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Décisions

TUE, 2e ch., 10 décembre 2025, n° T-1129/23

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Intel Corporation Inc.

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

A. Marcoulli

Juges :

J. Schwarcz, W. Valasidis

TUE n° T-1129/23

9 décembre 2025

Arrêt

1  Par son recours fondé sur les articles 261 et 263 TFUE, la requérante, Intel Corporation Inc., demande, d’une part, l’annulation de la décision C(2023) 5914 final de la Commission, du 22 septembre 2023, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire AT.37.990 – Intel) (ci-après la « décision attaquée ») et, d’autre part, la suppression ou la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée dans ladite décision.

 Antécédents du litige

2  Pour un plus ample exposé des antécédents du litige que celui figurant aux points 3 à 10 ci-après, il est renvoyé aux points 1 à 35 de l’arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation/Commission (T‑286/09 RENV, EU:T:2022:19), et aux points 3 à 19 de l’arrêt du 24 octobre 2024, Commission/Intel Corporation (C‑240/22 P, EU:C:2024:915), rejetant le pourvoi de la Commission européenne contre l’arrêt du Tribunal.

3  La Commission avait initialement reproché à la requérante d’avoir violé l’article 102 TFUE et l’article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en commettant une infraction unique et continue entre le mois d’octobre 2002 et le mois de décembre 2007, caractérisée par la mise en œuvre d’une stratégie visant à exclure un concurrent, à savoir Advanced Micro Devices Inc. (ci-après « AMD »), du marché des microprocesseurs (Central Processing Units, ci-après les « CPU »), plus précisément des CPU d’architecture x86 (ci-après les « CPU x86 »).

4  Cette infraction reposait sur huit comportements distincts identifiés par la Commission à l’article 1er, sous a) à h), de sa décision C(2009) 3726 final, du 13 mai 2009, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/C‑3/37.990 – Intel), dont un résumé figure au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2009, C 227, p. 13) (ci-après la « décision de 2009 »). Trois de ces comportements, énumérés à l’article 1er, sous f) à h), de cette décision, portaient sur le fait, pour la requérante, d’avoir méconnu l’article 102 TFUE en subordonnant certains paiements effectués à trois fabricants d’ordinateurs, à savoir HP, Acer et Lenovo, à l’annulation ou au report par ces fabricants du lancement d’ordinateurs équipés de CPU x86 émanant de son concurrent AMD ou bien à des restrictions de la commercialisation de tels ordinateurs (ci-après les « restrictions non déguisées »).

5  L’amende infligée à la requérante en raison de l’infraction constatée, prise dans sa totalité, s’élevait à 1 060 000 000 euros.

6  Le Tribunal, par l’arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation/Commission (T‑286/09 RENV, EU:T:2022:19, point 527), a jugé que les motifs de la décision de 2009 n’étaient pas susceptibles de servir de fondement à l’article 1er, sous a) à e), de cette décision.

7  Il a, par conséquent, annulé l’article 1er, sous a) à e), de la décision de 2009 ainsi que l’article 2 de celle-ci dans son entièreté. Il a également annulé l’article 3 de la même décision s’agissant des agissements décrits à l’article 1er, sous a) à e), de la décision de 2009 et a rejeté le recours pour le surplus.

8  Par l’arrêt du 24 octobre 2024, Commission/Intel Corporation (C‑240/22 P, EU:C:2024:915), la Cour a rejeté le pourvoi de la Commission, qui ne portait sur l’arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation/Commission (T‑286/09 RENV, EU:T:2022:19), qu’en tant que le Tribunal avait partiellement annulé la décision de 2009.

9  Dès avant le prononcé de l’arrêt du 24 octobre 2024, Commission/Intel Corporation (C‑240/22 P, EU:C:2024:915), la Commission avait adopté, le 22 septembre 2023, la décision attaquée.

10  La Commission a pris appui sur la partie de la décision de 2009 non concernée par l’annulation partielle prononcée par le Tribunal et non visée par le pourvoi devant la Cour, à savoir l’article 1er, sous f) à h), de cette décision. Elle a procédé à la détermination du montant de l’amende correspondant, selon elle, aux restrictions non déguisées et a, en conséquence, substitué à l’article 2 de la décision de 2009 annulé par le Tribunal un nouvel article, imposant à la requérante une amende d’un montant de 376 358 000 euros.

 Conclusions des parties

11  La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–  annuler, en tout ou partie, la décision attaquée ;

–  en conséquence ou à titre subsidiaire, supprimer l’amende qui lui a été infligée ou en réduire le montant ;

–  condamner la Commission aux dépens.

12  La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–  rejeter le recours ;

–  condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

13  Au soutien de ses conclusions tendant à l’annulation, totale ou partielle, de la décision attaquée, la requérante invoque trois moyens. Par le premier moyen, elle soutient que le niveau de l’amende qui lui a été infligée dans la décision attaquée est disproportionné et illégal. Par le deuxième moyen, structuré, en substance, en trois branches, elle soutient que cette décision contient une motivation insuffisante, que la teneur de ladite décision impliquait l’envoi préalable d’une nouvelle communication des griefs et que ses droits de la défense ont été méconnus. Par le troisième moyen, elle soutient que la Commission a omis de vérifier sa compétence pour effectuer des constatations relatives aux restrictions non déguisées imposées à deux des trois fabricants d’ordinateurs mentionnés au point 4 ci-dessus, à savoir Acer et Lenovo.

14  Il convient d’examiner ces trois moyens dans l’ordre inverse de leur présentation.

 Sur le troisième moyen, tiré de l’incompétence partielle de la Commission

15  Le troisième moyen repose sur l’assertion selon laquelle les considérations énoncées par la Cour et le Tribunal quant à la compétence de la Commission pour constater une infraction à l’article 102 TFUE, eu égard aux effets prévisibles, immédiats et substantiels de cette infraction dans l’EEE, ne valent qu’en tant qu’elles se rapportaient à l’infraction unique et continue visée dans la décision de 2009, qui était l’expression d’une stratégie d’ensemble, matérialisée par huit comportements infractionnels. Dans la mesure où ne subsistent plus que trois de ces comportements, se rattachant aux restrictions non déguisées, la requérante soutient que la nature de l’infraction unique et continue faisant l’objet de la décision attaquée est radicalement et fondamentalement différente de celle constatée dans la décision de 2009, de telle sorte que la Commission ne pouvait procéder, comme elle l’a fait, par un simple renvoi à cette dernière décision.

16  En particulier, la requérante met l’accent, à propos d’Acer et de Lenovo, sur le caractère modeste des ventes de modèles d’ordinateurs portables en cause, ce qu’aurait reconnu le Tribunal aux points 260 et 290 de l’arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission (T‑286/09, EU:T:2014:547).

17  Dans la réplique, la requérante souligne que la question de la compétence est un moyen d’ordre public, qui ne dépend donc pas de son invocation ou non par les parties.

18  La Commission conteste ces arguments et conclut au rejet du troisième moyen.

19  L’examen du troisième moyen implique de déterminer si la Commission aurait dû, dans la décision attaquée, établir qu’elle était compétente pour constater les restrictions non déguisées à l’égard d’Acer et de Lenovo. Elle soutient que l’autorité de la chose jugée l’en dispensait et qu’elle s’est bornée à prendre les mesures d’exécution de l’arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation/Commission (T‑286/09 RENV, EU:T:2022:19).

