Infractions au Code pénal, au Code de commerce ou au Code de l'environnement, Procédure pénale

Droit pénal des affaires

Une entreprise peut-elle être complice d’un crime contre l’humanité ? 
Il y a peu encore, une telle question aurait semblé inimaginable dans un traité de droit pénal des affaires. Néanmoins, la situation géopolitique actuelle ouvre de nouveaux risques pour les entreprises, y compris dans le champ d'incrimination en principe réservés aux criminels de guerre. Une affaire récente, qui implique un gra …

Complicité de crimes contre l'humanité

Une entreprise peut-elle être complice d’un crime contre l’humanité ? 

Il y a peu encore, une telle question aurait semblé inimaginable dans un traité de droit pénal des affaires. Néanmoins, la situation géopolitique actuelle ouvre de nouveaux risques pour les entreprises, y compris dans le champ d'incrimination en principe réservés aux criminels de guerre. Une affaire récente, qui implique un grand groupe français, en apporte une illustration saisissante. 

En l'espèce, une société française de matériaux de construction, par l’intermédiaire d’une sous-filiale locale, a maintenu en activité une cimenterie dans le nord de la Syrie pendant la guerre civile, de 2011 jusqu’à son évacuation précipitée en 2014. Les combats sur le territoire et son occupation par des groupes armés, dont l’organisation État islamique (EI), ont conduit d'autres multinationales à quitter la Syrie dès 2012, époque à laquelle l’Union européenne a établi un embargo. La poursuite de l’activité pour l'entreprise française s’est accompagnée du recours à des intermédiaires pour négocier le versement de fonds aux factions armées ou commercer avec elles afin de sécuriser la zone. Plusieurs associations et salariés syriens se sont constitués parties civiles pour dénoncer des faits de financement d’une entreprise terroriste, complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, travail forcé et mise en danger de la vie d’autrui.

En juin 2017, le parquet de Paris a ouvert une enquête pour financement d’une entreprise terroriste. Dans le cadre de cette information judiciaire, la société française est soupçonnée d'avoir versé, via sa filiale syrienne, près de 13 millions d'euros à des groupes terroristes dont l'EI ainsi qu'à des intermédiaires afin de maintenir l'activité de sa cimenterie en Syrie en dépit de la guerre civile et des enlèvements et menaces auxquelles étaient confrontés ses employés. En juin 2018, l'entreprise a été mise en examen en tant que personne morale. Elle a fait l'objet d'enquêtes pour complicité de crimes contre l'humanité, financement d'une entreprise terroriste, violation d'un embargo et mise en danger de la vie d'anciens salariés de l'usine syrienne. En novembre 2019, à la suite de sa saisine par le cimentier, la chambre de l’instruction de la cour d'appel de Paris a annulé la mise en examen pour complicité de crimes contre l'humanité contre l'entreprise. Les associations parties civiles ont décidé de se pourvoir en cassation. Le 7 septembre 2021, la Cour de cassation a cassé la décision de la Cour d’appel de Paris de 2019 qui annulait la mise en examen du cimentier pour complicité de crimes contre l’humanité. Le 18 mai 2022, la Cour d'appel de Paris, autrement composée, a confirmé la mise en examen de la personne morale pour complicité de crimes contre l'humanité. Le groupe s’est pourvu en cassation.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a apporté des précisions importantes sur la définition légale de la complicité de crimes contre l’humanité. Elle a tout d’abord rappelé qu’une mise en examen implique l’existence d’indices graves ou concordants de nature à rendre vraisemblable la commission d’une infraction. La chambre de l’instruction apprécie souverainement l’existence et la valeur probatoire des faits qui peuvent justifier une mise en examen. Par conséquent, le contrôle de la Cour de cassation se limite dans ce domaine à vérifier que la chambre de l’instruction n’a pas commis d’erreur de droit et que sa motivations n'est ni insuffisante ni contradictoire. La chambre de l’instruction, en 2019, a retenu qu’il existait des éléments suffisants pour considérer que des crimes contre l’humanité avaient été commis par les groupes armés, tels qu’un plan concerté d’exactions, d’attaques généralisées et systématiques de la population civile, et que la société française leur avait versé des fonds alors qu’elle avait une connaissance effective de la nature des exactions. Toutefois, elle a estimé qu’il n’existait pas d’indices graves ou concordants de complicité de la société : le financement des groupes armés était destiné à lui permettre de poursuivre son activité en pleine zone de guerre, et non à s’associer aux crimes commis. Dans le cadre de leur pourvoi, les parties civiles ont fait valoir que la complicité de crimes contre l’humanité n'exige pas que son auteur ait eu l’intention de s’associer à leur commission.

En vertu de l'article 212-1 du Code pénal, constitue un crime contre l'humanité, lorsqu'il est commis en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique, notamment, l'atteinte volontaire à la vie, la réduction en esclavage, le transfert forcé de population, la torture, le viol, la prostitution forcée, la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs notamment d'ordre religieux.

Aux termes de l'article 121-7 du Code pénal, est complice d'un crime ou d'un délit la personne, qui, sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation.

