CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 22 novembre 2001, n° 98-6824
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
SOFEMI (SA), Formang Holdings BV (Sté)
Défendeur :
Compagnie Comilog (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laporte (faisant fonction)
Conseillers :
MM. Fedou, Coupin
Avoués :
SCP Lissarrague-Dupuis & Associés, SCP Fievet-Rochette-Lafon
Avocats :
Mes Cavaillon, Lachaume, Uettwiller.
FAITS ET PROCEDURE :
La Société du Ferromanganèse de Paris-Outreau, ci-après SFPO, est une société de droit français ayant pour objet la production d'alliage au manganèse. Depuis sa création en 1979, elle a pour fournisseur quasi-exclusif la Compagnie Minière de l'Ogooué, ci-après Comilog, concessionnaire de la mine de manganèse de Moanda (Gabon).
Jusqu'en 1994, son capital était détenu dans la proportion de 55,67 % par la Société d'Investissements Financiers Industriels et Miniers, ci-après SOFEMI, société de droit français dans laquelle la société de droit italien Carlo Tassara était majoritaire, 8,54 % par la société de droit néerlandais Formang (du Groupe Carlo Tassara), 21,68 % par la société d'État de droit gabonais Sonadig et 4,35 % par la société Comilog.
Les difficultés financières rencontrées par la société SFPO à la fin de l'année 1993 ont conduit à la désignation, à la requête de la société SOFEMI, de Maître Didier Segard en qualité d'abord de mandataire ad hoc le 2 février 1994 puis d'administrateur provisoire suivant ordonnance du Président du Tribunal de Commerce de Nanterre du 21 février 1994.
L'assemblée générale extraordinaire de la société SFPO du 30 mars 1994, convoquée par Maître Didier Segard, n'a pas adopté la résolution qui lui était soumise et qui portait sur une augmentation de capital à concurrence d'un montant de 400.000 F.
Par jugement du 8 avril 1994, le Tribunal de Commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société SFPO et a désigné Maître Didier Segard en tant qu'administrateur judiciaire.
Par décision du 23 novembre 1994, cette juridiction a arrêté le plan de redressement par continuation de la société SFPO tel que proposé par les sociétés Comilog et Sonadig, et ordonné la cession à leur profit de la participation majoritaire de SOFEMI, représentant 872.957 actions, dans le capital de SFPO moyennant un prix devant être déterminé par Monsieur Dana, expert judiciaire.
Par arrêt du 4 mai 1995, la Cour d'appel de Versailles a confirmé cette décision, hormis en ce qui concerne la date de paiement du prix des actions SFPO vendues par SOFEMI et le point de départ des intérêts.
Monsieur Dana a, le 9 juillet 1997, déposé son rapport fixant la valeur de 100 % du capital de la société SFPO à 100 millions de F, et celle des 872.957 actions à 55.673.269 F.
Sur la base des conclusions de ce rapport d'expertise, la société SOFEMI a assigné les sociétés Comilog et Sonadig devant le Tribunal de Commerce de Nanterre, lequel par jugement du 27 février 1998, a condamné ces dernières au paiement des sommes de 42.356.562 F et de 13.316,707 F au titre du prix de vente des actions cédées par la demanderesse.
Parallèlement à cette procédure, la société SFPO, représentée par son administrateur judiciaire, Maître Segard, a engagé le 13 juillet 1994 une demande d'arbitrage sous l'égide de la Chambre de Commerce Internationale en vue d'obtenir la fixation du prix du minerai pour les années 1992 et 1993 ainsi que la restitution des sommes versées en trop à la société Comilog.
Par décision du 2 septembre 1996, le Tribunal Arbitral a déclaré SFPO mal fondée en sa demande portant sur le prix du minerai pour l'année 1993, dit partiellement fondée sa demande de remise sur le prix du minerai pour l'année 1992, et dit en conséquence que la créance de Comilog sera réduite de 14.300.000 F.
En exécution de cette sentence, la créance de la société Comilog sur SFPO a été définitivement fixée à la somme de 384.166.419,42 F par ordonnance du Juge Commissaire en date du 11 avril 1997.