20  Il convient, à cet égard, de souligner que, s’il incombe à l’institution concernée de prendre, en vertu de l’article 266 TFUE, les mesures que comporte l’exécution d’un arrêt d’annulation, un tel arrêt, prononcé par les juridictions de l’Union européenne, jouit, selon une jurisprudence constante, dès qu’il est devenu définitif, de l’autorité absolue de la chose jugée, celle-ci recouvrant non seulement le dispositif de l’arrêt d’annulation, mais aussi les motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif et en sont, de ce fait, indissociables (voir ordonnance du 7 juin 2019, Mellifera/Commission, C‑784/18 P, non publiée, EU:C:2019:479, point 20 et jurisprudence citée).

21  En outre, la question relative à l’autorité absolue de la chose jugée est d’ordre public et doit, par suite, être soulevée d’office par le juge [arrêt du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C‑442/03 P et C‑471/03 P, EU:C:2006:356, point 45].

22  Cela étant, l’autorité de la chose jugée d’un arrêt ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision judiciaire (arrêt du 19 février 1991, Italie/Commission, C‑281/89, EU:C:1991:59, point 14). Ainsi, l’article 266 TFUE n’oblige l’institution dont émane l’acte annulé que dans les limites de ce qui est nécessaire pour assurer l’exécution de l’arrêt d’annulation (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P, EU:C:2020:676, point 57 et jurisprudence citée).

23  En l’espèce, comme cela a été rappelé au point 8 ci-dessus, le pourvoi de la Commission ne portait sur l’arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation/Commission (T‑286/09 RENV, EU:T:2022:19), qu’en tant que le Tribunal avait partiellement annulé la décision de 2009, la requérante n’ayant, quant à elle, pas introduit de pourvoi. Par conséquent, cette décision avait, avant l’adoption de la décision attaquée, acquis un caractère définitif en tant que la Commission y avait constaté l’existence d’une infraction à l’article 102 TFUE portant sur les restrictions non déguisées mentionnées à l’article 1er, sous f) à h), de la décision de 2009.

24  Le constat de cette infraction portant sur les restrictions non déguisées étant devenu définitif, y compris en ce qui concernait la question de la compétence de la Commission pour y parvenir, c’est à tort que la requérante soutient que la Commission aurait dû à nouveau établir qu’elle était compétente pour constater ces restrictions en tant qu’elles concernaient Acer et Lenovo.

25  De surcroît, il y a lieu de rappeler que la requérante avait expressément renoncé à ses griefs concernant le défaut de compétence de la Commission pour constater lesdites restrictions dans le cadre de la demande d’annulation de la décision de 2009. En effet, tout d’abord, la requérante, qui avait initialement contesté la compétence de la Commission concernant l’ensemble des accords impliquant des entités situées en dehors de l’Union, en l’occurrence Dell, HP, NEC, Acer et Lenovo, a expressément réduit le champ de sa contestation « aux seuls comportements vis-à-vis d’Acer et de Lenovo », ce dont a pris acte le Tribunal lors de l’audience de plaidoiries relative à cette procédure, ainsi qu’en atteste le point 225 de l’arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission (T‑286/09, EU:T:2014:547).

26  Ensuite, ainsi que cela ressort du cinquième moyen du pourvoi contre l’arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission (T‑286/09, EU:T:2014:547), la requérante a fait valoir devant la Cour l’application erronée par le Tribunal des critères relatifs à la compétence de la Commission à l’égard des accords conclus uniquement avec Lenovo, au titre des années 2006 et 2007, à l’exclusion de ceux concernant Acer (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 31 et 32). La Cour a rejeté le cinquième moyen en totalité (voir point 65 dudit arrêt).

27  Enfin, dans le cadre du renvoi de l’affaire devant le Tribunal, celui-ci a relevé que la requérante avait expressément « renoncé aux moyens du recours tirés de la compétence de la Commission et de vices de procédure, lesquels ne f[aisaie]nt donc plus partie de l’objet du litige après renvoi » (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation/Commission, T‑286/09 RENV, EU:T:2022:19, points 74 et 82).

28  Par conséquent, non seulement la décision de 2009 était devenue définitive concernant les restrictions non déguisées, comme cela a été indiqué au point 23 ci-dessus, mais la requérante avait elle-même renoncé, au cours de la procédure juridictionnelle se rapportant à cette décision, à l’ensemble des moyens tirés du défaut allégué de compétence de la Commission pour constater ces restrictions. Ainsi, la Commission n’avait aucune raison d’établir à nouveau sa compétence, dans la décision attaquée, s’agissant du constat desdites restrictions, contrairement à ce qu’affirme la requérante.

29  Quant à l’assertion de la requérante tirée de ce que l’infraction en cause, ne reposant plus que sur les restrictions non déguisées, est radicalement et fondamentalement différente de celle constatée dans la décision de 2009, qui portait sur huit comportements pris dans leur ensemble, ce qui aurait nécessité que la Commission établît à nouveau sa compétence, il y a lieu de souligner qu’elle est contredite par le fait que ni la Cour ni le Tribunal n’ont jugé que les restrictions non déguisées ne pouvaient plus être rattachées à l’infraction unique et continue initialement constatée par la Commission.

30  Au contraire, il importe de relever que, aux points 52 et 55 de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632), la Cour a fait sien le raisonnement du Tribunal quant au rattachement des restrictions non déguisées à l’existence d’une stratégie d’ensemble de la requérante. Elle a ainsi jugé, en rejetant le cinquième moyen du pourvoi, ce qui suit :

« 52  [D]ès lors que le Tribunal a, en substance, constaté, au point 255 de l’arrêt attaqué, que le comportement d’Intel à l’égard de Lenovo relevait d’une stratégie d’ensemble visant à ce qu’aucun ordinateur portable de Lenovo équipé d’un CPU d’AMD ne soit disponible sur le marché, y compris dans l’EEE, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a, au point 277 de l’arrêt attaqué, considéré que le comportement d’Intel était susceptible d’avoir un effet immédiat dans l’EEE.

[...]

55 Il suffit, à cet égard, de relever que le Tribunal a jugé que le comportement d’Intel à l’égard de Lenovo faisait partie d’une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants du marché, ce que ne conteste d’ailleurs pas Intel dans le cadre de son pourvoi. »

31  Par conséquent, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission devait, dans le respect de la chose définitivement jugée par le juge de l’Union européenne, sans définir de nouvelle infraction et, partant, sans devoir établir à nouveau sa compétence quant au constat des restrictions non déguisées, fixer un nouveau montant de l’amende fondé sur ces dernières, considérées à l’aune d’une stratégie d’ensemble de la requérante visant à évincer son concurrent AMD du marché.

32  La Commission était ainsi fondée à indiquer, au considérant 24 de la décision attaquée, que l’infraction pour laquelle elle infligeait une nouvelle amende était d’ores et déjà établie et que le montant de cette dernière serait calculé en fonction des seules restrictions non déguisées telles qu’exposées à l’article 1er, sous f) à h), de la décision de 2009.

33  En outre, ne saurait remettre en cause les considérations qui précèdent l’assertion, énoncée dans la réplique, selon laquelle la compétence est un moyen d’ordre public, dès lors que, comme cela a été rappelé au point 21 ci-dessus, la question relative à l’autorité absolue de la chose jugée l’est également et qu’il ne saurait être permis au juge de l’Union de rejuger des questions de compétence déjà tranchées par lui en vertu de considérations revêtues d’une telle autorité.

