Contrats d'affaires

On entend par “erreur déterminante” l'erreur sans laquelle il est évident que l'errans n'aurait jamais contracté ou à des conditions différentes . Pour obtenir l'annulation de la vente, l'errans doit apporter une double preuve : celle du caractère essentiel de la qualité qui lui a fait défaut dans la chose achetée et celle du caractère déterminant de cette erreur sur son consentement.

La notion d'"erreur" s'est construite au fil des évolutions de la jurisprudence, partagée entre d'une part la nécessité de ne pas encourager les demandes d'annulation du contrat et de préserver la sécurité juridique, et d'autre part, le souci de respecter le consensualisme et de protéger la victime de l'erreur. L'appréciation des juges, parfois objective (in abstracto), mais surtout subjective (in concreto), des qualités essentielles de la prestation comme du caractère déterminant de l'erreur, reflète cette dualité.

La célèbre affaire Spoerri illustre ces hésitations jurisprudentielles et les limites de l'appréciation in concreto. Même si l'erreur de l'acheteur sur l'authenticité d'un tableau est, en principe, cause de nullité, dans cette affaire, la question s'est posée de savoir à quoi tenait l'authenticité d'une toile. Pour faire partie de l'œuvre d'un artiste, une peinture doit-elle nécessairement être réalisée de la main de celui-ci, ou une exécution sous licence suffit-elle ? Par un premier arrêt , la Cour de cassation a opté pour la seconde option, censurant les juges du fond au motif qu'ils n'avaient pas recherché si l'acquéreur de la toile litigieuse ne faisait pas de l'exécution personnelle de l'œuvre par l'artiste, une condition substantielle, déterminante de son consentement. La Haute juridiction a ainsi rappelé que l'erreur déterminante du consentement doit être appréciée in concreto en tenant compte des circonstances de la cause par les tribunaux. Puis, elle a opéré un revirement par un second arrêt , revenant sur le terrain de l'erreur appréciée in abstracto, en relevant que l'authenticité d'un tableau doit s'apprécier en tenant compte du fait qu'à défaut d'une réserve du vendeur, son auteur effectif s'entend de celui qui le réalise ou l'exécute personnellement, de sorte que commet une erreur excusable et déterminante de son consentement, l'acheteur, qui, sur la base d'une mention erronée du catalogue du commissaire-priseur quant à l'auteur effectif du tableau, acquiert une oeuvre exécutée “en brevet” et non de la main de l'artiste lui-même. La Cour retient désormais qu'en matière de vente aux enchères publiques, si les mentions figurant au catalogue revêtent une importance particulière, leur caractère déterminant s'apprécie au regard des qualités substantielles de la chose attendues par l'acquéreur, de sorte qu'aucun préjudice ne saurait résulter d'inexactitudes concernant la composition de la table acquise - en bois plaqué chêne et non en chêne - ou de l'existence d'éventuelles restaurations, lorsque, l'acquéreur a manifestement privilégié l'authenticité de la table en achetant ce meuble à un prix proche du double de la valeur estimée figurant sur le catalogue .

L'article 1130, alinéa 2, du Code civil consacre l'appréciation in concreto en disposant que “le caractère déterminant [de l'erreur, du dol et de la violence qu'il vise indifféremment] s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquels le consentement a été donné”.  Ainsi, les acquéreurs d'un fonds de commerce sont fondés à obtenir l'annulation de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue lorsqu'ils ont acquis le fonds en considération d'éléments - la croyance erronée qu'une clientèle propre y était attachée et des résultats d'exploitation fallacieux - qui ont vicié leur consentement à un point tel qu'ils n'auraient pas contracté s'ils en avaient eu connaissance . En revanche, l’acquéreuse d'un immeuble qui n'établit pas que sa cocontractante savait que la jouissance exclusive du jardin était déterminante pour elle ni que sans cette caractéristique, elle n'aurait pas conclu ou l'aurait fait à d'autres conditions, n’est pas fondée à invoquer une erreur sur les qualités essentielles du bien acquis . En outre, selon les juges, le caractère déterminant de l'erreur sur les qualités substantielles s'apprécie notamment au regard de la qualité de professionnelle de l'acquéreur, spécialisé dans la vente et l'achat de véhicules neufs et d'occasion, qui, s'il avait fait de l'absence de sûreté grevant le véhicule acquis une condition déterminante de son consentement, n'aurait pas manqué de solliciter un certificat de non-gage .

Par ailleurs, deux types d'erreurs sont en principe indifférentes : l'erreur sur la valeur, qui est une forme de lésion, et l'erreur sur les motifs. 

