CA Paris, 5e ch. B, 11 avril 2002, n° 2000-14042
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Guerlain (SA)
Défendeur :
Idéas Studio (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Conseillers :
M. Faucher, Mme Pezard
Avoués :
SCP Fanet-Serra, SCP Duboscq-Pellerin
Avocats :
Mes Fourment, Léonelli.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Guerlain contre le jugement rendu le 9 juin 2000 par le tribunal de commerce de Paris, qui l'a condamnée, avec exécution provisoire, à payer à la société Idéas Studio, à titre de dommages intérêts, pour rupture brutale de relations commerciales établies, la somme de 2.000.000 F et a mis les dépens à sa charge, déboutant les parties de toutes prétentions contraires.
Le litige porte sur les conséquences de la rupture des relations contractuelles qui existaient entre les parties depuis 1984, la société Idéas Studio réalisant à titre principal pour la société Guerlain, en particulier à l'occasion du lancement de nouveaux parfums ou de certaines fêtes ayant une incidence commerciale (Noël-Fête des Mères...) des décors de vitrine et installant par ailleurs des vitrines chez les distributeurs agréés de Guerlain sur le territoire français métropolitain.
Imputant à la société Guerlain la responsabilité de la rupture, sans préavis, en violation des dispositions de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la société Idéas Studio l'a, par acte du 8 octobre 1998, assignée en réparation des préjudices qu'elle lui aurait ainsi causés, réclamant 4.160.700 F au titre du préavis, 2.000.000 F au titre du préjudice d'image et sollicitant une mesure d'instruction ayant pour objet de déterminer l'ampleur des atteintes portées au droit moral qu'elle détenait sur ses créations.
La société défenderesse s'est opposée à ces demandes et a sollicité reconventionnellement des dommages-intérêts pour procédure abusive. C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision déférée.
Aux termes de ses dernières écritures, signifiées le 25 février 2002, la société Guerlain, appelante, soulève liminairement la nullité du jugement déféré pour défaut de motivation et l'irrecevabilité de l'action de la société Idéas Studio, faute par celle-ci de justifier d'un intérêt légitime en ce qu'elle n'établit pas l'existence d'un préjudice certain et direct ni d'une faute imputable à la société Guerlain. Sur le fond, soutenant que la société Idéas Studio a en réalité pris seule l'initiative d'une rupture brutale des relations commerciales, que cette société ne prouve aucune faute à la charge de Guerlain, aucun préjudice commercial ou d'image en relation avec une telle faute ni aucune violation de son droit moral, l'appelante prie la Cour d'infirmer le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté les prétentions de la société Idéas Studio au titre du droit moral, de débouter ladite société de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer 31.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi que "24.000 euros HT, soit 28.704 euros TTC" sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Idéas Studio (société Idéas), intimée et incidemment appelante, demande à la Cour, aux termes de ses dernières écritures signifiées le 28 février 2002, de dire son action recevable, l'indemnité d'assurance qu'elle a reçue à la suite de l'incendie survenu dans ses locaux d'Asnières le 31 mars 1997 ayant couvert le seul préjudice lié à l'impossibilité d'une activité normale entre avril 1997 et mars 1998 mais non celui, relatif à la période allant de septembre 1996 au 31 mars 1997, dont elle demande réparation dans la présente instance, de confirmer dans son principe le jugement critiqué mais de le réformer quant à l'appréciation du préjudice et de condamner la société Guerlain à lui payer, à titre de dommages intérêts, 91.035 euros au titre des licenciements, 376.367 euros au titre du défaut de réalisation de l'opération "Mozaïs" en 1997, 121.958 euros au titre de l'abandon de l'opération "Mozaïs" et 152.450 euros au titre du préjudice d'image, lesdites sommes augmentées des intérêts au taux légal à compter de 1'assignation, ainsi que, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme de 23.000 euros.
Cela étant exposé,
SUR LA NULLITÉ ALLÉGUÉE DU JUGEMENT
Considérant que la décision critiquée, après avoir constaté que les sociétés Guerlain et Idéas entretenaient des relations commerciales établies, a retenu que constituait une rupture brutale sans préavis fautive au regard des dispositions de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 - jugées applicables en l'espèce contrairement à ce que soutenait la société Guerlain - le comportement de cette société tel qu'allégué par la société Idéas, qui soutenait avoir été informée en mars 1997 de la décision prise par la société Guerlain de cesser toute relation commerciale, comportement que le tribunal a implicitement estimé établi dès lors qu'il l'a dit fautif et a examiné, pour le réparer, le préjudice qu'il avait causé à la société Idéas, apprécié par référence au chiffre d'affaires que la société Idéas aurait du réaliser pendant la durée - il est vrai non précisée - du préavis que la société Guerlain aurait dû respecter.
