Le Droit de la concurrence, premier tome du Traité de droit économique, expose, en deux livres (Tome 1/2. Droit européen ; Tome 2/2. Droit français) l’ensemble des règles de concurrence : ententes et abus de domination, procédure de concurrence, concentrations, aides d’État, négociation commerciale, et concurrence déloyale.

Droit français de la concurrence

Les règles de la procédure de clémence fixées dans le Code de commerce, initialement laconiques, ont été complétées par les communiqués clémence successifs, puis significativement enrichies à l'occasion de la transposition de la directive ECN+, d'abord par le décret 2021-568 du 10 mai 2021 , ensuite par l'ordonnance 2021-649 du 26 mai 2021. 

Afin de garantir une égalité d’accès au programme de clémence entre les entreprises non visitées et les entreprises visitées dans le cadre d’opérations de visite et saisie, l'Autorité s'engage à publier un communiqué de presse pour annoncer la réalisation de telles opérations, qui ne divulguera cependant pas le nom des entreprises concernées, pour préserver la présomption d'innocence . Par ailleurs, conformément au programme modèle du REC, le communiqué de 2023, comme celui de 2015, permet aux entreprises de déposer une demande sommaire (complémentaire de celle déposée auprès de la Commission si elles l'estiment la mieux placée pour traiter l'affaire), pour tout type de demande de clémence, quel que soit leur rang d'arrivée . 

Enfin, pour encourager davantage la dénonciation des comportements illicites, l'Autorité de la concurrence a mis en ligne, en octobre 2023, une nouvelle plateforme de recueil et de traitement des signalements réservée aux personnes  physiques identifiées qui signalent ou divulguent, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations concernant des  pratiques relatives aux ententes, aux abus de position dominante et aux aides d’Etat. Ce dispositif dit “Lanceurs d'alerte” garantit au lanceur d’alerte l’anonymat, la confidentialité de son signalement et une protection contre  d’éventuelles poursuites judiciaires ou représailles professionnelles.

S'agissant plus spécifiquement du programme de clémence, celui-ci s'organise en plusieurs phases.

L'article R. 464-5 prévoit que l'entreprise adresse sa demande de clémence au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ou au directeur de la DGCCRF par lettre recommandée avec avis de réception, la présente oralement, ou, depuis le décret du 10 mai 2021, la poste sur une plateforme d'échanges sécurisés de documents électroniques . A ces modalités, le communiqué de 2023 ajoute la possibilité d'une remise en mains propres dans les locaux de l'Autorité . La demande de clémence doit indiquer, a minima : le nom et l'adresse de l’entreprise ; les circonstances ayant conduit à l’introduction de la demande ; les noms de toutes les autres entreprises ou associations d’entreprises qui participent ou ont participé à la pratique en cause ; les produits ou services et les territoires concernés ; la durée et la nature de la pratique en cause et des renseignements sur toute autre demande d'exonération totale ou partielle de sanction pécuniaire présentée par le passé ou susceptible d'être présentée à l'avenir à toute autre autorité de concurrence concernant la pratique en cause.

Outre la demande de clémence, l’entreprise doit transmettre à l'Autorité une déclaration de clémence. Celle-ci décrit de manière précise le fonctionnement de la pratique concernée, ainsi que l’ensemble des éléments d’information que l'entreprise estime venir au soutien de sa déclaration. Ces éléments peuvent notamment comprendre des pièces, des fichiers électroniques, des enregistrements dissimulés ou non, et des déclarations des cadres et des employés .

Le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ou un rapporteur désigné par lui à cet effet accusent, par écrit, réception de la demande. La déclaration orale du demandeur est recueillie par un enquêteur de la  direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou un rapporteur de l'Autorité de la concurrence et fait l'objet d'un procès-verbal de déclaration. 

