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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 22 mai 2002, n° 2000-16662

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ronyl (SA)

Défendeur :

Breitling France (SA), Breitling Suisse (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Roblin- Chaix de Lavarène

Avocats :

Mes Donnedieu de Vabres, Meyer.

CA Paris n° 2000-16662

22 mai 2002

La société Ronyl qui exploite un point de vente situé au 52/60 avenue de Champs Elysées, sous l'enseigne Louis Pion, était approvisionnée en montres de la marque suisse Breitling par la société Michel Niarquin, importateur exclusif de la marque en France, avec laquelle elle avait conclu, le 15 mai 1995, un contrat de distribution sélective de ces produits.

La société de droit suisse Breitling SA, fabricante des produits horlogers sous la marque Breitling, a dénoncé le 15 janvier 1999 pour le 20 avril suivant les accords de distribution passés en 1985 avec la société Michel Niarquin, laquelle a dénoncé le 19 mai 1999 l'accord de distribution qu'elle avait conclu avec la société Ronyl.

La société Ronyl qui prétendait qu'elle n'était plus approvisionnée par la société Breitling France, filiale de la société suisse, qui à partir du 19 avril 1999, avait pris la succession de la société Michel Niarquin qui l'avait approvisionnée depuis 1990, et que le 4 novembre 1999, la société Breitling France l'avait informée de son intention de ne pas agréer l'enseigne Louis Pion des Champs Elysées au sein du réseau de distribution sélective comme ne répondant pas aux critères de sélection de la marque, a assigné à bref délai le 6 mars 2000, devant le tribunal de commerce de Paris les sociétés Breiling SA et Breitling France pour voir déclarer illicites les paragraphes 5.6 et 10 de la clause 8 ainsi que l'article 10 du protocole d'agrément de Breitling France, pour voir ordonner sous astreinte à ces deux sociétés d'agréer son point de vente des Champs Elysées et subsidiairement, pour les voir condamnées solidairement à lui payer la somme de 7.800.000 F à titre de dommages et intérêts ;

Les défenderesses se sont opposées à cette action.

Par jugement du 13 juin 2000, le tribunal, après que le juge rapporteur eut décidé avec l'accord des parties et en leur présence de se rendre dans des magasins agréés et dans celui des Champs Elysées, a débouté la société Ronyl de toutes ses demandes, l'a condamnée à payer à chacune des sociétés Breitling la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a mis les dépens à sa charge.

La société Ronyl a interjeté appel de ce jugement.

LA COUR:

Vu les écritures en date du 23 janvier 2002 par lesquelles la société Ronyl, poursuivant au visa des articles 1382 et L. 442-6-5° du Code de commerce l'infirmation de ce jugement, demande à la Cour :

- de juger que :

* les sociétés Breitling SA et France ont commis un délit civil de rupture brutale et sans préavis d'une relation commerciale établie,

* elles ont commis une faute engageant leur responsabilité en refusant de livrer la société Ronyl alors qu'elle remplissait les conditions d'agrément posées par le contrat de distribution sélective,

* l'article 8 § 5. 6 et 10 ainsi que l'article 10 du protocole d'agrément de la société Breitling France sont illicites en ce qu'ils ne sont pas conformes aux exigences du droit de la concurrence,

* les sociétés Breitling ne peuvent donc se prévaloir, par conséquent, d'un contrat de distribution sélective illicite pour refuser les commandes de la société Ronyl,

- d'ordonner aux sociétés Breitling d'agréer et de livrer le point de vente des Champs Elysées sous astreinte de 1.524,59 euros (10.000 F) par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir,

- de condamner solidairement les sociétés Breitling à verser à la société Ronyl la somme de 1.189.102,20 euros (7.800.000 F) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux de diffusion nationale au choix de l'appelante et aux frais des intimées,

- de les condamner au paiement des sommes de 7.622,45 euros (50.000 F) au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Vu les écritures en date du 4 février 2002 par lesquelles les sociétés Breitling France et Breitling SA prient la Cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter la société Ronyl de l'ensemble de ses demandes, sauf à la condamner à payer respectivement aux sociétés Breitling France et Breitling SA la somme de 7.623 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel ;

Sur ce :

Considérant, en premier lieu, que la société Ronyl soutient que compte tenu de la durée, de la régularité et de la qualité des relations commerciales établies, la rupture brutale induite par le changement de stratégie de la société Breitling suisse, mis en œuvre sans préavis écrit, constitue la faute réprimée par l'article 442-6-1-5° du Code de commerce et engage la responsabilité de ces deux sociétés ;

Considérant que l'article 442-6-1-4° [sic] du Code de commerce ancien article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé de fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou artisan de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte des relations antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels ... ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient l'appelante, que n'ayant jamais eu de relations commerciales avec la société Breitling Suisse, ni avec la société Breitling France qui n'existait pas, elle ne peut se prévaloir à leur encontre des dispositions de ce texte;

Qu'en effet, il est constant qu'elle n'a entretenu depuis 1990, des relations commerciales qu'avec la seule société Michel Niarquin, concessionnaire exclusif en France de la marque suisse, et ne démontre pas qu'elle aurait entretenu le moindre rapport commercial avec la société Breitling SA; qu'elle n'a acheté des montres Breitling qu'à la société Michel Niarquin, comme en justifie l'ensemble des factures qu'elle produit, et c'est avec cette dernière qu'elle a conclu le 15 mai 1995, un contrat de distribution sélective des produits Breitling ; qu'elle n'a jamais demandé à la société suisse l'autorisation d'utiliser la marque, ni représenté cette société auprès des tiers, son interlocuteur exclusif était la société Michel Niarquin;