Que cette motivation, pour succincte qu'elle soit, répond dans son ensemble aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, quoi qu'il en soit de l'appréciation de sa pertinence, voire de sa suffisance sur certaines questions de fait et de droit soumises au tribunal, de sorte que la société Guerlain n'est pas fondée à demander la nullité du jugement;
SUR LA FIN DE NON-RECEVOIR OPPOSÉE PAR LA SOCIÉTÉ GUERLAIN
Considérant que, la société Idéas demandant réparation d'un préjudice, selon elle distinct de celui réparé par l'indemnité d'assurance reçue à la suite de l'incendie ayant détruit ses locaux dans la nuit du 30 au 31 mars 1997, car se rapportant à une période antérieure à ce sinistre, la société Guerlain n'est pas fondée à soutenir que la société Idéas serait irrecevable en son action, faute d'un intérêt légitime ; que le point de savoir si, à supposer établie la faute de la société Guerlain, la société Idéas justifie du préjudice qu'elle allègue et si celui-ci n'est pas en réalité compris dans celui ayant donné lieu au versement de l'indemnité d'assurance relève de l'examen au fond, dont ne peut dépendre l'appréciation de la recevabilité de l'action.
SUR LE FOND
SUR LES CONDITIONS DE LA RESPONSABILITÉ DE LA RUPTURE
Considérant qu'il résulte des pièces produites et qu'il n'est au demeurant pas contesté que, depuis plusieurs années, la société Idéas était chargée de réaliser les vitrines de la société Guerlain pour "l'opération Fête des Mères" ; que la société Guerlain passait commande en janvier ou février sur la base d'un devis établi par la société Idéas à la mi janvier - sauf en 1994 où la commande n'est intervenue qu'en avril sur un devis de mars - après acceptation de la maquette par la société Guerlain, ce qui implique nécessairement, avant l'établissement du devis, un travail préparatoire de plusieurs semaines pour la société Idéas et une étroite concertation comportant plusieurs réunions de travail entre les deux cocontractants, la société Guerlain devant, ainsi qu'elle le revendique, définir les concepts, qu'il revenait ensuite à la société Idéas de traduire dans un projet, et apprécier la maquette à réaliser au regard des objectifs définis ; que si aucune pièce n'établit que le calendrier de l'opération "Fête des Mères" commençait dès le mois de juin ou juillet, au plus tard en septembre de l'année précédente, comme le soutient la société Idéas, les contraintes ci-dessus rappelées entraînaient nécessairement un démarrage des travaux préparatoires au début du dernier trimestre de l'année précédente, soit en octobre ou, à l'extrême limite, en novembre.
Considérant que la société Idéas affirme s'être inquiétée auprès de la société Guerlain dès le mois de septembre 1996 et à plusieurs reprises, par téléphone et par télécopie, des dispositions à prendre pour l'opération "Fête des Mères" de 1997 ; qu'elle n'en rapporte toutefois pas la preuve ; que les deux parties reconnaissent qu'elles se sont rencontrées lors d'une réunion tenue le 22 novembre 1996; qu'aucun compte-rendu commun n'en a été rédigé ; que la société Guerlain affirme avoir, lors de cette réunion, informé sa cocontractante, qui en aurait accepté le principe, qu'elle entendait, contrairement aux autres années, procéder à une "mise en concurrence" pour la réalisation de l'opération "Fête des Mères" de 1997 ; mais que le courrier de la société Idéas daté du 25 novembre 1996, d'où la société Guerlain prétend tirer la preuve de l'accord de la société Idéas, ne dit nullement ce que la société Guerlain prétend y voir; qu'en effet, la référence à "une nouvelle organisation" dans la phrase: "Lors de notre rendez-vous vendredi 22 novembre 1996 à propos de la nouvelle colonne de Parfums à réaliser en incluant Champs-Elysées, vous m'avez brièvement informé d'une nouvelle organisation qui se met en place", ne peut être regardé comme traduisant un accord non ambigu de la société Idéas sur un changement dans les relations contractuelles aussi important et désavantageux pour elle qu'une procédure de mise en concurrence, alors que l'objet de la réunion était autre et que la "nouvelle organisation" évoquée pouvait porter sur toute autre chose que ce qui est allégué par la société Guerlain ; qu'il s'ensuit que la société Guerlain, dont l'argumentation repose pour une part essentielle sur l'acceptation, qui aurait été donnée par la société Idéas lors de la réunion du 22 novembre 1996, du principe d'une mise en concurrence, ne le prouve pas.
