Contrats d'affaires

L'article 1353 du Code civil, issu de la réforme du droit des contrats reprend les dispositions de l'ancien article 1315 : “Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation”. Il résulte de ce texte, appliqué au contrat d'entreprise, que la charge de la preuve ne pèse pas systématiquement sur l'entrepreneur ou le maître d'ouvrage, mais sur celui des deux qui agit en exécution du contrat. Le plus souvent, l'entrepreneur agit en paiement de l'exécution des travaux réalisés tandis que le maître d'ouvrage actionne ce dernier en réparation du fait de son intervention, l'un et l'autre devant apporter la preuve de l'existence du contrat d'entreprise.

1) Preuve de l'existence du contrat d'entreprise 

La Cour de cassation énonce que celui qui se prévaut de l'existence d'un contrat d'entreprise doit en apporter la preuve, le fait qu'il s'agisse d'un contrat consensuel qui n'est soumis à aucune forme déterminée étant indifférent . Les juges considèrent en réalité qu'il appartient à l'entreprise qui n'a pas pris la précaution de conclure en bonne et due forme avec son client un contrat fixant les engagements respectifs des parties, avant d'intervenir et exécuter sa prestation, d'apporter la preuve des éléments rendant vraisemblable l'existence du contrat d'entreprise querellé . Dans un litige où la charge de la preuve du contrat d'entreprise reposait sur l'expert-comptable qui réclamait la rémunération de sa prestation, la Cour d'appel de Lyon a considéré que l'existence d'une volonté commune des parties, et donc d'un contrat d'entreprise, était suffisamment démontrée, lorsque, même en l'absence d'un contrat écrit entre le cabinet d’expertise comptable et les sociétés concernées, il est établi que ces dernières lui ont confié leur comptabilité à compter de l'année 2012 et que les factures émises ont été réglées sans discussion jusqu'en 2015 . A contrario, dès lors que la preuve de l'existence d'un contrat entre les parties n'est pas apportée, il ne peut être fait droit à la demande en paiement de l'entrepreneur .

Même si la validité du contrat d'entreprise n'est soumise à aucune condition de forme, les juges estiment que l'article 1353 du Code civil impose à celui qui agit en paiement en exécution d'un tel contrat d'apporter la preuve, non seulement de son existence, mais également du contenu de l'accord des parties tant sur la nature exacte des prestations commandées que sur leur prix  . En requérant tant la preuve de l'existence du contrat que celle de son contenu, les juges font peser en pratique un lourd fardeau sur l'entrepreneur qui agit en paiement, lequel devra en outre prouver qu'il a exécuté l'ouvrage commandé .

La preuve du contenu de l'obligation invoquée par l'entrepreneur peut porter non seulement sur la nature et l'étendue de sa prestation, mais également sur le prix. La Haute juridiction considère qu'elle consiste pour ce dernier à démontrer qu'il a effectué les travaux facturés sur la commande ou avec l'accord du maître d'ouvrage afin d'obtenir le paiement des travaux qu'il réclame . Autrement dit, l'entrepreneur doit prouver (i) que le client a commandé ou accepté les travaux (ii) tels que ceux-ci ont été exécutés , et pas seulement l'un ou l'autre. Ainsi, une cour d'appel ne peut faire droit à la demande en paiement de travaux de déblayage d'un entrepreneur sans constater qu'ils ont été effectivement réalisés , ou au motif que la facture reprend un bordereau de livraison suivant la commande du client, alors qu'aucun devis n'a été établi et qu'en l'absence d'instructions précises l'entrepreneur a agi “au mieux des intérêts de son client” . En outre, l'acceptation tacite par le maître d'ouvrage  de travaux non prévus à l'origine ne peut découler que d'actes  manifestant de manière non équivoque sa volonté de les accepter, le fait  de se rendre compte par lui-même de la réalisation des travaux n’étant  pas suffisant pour démontrer sa volonté d'y consentir . De même, la seule circonstance que le maître d'ouvrage a réglé une somme plus importante que celle résultant des devis qu'il a acceptés ne suffit à prouver, ni la commande de travaux supplémentaires, ni leur exécution, de sorte qu'elle ne saurait justifier le bien-fondé de la demande en paiement de l'entrepreneur relative auxdits travaux . 