Faisant grief à la Comilog d'avoir brutalement modifié les conditions d'approvisionnement du minerai et d'avoir subordonné la révision du prix du minerai à sa prise de contrôle de la société SFPO, la société SOFEMI l'a assignée ainsi que la société Sonadig, devant Le Tribunal de Commerce de Nanterre, pour voir constater la situation de dépendance économique de SFPO et ordonner une expertise à l'effet de déterminer l'étendue de son préjudice.
Selon conclusions signifiées le 15 mars 1996, la société Formang est intervenue volontairement en sa qualité d'actionnaire de la société SFPO, aux côtés de la société SOFEMI.
Consécutivement à la signature d'un protocole transactionnel le 4 avril 1996, les sociétés SOFEMI et Formang se sont désistées de leur action à l'encontre de la société Sonadig.
Par jugement du 9 juillet 1998, le Tribunal a dit irrecevables les sociétés SOFEMI et Formang sur le fondement de l'abus "de position dominante " (sic) de la société Comilog, déclaré la société SOFEMI recevable mais mal fondée du chef de sa contestation ayant trait à la valorisation des actions, et débouté la SA Comilog de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Les sociétés SOFEMI et Formang HOLDING BV ont interjeté appel de ce jugement.
La société SOFEMI expose que c'est à bon droit que les premiers juges l'ont déclarée recevable à agir pour demander réparation de son préjudice lié à la perte de valeur de sa participation dans la société SFPO, dans la mesure où Monsieur Dana avait eu pour mission d'estimer la valeur de cette société seulement à la date du 23 novembre 1994, et non au titre de la période antérieure.
Elle indique que c'est toutefois à tort que son action a été déclarée irrecevable du chef d'abus de dépendance économique au motif que la sentence arbitrale du 2 septembre 1996 aurait à son égard autorité de la chose jugée.
En effet, tout en relevant que cette sentence lui est inopposable, elle soutient que l'abus de dépendance économique exercé par la société Comilog sur SFPO lui a porté directement préjudice, dès lors que cet abus a eu pour conséquence son éviction du capital de SFPO et son élimination du marché des alliages au profit de la société intimée.
Sur le fond, elle allègue que la société SFPO se trouvait en situation de dépendance économique et financière à l'égard de la société Comilog.
A cet égard, elle explique que SFPO avait adopté son équipement industriel pour être en mesure de produire du ferromanganèse en utilisant 100 % du minerai gabonais, et qu'ainsi Comilog est devenue, dans les faits et dans le cadre des usages en vigueur entre les parties, le fournisseur exclusif de minerai de SFPO, dont la survie était entièrement subordonnée au bon vouloir de la société intimée.
Elle estime que l'abus de dépendance économique est caractérisé par les agissements fautifs de la société Comilog, laquelle, dans le seul but de lui permettre de résoudre ses problèmes de trésorerie liée à des investissements désastreux, a remis en cause les pratiques et usages en vigueur depuis 1983 relativement aux conditions tarifaires et de paiement consenties à la société SFPO et a imposé unilatéralement des conditions d'achat et de vente ou de paiement auxquelles cette dernière et son actionnaire majoritaire SOFEMI n'étaient pas en mesure de s'opposer.
Elle précise que, dans cette perspective, la partie adverse a poursuivi sa politique d'asphyxie de SFPO dans le dessein explicite d'en prendre le contrôle à la barre du Tribunal pour pouvoir évincer l'appelante de l'actionnariat de SFPO et éliminer ainsi un acteur économique principal du marché des alliages au manganèse afin de prendre sa place au moindre coût.
Elle observe que la société Comilog ne peut sans mauvaise foi se retrancher derrière l'affirmation que les modifications des conditions d'approvisionnement et de facturation auraient été librement consenties par la société SFPO et son actionnaire majoritaire lors de la séance du conseil d'administration du 3 avril 1993, alors que SFPO, placée dans une situation de dépendance économique à l'égard de son fournisseur de minerai, n'avait pas le choix de ses décisions qui lui étaient dictées par ce dernier.
Elle souligne que c'est également en vain que l'intimée croit pouvoir imputer l'origine des difficultés financières de la société SFPO à de prétendues fautes de gestion de ses dirigeants, alors que ces difficultés sont uniquement le résultat des conditions tarifaires imposées par Comilog.