Considérant qu'il est constant qu'une seconde entrevue a eu lieu le 22 janvier 1997 entre Madame Maubras, gérante de la société Idéas et le directeur du service achat de la société Guerlain, au cours de laquelle la société Idéas reconnaît que la société Guerlain l'a informée de sa décision d'organiser une mise en concurrence et lui a demandé de lui soumettre des maquettes;
Qu'après avoir, selon elle, adressé le 27 janvier 1997 un courrier en télécopie dont elle ne prouve pas que la société Guerlain l'a reçu, la société Idéas a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 11 février 1997, se référant à la réunion du 22 janvier 1997, et dont le contenu est identique à celui de la télécopie prétendument adressée le 27 janvier 1997, indiqué que, si la réalisation de la maquette "ne pose aucun problème d'ordre technique quant à sa réalisation", celle-ci nécessitait un grand nombre d'heures de travail, dont les coûts avaient jusqu'alors toujours été "absorbés et inclus dans le contrat global de réalisation de la campagne PLV" et demandé en conséquence à sa cocontractante de "bien vouloir nous confirmer qu'il en sera de même cette année et que vous nous confierez la totalité de la campagne PLV (fabrication décors prestiges, standards et poses sur toute la France)", manifestant ainsi son refus de la mise en concurrence annoncée par la société Guerlain;
Que par lettre du 4 mars 1997, la société Guerlain a répondu qu'ayant été claire dans l'annonce de sa décision de demander également à un concurrent de la société Idéas de faire des propositions pour le décor des vitrines pour la Fête des Mères de 1997 et ayant tenté en vain d'alerter la société Idéas sur la rapidité de réaction de son concurrent mais n'ayant reçu d'elle aucune réponse ni projet de maquette, elle en avait déduit que la société Idéas n'entendait pas donner suite à cette étude ;
Que, par télécopie du 25 mars 1997, la société Idéas, indiquant avoir appris "par l'extérieur il y a 15 jours environ que Guerlain - Madame Picard Emorine a choisi pour le service vitrine la "GED Groupe Hexagone Deco" comme interlocuteur", a informé la société Guerlain que, de ce fait, elle ne pourrait "assurer les demandes ponctuelles de poses vitrines animation" ce pour quoi elle lui retournait sept "contrats reçus", acceptant seulement d'assumer "les reprises des animations en cours y compris la pose de Verdier Aulnay pour le 28 mars 1997";
Considérant que la société Guerlain ne pouvait, sans un préavis donné en temps utile, soit au début du troisième trimestre de l'année 1996, décider unilatéralement de ne pas confier la réalisation pour l'année 1997 de l'opération Fête des Mères à la société Idéas, pour laquelle elle représentait une part importante de son chiffre d'affaires, nécessaire à l'amortissement de ses frais fixes, contrairement à l'usage qui s'était établi entre les parties depuis de nombreuses années dans des relations contractuelles dont la société Idéas pouvait raisonnablement attendre qu'elles se poursuivent; qu'au surplus elle n'a pas agi de bonne foi en demandant à la société Idéas de lui soumettre des maquettes sans lui donner aucune directive ou indication quant à ses souhaits et à la conception générale à laquelle devrait obéir le projet, alors qu'elle revendique pour elle même le rôle essentiel dans la conception, cependant que le délai de conception et de réalisation était considérablement raccourci par rapport au calendrier habituel, de sorte qu'elle n'a pas mis la société Idéas en mesure de faire des propositions utiles et d'avoir une chance d'être retenue à l'issue de la procédure de " mise en concurrence ", qui apparaît dès lors avoir été fictive et sur laquelle la société Idéas n'a jamais au demeurant donné son accord ;
Que la responsabilité de la rupture, fautive en l'absence d'un préavis conforme à la nature et à l'ancienneté des relations contractuelles, incombe donc à la société Guerlain, cependant que le courrier de la société Idéas du 25 mars 1997 n'a fait que prendre acte de cette rupture, définitivement consommée par le contrat conclu avec un concurrent de la société Idéas pour l'opération "Fête des Mères 1997", en renvoyant des projets de contrats portant sur des interventions peu rentables, ne présentant plus d'intérêt pour la société Idéas dès lors que les contrats essentiels lui étaient retirés ;
SUR LE PRÉJUDICE
Considérant que la société Idéas réclame réparation des chefs de préjudice suivants :
- perte de la marge de la campagne "Fête des Mères" 1997, évaluée à 129.734 euros