En vertu de l'article R. 464-5-3 nouveau, le demandeur peut solliciter du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou du rapporteur général  de l'Autorité de la concurrence l'attribution d'une place dans l'ordre d'arrivée, en vue de bénéficier de l'exonération totale ou partielle de sanctions pécuniaires. En vertu de l'article L. 464-2, IV, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 26 mai 2021, cette demande peut être présentée en langue française ou dans une autre  langue officielle de l'Union européenne convenue entre elle et l'Autorité de la concurrence ou l'Administration. En vertu du point 34 du communiqué de 2023, ce “marqueur” peut être demandé dans la LRAR, dans la demande remise dans les locaux de l’Autorité, dans le formulaire électronique sécurisé, ou lors du rendez-vous avec le conseiller clémence, dans le cas d’une demande de clémence adressée oralement. Le délai octroyé est fixé en principe à une durée d’un mois. Toute  demande de prolongation est soumise au rapporteur général, qui peut l’accorder au cas par cas. Le classement joue un rôle primordial car seule la première entreprise à dénoncer l'entente peut prétendre à l'immunité d'amende, les suivantes ne pouvant obtenir qu'une réduction. Si le demandeur fournit les “éléments d'information”  utiles dans le délai accordé, ils sont réputés avoir été communiqués à la date de réception de la demande, telle que constatée dans le courrier ou le  procès-verbal marquant sa place dans l'ordre d'arrivée . 

Jusqu'à récemment, le rapporteur désigné pour instruire la demande de clémence rédigeait un rapport sur le fondement des éléments fournis et élaborait, le cas échéant, des propositions d'exonération précisant les conditions auxquelles l'Autorité de la concurrence pourrait soumettre l'immunité ou la réduction d'amende dans un “avis de clémence”. Il précisait aussitôt que possible à la demanderesse si sa demande constituait un cas de type 1 A  ou non. L'Autorité de la concurrence a souhaité que la contrainte procédurale de l'avis de clémence soit supprimée : celle-ci avait pour effet de retarder le démarrage de l'instruction et des opérations de visite et saisie le temps que ses services procèdent aux vérifications nécessaires et posait des difficultés d'organisation interne puisque les membres ayant siégé pour l'avis ne pouvaient siéger pour la décision au fond. Cette demande a été entendue lors de l'adoption de la loi DDADUE  du 3 décembre 2020 : la référence à l'avis de clémence a été supprimée de l'article L. 464-2, IV, qui précise désormais que le rapporteur général “informe l'entreprise par écrit, le cas échéant, de son éligibilité à une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires encourues et lui indique les conditions de coopération définies par l'Autorité de la concurrence”. Le communiqué de 2023 supprime lui aussi toute référence à l'avis de clémence et fixe la procédure désormais applicable. Ainsi, dans le cas où le rapporteur général estime que les conditions posées sont réunies, il doit informer l’entreprise par écrit, dans les meilleurs délais, de son éligibilité à une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires encourues, lui rappeler les conditions de coopération attendues d'elle et faire état du rang d’arrivée du demandeur conditionnant l’octroi soit d’une exonération totale, soit d’une exonération partielle comprise dans une fourchette de pourcentage entre 15 et 50 %. Lorsque les conditions de la clémence ne sont pas réunies, il doit en informer par écrit l’entreprise concernée et, si celle-ci en fait la demande, lui restituer les éléments d’informations fournis. Dans le cas où le rapporteur général estime qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir une enquête ou de formuler une proposition d’autosaisine, il en informe par écrit l’entreprise, sans avoir à se prononcer sur l’éligibilité de la demande au bénéfice de la clémence, en se réservant la possibilité de revenir sur cette position en cas de changement de circonstances juridiques ou factuelles. Enfin, lorsqu'il estime que les faits révélés sont manifestement prescrits, il en informe également par écrit l’entreprise concernée. 