Inversement, le maître d'ouvrage, qui, pour échapper ou limiter son obligation de paiement, conteste non pas le coût des travaux réclamé, mais leur exécution, devra apporter la preuve que les travaux décrits dans le devis n'ont été que partiellement exécutés . S'agissant du prix de ses prestations, il revient à l'entrepreneur qui agit en paiement d'établir le montant de sa créance et, à cet effet, de fournir les éléments permettant de le fixer, ledit montant devant être apprécié par les juges du fond en fonction notamment de la qualité du travail fourni . En vertu du principe selon lequel nul ne peut  se constituer une preuve à soi-même, la preuve du consentement au prix  de la prestation ne peut découler exclusivement d'une facture émanant de  l'entrepreneur .

Par ailleurs, la prise en considération d'usages professionnels peut être invoquée par une partie ou déniée par un autre. Sur ce point, la Cour de cassation retient qu'en application de l'article 1194 du Code civil, les usages élaborés par une profession ont vocation à régir, sauf convention contraire, non seulement les relations entre ses membres, mais aussi celles de ces derniers avec des personnes étrangères à cette profession, dès lors qu'il est établi que celles-ci, en ayant eu connaissance, les ont acceptées. Ainsi, même si son objet social n’est pas spécifique aux armatures, la société, qui, après avoir pris connaissance d'un devis mentionnant la soumission du contrat aux usages professionnels et conditions générales de l'Association Professionnelle des Armaturiers, a commandé la fabrication et la pose de 50 tonnes d'armatures, n’est pas fondée à invoquer l’inopposabilité de ces usages et conditions générales .

La Cour de cassation veille aussi rigoureusement au respect de la charge de la preuve qu'à celle de son objet. Aussi, considère-t-elle qu'une cour d'appel ne peut énoncer, pour accueillir la demande en paiement de l'entrepreneur relative à des travaux qui n'avaient donné lieu à établissement ni d'un bon de commande, ni d'un devis, qu'il revient à la cliente qui invoque une non-conformité de la chose livrée d'établir la consistance exacte de ce qu'elle avait commandé, sans renverser la charge de la preuve . De même, doit être censuré l'arrêt qui retient pour faire droit à la demande en paiement d'un entrepreneur, que la cliente, qui a signé le bon de commande des travaux de déblayage litigieux à la suite de graves inondations, n'apporte pas la preuve que son consentement aurait été vicié lors de cette signature, en dépit même des attestations de bénévoles ayant aidé au nettoyage de l'appartement qui tendent à démontrer que la société n'avait pas à intervenir, alors qu'il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver .

Enfin, selon la Haute juridiction, lorsqu'une partie a la charge de la preuve, celle-ci ne peut se déduire du silence opposé à sa demande par la partie adverse. Dès lors, une cour d'appel ne peut retenir, pour faire droit à la demande en paiement d'un entrepreneur, que la cliente n'a ni émis la moindre réclamation sur les travaux réalisés, ni répondu aux diverses relances en paiement qui lui ont été adressées .

Cass. 3e civ., 18 février 1981, LawLex202200003662JBJ.

Lyon, 27 avril 2021, LawLex202200004191JBJ.