- charges fixes supportées par la société Idéas au cours du dernier trimestre de 1996 et du premier trimestre de 1997, évaluées à 292.367 euros,
- coût du licenciement pour motif économique de 11 salariés en janvier et février 1997,
- charges afférentes au temps passé à la création des maquettes pour l'opération "Mozaïs", (création de décor pour la nouvelle ligne de produits de maquillage Mozaïs) qui aurait du donner lieu à une commande entre janvier et mars 1997 alors que les maquettes avaient été remises à la société Guerlain en octobre 1996, évaluées à 45.734 euros,
- perte de marge sur l'opération Mozaïs, évaluée à 76.225 euros,
- préjudice d'image, évalué à 152.450 euros, le caractère privilégié de la relation avec la société Guerlain ayant valorisé l'image de la société Idéas auprès des autres grands producteurs et distributeurs de produits de luxe et la rupture brutale de cette relation par la société Guerlain ayant laissé penser que la société Idéas avait commis une faute grave dans l'exécution de ses prestations ;
Considérant qu'à la suite de l'incendie qui a détruit ses locaux et l'a obligée de ce fait à cesser l'essentiel de son activité pendant un certain temps la société Idéas reconnaît avoir reçu une indemnité d'assurance représentant la perte de chiffre d'affaires subie du fait de l'absence d'activité entre le 1er avril 1997 et le 31 mars 1998 ;
Considérant que, si la réalisation de l'opération " Fête des Mères" avait été confiée, pour 1997 comme pour les années précédentes, à la société Idéas, celle-ci n'aurait reçu la rémunération correspondante que postérieurement au 31 mars 1997, ce qu'elle ne conteste pas, la Fête des Mères, marquant la fin de sa prestation, ayant lieu au mois de mai ; que le chiffre d'affaires ainsi manqué par rapport à l'année précédente a donc nécessairement été compris dans l'indemnité d'assurance, laquelle n'a pu être calculée que par référence au chiffre d'affaires réalisé en 1996 et éventuellement au cours des années précédentes, pour lesquelles le chiffre d'affaires de la société Idéas incluait la rémunération de l'opération "Fête des Mères", peu important que les prestations qui auraient été facturées et payées postérieurement au mois de mars 1997 eussent du être exécutées pour partie entre septembre 1996 et le 31 mars 1997 si le calendrier habituel avait été respecté et que la commande eût du être passée en février ou mars 1997 ;
Que, de la même manière, les charges fixes supportées par la société Idéas au cours du dernier trimestre de 1996 et du premier trimestre de 1997, qui auraient été "absorbés et inclus dans le contrat global de réalisation de la campagne PLV", selon la lettre recommandée de la société Idéas du 11 février 1997, se trouvent de ce fait déjà comprises dans la perte de chiffre d'affaires indemnisée au titre de l'incendie, puisque ces coûts auraient été inclus dans le prix que la société Idéas aurait facturé après le 31 mars 1997 ;
Que, s'agissant de l'opération "Mozaïs", qui n'était pas, comme l'opération "Fête des Mères", une opération reconduite tous les ans mais revêtait au contraire un caractère ponctuel et spécifique, aucune commande ferme n'avait été passée à la société Idéas, qui ne pouvait tenir pour acquis de manière certaine que la réalisation lui en serait confiée alors qu'elle ne produit aucun courrier ou autre pièce émanant de la société Guerlain relativement à ce projet et ne prouve pas que ses maquettes avaient été acceptées, comme elle l'affirme ; qu'en travaillant pour ce projet, sans certitude de son aboutissement et donc de la perception d'une rémunération, la société Idéas a pris un risque, normal dans la vie d'une entreprise, qu'elle doit assumer ; qu'en toute hypothèse, elle ne prouve nullement que la réalisation du projet, la facturation et le paiement de ses prestations auraient été antérieurs au 31 mars 1997, si la commande avait été passée, de sorte qu'il s'agit là d'un préjudice hypothétique; que si, comme le soutient la société Guerlain sans être utilement contredite, l'exécution de la commande avait dû être postérieure au 31 mars 1997, 1'interruption d'activité d'un an consécutive à l'incendie l'aurait empêchée, de sorte que, dans cette hypothèse, le préjudice se trouve compris dans la perte de chiffre d'affaires déjà indemnisée; que ni les charges afférentes au temps passé à la création de maquettes pour le projet "Mozaïs", ni la marge que la société Idéas aurait pu réaliser sur cette opération, charges et marge qui auraient au demeurant été incluses dans le prix facturé, ne peuvent donc donner lieu à indemnisation à la charge de la société Guerlain;