34  Il y a donc lieu de rejeter le troisième moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’insuffisante motivation de la décision attaquée, de l’obligation pour la Commission de procéder à l’envoi d’une nouvelle communication des griefs et de la violation des droits de la défense de la requérante

Sur la première branche, portant sur l’insuffisante motivation de la décision attaquée

35  La requérante soutient que, en l’espèce, compte tenu du changement radical de la nature, de l’ampleur et de la portée de l’infraction unique et continue dans la décision attaquée par rapport à celle constatée dans la décision de 2009, la Commission aurait dû lui fournir une motivation détaillée et claire quant aux justifications de la décision qu’elle entendait adopter.

36  La Commission aurait été tenue, en particulier, d’expliquer avec précision pour quelles raisons elle considérait les trois restrictions non déguisées comme une infraction unique et continue et quelles étaient la nature, l’ampleur et les conséquences juridiques de cette infraction.

37  La requérante fait valoir qu’elle a interrogé la Commission à ce sujet dans une lettre qu’elle lui a adressée le 26 juin 2023 (ci-après la « lettre du 26 juin 2023 »), sans obtenir de réponse.

38  Le fait que la Commission ait invoqué certains considérants de la décision de 2009 dans la lettre du 2 mai 2023 qu’elle a adressée à la requérante (ci-après la « lettre du 2 mai 2023 ») ainsi que dans la décision attaquée ne constituerait pas une motivation suffisante, puisque, dans la décision de 2009, la Commission aurait procédé à une évaluation combinée des pratiques tarifaires et des restrictions non déguisées.

39  La Commission n’aurait exposé ni dans la lettre du 2 mai 2023 ni dans la décision attaquée les éléments de fait essentiels ou principaux donnant lieu à l’imposition d’une amende, y compris la nature anticoncurrentielle des restrictions non déguisées, pas plus que la manière dont les éléments pertinents auraient été pondérés ou appréciés.

40  La Commission conclut au rejet de la première branche du deuxième moyen.

41  Il y a lieu de rappeler que l’obligation de motivation, figurant à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, lequel relève de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir arrêt du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a., C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 389 et jurisprudence citée).

42  En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci affectent la légalité au fond de la décision, mais non sa motivation, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés. Il s’ensuit que les griefs et les arguments visant à contester le bien-fondé d’un acte sont dénués de pertinence dans le cadre d’un moyen tiré du défaut ou de l’insuffisance de motivation (voir arrêt du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a., C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 390 et jurisprudence citée).

43  Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution auteur de l’acte de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 7 novembre 2024, Ryanair/Commission, C‑588/22 P, EU:C:2024:935, point 136 et jurisprudence citée).

44  Ainsi, lorsque la décision est intervenue dans un contexte connu de la partie requérante et qu’elle expose tant les considérations juridiques qu’un nombre suffisant de faits qui revêtent une importance essentielle dans l’économie de cette décision, cette dernière met son destinataire à même d’apprécier son bien-fondé et sa légalité et satisfait donc à l’obligation de motivation (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2024, UG/Commission, C‑546/23 P, EU:C:2024:975, point 140).

45  En l’espèce, il résulte de l’examen des arguments développés par la requérante au soutien du grief relatif à la violation de l’obligation de motivation pesant sur la Commission que cette argumentation repose entièrement sur le postulat selon lequel la décision attaquée a pour objet une nouvelle infraction unique et continue. Or, ainsi que cela résulte du point 31 ci-dessus, ce postulat est erroné, ce qui emporte le rejet de l’ensemble des arguments qui s’y rapportent.

46  Au surplus, il y a lieu de souligner que la décision attaquée a été adoptée dans un contexte particulièrement bien connu de la requérante, au sens de la jurisprudence rappelée au point 44 ci-dessus. D’une part, la requérante connaissait pleinement la teneur de l’ensemble de la procédure juridictionnelle ayant conduit à l’annulation partielle de la décision de 2009, pour avoir pris part à cette procédure. D’autre part, elle a été informée, par la lettre du 2 mai 2023, de l’intention de la Commission d’adopter une nouvelle décision qui fixerait le montant de l’amende relatif aux trois comportements infractionnels restant en cause, c’est-à-dire les restrictions non déguisées, cette lettre exposant, pas à pas, sous le titre « Méthodologie proposée pour calculer l’amende », la méthode de calcul que la Commission se proposait de mettre en œuvre.

47  En outre, la lecture même de la décision attaquée permet de comprendre clairement le raisonnement de la Commission et de connaître tant le fondement de l’amende que la méthode ayant permis de déterminer son montant. Ainsi, la Commission, après avoir rappelé, aux points 1 à 8 de ladite décision, le déroulement de la procédure administrative et juridictionnelle jusqu’à l’arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation/Commission (T‑286/09 RENV, EU:T:2022:19), a exposé de manière détaillée, en répondant aux objections de la requérante, en particulier aux points 18 et 22 à 24 de la même décision, contrairement à ce qu’affirme la requérante, les raisons pour lesquelles elle était en droit de se fonder sur les considérations revêtues de l’autorité de la chose jugée s’agissant des restrictions non déguisées, pour imposer une nouvelle amende. La Commission a, en outre, minutieusement exposé le calcul de l’amende, aux points 28 à 75 de la décision attaquée, en intégrant les objections de la requérante et en y apportant une réponse, comme cela résulte des points 34 à 40, 50 à 57 ainsi que du point 71 de cette décision.

48  Il découle des considérations qui précèdent que la première branche du deuxième moyen, tirée d’une violation, par la Commission, de l’obligation de motivation, ne peut qu’être rejetée.

Sur la deuxième branche, portant sur l’obligation, pour la Commission, de procéder à l’envoi d’une nouvelle communication des griefs

49  Selon la requérante, il incombait à la Commission de lui adresser une nouvelle communication des griefs. Dans la réplique, elle réitère l’assertion selon laquelle la Commission était tenue d’émettre une communication des griefs nouvelle ou complémentaire, ce que conteste cette dernière.

50  Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la communication des griefs a pour but de permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission et, ainsi, de leur permettre de faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n’adopte une décision définitive. Cette exigence est respectée dès lors que la décision ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans l’exposé des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer (voir arrêt du 26 novembre 2014, Energetický a průmyslový et EP Investment Advisors/Commission, T‑272/12, EU:T:2014:995, point 85 et jurisprudence citée).

51  Or, comme cela ressort du point 31 ci-dessus, la Commission n’a, en l’espèce, ni mis à la charge de la requérante une nouvelle infraction ni retenu à son égard quelque nouveau grief, mais, au contraire, dans le respect de l’arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation/Commission (T‑286/09 RENV, EU:T:2022:19), confirmé par l’arrêt du 24 octobre 2024, Commission/Intel Corporation (C‑240/22 P, EU:C:2024:915), a calculé le montant d’une nouvelle amende en ne retenant désormais que les restrictions non déguisées, qui constituaient trois des huit comportements litigieux initiaux.