Elle ajoute que l'impact sur le marché des ferro-alliages de l'abus perpétré par cette dernière et de l'éviction de SOFEMI, dernier pôle indépendant de transformation du manganèse, est d'autant plus considérable qu'à la suite des prises de contrôle successives de la part de l'intimée, le marché mondial des alliages au manganèse se trouve désormais " verrouillé " par deux grands groupes, Comilog et Samancor-BHP, tous deux dominés par les producteurs de minerai.
Par voie de conséquence, la société SOFEMI demande à la Cour, en infirmant le jugement déféré, de la déclarer recevable et bien fondée en son action en abus de dépendance économique, et de dire qu'il en est résulté pour elle un préjudice direct dont elle est fondée à obtenir réparation, et qui est caractérisé notamment par la perte de la valeur de sa participation dans la société SFPO avant le 23 novembre 1994 et par son éviction du marché des ferro-alliages au manganèse.
Elle sollicite avant-dire-droit la désignation d'un expert, auquel mission devrait être confiée de réunir tous éléments permettant d'évaluer son préjudice, compte tenu d'une part de la dévalorisation de sa participation dans SFPO avant le 23 novembre 1994, d'autre part de son éviction du marché des alliages au manganèse, enfin de la violation de la " clause du client le plus favorisé " particulièrement au titre des ventes effectuées par la société intimée en Chine à partir de fin 1992.
Elle conclut à la condamnation de la société Comilog à lui payer d'ores et déjà une provision qui ne saurait être inférieure à 50.000.000 F à titre de dommages-intérêts, à valoir sur le montant définitif de son préjudice tel qu'il sera fixé par l'expert.
Elle réclame également une somme de 300.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société Formang Holding BV fait valoir que, tout comme la société SOFEMI, elle est la victime directe de l'abus de dépendance économique dont la responsabilité incombe à la société Comilog.
Elle indique que les dispositions tirées des articles L. 225-251 et L. 225-252 du code de commerce qui avaient été invoquées en première instance par la société intimée ne peuvent s'appliquer à son action, dès lors qu'elle agit à l'encontre de Comilog prise en sa qualité de fournisseur de la société SFPO, et non en sa qualité d'actionnaire ou d'administrateur de cette société.
Elle soutient que la sentence arbitrale du 2 septembre 1996 lui est inopposable, et qu'elle est donc en droit de soumettre à la Cour l'ensemble des questions posées devant la juridiction arbitrale, et notamment celles ayant trait au prix du minerai et plus généralement aux modalités de commercialisation et de tarification du minerai entre les sociétés Comilog et SFPO.
Elle demande donc à la Cour, en infirmant le jugement déféré, de la déclarer parfaitement recevable à solliciter la réparation du préjudice qui a résulté pour elle des agissements fautifs de la société Comilog.
Sur le fond, elle fait sienne l'argumentation développée par la société SOFEMI sur la situation de dépendance économique de la société SFPO à l'égard de la société Comilog, mise en évidence par l'interdépendance des relations commerciales entre ces sociétés, et par les modalités de fixation des prix et de paiement que Comilog imposait à sa cocontractante en contrepartie d'investissements lourds et à long terme supportés par cette dernière dans le cadre d'un véritable partenariat et d'une politique d'expansion sur le marché mondial du manganèse.
Elle soutient que l'abus de dépendance économique est caractérisé par la modification par Comilog, au début de l'année 1993, des usages en vigueur et des conditions d'approvisionnement du minerai, par l'attitude de la société intimée qui a ultérieurement subordonné la révision du prix du minerai à la prise de contrôle de la société SFPO par elle-même et par Sonadig à des conditions inacceptables par SOFEMI, et enfin par une violation flagrante par la partie adverse de la " clause du client le plus favorisé ".
Elle relève également que Comilog a connu de réelles difficultés de trésorerie à partir de 1992 en raison d'investissements désastreux, et elle précise que c'est en raison de ces difficultés financières que la société SFPO a été mise à contribution en se voyant imposer une nouvelle politique de prix très désavantageuse.
Elle demande donc à la Cour de condamner la société Comilog à réparer l'intégralité du préjudice subi par elle, et avant-dire-droit d'ordonner une mesure d'expertise devant permettre de déterminer le montant de l'indemnité à laquelle elle est en droit de prétendre par suite des agissements fautifs de l'intimée à son encontre avant et après le dépôt de bilan de la société SFPO, à l'origine de la disparition des sociétés SOFEMI et Formang du marché des alliages au manganèse.