Puis, dans le cas où, lors de l’examen de l’affaire au fond, l’Autorité estime que les conditions de la coopération ont été respectées, elle accorde l'exonération, totale  ou partielle , à l'entreprise en cause. Lorsqu'en revanche, les conditions fixées ne sont pas remplies, elle peut, en cas de manquement grave, décider de retirer le bénéfice de l’exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires, et, en cas de manquement de moindre gravité, réduire le montant d’exonération des sanctions pécuniaires dont l’entreprise aurait pu bénéficier.

L'application de ces conditions formelles a donné lieu à des solutions contrastées. L'Autorité de la concurrence a ainsi accordé une exonération totale d'amende même en l'absence de demande formelle de l'entreprise afin de récompenser la révélation du cartel , alors qu'elle s'est opposée à ce que l'ancienne société mère puisse se prévaloir de la demande de clémence de sa filiale dès lors qu'elle n'a pas présenté elle-même une demande expresse et qu'elles ne formaient plus une unité économique . Lorsque les entreprises en cause appartiennent à un groupe de sociétés, la clémence ne peut, selon l'Autorité de la concurrence, bénéficier qu'à l'entreprise dans sa composition à la date de la demande . Par conséquent, la clémence ne peut s'étendre aux entreprises dont la société mère est devenue le successeur juridique après la demande .

Le décret réécrit l’article R. 464-5 et insère de nouveaux articles R. 464-5-1 à  R. 464-5-4 dans la partie réglementaire du Code de commerce. Du fait de leur portée normative très large, les nouvelles dispositions semblent appelées à se substituer complètement au communiqué clémence du 3 avril 2015.

Communiqué du 15 décembre 2023, pt. 12.

Décision Aut. conc. n° 21-D-09 du 24 mars 2021, LawLex202100000854JBJ, Contrats Conc. Consom. 2021, n° 80, obs. MALAURIE-VIGNAL et n° 86, obs. BOSCO ; LEDICO mai 2021, 6, obs. DIENY ; Procédures juin 2021, Chron. 5, n° 27, obs. MAZET, SERRANO, LEROY ; Concurrences 3/2021, 171, obs. LEMAIRE et FRICAUDET ; n° 23-D-04 du 12 avril 2023, LawLex202300005062JBJ, Concurrences 3/2023, 86, obs. DEBROUX et 158, obs. LACRESSE et FRICAUDET ; LEDICO mai 2023, 6, obs. DIENY ; n° 23-D-08 du 7 septembre 2023, LawLex202300011225JBJ, Concurrences 4/2023, 68, obs. BERNARDEAU ; LEDICO octobre 2023, 7, obs. DIENY ; Concurrences 1/2024, 155, obs. LEMAIRE et CAMUS ; JCP E 2024, n° 1073, obs. DECOCQ, des YLOUSES, DIENY, JAUNET, PRUNET, de LANZAC, LOUVARIS.

Après avoir retenu que l'entreprise ne peut profiter d'un taux de réduction supérieur à celui maximum envisagé dans l'avis de clémence [aujourd'hui supprimé] (V. Décision Aut. conc. n° 13-D-12 du 28 mai 2013, LawLex201300000872JBJ, préc.), l'Autorité est revenue sur sa position et a admis qu'elle pouvait, de sa propre initiative, procéder à l'issue de l'instruction à une réévaluation du taux maximum annoncé dans l'avis de clémence, lorsqu'il apparaissait que la valeur ajoutée des pièces communiquées avait été sous-évaluée par le rapporteur (Décision Aut. conc. n° 14-D-19 du 18 décembre 2014, LawLex201500001522JBJ, RLC 2015, n° 2731, obs. SÉLINSKY ; Concurrences 2/2015, 88, obs. DEBROUX et MOYRAND ; Concurrences 2/2015, 162, obs. LACRESSE et NAUDIN ; RDC 2015, 343, obs. PRIETO ; n° 18-D-24 du 5 décembre 2018, LawLex201800001876JBJ, LEDICO janvier 2019, 5, obs. CHONÉ-GRIMALDI ; RLC 2019, n° 3511, obs. TRIFOUNOVITCH et n° 3527, obs. DUMARÇAY). - V. égal., soulignant que le taux ne peut être revu qu'à la hausse, Paris, 3 décembre 2020, LawLex202000003475JBJ, LPA 18 mai 2021, 8, obs. ARHEL ; Concurrences 1/2021, 120, obs. DEBROUX.