52  Il résulte, à cet égard, de la jurisprudence que l’article 266 TFUE, en cas d’annulation sur le fondement de l’article 263 TFUE, impose aux institutions, aux organes ou aux organismes de l’Union de prendre les mesures que comporte l’exécution des arrêts rendus à leur égard, sans pour autant les affranchir de la mission consistant à assurer, dans les domaines relevant de leur compétence, l’application du droit de l’Union (arrêt du 4 octobre 2024, Ferriere Nord/Commission, C‑31/23 P, EU:C:2024:851, point 57). En l’espèce, l’annulation partielle de la décision de 2009 résultant de l’arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation/Commission (T‑286/09 RENV, EU:T:2022:19), n’a pas porté sur les restrictions non déguisées et la partie de cette décision demeurée en vigueur a acquis un caractère définitif, comme cela a été souligné au point 23 ci-dessus. La Commission était donc tenue de s’acquitter de l’exécution de la chose jugée concernant ces restrictions, qui, n’ayant nullement été affectées par l’annulation partielle de ladite décision, devaient seulement donner lieu à un nouveau calcul de l’amende de sa part, dans les conditions rappelées au point 31 ci-dessus.

53  La requérante n’est donc aucunement fondée à soutenir que l’envoi d’une nouvelle communication des griefs ou d’une communication des griefs complémentaire était nécessaire. Il y a dès lors lieu de rejeter la deuxième branche du deuxième moyen.

Sur la troisième branche, portant sur la violation des droits de la défense de la requérante

54  La requérante soutient qu’elle ne s’est pas vu offrir une possibilité suffisante d’exercer ses droits de la défense, car elle ne parvient pas à comprendre sur quelle base l’amende repose. Le principe du respect des droits de la défense inclurait le droit à une audition. Ce serait erronément que la Commission aurait fait référence à la possibilité qu’elle aurait eue d’être entendue dans le contexte de la procédure qui avait abouti à l’adoption de la décision de 2009, étant donné qu’il s’agirait d’une nouvelle infraction unique et continue, très différente de la précédente. La requérante admet ne pas avoir contesté les constatations de fait concernant les restrictions non déguisées, mais cela laisserait sans réponse de nombreuses questions, telles que la référence à une stratégie d’ensemble. Le contenu de la décision de 2009 ne suffirait pas pour permettre à la requérante de comprendre ce qui restait applicable s’agissant de ces seules restrictions. Le niveau de l’amende aurait pu être substantiellement différent si les droits de la défense de la requérante avaient été respectés.

55  Dans la réplique, la requérante avance l’argument selon lequel le droit pour elle d’être entendue s’imposait, dès lors que l’arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation/Commission (T‑286/09 RENV, EU:T:2022:19), modifie matériellement la nature de l’infraction unique et continue sanctionnée dans la décision attaquée, par rapport à celle exposée dans la communication des griefs et dans la communication des griefs complémentaire précédant la décision de 2009.

56  Tout d’abord, il convient de rappeler que l’article 27, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) met en œuvre le principe du respect des droits de la défense, en indiquant que les entreprises ont la possibilité de faire connaître leur point de vue avant qu’une amende ne leur soit infligée. Dans la mesure où il n’y avait pas lieu pour la Commission d’adresser à la requérante une nouvelle communication des griefs ou une communication des griefs complémentaire (voir points 51 à 53 ci-dessus), elle s’est conformée à suffisance de droit à l’exigence figurant dans cette disposition en adressant à la requérante la lettre du 2 mai 2023, dans laquelle elle lui annonçait de manière détaillée son intention de lui infliger une nouvelle amende, ce que serait la base de cette amende et la méthode de calcul qu’elle appliquerait. Elle y invitait également la requérante à lui faire part de ses observations à cet égard dans un délai de quatre semaines.

57  Ensuite, il est constant que la requérante a bénéficié, à sa demande, d’une prorogation de quatre semaines du délai mentionné au point 56 ci-dessus, ce qui l’a placée sans conteste en situation de comprendre et d’analyser la position de la Commission en disposant du temps nécessaire à cette fin.

58  Enfin, la requérante a fait valoir, dans la lettre du 26 juin 2023, l’ensemble des observations qui lui paraissaient utiles. À cet égard, il convient de relever que, comme l’a souligné la Commission, la requérante y avance bon nombre des arguments qui figurent dans la requête, ce qui permet d’établir qu’elle avait pleinement compris, à la lecture de la lettre du 2 mai 2023, ce que serait la teneur de la future décision. Il en va d’autant plus ainsi que la requérante a estimé, avec exactitude, que le montant de l’amende résultant de la méthode de calcul exposée dans cette lettre pourrait être d’environ 376 millions d’euros, de telle sorte que l’argument selon lequel elle n’est pas parvenue à comprendre sur quelle base l’amende reposait manque en fait.

59  Quant à l’assertion selon laquelle la Commission, dans la décision attaquée, sanctionne une nouvelle infraction unique et continue, il y a lieu de l’écarter pour les motifs exposés aux points 29 à 31 ci-dessus. Il importe, au demeurant, de souligner que la Commission a indiqué très clairement, dans la lettre du 2 mai 2023, que l’infraction unique et continue pour laquelle l’amende était infligée était celle constatée dans la décision de 2009, rapportée aux seules restrictions non déguisées, ce qui permettait à la requérante de contester cette analyse. Le contenu de la lettre du 26 juin 2023 démontre d’ailleurs que la requérante a usé de cette possibilité.

60  La requérante n’est pas plus fondée à se prévaloir de l’obligation supposée de la Commission d’organiser une audition en sa faveur. Il convient en effet de souligner que l’article 12 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), tel que modifié notamment par le règlement (CE) no 622/2008 de la Commission, du 30 juin 2008 (JO 2008, L 171, p. 3), n’exige la tenue d’une audition qu’en cas d’envoi d’une communication des griefs. Or, il résulte précisément du point 53 ci-dessus qu’il n’y avait pas lieu pour la Commission de procéder, en l’espèce, à un tel envoi, ce qui conduit, par voie de conséquence, à écarter la troisième branche du deuxième moyen de la requérante et, par suite, à rejeter ce moyen dans son ensemble.

 Sur le premier moyen, tiré du caractère disproportionné et illégal du niveau de l’amende

61  La requérante subdivise ce moyen en huit branches. Dans le cadre des sept premières branches, elle expose en quoi la décision attaquée est, selon elle, illégale et méconnaît le principe de proportionnalité. Étant donné que la huitième branche, d’une part, est expressément présentée comme conclusive et se borne donc, s’agissant de la légalité, à résumer les arguments déjà énoncés dans le cadre des sept premières branches, sans que figurent à ce titre de nouveaux griefs, et, d’autre part, présente des considérations relatives au caractère approprié, proportionné et juste de l’amende, en faisant apparaître la notion d’équité, elle sera examinée, le cas échéant, au titre des conclusions en réformation. Il y a donc lieu, dans le cadre du contrôle de légalité du Tribunal, de réduire l’analyse du premier moyen à ses sept premières branches.

62  La requérante met en avant, dans le cadre de la première branche, le fait que les restrictions non déguisées, visées à l’article 1er, sous f) à h), de la décision de 2009, étaient considérablement plus restreintes que les autres pratiques considérées dans cette décision comme anticoncurrentielles, étant donné qu’elles revêtaient une nature plus spécifique, affectaient moins d’équipementiers informatiques, pendant une période plus courte, et ne concernaient, pour ce qui était d’Acer et de Lenovo, que trois modèles spécifiques d’ordinateurs portables et, pour ce qui était de HP, qu’une fraction correspondant à 5 % seulement d’un sous-segment du segment des ordinateurs de bureau. La requérante détaille le nombre d’unités mondialement affectées par les restrictions non déguisées et par les pratiques tarifaires et fait apparaître le caractère bien plus modeste, en volume d’unités commercialisées (8 % contre 92 %) et dans le temps (19 % contre 81 % de la durée totale de l’infraction unique et continue telle que décrite dans la décision de 2009), des premières, qui ont servi de base à l’infliction de la nouvelle amende.

