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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 28 mai 1999, n° 1999-03076

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ribatto (SA)

Défendeur :

Britax Geco (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cuinat

Conseillers :

MM. André, Valette

Avoués :

Me Cordeau, SCP Gaultier-Kistner-Gaultier

Avocats :

Mes Laloum, Moisand-Florand.

T. com. Melun, prés., du 2 déc. 1998

2 décembre 1998

La SA Ribatto a relevé appel d'une ordonnance de référé en date du 2 décembre 1998 rendue par le président du Tribunal de commerce de Melun qui, faisant droit à la demande de la SA Britax Geco :

- a donné acte aux parties que la livraison des pièces commandées et en stock a été effectuée;

- l'a condamnée à restituer à cette dernière les outillages que celle-ci avait mis antérieurement à sa disposition dans le cadre d'un contrat de sous-traitance - selon une liste de numéros gravés sur les 48 outillages concernés - et ce, sous astreinte de 5.000 F par jour de retard et par outillage,

- l'a condamnée à payer à la société Britax Geco la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux dépens.

Au soutien de son appel, la société Ribatto expose par dernières conclusions du 30 mars 1999 qu'elle était depuis près de 20 ans en relations contractuelles avec la société Britax Geco dont elle était sous-traitant pour la fabrication de pièces détachées pour rétroviseurs consistant en des travaux de découpage et emboutissage; qu'à l'occasion d'une restructuration, elle a décidé début juillet 1998 de cesser cette activité et a proposé à Britax Geco de lui céder l'outillage et de ne continuer la fabrication que jusqu'à fin septembre en contrepartie d'une majoration du prix de vente qui tiendrait compte du véritable prix de revient ; que Britax Geco a refusé et a revendiqué les outillages en prétendant qu'elle en était propriétaire ; que des discussions ont eu lieu en vain, Ribatto proposant même de lui céder les outils pour une somme forfaitaire de 300.000 F ; qu'aucun accord n'ayant pu intervenir, elle a notifié le 30 septembre à Britax Geco la cessation définitive de la production au 31 octobre 1998.

Elle objecte que Britax Geco n'a nullement prouvé son droit de propriété sur les outillages litigieux, alors qu'en matière de meubles, l'article 2279 instaure une présomption de propriété au bénéfice du possesseur; elle conteste la coutume retenue par le premier juge pour inverser la charge de la preuve et qui consiste à dire que, lorsqu'il s'agit de pièces spécifiques, l'outillage appartient à la société qui fait fabriquer les pièces en sous-traitance. Elle prétend que si Britax Geco avait été propriétaire de l'outillage, elle aurait dû faire une demande en revendication dans le délai de 3 mois imparti par l'article 115 de la loi du 25 janvier 1985, puisque la société Ribatto avait été placée en redressement judiciaire par jugement du 3 mai 1993, avant de bénéficier d'un plan de continuation par jugement du 9 janvier 1995, mais qu'aucun contrat de dépôt de l'outillage n'a jamais été porté à la connaissance de l'administrateur judiciaire pour lui demander d'opter pour sa continuation. Elle ajoute que le président de l'audience des référés, M. Paillard, se trouvait dans une situation ambigue susceptible d'affecter son impartialité, dans la mesure où la société dont il est PDG était au moment de l'instance en pourparlers avec la société Ribatto, également sous-traitante pour son compte, pour un problème identique avec celui de Britax Geco, de sorte qu'il " eut été bien inspiré d'estimer en conscience devoir s'abstenir et, conformément à l'article 339 du NCPC, demander son remplacement ". Elle s'oppose à la demande subsidiaire de la société Britax Geco tendant à obliger Ribatto à poursuivre la fabrication des pièces, alors qu'aucune brutalité n'a été mise dans la rupture des relations commerciales et que l'article 36.5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne saurait trouver à s'appliquer en l'absence d'une atteinte à la concurrence et le juge du fond ayant seul le pouvoir de faire une telle analyse des rapports commerciaux entre les parties. Elle s'oppose également à la demande subsidiaire de Britax Geco qui, ayant obtenu par exécution provisoire la restitution des outillages ordonnée par le premier juge, propose à titre subsidiaire à la Cour d'en séquestrer le prix, estimé à 20.000 F seulement, jusqu'à ce qu'il soit statué sur la propriété de ces outillages. Enfin, elle estime que la demande reconventionnelle de Britax Geco tendant à La restitution d'un prétendu trop-perçu de 80.986,95 F HT - montant de l'augmentation de prix imposée par Ribatto sur les derniers articles fabriqués et livrés - doit être rejetée puisqu'il s'agissait pour elle d'éviter de revendre à perte et qu'en tout état de cause, il n'appartient pas au juge de fixer le prix de vente de marchandises entre commerçants.