Toulouse, 11 juin 2024, LawLex202400004486JBJ, ajoutant que dès lors que les parties n’ont signé aucun  contrat relatif aux travaux litigieux réalisés par l’entrepreneur,  qu’aucun devis n’a été envoyé, qu’il ne découle d’aucun échange que  l’entrepreneur ait été mandaté pour y procéder, et que le maître  d’ouvrage n’a apporté aucune réponse au courrier dans lequel ce dernier  souhaitait connaître sa position afin d’effectuer le nécessaire dans les  plus brefs délais, l’entrepreneur ne peut, ni se prévaloir d’une  acceptation expresse ou même tacite du maître de l’ouvrage, ni en  solliciter le paiement.

Cass., 1re  ch. civ., 30 septembre 2008, LawLex202200008835JBJ.

Cass. 1re civ., 19 juin 2008, LawLex202200003665JBJ, D. 2009, 2719, obs. BRETZNER.

Cass. 1re civ., 18 novembre 1997, LawLex202200006747JBJ, Defrénois 1998, 405, obs. BENABENT; RTD civ. 1998, 402, obs. GAUTIER ; RTD civ. 1998, 372, obs. MESTRE.

Toulouse, 11 juin 2024, LawLex202400004486JBJ.

Cass. com., 4 octobre 2023, LawLex202300012681JBJ.

Cass. 1re civ., 21 mars 2006, LawLex202200003815JBJ, Contrats Conc. Consom. 2006, n° 129 , obs. LEVENEUR.

Cass. 1re civ., 25 janvier 2017, LawLex202200003817JBJ, Contrats Conc. Consom. 2017, n° 73, obs. LEVENEUR.

Cass. 1re civ., 25 janvier 2017, LawLex202200003817JBJ, précitée.

Lyon, 9 juin 2022, LawLex202200004103JBJ.

Cass. com., 20 septembre 2017, LawLex202200004206JBJ ; V. en ce sens : Toulouse, 28 novembre 2023, LawLex202400006507JBJ, retenant qu'en l’absence de preuve de toute commande de travaux par le  maître d’ouvrage, lesquels sont intervenus à la demande de sa locataire  alors qu'il ne l'avait pas mandatée pour signer le devis ni donner son  accord, il ne peut être fait droit à la demande en paiement de  l’entrepreneur.

Besançon, 23 mai 2017, LawLex202200004189JBJ ; Bordeaux, 15 juin 2023, LawLex202400006508JBJ, relevant que la preuve de l’existence d'un contrat d'entreprise et de son  contenu incombe à l'entrepreneur lorsqu'il agit en paiement des travaux, de sorte qu'il lui appartient d’apporter la preuve que ceux-ci ont été  commandés ou, à tout le moins acceptés sans équivoque, quand bien même leur réalité n’est pas contestée ; Riom, 26 septembre 2023, LawLex202400006522JBJ, retenant que la preuve de l’existence d’un contrat d’entreprise et de son contenu incombe à l’entrepreneur qui agit en paiement ; Nîmes, 12 septembre 2024, LawLex202400006527JBJ, retenant que l’entrepreneur doit établir que les travaux ont été soit commandés avant leur exécution, soit acceptés sans  équivoque par le maître d’ouvrage pour être fondé à en réclamer le paiement, de sorte qu'en l’absence de tout avenant signé par le maître  d’ouvrage et de tout élément démontrant que ce dernier, qui demeurait débiteur d’un solde, les aurait acceptés, aucune somme ne peut être  revendiquée au titre de travaux supplémentaires.

Cette solution conduit à amalgamer la preuve de l'existence du contrat et celle de l'exécution de l'obligation dont se prévaut le demandeur, alors même que la première se rapporte à la formation du contrat d'entreprise tandis que la seconde concerne son exécution.

Cass. com., 20 septembre 2017, LawLex202200004206JBJ.

Cass. 1re civ., 18 novembre 1997, LawLex202200006747JBJ, Defrénois 1998, 405, obs. BENABENT; RTD civ. 1998, 402, obs. GAUTIER; RTD civ. 1998, 372, obs. MESTRE.

Cass. com., 9 novembre 1987, LawLex202200008834JBJ.

296. Charge et objet de la preuve.