63  Le caractère disproportionné de l’amende infligée dans la décision attaquée serait manifeste, car son montant correspondrait presque exactement à 3/8 du montant de l’amende totale initiale de 1,06 milliard d’euros. Par conséquent, dans la décision attaquée, la Commission aurait traité chacune des restrictions non déguisées comme équivalant à chacune des pratiques tarifaires. Il s’agirait d’un résultat manifestement injustifié et disproportionné, les restrictions non déguisées ayant porté sur 8,2 % des unités en cause et représentant 35,5 % du montant de l’amende initiale.

64  Dans le cadre de la deuxième branche, la requérante soutient que la nature et la portée de l’infraction visée dans la décision attaquée sont très différentes de celles de l’infraction unique et continue constatée dans la décision de 2009 – et, globalement, bien plus restreintes. La Commission aurait ainsi également méconnu le point 22 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »), qui prescrirait de tenir compte de « la nature de l’infraction ».

65  Dans le cadre de la troisième branche, la requérante soutient que la Commission a omis de reconnaître non seulement que les cinq comportements infractionnels les plus importants avaient disparu, mais également que les trois restrictions non déguisées qui subsistaient avaient dorénavant une incidence moindre, dans leur ensemble, que les trois restrictions non déguisées qui faisaient partie de l’infraction unique et continue plus vaste constatée dans la décision de 2009.

66  Dans le cadre de la quatrième branche, la requérante soutient que la Commission n’a pas tenu compte, lors du calcul de l’amende, de l’impact géographique de ses comportements infractionnels consistant à imposer des restrictions non déguisées à Acer et à Lenovo, étant donné que ces comportements se seraient produits hors de l’EEE.

67  La cinquième branche porte sur la valeur des ventes pertinente aux fins de fixer le montant de base de l’amende. La requérante soutient que l’approche adoptée par la Commission dans la décision attaquée ne respecte pas le point 13 des lignes directrices de 2006, qui imposerait de mesurer l’importance économique de l’infraction. Ainsi, utiliser la valeur de toutes les ventes réalisées par la requérante portant sur tous les ordinateurs de bureau et tous les ordinateurs portables à tous les équipementiers informatiques situés dans l’EEE en 2006 serait manifestement disproportionné et non conforme aux principes sous-tendant ces lignes directrices. En utilisant une valeur des ventes excédant 2,9 milliards d’euros sur la base erronée de la totalité du marché des CPU pour les ordinateurs de bureau et les ordinateurs portables en 2006 et en multipliant cette valeur par un facteur représentant l’ensemble de la période infractionnelle, la Commission surestimerait largement l’importance économique de l’infraction constituée des seules restrictions non déguisées.

68  Il serait impossible de conclure que les restrictions non déguisées ou l’une d’entre elles ont affecté directement ou indirectement les segments entiers des CPU x86 pour ordinateurs portables et pour ordinateurs de bureau.

69  Dans le cadre de la sixième branche, la requérante fait observer que, si la Commission a, en effet, réduit le coefficient de gravité de l’infraction, afin de tenir compte de l’annulation des considérations figurant dans la décision de 2009 et se rapportant au caractère infractionnel des pratiques tarifaires, cette réduction n’est que d’un point de pourcentage, ce qui représenterait une réduction de 20 % de la gravité et semblerait donc indiquer que 80 % du niveau initial de gravité reflété dans l’amende initiale étaient dus aux restrictions non déguisées. Cela aurait amené la Commission à fixer un coefficient de gravité disproportionnellement élevé, qui ne tiendrait pas compte de la nature, de l’ampleur et de la portée réduites des restrictions non déguisées.

70  La septième branche a pour objet les circonstances atténuantes. La Commission affirmerait, à tort, que celles-ci ne sont pas présentes en l’espèce. L’atteinte à la réputation de la requérante durant les 20 ans de procédure en raison de pratiques tarifaires considérées, à tort, comme anticoncurrentielles aurait pourtant été une circonstance atténuante très pertinente au moment de déterminer le montant de l’amende pour le comportement infractionnel restant, qu’elle ne contesterait pas.

71  Dans la réplique, la requérante soutient que, dans la décision attaquée, l’amende est calculée sans tenir compte de la valeur relative des restrictions non déguisées au regard du montant total imposé par la décision de 2009. Elle conteste l’assertion de la Commission selon laquelle elle n’avait pas à prendre en considération ce montant et le fait que celle-ci s’est bornée à répondre que l’important était de savoir si l’amende infligée pour les restrictions non déguisées était justifiée.

72  La Commission soutient que le premier moyen est dépourvu de fondement.

73  Il convient, d’emblée, d’écarter la deuxième branche du premier moyen, dans la mesure où elle repose sur le postulat erroné, comme cela a été souligné aux points 29 à 31 ci-dessus, selon lequel la Commission a, dans la décision attaquée, constaté l’existence d’une nouvelle infraction unique et continue. En particulier, la Commission ne saurait avoir méconnu le point 22 des lignes directrices de 2006, qui lui fait obligation de tenir compte de la nature de l’infraction, puisqu’elle n’a opéré aucun nouveau constat à cet égard, se bornant à respecter la teneur des décisions juridictionnelles relatives à la décision de 2009.

74  Il y a lieu, afin de traiter conjointement la première ainsi que les troisième à septième branches du premier moyen, de rappeler brièvement divers éléments, relatifs à la méthode de détermination du montant de l’amende qu’a suivie la Commission, en adoptant la décision de 2009 et la décision attaquée, consistant à prendre en compte la gravité et la durée de l’infraction, au sens de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, dans le cadre de la mise en œuvre de cette disposition par les lignes directrices de 2006.

75  En premier lieu, en ce qui concerne la détermination du montant de base de l’amende, la Commission avait initialement, concernant la valeur des ventes, retenu la valeur annuelle des ventes de CPU x86 facturées par la requérante aux entreprises établies dans l’EEE durant l’année 2007, comme cela ressort des considérants 1773 à 1777 de la décision de 2009. Dans la décision attaquée, elle a pris en compte comme période de référence l’année 2006, puisque la dernière pratique infractionnelle non tarifaire date de décembre 2006, et a exclu les ventes pour serveurs dotés de CPU x86, les serveurs n’ayant pas fait l’objet de restrictions non déguisées, comme cela est exposé aux considérants 32, 33, 36, 39 et 41 de la décision attaquée.

76  En second lieu, quant au pourcentage de la valeur des ventes destiné à refléter la gravité de l’infraction, celui-ci est passé de 5 à 4 %, comme en attestent, respectivement, le considérant 1786 de la décision de 2009 et les considérants 49 et 55 de la décision attaquée. La Commission a également modifié le coefficient traduisant la durée de l’infraction, lequel était de 5,5 aux termes du considérant 1788 de la décision de 2009, et est désormais fixé à 3,16, ainsi que cela résulte des considérants 59 et 60 de la décision attaquée, afin de tenir compte du fait que la durée de l’infraction unique et continue portant sur les restrictions non déguisées ne s’étendait plus que du mois de novembre 2002 au mois de décembre 2006.

77  Il doit être relevé que, comme lors de l’adoption de la décision de 2009, la Commission, en édictant la décision attaquée, n’a pas fait application du montant additionnel de dissuasion, susceptible de s’appliquer en vertu du point 25, deuxième phrase, des lignes directrices de 2006.