Il suffit donc que le complice ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un crime contre l’humanité (élément moral) et que, par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la consommation (élément matériel). En revanche, le texte n'exige ni que le complice de crime contre l'humanité appartienne à l'organisation, le cas échéant, coupable de ce crime, ni qu'il adhère à la conception ou à l'exécution d'un tel plan concerté, ni encore qu'il approuve la commission des crimes de droit commun constitutifs du crime contre l'humanité.

Il n'est donc pas surprenant que l’arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour annuler la mise en examen de l'entreprise du chef de complicité de crime contre l'humanité, avait retenu que le financement d'une organisation susceptible de commettre des crimes contre l'humanité était destiné à permettre la poursuite de son activité et ne manifestait pas son intention  de s'associer aux crimes contre l'humanité perpétrés par cette entité ait été censuré par la Cour de cassation. En effet, le versement en connaissance de cause d'une somme de plusieurs millions de dollars à une organisation dont l'objet n'est que criminel suffisait à caractériser la complicité par aide et assistance, peu important que le complice ait agi en vue de la poursuite d'une activité commerciale, circonstance ressortissant au mobile et non à l'élément intentionnel.

Cette décision, conforme aux prescriptions de 121-7 du Code pénal, s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation  portant sur l'application de l'article 6 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg , qui n'exige pas que le complice de crimes contre l'humanité ait adhéré à la politique mise en œuvre par l'auteur. Dès lors que l'article 121-7 ne distingue ni selon la nature de l'infraction principale, ni selon la qualité du complice, l’analyse de la Haute juridiction s'applique aux personnes morales comme aux personnes physiques.

Aux termes de l’article 121-6 du Code pénal, sera puni comme auteur le complice de l'infraction, au sens de l'article 121-7. L'article 213-3 du même Code dispose que les personnes morales déclarées responsables pénalement de crimes contre l’humanité, dans les conditions prévues par l'article 121-2, outre l'amende prévue à l'article 131-38 , les peines mentionnées à l'article 131-39 telles que la dissolution, l’exclusion des marchés publics, l’interdiction de procéder à une offre au public de titres financiers ou de faire admettre ses titres financiers aux négociations sur un marché réglementé, l’interdiction de percevoir toute aide publique, et la confiscation de tout ou partie des biens leur appartenant ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont elles ont la libre disposition. L'auteur ou le complice d'un crime contre l’humanité ne peut être exonéré de sa responsabilité du seul fait qu'il a accompli un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ou un acte commandé par l'autorité légitime. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le montant .

Cet arrêt constitue un véritable tournant en matière de responsabilité pénale des multinationales. La Chambre criminelle ouvre de fait pour la première fois la voie à la mise en examen d’une personne morale pour complicité de crime contre l’humanité. Cette affaire n’est malheureusement pas une exception. En effet, une institution bancaire française est elle aussi visée par une information judiciaire du pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris concernant sa complicité présumée dans la commission de crimes contre l’humanité au Soudan entre 2002 et 2008. En plaidant coupable auprès des autorités américaines, la banque en cause a reconnu avoir fourni au gouvernement soudanais un accès à des milliards de dollars américains et au système financier américain qu'il n'aurait pu avoir sans son concours. Dans ce dossier, les juges d’instruction devront déterminer si, le faire, pour une banque, de servir de banque centrale comme cela a été établi par les autorités américaines au Soudan, peut être analysé comme une complicité de crime contre l’humanité.

Ces affaires illustrent les risques considérables du financement de régimes répressifs par des entreprises qui peut être analysé comme une assistance et une facilitation de la commission de violations de crimes contre l’humanité et donc engager leur responsabilité pénale. Elles appellent à la plus grande vigilance de la part des entreprises françaises en activité dans des zones de conflits. Cet arrêt s’inscrit dans la tendance jurisprudentielle actuelle qui tend à étendre le champ de la responsabilité pénale des grands groupes de sociétés. qui peuvent désormais être appelés à répondre de tout type d'infractions, y compris les plus graves, commises par leurs filiales en France ou à l’étranger, notamment du fait de leur organisation . Il est donc indispensable pour les entreprises de mettre en place des programmes de prévention du risque pénal afin d'éviter la commission de ces infractions.

Cass. crim., 23 janvier 1997, n° 96-84.822.

Traité qui a créé l'incrimination de crime contre l'humanité. 

C. pén. art. 131-38 : le taux maximum de l'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l'infraction. Lorsqu'il s'agit d'un crime pour lequel aucune peine d'amende n'est prévue à l'encontre des personnes physiques, l'amende encourue par les personnes morales est de 1 000 000 euros.

Cass. crim., 16 juin 2021, LawLex202200001378JBJ, BJS septembre 2021, 24, obs. SALOMON ; JCP G 2021, n° 768, obs. BRIGANT ; JCP E 2021, n° 1368, obs. DREYER ; Dr. pén. 2021, n° 140, obs. CONTE ; JCP S 2021, n° 1223, obs. DUQUESNE ; Rev. int. Compliance 2021, n° 220, obs. RUSSO ; JCP E 2022, n° 1101, n° 13, obs. GASBAOUI.

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