plutôt à l'acquéreur de le faire (lui seul y avait un intérêt, notamment pour figer les règles d'urbanisme pendant 18 mois). D'autre part, un certificat d'urbanisme avait déjà été sollicité et obtenu par le notaire en décembre 2017. La date de signature de l'acte authentique, initialement prévue au 31 décembre 2018 a été repoussée à la demande des acquéreurs au 22 janvier 2019. Or à cette date, le nouveau PLU n'avait pas encore été adopté ( il ne le sera que par délibération du 24 avril 2019) de sorte que si un nouveau certificat d'urbanisme avait été demandé, il n'aurait pas été différent de celui délivré en 2017.

91. La demande de caducité du compromis de vente du 20 juin 2018 ne peut qu'être rejetée. Le jugement sera confirmé de ce chef .

b. Sur la demande de résolution du compromis

92. Aux termes de l'article 1604 du code civil, 'la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur'.

93. Sur la base de ce texte, le vendeur s'oblige à délivrer une chose conforme à celle qui a été contractuellement prévue.

94. En l'espèce, contrairement à l'arrêt cité par les appelantes ([7]. civ 1e, 25 mai 2023, n° 22-12.870), la SCI Les quatre L ne s'est pas engagée à vendre à un terrain constructible lors de la signature de l'acte authentique.

95. Ainsi qu'il a déjà été dit, il ressort au contraire très clairement du compromis de vente que le terrain vendu n'était pas constructible en l'état et qu'il n'était pas prévu qu'il le soit à la date du transfert de propriété, raison pour laquelle le prix de vente a été fixé hors TVA et l'acquéreur a renoncé à la condition suspensive d'obtention d'un permis de construire.

96. Le classement du terrain en zone 1 AU correspondant à des secteurs de la commune destinés à être urbanisés à court terme n'imposait cependant au vendeur aucune obligation de résultat, cette décision relevant de la commune. Ce d'autant que toute urbanisation était soumise à des conditions totalement indépendantes du vendeur (révision du PLU selon la loi et aménagement de l'ensemble du secteur selon le règlement d'urbanisme en vigueur à [Localité 16]). En toute hypothèse, dès lors que le PLU était en cours de révision, ce que les société Capimmo et [Localité 11] [Adresse 10] n'ignoraient pas lors de la signature du compromis, le maintien du terrain en zone AU était aléatoire.

97. Ainsi, nonobstant la mention dans le compromis de la destination du terrain envisagée par le promoteur, il ne peut être admis que la constructibilité de celui-ci ait pu être érigée ni en qualité substantielle du terrain vendu (comme déjà indiqué) ni en qualité contractuellement attendue dont la disparition au jour du transfert de propriété pourrait justifier une demande de résolution du contrat.

98. La demande de résolution du compromis de vente du 20 juin 2018 ne peut qu'être rejetée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

4) Sur le caractère parfait de la vente et ses conséquences

a. Sur le caractère parfait de la vente et l'exécution forcée

99. L'article 1217 du code civil dispose que 'La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation,

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation,

- solliciter une réduction du prix,

- provoquer la résolution du contrat,

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées, des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.'

100. L'article 1221 précise que 'Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier.'

101. Les parties s'étant mises d'accord sur la chose et sur le prix en signant le compromis de vente du 20 juin 2018, la vente est parfaite en application des articles 1582 et 1583 du code civil.

102. La SCI Les quatre L, qui a procédé à la mise en demeure imposée par ce texte, apparaît donc bien fondée à poursuivre l'exécution forcée de la vente.

b. Sur la demande de report du transfert de propriété à la date du paiement du prix et le prononcé d'une astreinte

103. La SCI Les quatre L a formé un appel incident tendant à l'infirmation du jugement en ce que celui-ci a omis de statuer sur la demande de report du transfert de propriété au jour du paiement du prix de vente et en ce qu'il a dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte destinée à garantir le paiement dudit prix.

104. Dans sa note en délibéré du 9 mars 2025, la SCI Les quatre L expose ne voir aucune contradiction entre ses demandes de voir déclarée parfaite la vente intervenue le 20 juin 2018 et que le jugement vaudra vente d'une part et sa demande en omission de statuer, tendant à dire que le transfert de propriété s'opérera au jour du parfait paiement du prix, d'autre part.