L'erreur sur la valeur - qui réside dans une mauvaise appréciation économique de la rentabilité d'une opération à partir de données exactes  - n'est pas une cause de nullité, à moins d'être la conséquence d'une erreur sur les qualités essentielles de la chose vendue . Le nouvel article 1136 du Code civil reprend cette solution jurisprudentielle, lorsqu'il dispose que “l'erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n'est pas une cause de nullité”. Parfois désignée sous le terme d'"erreur monétaire", l'erreur sur la valeur ne doit pas être confondue avec l'erreur sur le prix de la chose qui repose sur un malentendu si fondamental entre les cocontractants que l'on considère qu'elle fait obstacle à l'échange même de leur consentement . 

L'erreur sur un motif extérieur à l'objet du contrat est également en principe indifférente. Cependant, la Haute juridiction a admis une exception : “l'erreur sur un motif du contrat extérieur à l'objet de celui-ci n'est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant, à moins qu'il n'ait été érigé en condition du contrat” . En d'autres termes, à la différence de la qualité essentielle, qui peut être tacitement convenue entre les parties, le motif doit être expressément stipulé dans une clause pour entraîner l'annulation de la convention . Le nouvel article 1135, alinéa 1er, du Code civil codifie cette solution jurisprudentielle : “l'erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation ou du contractant, n'est pas une cause de nullité, à moins que les parties n'en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement”.

L'article 1130, alinéa 1er, du Code civil consacre la distinction entre “erreur principale” et “erreur incidente” - auparavant appliquée seulement dans le cadre du dol - en disposant que “l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes”.

Cass. civ. 1re, 5 février 2002, LawLex200500006032JBJ, D. 2003, chron., 436, obs. EDELMAN ; JCP G, 2002, II, 10193, obs. CREVEL ; JCP G, 2003, II, 10175, obs. LIÈVREMONT ; Defrénois 2002, art. 37558, 761, obs. SAVAUX.

Cass. 1re civ., 13 février 2001, LawLex201200000795JBJ, JCP G 2001, I, 330, obs. ROCHFELD ; RTD civ. 2001, 352, obs. MESTRE et FAGES.

Cass. com., 30 mai 2006, LawLex200700000125JBJ, Contrats, conc., consom. 2006, n° 224, obs. LEVENEUR. 

Cass. civ. 1re, 15 novembre 2005, LawLex200600001327JBJ, D. 2006, 1116, obs. TRICOIRE ; Contrats Conc. Consom. 2006, n° 44, obs. LEVENEUR.

Cass. 1re civ., 21 octobre 2020, LawLex202000003055JBJ, RTD com. 2021, 112, obs. POLLAUD-DULIAN ; D. 2021, 325, obs. LABARTHE ; RTD civ. 2021, 121, obs. BARBIER.

Cass. com., 18 juin 1996, LawLex202200002538JBJ, RTD com. 1996, 654, obs. J. DERRUPPE ; D. 1998, 305, obs. JAULT-SESEKE.

Versailles, 6 avril 2021, LawLex202100001016JBJ.

Versailles, 17 décembre 2020, LawLex202000003790JBJ.

Versailles, 7 janvier 1987, LawLex200600002562JBJ, D. 1987, 485, obs. AUBERT ; JCP G, 1988, 21121, obs. GHESTIN ; RTD civ. 1987, 741, obs. MESTRE. 

Riom, 28 janvier 1980, LawLex200500006435JBJ, JCP G, 1980, 396. En revanche, lorsqu'une cession n'a d'autre objet que le transfert, à l'insu des cessionnaires, d'une société déjà privée de l'essentiel de son actif et insusceptible de rentabilité, le consentement des cessionnaires est vicié par une erreur portant sur les qualités essentielles des parts sociales, et non sur leur valeur, V. Cass. com., 7 févr. 1995, LawLex200500006054JBJ, RTD civ. 1995, 878, obs. MESTRE ; D. 1996, 50, obs. BLASSELLE.

LEBOIS, Erreur d'étiquetage et erreur sur le prix, Contrats Conc. Consom. 2002, Etude, 19. V. Paris, 7 mars 1989, LawLex200500006132JBJ, retenant que l'erreur grossière du vendeur sur le montant du prix demandé, exclusive de tout accord valable sur la chose et le prix, constitue une cause de nullité de la vente.

Erreur déterminante.

VIVIEN, De l'erreur déterminante et substantielle, RTD civ. 1992, 305 ; KADHIM, L'erreur et la nullité du contrat de vente d'objet d'art. Réflexions sur une jurisprudence qui se confirme, Gaz. Pal. 1993, 1, doct., 14 ; EDELMAN, L'erreur sur la substance ou l'œuvre mise à nu par les artistes, même ! (sur l'arrêt de la C. cass., 5 févr. 2002), D. 2003, 436.

130. Erreur déterminante.