Décision Aut. conc. n° 10-D-39 du 22 décembre 2010, LawLex201000001481JBJ ;  n° 13-D-12 du 28 mai 2013, LawLex201300000872JBJ, préc. ; Paris, 3 décembre 2020, LawLex202000003475JBJ.

Décision Aut. conc. n° 13-D-12 du 28 mai 2013, LawLex201300000872JBJ, préc. ; Paris, 2 février 2017, LawLex201700000234JBJ, JCP E, 2017, n° 1200, obs. WILHELM et DUMUR ; Contrats Conc. Consom. 2017, n° 107, obs. DECOCQ approuvée par Cass. com., 10 juillet 2018, LawLex201800001097JBJ, LD Septembre 2018, 10, obs. DESTOURS ; Contrats Conc. Consom. 2018, n° 181 et JCP E 2018, n° 1573, obs. BOSCO ; Concurrences 2018/4, 171, obs. LEMAIRE et FLORENT ; LPA 15 janvier 2019, 10, obs. ARHEL ; RJDA 2018, n° 871.

Cass. com., 27 mars 2019, LawLex201900000410JBJ. - V. aussi Paris, 3 décembre 2020, LawLex202000003475JBJ, préc., soulignant que la société mère à la date de la commission des pratiques, mais qui ne l'est plus à celle de la demande de clémence par son ancienne filiale, ne peut profiter du traitement accordé à cette dernière.

Décision Aut. conc. n° 14-D-19 du 18 décembre 2014, LawLex201500001522JBJ, RLC 2015, n° 2731, obs. SÉLINSKY ; Concurrences 2/2015, 88, obs. DEBROUX et MOYRAND ; Concurrences 2/2015, 162, obs. LACRESSE et NAUDIN, confirmée par Paris, 27 octobre 2016, LawLex201600001790JBJ, Concurrences 1/2017, 94, obs. THOMAS ; Concurrences 1/2017, 190, obs. LACRESSE ; LPA 14 mars 2017, 9, obs. ARHEL.

La plateforme Hermès est opérationnelle depuis le 8 juin 2021. Elle permet l’identification des parties et des avocats, le respect de l’intégrité et de la confidentialité des documents et assure la traçabilité des échanges  dématérialisés dans le cadre des procédures devant l'Autorité.

A noter que les articles R. 464-5-1 et suivants se contentent de simples “éléments d’information”, là où le communiqué du 3 avril 2015 et la directive ECN+ exigent la fourniture “d’éléments de preuves”.

La communication de nouvelles pièces après l'écoulement du délai marqueur ne remet pas en cause la position du demandeur lorsque les pièces ne constituent pas l'essentiel des informations divulguées par l'entreprise, Décision Aut. conc. n° 13-D-12 du 28 mai 2013, LawLex201300000872JBJ, RLC 2013/36, n° 2332 et 2335, obs. SÉLINSKY ; Concurrences, 3/2013, 74, obs. DEBROUX ; Concurrences, 3/2013, 150, obs. LEMAIRE.

Cas dans lequel l’Autorité ne dispose pas d’informations sur l’entente présumée : V. Communiqué de procédure du 3 avril 2015 relatif au programme de clémence français, nos 15 s.

Loi 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (DDADUE) en matière économique et financière.

Régime procédural de la clémence.

PAULHAC et HUA, Nouveau communiqué de procédure de clémence et nouvelle plateforme pour lanceurs d'alerte : seront-ils suffisants pour détecter plus de cartels ?, Contrats Conc. Consom. février 2024, Focus 6.

549. Régime procédural de la clémence.