Considérant que les articles de presse et les campagnes publicitaires dont elle se prévaut n'ont été réalisés qu'à son initiative ou à celle de la société Michel Niarquin et de la société Royal Quartz; qu'elle ne rapporte nullement la preuve qu'ils auraient été effectués à l'initiative de la marque ; qu'elle ne démontre pas plus qu'elle aurait reçu la visite du dirigeant de la société Breitling SA, ni qu'elle l'aurait régulièrement rencontré à la foire de Bâle, comme le prétend Patrick Martin dans le courrier-attestation qu'il a adressé le 5 octobre 2001, à Jean-Claude Lambert, simple administrateur de la société Ronyl, mais président du conseil d'administration de la société Sofidi, exerçant sous l'enseigne Royal Quartz, elle-même agréée par la société Breitling France, étant observé à cet égard que Patrick Martin, ancien attaché commercial de la société Michel Niarquin, puis de la société Breitling France, a été licencié par ces deux sociétés, que c'était d'ailleurs lui qui, après avoir visité le 29 octobre 1999, le point de vente des Champs Elysées, a émis un avis défavorable sur l'agrément de celui-ci ;

Qu'enfin, la société Ronyl n'est pas mieux fondée, pour justifier de l'existence d'une relation commerciale établie avec la marque Breitling, de se prévaloir du certificat de compétence remis à Ranto Rajaoffretra, vendeur des établissements Louis Pion Paris 8e, délivré en fait le 28 octobre 1998 à Joinville, lieu du siège social de la société Michel Niarquin par Patrick Martin lui-même, comme en atteste la signature figurant sur ce document ;

Considérant que l'appelante prétend que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le refus d'agrément de la société Ronyl par la société Breitling France est discriminatoire dans la mesure où le point de vente situé aux Champs Elysées est totalement conforme au protocole d'agrément de celle-ci, qui ne fait que reprendre quasiment dans les mêmes termes l'ancien protocole ;

Mais considérant que c'est par des motifs pertinents, pas utilement contestés par l'appelante, que la Cour adopte que le tribunal, saisi d'une demande identique à celle qui lui est aujourd'hui soumise, après avoir pris en compte les critères qualitatifs prévus au protocole de distribution sélective de Breitling France et après la visite contradictoire effectuée par le juge rapporteur dans les magasins de trois revendeurs agréés et dans celui des Champs Elysées, a jugé que la société Ronyl n'était pas fondée à prétendre être victime d'une mesure discriminatoire de la part de Breitling France, étant ici observé que les constatations du juge rapporteur ne peuvent être sérieusement accusées de subjectivité car parfaitement conformes à celles qui avaient été effectuées en leur temps par Patrick Martin et l'huissier désigné par le président du tribunal de grande instance de Paris ;

Considérant que le fait que sa boutique des Champs Elysées n'a pas connu de modification depuis son agrément formel en 1995, est sans incidence sur cette situation en raison, d'une part, du fait que ce sont les produits Breitling qui ont eux évolué vers un plus grand luxe et une plus grande technicité de par leur certification chronomètre en 1999, et, d'autre part, du fait que, si la société Breitling SA a dénoncé ses accords avec la société Michel Niarquin, c'est précisément en raison du désaccord existant entre avec elle sur les conditions de revente et le choix des revendeurs que la société Breitling SA désapprouvait, ainsi que la société Ronyl en a été informée par le courrier que la société Breitling France lui a adressé le 6 novembre 1999 ;

Considérant, enfin, qu'il est sans intérêt d'analyser l'existence d'une éventuelle limitation du nombre des revendeurs en raison de la baisse de la production due à la certification chronomètre du produit et à sa complexification entraînant une hausse de prix dans la mesure où l'agrément a été refusé à la société Ronyl parce que le magasin à l'enseigne Louis Pion des Champs Elysées n'avait pas un environnement compatible avec les conditions de distribution des montres Breitling ;

Considérant que, si l'appelante ne remet pas en cause l'utilité du réseau de distribution sélective des produits Breitling , elle prétend que certaines clauses du contrat de distribution sélective de la société Breitling France seraient illicites, à savoir les paragraphes 5. 6 et 10 de la clause 8 ainsi que l'article 10, en fait il s'agit de l'article 13 ;

Mais considérant, d'abord, qu'il résulte des termes des paragraphes 5 et 6 susvisés, que le revendeur reste libre de fixer ses prix de revente, que seule lui est interdite à juste titre toute action dévalorisante parfaitement conforme à la finalité d'un système de distribution sélective ;

Qu'ensuite, concernant la clause relative au contrôle des rétrocessions au sein du réseau, - paragraphe 8 - , il convient de relever que dans sa nouvelle rédaction telle qu'il en est justifié, il est parfaitement conforme au droit de la concurrence et n'établit plus aucune restriction de cette nature au sein du réseau ; que la clause 13 relative aux conditions de cession de l'accord a été purement et simplement supprimée ;

Qu'enfin, concernant l'article 10 conforme aux exigences du droit de la concurrence, l'appelante n'a développé aucune critique contre les stipulations de celui-ci ; qu'il s'agit vraisemblablement d'une erreur figurant dans le dispositif de ses écritures entre l'article 10, non critiqué qu'y est visé et l'article 13, critiqué mais qui n'y est pas visé ;

Considérant qu'il s'ensuit que la société Ronyl doit être déboutée de son recours et de l'ensemble de ses prétentions ; que le jugement dont appel doit être confirmé ;

Considérant qu'il est équitable d'allouer à chacune des sociétés Breitling la somme complémentaire de 6.000 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel ; que la demande formée de ce chef par la société Ronyl sera rejetée ;

Par ces motifs : Confirme le jugement dont appel ; Condamne la société Ronyl à payer à chacune des sociétés Breitling SA et Breitling France la somme complémentaire de 6.000 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel et à supporter les dépens ; Admet l'avoué concerné au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.