Elle conclut à l'infirmation - hormis la confirmation de l'acte donné aux parties de ce que la livraison des pièces commandées et en stock a été effectuée - et prie la Cour de:

- ordonner la restitution à la société Ribatto des outillages dont les références figurent au dispositif de l'ordonnance déférée, sous astreinte de 5.000 F par jour de retard et par outillage;

- débouter la société Britax Geco de ses demandes subsidiaires tendant à la poursuite de la fabrication des pièces ainsi qu'à la mise sous séquestre du prix des outillages;

- la débouter également de sa demande reconventionnelle de restitution du trop-perçu;

- la condamner à lui payer la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La société Britax Geco, intimée, fait valoir par conclusions du 25 mars 1999 que la mise en cause de l'impartialité du premier juge est inopérante en ce qu'elle repose sur une attestation que la société Ribatto s'est délivrée à elle-même et qu'en tout état de cause l'effet dévolutif de l'appel permet à la Cour de juger à nouveau les faits soumis à son appréciation. Elle prétend qu'elle apporte la preuve qu'elle est bien propriétaire des outillages dont elle a obtenu la restitution et qu'un dommage imminent la menaçait en raison de l'attitude illicite de la société Ribatto, de sorte que le premier juge avait pouvoir pour l'éviter et le faire cesser en ordonnant les mesures conservatoires prononcées, tant sur le fondement de l'article 873 du NCPC que sur celui de l'article 36.5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Elle affirme que c'est seulement par une lettre du 14 septembre 1998 et non pas en juillet que Ribatto a décidé de mettre brutalement fin aux relations contractuelles entre les parties, puisqu'elle a prétendu fabriquer les pièces déjà commandées, mais sous condition que Britax accepte de payer un prix très supérieur et de racheter les outillages pour une somme forfaitaire de 300.000 F, au prétexte que faute de les avoir revendiqués lors de la procédure de redressement judiciaire, elle serait déchue de son droit de propriété. Elle estime au contraire que la question de la revendication ne se pose plus, puisque la société Ribatto ne fait plus l'objet d'une procédure de redressement judiciaire. Elle invoque l'article 36.5 de l'ordonnance de 1986 qui permet au juge des référés d'enjoindre la cessation des agissements ou d'ordonner toute autre mesure provisoire, en cas de rupture brutale d'une relation commerciale établie, sans tenir compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus ; elle ajoute que la revente à perte n'est pas applicable aux produits transformés.

Elle conclut a la confirmation de l'ordonnance et prie la Cour de bien vouloir:

- à titre subsidiaire

* ordonner à la société Ribatto de poursuivre la fabrication des pièces réalisées à partir des outillages ci-dessus et selon les commandes qui lui seront passées par la société Britax, sous une astreinte de 10.000 F par jour de retard en cas de retard de livraison des pièces, cette astreinte commençant à courir à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir;

* dire que ces pièces, qui devront être de qualité acceptable par la société Britax seront payées par elle au prix en vigueur avant l'augmentation pratiquée par la société Ribatto, ou si le prix payé devait être le prix majoré, dire que la société Britax devra payer le prix majoré, à concurrence du prix normal entre les mains de la société Ribatto et le solde entre les mains d'un séquestre, jusqu'à ce qu'il soit statué sur la licéité de l'augmentation de prix pratiquée par la société Ribatto;

* autoriser la société Britax à conserver les outillages sur lesquels sont gravés les numéros litigieux, contre paiement entre les mains d'un séquestre d'une somme de 20.000 F, jusqu'à ce qu'il soit statué sur la propriété des outillages;

- en tout état de cause:

* condamner la société Ribatto à rembourser à la société Britax le trop-perçu, à savoir une somme de 21.969,26 F HT sur les pièces en retard de livraison, 23.113,69 F HT sur la reprise des stocks et 35.904 F HT sur les 1.600 coupelles référence 10051040 que la société Ribatto s'est engagée à fabriquer et livrer, soit au total une somme de 80.986,95 F HT (97.670,26 F TTC);

* à titre subsidiaire, condamner la société Ribatto à remettre cette somme de 97.670,26 F TTC entre les mains d'un séquestre jusqu'à ce qu'il soit statué sur la licéité de l'augmentation de prix imposée par la société Ribatto;

* condamner la société Ribatto à verser à la société Britax la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'il appartenait à la société Ribatto de récuser le premier juge, dans les conditions des articles 341 et suivants du NCPC, si elle entendait se prévaloir du fait que ce magistrat consulaire, par ailleurs PDG de la société Paillard, se trouvait au moment même de l'instance de référé en relations d'affaires avec elle et dans une situation comparable à celle de la société Britax Geco, consistant à négocier l'éventuelle reprise d'une activité de sous-traitance de pièces

que ne l'ayant pas fait, elle est mal fondée à mettre en cause l'impartialité de ce juge, de manière allusive et sans en tirer de conséquence quant à la validité de la procédure;