105. Elle estime qu'il est tout à fait possible de décorréler la formation du contrat et ses effets, par exception aux dispositions de l'article 1583 du code civil, spécialement en matière immobilière. Elle rappelle que le compromis du 20 juin 2018 (qui vaut vente) a expressément prévu que le transfert de propriété et de jouissance soit subordonné au paiement du prix comptant. Elle souligne qu'il n'y a pas davantage de difficulté au regard de la publicité foncière, celle-ci n'étant pas requise en tant que condition de formation du contrat mais uniquement afin d'assurer son opposabilité au tiers, étant précisé qu'il est tout à fait possible de publier des actes ou des décisions de justice qui n'opèrent pas transfert de propriété.

106. Elle conclut que la cour pourra tout à fait consacrer le caractère parfait de la vente et dire que sa publication au service de la publicité foncière ne pourra avoir lieu que sur justification que le prix de vente a été payé par les appelantes entre les mains du notaire ou de son conseil.

107. La Sarl Capimmo et la Sarl [Localité 12] rappellent que si la vente est consacrée par la cour, c'est l'arrêt qui fera office d'acte authentique, conformément à la demande de la SCI Les quatre L. C'est donc à la date de l'arrêt que le transfert de propriété interviendra de sorte qu'il n'est pas envisageable de le reporter à la date du paiement du prix.

108. Dans leur note en délibéré du 28 mars 2025, ces deux sociétés rappellent que si la vente est déclarée parfaite, elle doit l'être dans les conditions du compromis, lequel prévoit que seule la signature de l'acte notarié (et non le paiement du prix) opérera transfert de propriété.Or, selon la demande de la SCI Les quatre L, c'est l'arrêt qui se substituera à l'acte authentique et qui devra être publié à la conservation des hypothèques puisqu'il vaudra vente. La demande tendant au report du transfert de propriété à la date de paiement du prix lui apparaît donc contraire tant au compromis qu' au jugement dont il est demandé la confirmation pure et simple.

Réponse de la cour

109. L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

110. La SCI Les quatre L ne peut tout à la fois et sans contradiction, demander la confirmation pure et simple du jugement en ce qu'il a dit qu'il valait vente et qu'il serait publié à la publicité foncière et solliciter le report de l'effet translatif de propriété au versement de la totalité du prix.

111. En toute hypothèse, cette demande de report du transfert de propriété au versement du prix de vente est parfaitement contraire aux stipulations du compromis.

112. En effet, en page 5 du compromis, dans la partie intitulée 'Propriété-Jouissance', les parties ont convenu que 'le transfert de propriété n'aura lieu qu'à compter de la réitération par acte authentique.

L'entrée en jouissance aura lieu le même jour par la prise de possession réelle, le vendeur s'obligeant à rendre pour cette date le bien libre de toute occupation, et à le débarrasser pour cette date de tous encombrants s'il y a lieu.'

113. Au paragraphe intitulé 'Prix-Paiement du prix', les parties ont précisé que « le prix sera payable comptant en totalité au jour de l'acte authentique de vente moyennant un virement (').'

114. Les parties ont donc entendu, par exception aux dispositions de l'article 1583 du code civil, reporter le transfert de propriété à la date de la signature de l'acte authentique. Le paiement du prix n'a manifestement pas été érigé en condition du transfert de propriété.

115. Conformément à la demande de la SCI Les quatre L, c'est le jugement qui a vocation à se substituer à l'acte authentique et à être publié à la conservation des hypothèques puisqu'il vaut vente et en application du compromis, le transfert de propriété s'est donc opéré à la date du jugement.

116. La demande de report de l'effet translatif à la date du paiement du prix ne pourra qu'être rejetée, de même que la demande de paiement du prix sous astreinte, qui n'est pas justifiée.

5) Sur la demande relative à la clause pénale et au sort du dépôt de garantie

117. La Sarl Capimmo et la Sarl [Localité 12] considèrent que c'est à juste titre que le tribunal a jugé que la SCI Les quatre L ne pouvait tout à la fois demander l'exécution forcée de la vente et le versement à son profit de la clause pénale qui sanctionne le refus de réalisation de la vente.