78  Comme lors de l’adoption de la décision de 2009, la Commission n’a pas non plus procédé, dans la décision attaquée, à l’ajustement du montant de base de l’amende, ne retenant donc ni circonstance atténuante, ni circonstance aggravante, ni facteur de dissuasion.

79  À la lumière de ces considérations, premièrement, il convient de relever que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission a dûment pris en considération la durée réduite de l’infraction dès lors que ne pouvaient plus être retenues que les restrictions non déguisées, comme cela a été mentionné au point 76 ci-dessus.

80  Deuxièmement, la requérante n’est pas plus fondée à soutenir que la Commission a, au regard des huit comportements qu’elle lui avait initialement reprochés et des trois restrictions non déguisées, non affectées par l’annulation partielle de la décision de 2009, placé sur le même plan et accordé la même importance à chaque comportement infractionnel, en calculant, pour déterminer le montant de la nouvelle amende, 3/8 du montant de l’amende initiale. En effet, même s’il est exact que le montant de l’amende fixé dans la décision attaquée, à savoir 376 358 000 euros, avoisine cette part du montant de l’amende résultant de la décision de 2009, soit 1 060 000 000 euros, il résulte expressément de la méthodologie résumée aux points 75 à 78 ci-dessus que la Commission a procédé au calcul de l’amende en prenant en compte la dimension, désormais réduite sur le plan temporel comme matériel, de l’infraction unique et continue, telle qu’elle s’était manifestée au travers des restrictions non déguisées. Quant à l’argument tiré de l’impossibilité pour la Commission de tenir compte des restrictions non déguisées imposées à Acer et à Lenovo, il ne peut qu’être écarté en raison des motifs, exposés aux points 19 à 34 ci-dessus, ayant conduit au rejet du troisième moyen.

81  Troisièmement, la Commission n’a pas méconnu le principe de proportionnalité en fixant le pourcentage de la valeur des ventes destiné à refléter la gravité de l’infraction à 4 %. À cet égard, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité implique que la Commission doit fixer l’amende proportionnellement aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction et qu’elle doit à ce sujet appliquer ces éléments de façon cohérente et objectivement justifiée (voir arrêt du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06, EU:T:2011:560, point 105 et jurisprudence citée).

82  En l’occurrence, tout d’abord, il convient de relever que les restrictions non déguisées constituent, comme cela résulte de leur appellation même, des comportements ouvertement anticoncurrentiels qui étaient destinés à conduire à l’éviction d’un des rares concurrents de la requérante du marché, ce qui justifie le choix d’un pourcentage qui ne soit pas symbolique, afin de sanctionner le caractère sérieux de la nature de l’infraction en cause.

83  En outre, la Commission, qui peut, selon le point 21 des lignes directrices de 2006, retenir un pourcentage allant jusqu’à 30 % de la valeur des ventes, ce qui ne pourrait être approprié que dans des circonstances d’une exceptionnelle gravité, a adopté, nonobstant cette nature ouvertement anticoncurrentielle, un pourcentage reflétant, ainsi qu’il ressort des considérants 48, 49 et 54 de la décision attaquée, la portée réduite des restrictions non déguisées. Elle a ainsi choisi le pourcentage de 4 %, ce qui constitue une réduction d’un point par rapport à celui figurant dans la décision de 2009. La Commission a précisé, au considérant 49 de la décision attaquée, que ce pourcentage correspondait à sa pratique décisionnelle applicable en 2009. En procédant de la sorte, la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation, un tel pourcentage n’étant ni exagéré ni, à l’inverse, insuffisant.

84  Quatrièmement, il importe de rappeler que la Commission, ainsi que cela ressort des points 77 et 78 ci-dessus, n’a pas fait application du montant additionnel de dissuasion ni du facteur spécial de dissuasion.

85  Cinquièmement, concernant le choix qu’a fait la Commission de retenir l’année 2006 comme année de référence pour la détermination de la valeur des ventes, tout d’abord, il convient de rappeler que, aux termes du point 13, deuxième phrase, des lignes directrices de 2006, « [l]a Commission utilisera normalement les ventes de l’entreprise durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction ». Il en découle que la Commission n’est pas tenue d’utiliser cette référence et qu’il ne s’agit que d’une possibilité pour elle, l’emploi du terme « normalement » confirmant l’existence d’une possibilité, et non d’une obligation.

86  S’il est donc loisible à la Commission de recourir à d’autres références, comme une autre période calendaire ou une moyenne des différentes années durant lesquelles l’infraction a été commise, cela ne vaut que pour autant que ces autres possibilités la mettent en mesure d’atteindre avec une plus grande justesse l’objectif sous-tendant le point 13 des lignes directrices de 2006, qui est de retenir comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de cette entreprise dans celle‑ci [voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2017, Samsung SDI et Samsung SDI (Malaysia)/Commission, C‑615/15 P, non publié, EU:C:2017:190, point 51 et jurisprudence citée].

87  En l’espèce, la requérante estime que d’autres références auraient été mieux à même de répondre à cet objectif. Elle soutient, au point 50 de la requête, en citant, en note en bas de page no 87 de celle-ci, la pratique décisionnelle de la Commission, qu’une moyenne de la valeur des ventes durant la période infractionnelle aurait été plus adaptée. Questionnée à ce sujet lors de l’audience, elle a confirmé que cette méthode lui paraissait préférable. Toutefois, en réponse à cet argument, la Commission a soutenu, sans être utilement contredite par la requérante, que l’adoption d’une telle moyenne conduirait à l’accroissement du montant de l’amende de la requérante. Il y a, dès lors, lieu d’écarter ledit argument comme étant inopérant, dans la mesure où, s’agissant des conclusions en annulation, il ne vient pas à leur soutien.

88  Par ailleurs, la requérante est d’avis que c’est à tort que la Commission a calculé la valeur des ventes en retenant l’ensemble des ventes de CPU x86 facturées dans l’EEE, hors serveurs. Si elle approuve l’exclusion des serveurs, elle estime que la Commission aurait dû seulement prendre en compte les ventes de CPU x86 en rapport avec l’infraction, à savoir trois modèles spécifiques d’ordinateurs portables, représentant uniquement 8,2 % des unités visées par l’infraction, telle que cela est constaté dans la décision de 2009.

89  Cet argument ne saurait prospérer, étant donné qu’il découle de l’objectif du point 13 des lignes directrices de 2006, rappelé aux points 85 et 86 ci-dessus, que la notion de valeur des ventes englobe les ventes réalisées sur le marché concerné par l’infraction dans l’EEE, sans qu’il importe de déterminer si ces ventes ont été réellement affectées par cette infraction, la partie du chiffre d’affaires provenant de la vente des produits faisant l’objet de l’infraction étant la mieux à même de refléter l’importance économique de cette infraction (voir arrêt du 9 juillet 2015, InnoLux/Commission C‑231/14 P, EU:C:2015:451, point 51 et jurisprudence citée).

90  Si, certes, la notion de « valeur des ventes » visée au point 13 des lignes directrices de 2006 ne saurait s’étendre jusqu’à englober les ventes réalisées par l’entreprise en cause qui ne relèvent en rien du champ d’application de l’infraction reprochée (voir arrêt du 9 juillet 2015, InnoLux/Commission, C‑231/14 P, EU:C:2015:451, point 55 et jurisprudence citée), il est patent que tel n’est pas le cas en l’espèce, la Commission ayant exclu de la valeur des ventes celle des ventes de CPU x86 destinés aux serveurs, qui n’étaient pas concernés par les restrictions non déguisées.