Considérant qu'indépendamment du litige subsistant entre elles sur les conditions prétendument fautives de la rupture de leurs relations commerciales et sur la licéité de la majoration de prix imposée par la société Ribatto, les parties ne contestent pas en appel l'acte que leur a donné le premier juge de ce que la livraison des pièces commandées et en stock a été effectuée;

Considérant qu'en ce qui concerne la restitution de l'outillage, le premier juge était fondé à retenir qu'il est de coutume, dans la profession, lorsqu'il s'agit de pièces spécifiques, que l'outillage appartienne à la société qui fait fabriquer lesdites pièces en sous-traitance; que cet usage, à l'encontre duquel la société Ribatto n'apporte aucune preuve contraire, est suffisant pour contrebattre la présomption de titre que l'article 2279 du Code civil attache à la possession, tandis qu'il est corroboré par les courriers produits par la société Britax Geco, lesquels montrent que celle-ci a aussitôt protesté contre les prétentions de la société Ribatto de conserver les outils ou de les lui revendre, et s'est prévalue des frais de réparation et d'entretien de ces outillages que cette société lui avait refacturés, de même que Britax Geco prouve qu'elle dispose dans ses livres de comptes du tableau de correspondance entre les références de pièces et celles des outillages correspondants

que la société Ribatto objecte en vain que la société Britax Geco n'aurait pas revendiqué les outillages dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement du 3 mai 1993 ouvrant la procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Ribatto, ainsi que le requiert l'article 115 de la loi du 25 janvier 1985 ; qu'en effet, il est constant que les relations commerciales ont continué sans interruption entre les parties pendant le redressement judiciaire et que la société Ribatto a depuis lors bénéficié d'un jugement du 9 janvier 1995 arrêtant le plan de redressement de cette société;

qu'il s'ensuit que l'ordonnance du premier juge sera également confirmée en ce qu'elle a condamné la société Ribatto à restituer, sous astreinte, à la société Britax Geco les 48 outillages litigieux;

Considérant que la société Britax Geco obtenant satisfaction par la confirmation de l'ordonnance déférée, ses demandes subsidiaires visant notamment à ordonner à la société Ribatto de poursuivre la fabrication des pièces réalisées à partir des outillages litigieux, n'ont pas lieu d'être examinées et ne pourraient du reste être satisfaites sans contradiction avec sa demande principale de conserver lesdits outillages dont il est acquis qu'elle a obtenu la restitution effective à la suite de l'ordonnance dont appel;

qu'il convient en revanche de faire droit à la demande reconventionnelle de la société Britax Geco aux fins d'obtenir condamnation de la société Ribatto à lui rembourser un trop-perçu de 80.986,95 F HT - soit 97.670,26 F TTC - correspondant au montant de l'augmentation de prix imposée par cette société sur les derniers articles fabriqués et livrés par elle, dès lors que les conditions de l'article 36.5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la liberté des prix et de la concurrence s'avèrent réunies et qu'il convient, par le remboursement provisionnel de ce trop-perçu, de faire cesser le trouble manifestement illicite subi par la société Britax Geco;

qu'ainsi, c'est avec raison que le premier juge a relevé que la société Ribatto n'a pas, au regard des relations commerciales antérieures ayant existé entre les parties depuis près de vingt ans, respecté un préavis suffisant avant d'arrêter d'honorer, aux prix convenus jusqu'alors, les commandes que lui adressait la société Britax Geco; qu'en effet, le préavis écrit donné par la société Ribatto est contenu dans une lettre du 14 septembre 1998 et précisait que " la date d'arrêt doit se situer enfin du mois de septembre ", tandis qu'une correspondance ultérieure en date du 30 septembre 1998 n'a avisé la société Britax Geco que la date de cessation de production était repoussée au 31 octobre qu'en précisant que "la base tarifaire que vous connaissez sera affectée d'un coefficient multiplicateur" selon un tableau joint qui montre que chaque lot d'articles voyait son prix multiplié par 2,5 ou par 3, et parfois même par 4;

Considérant que l'équité conduit à condamner la société Ribatto à verser à la société Britax Geco une indemnité compensant une partie de ses frais irrépétibles;

Par ces motifs, Déclare la société Ribatto mal fondé en son appel et l'en déboute; Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise; Y ajoutant : Condamne la société Ribatto à rembourser à la société Britax Geco la somme provisionnelle de 80.986,95 F HT, soit 97.670,26 F TTC; Rejette toute autre demande, plus ample ou contraire; Condamne la société Ribatto à verser à la société Britax Geco la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du NCPC; La condamne également aux dépens d'appel ; admet la SCP Gaultier-Kistner, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.