Que, s'agissant du préjudice d'image, il découlerait, à le supposer établi, de la rupture des relations contractuelles en elle-même et non du caractère brutal, sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures, de cette rupture, alors que l'action de la société Idéas est fondée explicitement sur la violation par la société Guerlain des dispositions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 442-6 du Code de commerce; qu'en toute hypothèse, l'existence de ce préjudice n'est pas établie, dès lors qu'il n'est pas démontré qu'une publicité particulière aurait été donnée à la rupture ou que d'autres clients potentiels de la société Idéas, dans le même secteur d'activité, en auraient été spécialement avertis ni que les conditions de la rupture, qui s'est faite sans éclat et de manière dissimulée ou déguisée, en l'absence de toute allégation par la société Guerlain d'une faute, aurait pu nuire à l'image ou à la réputation de la société Idéas ;
Que, s'agissant du licenciement de 11 salariés pour motif économique en février 1997, la société Guerlain ne prouve pas que le coût de cette opération a été en fait compris dans l'indemnité d'assurance, par suite d'un amalgame entre ces licenciements et ceux qui ont été la conséquence de l'incendie survenu un mois et demi plus tard;
Que les licenciements à raison desquels la société Idéas demande réparation sont intervenus pour 5 salariés par lettres du 4 février 1997, pour 6 autres par lettres du 20 février 1997 ; qu'ils sont tous motivés par une "baisse sérieuse des commandes" ; que les lettres de licenciement du 4 février 1997 se réfèrent à un entretien préalable ayant eu lieu le 31 janvier 1997, celles du 20 février 1997 à un entretien préalable du 18 février 1997 ; que, contrairement à ce que soutient la société Guerlain, les dates ci-dessus rappelées n'impliquent pas nécessairement que la procédure ait été engagée à la fin de l'année 1996 ; qu'au contraire il apparaît bien que ces licenciements sont la conséquence de la rupture brutale et sans préavis des relations contractuelles par la société Guerlain en janvier 1997, qui privait la société Idéas de commandes essentielles à son équilibre, alors qu'elle ne pouvait trouver d'autres contrats lui permettant de réaliser, au cours du premier semestre de 1997, un chiffre d'affaires équivalent à peu près à celui de l'opération "Fête des Mères" ;
Que le coût réel des 11 licenciements concernés, tel qu'il résulte des pièces produites, s'élève à 597.156 F, soit 91.035 euros ; qu'il n'y a pas lieu en effet de déduire les sommes payées au titre des congés, du préavis et des cotisations patronales, au motif que ces charges ne seraient pas exceptionnelles, dès lors que, sans contrepartie possible du fait de la rupture, elles sont bien la conséquence de la rupture brutale des relations contractuelles ; que la société Guerlain sera donc condamnée à payer à la société Idéas à titre de dommages intérêts, la somme de 91.035 euros avec, à titre de dommages-intérêts complémentaires eu égard à la date à laquelle la société Idéas à verser ladite somme, les intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 1998, date de l'assignation ;
Considérant que la société Idéas, dont la demande et accueillie pour partie, ne peut être condamnée à des dommages intérêts pour procédure abusive ;
Considérant que le jugement déféré mérite d'être confirmé quant aux dépens et à l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Que la société Guerlain, qui succombe pour l'essentiel, devra supporter les dépens d'appel, ce qui entraîne le rejet de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en faveur de la société Idéas ;
Par ces motifs : LA COUR : Rejette la demande de la société Guerlain tendant à voir déclarer nulle jugement déféré, Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt légitime à agir, opposé par ladite société, Réforme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il a statué sur les dépens ainsi que sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et, statuant à nouveau, Condamne la société Guerlain à payer à la société Idéas Studio, à titre de dommages intérêts, la somme de 91.035 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 1998, Déboute les parties de toute autres demandes, Condamne la société Guerlain aux dépens d'appel et admet la SCP Duboscq Pellerin, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.