91  Il découle des considérations qui précèdent que la requérante n’est pas parvenue à établir que le choix, par la Commission, de l’année 2006 comme référence pour la détermination de la valeur des ventes était entaché d’une erreur de droit ou d’une erreur d’appréciation.

92  Sixièmement, la requérante ne saurait voir prise en compte, au titre des circonstances atténuantes, la durée supposément excessive des procédures administrative et juridictionnelle, non plus que l’issue partiellement favorable de ces procédures la concernant.

93  En premier lieu, en effet, s’agissant de la durée de la procédure administrative, les lignes directrices de 2006 et, en particulier, leur point 29, relatif aux circonstances atténuantes, ne prévoient pas que la Commission soit tenue de réduire le montant de l’amende en cas de durée excessive de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Italmobiliare e.a./Commission, T‑523/15, non publié, EU:T:2019:499, point 156).

94  À cet égard, il convient de rappeler que la violation du principe du respect du délai raisonnable est susceptible de justifier l’annulation d’une décision prise à l’issue d’une procédure administrative fondée sur l’article 101 ou 102 TFUE dès lors qu’elle emporte également une violation des droits de la défense de l’entreprise concernée (arrêts du 9 juin 2016, CEPSA/Commission, C‑608/13 P, EU:C:2016:414, point 61, et du 15 avril 2021, Italmobiliare e.a./Commission, C‑694/19 P, non publié, EU:C:2021:286, point 135). En effet, une violation, par une institution de l’Union, de son obligation résultant de l’article 41, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de traiter les affaires dans un délai raisonnable doit trouver sa sanction dans un recours en indemnité porté devant le Tribunal, un tel recours constituant un remède effectif (voir arrêt du 11 juillet 2019, Italmobiliare e.a./Commission, T‑523/15, non publié, EU:T:2019:499, point 159 et jurisprudence citée).

95  Or, en l’espèce, la requérante s’est limitée à alléguer que la durée de la procédure administrative avait engendré des coûts et des atteintes à sa réputation. Force est de constater que de tels arguments ne sont pas susceptibles de démontrer l’illégalité du montant de l’amende fixée par la Commission dans la décision attaquée.

96  En second lieu, s’agissant de la durée de la procédure juridictionnelle, dont la requérante allègue le caractère également excessif, il ressort de la jurisprudence que le non-respect d’un délai de jugement raisonnable dans le cadre de l’examen d’un recours juridictionnel introduit contre une décision de la Commission infligeant une amende à une entreprise pour violation des règles de concurrence du droit de l’Union ne saurait conduire à l’annulation, totale ou partielle, de l’amende infligée par cette décision et qu’une demande en indemnité introduite contre l’Union sur le fondement de l’article 268 et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE constitue, en ce qu’elle peut couvrir toutes les situations de dépassement du délai raisonnable d’une procédure, un remède effectif et d’application générale pour faire valoir et sanctionner une telle violation (arrêt du 26 novembre 2013, Groupe Gascogne/Commission, C‑58/12 P, EU:C:2013:770, points 79 et 82).

97  Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à tort que la requérante soutient que la Commission, dans la décision attaquée, a retenu un montant de l’amende disproportionné et illégal. Ainsi, la première ainsi que les troisième à septième branches du premier moyen doivent être écartées et, par voie de conséquence, le premier moyen doit être rejeté en totalité en ce qu’il vient au soutien des conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée, exception faite de sa huitième branche, relative aux conclusions tendant à la réformation de la décision attaquée, qui sera, le cas échéant, examinée à ce titre.

98  Eu égard également au rejet des troisième et deuxième moyens, aux points 34 et 60 ci-dessus, il y a lieu de rejeter les conclusions de la requérante tendant à l’annulation de la décision attaquée.

99  Étant donné que le juge de l’Union peut réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, afin de supprimer, de réduire ou de majorer l’amende infligée, cette compétence étant exercée en tenant compte de toutes les circonstances de fait (voir arrêt du 4 juillet 2024, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission, C‑70/23 P, EU:C:2024:580, point 39 et jurisprudence citée), il convient, à présent, d’examiner les conclusions de la requérante tendant à la réformation de la décision attaquée.

 Sur les conclusions tendant à la réformation de la décision attaquée

100  La requérante fait grief à la Commission, dans le cadre de la huitième branche du premier moyen, de ne pas avoir « pris de recul » et, en particulier, de pas avoir apprécié convenablement le caractère équitable et proportionné du niveau global de l’amende, ainsi que de ne pas avoir « respecté convenablement » le sens global et l’effet de l’arrêt du 26 janvier 2022, Intel Corporation/Commission (T‑286/09 RENV, EU:T:2022:19).

101  La Commission estime que l’invitation de la requérante à « prendre du recul » ne lui est d’aucun secours, bien au contraire. Ainsi, les restrictions non déguisées auraient été imposées par une entreprise qui dominait de façon écrasante le marché en cause. L’influence de la requérante aurait été renforcée par ses marges bénéficiaires substantielles. En outre, celle-ci n’aurait eu qu’un concurrent sérieux, AMD, à l’encontre duquel elle avait appliqué des pratiques d’éviction abusives, sur un marché caractérisé par des barrières élevées à l’entrée. Le Tribunal aurait déjà jugé, dans de telles circonstances, que les pratiques d’éviction abusives adoptées par des entreprises dominantes pouvaient être aussi graves que des ententes, ce qui aurait justifié un coefficient de gravité « en haut de l’échelle ». Partant, la demande de la requérante visant à ce que le Tribunal exerce sa compétence de pleine juridiction pourrait entraîner un ajustement du coefficient de gravité, mais il ne s’agirait pas, selon la Commission, d’un ajustement à la baisse.

102  À titre liminaire, il importe de rappeler que, dès lors qu’il exerce sa compétence de pleine juridiction prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003, le juge de l’Union est habilité, au-delà du simple contrôle de la légalité de la sanction, à substituer sa propre appréciation, pour la détermination du montant de cette sanction, à celle de la Commission, auteur de l’acte dans lequel ce montant a été initialement fixé (voir arrêt du 4 juillet 2024, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission, C‑70/23 P, EU:C:2024:580, point 39 et jurisprudence citée).

103  Ainsi, la compétence de pleine juridiction dont dispose le Tribunal sur le fondement de l’article 31 du règlement no 1/2003, laquelle lui permet de supprimer, de réduire ou de majorer l’amende infligée par la Commission, se rapporte et se limite au montant de l’amende initialement infligée par la Commission (voir arrêt du 4 juillet 2024, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission, C‑70/23 P, EU:C:2024:580, point 40 et jurisprudence citée).

104  En outre, lorsque le juge de l’Union substitue sa propre appréciation à celle de la Commission, il remplace, au sein de la décision de la Commission, le montant initialement fixé dans cette décision par celui qui résulte de sa propre appréciation. La décision de la Commission est donc censée, en raison de l’effet substitutif de l’arrêt prononcé par le juge de l’Union, avoir toujours été celle qui résulte de l’appréciation de ce dernier (voir arrêt du 4 juillet 2024, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission, C‑70/23 P, EU:C:2024:580, point 42 et jurisprudence citée).