118. Elles s'estiment en revanche en droit de réclamer la restitution, par tout détenteur, du dépôt de garantie de 22.500 € versé par la Sarl Capimmo, avec intérêts au taux légal.

119. La SCI Les quatre L soutient, au visa de l'article 1217 du code civil prévoyant un cumul des sanctions susceptibles d'être prononcées en cas d'inexécution contractuelle, que le tribunal a énoncé à tort dans sa motivation que les demandes d'exécution de la vente et en paiement de la clause pénale étaient incompatibles entre elles.

120. Elle sollicite cependant la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté dans son dispositif, les sociétés Capimmo et Le Guerche de leur demande de restitution du dépôt de garantie.

Réponse de la cour

121. Dans la partie intitulée 'dépôt de garantie', les sociétés contractantes ont convenu que le dépôt de garantie versé par la Sarl Capimmo en la comptabilité du notaire, s'imputerait sur le prix de vente en cas de réalisation de celle-ci.

122. Pour le cas où la vente ne se réaliserait pas du fait de l'acquéreur, la somme versée resterait acquise de plein droit au vendeur à titre d'indemnité et de dommages et intérêts forfaitairement fixés, sans aucune réduction possible.

123. En l'espèce, il n'a pas été fait appel du jugement en ce qu'il a refusé d'appliquer la clause pénale (puisqu'il a par ailleurs été fait droit à la demande de dommages et intérêts présentée par la Sarl Les quatre L, arbitrée au même montant). La cour n'a donc pas à statuer sur ce point.

124. En toute hypothèse, la vente se réalise finalement puisque la SCI Les Quatre L a fait le choix d'assigner les sociétés Capimmo et [Localité 12] en perfection de la vente et qu'il y est fait droit.

125. Conformément aux stipulations du compromis ci-dessus rappelées, il n'y a pas lieu à restitution du dépôt de garantie, lequel s'imputera sur le prix de vente. Le notaire devra donc libérer les fonds au profit du vendeur et déduire cette somme du prix restant à verser par l'acquéreur.

126. Le jugement sera confirmé sur ce point.

6) Sur la demande de dommages et intérêts formée par la venderesse

127. La Sarl Capimmo et la Sarl [Localité 12] estiment que la demande indemnitaire de la SCI Les quatre L à raison du retard pris dans la réalisation de la vente est injustifiée, dès lors que ce blocage n'est que la conséquence du manquement à ses propres obligations contractuelles, lors de la signature du compromis de vente.

128. La SCI Les quatre L rappelle qu'elle est restée dans une situation de blocage depuis 2018, du fait du refus des sociétés Capimmo et [Localité 12] de régulariser l'acte authentique et de payer le prix, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 22.500€ à titre de dommage et intérêts.

Réponse de la cour

129. C'est par de justes motifs adoptés par la cour que le tribunal, en application de l'article 1217 du code civil, a arbitré à la somme de 22.500 €, les dommages et intérêts dus par les sociétés Capimmo et [Localité 12], en raison du retard pris dans la réalisation de la vente.

130. Le jugement sera confirmé sur ce point.

7) Sur les dépens et les frais irrépétibles

131. Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

132. Succombant à nouveau en appel, les Sarl Capimmo et [Localité 12] seront condamnées in solidum aux dépens d'appel et déboutées de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

133. Les avocats qui en ont fait la demande seront autorisés à recouvrir directement contre elles ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans en avoir reçu provision.

134. Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de les condamner in solidum à payer à la SCI Les quatre L la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par elle en appel et qui ne sont pas compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le tribunal judiciaire de Nantes le 29 septembre 2022,

Y ajoutant

Déboute la SCI Les quatre L de sa demande de report du transfert de propriété à la date de paiement du prix,

Déboute de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum les Sarl Capimmo et [Localité 12] à payer à la SCI Les quatre L la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum les Sarl Capimmo et [Localité 12] aux dépens d'appel,

Autorise les avocats qui en ont fait la demande à recouvrir directement contre elles ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans en avoir reçu provision

Ordonne la publication de l'arrêt par la partie la plus diligente au service de la publicité foncière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site