105  Il y a également lieu de rappeler que, dans le cadre de l’exercice de sa pleine juridiction, le Tribunal n’est aucunement tenu d’appliquer des règles telles que les lignes directrices de 2006, ces dernières ne liant que la Commission dans le cadre de la méthodologie qu’elle s’est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes (voir, en ce sens, arrêt du 22 mai 2008, Evonik Degussa/Commission et Conseil, C‑266/06 P, non publié, EU:C:2008:295, point 60 et jurisprudence citée), même si ces règles peuvent éventuellement le guider (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 90 et jurisprudence citée).

106  De plus, le Tribunal peut, dans ce cadre, afin d’apprécier le caractère approprié du montant des amendes, prendre en considération des éléments complémentaires d’information dont la mention dans la décision n’est pas comme telle requise en vertu de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE (arrêt du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission, C‑248/98 P, EU:C:2000:625, point 40 ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 juin 2012, Microsoft/Commission, T‑167/08, EU:T:2012:323, points 217 et 222), et cela jusqu’à la date à laquelle il adopte sa décision (voir arrêt du 11 juillet 2014, Esso e.a./Commission, T‑540/08, EU:T:2014:630, point 133 et jurisprudence citée).

107  En l’espèce, il y a lieu de considérer que, nonobstant la légalité du montant de l’amende figurant dans la décision attaquée, en particulier au regard du principe de proportionnalité, il est tout à la fois possible, équitable et approprié de tenir compte d’autres paramètres, se rapportant aussi bien à la durée de l’infraction qu’à la gravité de cette dernière, en application de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 90 et jurisprudence citée), afin de fixer ce montant avec une finesse accrue, autrement dit de déterminer, parmi plusieurs possibilités qui seraient conformes au droit de l’Union, celle qui, selon l’appréciation du Tribunal, est de nature à fixer ledit montant avec la plus grande pertinence.

108  Tout d’abord, en ce qui concerne la durée de l’infraction, il ressort du point 76 ci-dessus que la Commission devait, comme cela a été souligné au point 31 ci-dessus, fixer un nouveau montant de l’amende qui tînt compte des seules restrictions non déguisées, considérées à l’aune d’une stratégie d’ensemble de la requérante visant à évincer son concurrent AMD du marché.

109  À cet égard, sans préjudice des considérations ayant conduit au rejet du premier moyen, il importe de relever que, comme l’a souligné la requérante dans ses écritures, un intervalle de douze mois a séparé les restrictions non déguisées dont elle a demandé la mise en œuvre à HP de celles qu’elle a demandé à Lenovo d’appliquer.

110  Certes, ainsi que cela résulte des considérants 59 et 60 de la décision attaquée et des notes en bas de page s’y rapportant, la Commission a pris en compte, en l’excluant, cette période de latence des restrictions non déguisées dans la détermination du coefficient traduisant la durée de l’infraction.

111  Néanmoins, il est approprié d’accentuer la pondération de l’existence de cet intervalle de douze mois dans la durée de l’infraction.

112  Ensuite, en ce qui concerne la gravité de l’infraction, il y a lieu de faire état des considérations suivantes.

113  Premièrement, même si la Commission a adopté à ce titre un pourcentage moindre dans la décision attaquée qu’elle ne l’avait fait dans la décision de 2009, il importe, afin d’apprécier la gravité de l’infraction, de mieux mesurer, outre sa nocivité intrinsèque, sa portée matérielle réduite.

114  Or, à cet égard, la Commission elle-même avait admis, lors de l’audience dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission (T‑286/09, EU:T:2014:547, point 260), en relation avec Acer, « que la quantité d’ordinateurs concernés était modeste », tout en contestant le nombre de 4 000 unités que la requérante avait soumis dans cette affaire. De même, dans cet arrêt, au point 290, le Tribunal avait constaté, en relation avec Lenovo, que « le nombre d’unités concernées dans la région [incluant l’Europe] était modeste ».

115  En outre, dans le cadre de la présente affaire, la requérante a estimé que les restrictions non déguisées avaient porté sur 8,2 % des unités en cause (voir point 63 ci-dessus). Elle n’a pas été contredite quant au pourcentage d’unités affectées par ces restrictions, la Commission s’étant limitée à répondre globalement, comme elle y était fondée, en arguant de la juste application du paramètre de la valeur des ventes prévu par les lignes directrices de 2006 (voir point 91 ci-dessus).

116  Toutefois, indépendamment de la circonstance que, dans le cadre de l’application des lignes directrices de 2006, la Commission était fondée à prendre en compte comme référence l’ensemble des ventes de CPU x86 facturées dans l’EEE durant l’année 2006, il n’en demeure pas moins qu’il importe de tenir plus justement compte de cet élément concret pour apprécier, au titre de la pleine juridiction, la gravité de l’infraction, sans omettre, pour autant, la circonstance que l’infraction est le fait d’une entreprise qui a abusé de sa situation de position dominante dans l’EEE sur le marché concerné.

117  Il ressort des considérations exposées aux points 114 à 116 ci-dessus que le montant de 376 358 000 euros, figurant à l’article 1er de la décision attaquée et remplaçant le montant qui était mentionné à l’article 2 de la décision de 2009, n’est pas le plus approprié possible, au regard du champ d’application temporel et matériel, plus limité qu’il ne l’était dans la décision de 2009, de l’infraction en cause.

118  Par conséquent, il convient de tenir compte, d’une part, de l’intervalle significatif de douze mois constaté entre les restrictions non déguisées dont la requérante a demandé la mise en œuvre à HP et celles qu’elle a demandé à Lenovo d’appliquer ainsi que, d’autre part, du nombre relativement modeste d’ordinateurs concernés, et cela de manière plus équitable que ne l’a fait la Commission. Il y a donc lieu, au terme d’une appréciation globale de la gravité et de la durée de l’infraction en cause au titre de la pleine juridiction, de réduire de 37 % le montant de l’amende figurant à l’article 1er de la décision attaquée, en fixant ce montant à 237 105 540 euros.

119  Enfin, s’agissant de l’argument de la requérante tiré de la durée de la procédure juridictionnelle prise dans son ensemble, il convient de rappeler que la violation, à la supposer établie, par une juridiction de l’Union, de son obligation, résultant de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux, de juger les affaires qui lui sont soumises dans un délai raisonnable doit, nonobstant la compétence de pleine juridiction reconnue au Tribunal en application de l’article 261 TFUE et de l’article 31 du règlement n° 1/2003, trouver sa sanction dans un recours en indemnité porté devant le Tribunal, un tel recours constituant un remède effectif (arrêt du 9 juin 2016, CEPSA/Commission, C‑608/13 P, EU:C:2016:414, point 64). Un tel argument n’est donc pas susceptible de conduire à une réduction du montant de l’amende infligée.

120  Il découle de l’ensemble de ce qui précède que l’article 1er de la décision attaquée doit être réformé en ce sens que le montant de l’amende imposée à la requérante est fixé à 237 105 540 euros et que le recours doit être rejeté pour le surplus.

 Sur les dépens

121  Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens. En l’espèce, il y a lieu de décider que la Commission supportera ses propres dépens et la moitié des dépens exposés par la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)  L’article 1er de la décision C(2023) 5914 final de la Commission, du 22 septembre 2023, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE (AT.37.990 – Intel) est réformé en ce sens que le montant de l’amende qui y figure est fixé à 237 105 540 euros.

2)  Le recours est rejeté pour le surplus.

3)  La Commission européenne supporte, outre ses propres dépens, la moitié de ceux exposés parIntel Corporation Inc.

 

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