Elle sollicite en outre une somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La Compagnie Minière de l'Ogooue, " Comilog " conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré les sociétés SOFEMI et Formang irrecevables à se prévaloir des dispositions de l'article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce, faute de qualité et d'intérêt à agir au sens des dispositions de l'article 122 du nouveau code de procédure civile.
Elle relève que c'est également à bon droit que les premiers juges ont dit les sociétés appelantes irrecevables à demander que les questions soumises au Tribunal Arbitral soient réexaminées dans le cadre de la présente procédure, en application du principe de l'autorité de la chose jugée attachée aux décisions de justice.
Subsidiairement au fond, elle observe que la société SFPO pouvait bénéficier et avait obtenu pour son minerai d'autres sources d'approvisionnement que celles en provenance de Moanda (Gabon) produites par l'intimée, et elle souligne que cette société n'a d'ailleurs rencontré aucune difficulté à s'approvisionner auprès de la Société Samancor en 1993 et 1994.
Elle considère que, dans ces conditions, SFPO ne se trouvait nullement dans la dépendance économique de Comilog au sens de l'article L. 420-2 alinéa 2 précité.
Elle conteste le bien fondé de l'allégation adverse suivant laquelle elle aurait unilatéralement imposé à la société SFPO de nouvelles conditions tarifaires alors qu'il est établi que le prix d'achat du minerai pour l'année minière 1993/1994 avait été négocié avec cette société au mois de février 1993, et a été définitivement fixé suivant délibération du Conseil d'administration de SFPO en date du 1er avril 1993.
Elle conclut que les conditions tarifaires, librement négociées entre ces sociétés, n'ont pas eu pour effet de remettre en question la clause faisant bénéficier SFPO du client le plus favorisé, seule obligation contractuelle à laquelle Comilog était tenue.
Elle indique également être en mesure d'établir que les délais de paiement négociés entre les sociétés SFPO et Comilog n'avaient rien d'abusif, et elle précise que le non paiement par elle des ristournes à hauteur de près de 38 millions de francs sur les livraisons du minerai de l'année 1992 est sans aucun lien avec la fixation du prix des alliages vendus par SFPO.
Elle nie avoir imposé à la société SFPO le paiement de la somme de 160 millions de francs à fin 1992 ainsi que l'achat du stock de 220.000 tonnes de minerai, et elle soutient que c'est en réalité Monsieur Zaleski, alors dirigeant de cette société, qui, pour assurer ses seuls intérêts, a mené une politique désastreuse ayant conduit à son dépôt de bilan.
Elle relève en outre que les sociétés appelantes ne peuvent sérieusement soutenir qu'elle aurait empêché toute augmentation de capital de SFPO, dans la mesure où sa participation dans ce capital était à cette époque inférieure à 5 % des actions de cette société, alors que, jusqu'en octobre 1993, le groupe Carlo Tassara, via SOFEMI et Formang, détenait plus de 67 % du capital et des droits de vote.
Par voie de conséquence, elle sollicite le rejet de la demande d'expertise présentée par les sociétés appelantes, outre leur condamnation à lui régler les sommes de 1.000.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire et de 350.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 28 juin 2001.
MOTIFS DE LA DECISION:
SUR LA CONTESTATION DE LA RECEVABILITÉ DE L'ACTION DES SOCIÉTÉS APPELANTES :
Considérant qu'il résulte de l'assignation introductive d'instance en date du 11 avril 1995 que l'action dont la société SOFEMI a pris l'initiative et à laquelle s'est jointe la société Formang a pour fondement la violation par la société Comilog des dispositions de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (article L. 420-2 du Code de Commerce), prohibant " l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises " de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve, à son égard, une entreprise, cliente ou fournisseur, qui ne dispose pas de solution équivalente;
Considérant que les sociétés appelantes soutiennent qu'en modifiant les conditions d'approvisionnement du minerai, et en subordonnant la révision du prix du minerai à la prise de contrôle de la société SFPO, la société Comilog a abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle cette dernière se trouvait à son égard, ce qui a eu pour objet ou effet potentiel d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence;
Considérant qu'elles précisent que la SOFEMI, qui était actionnaire majoritaire de la société SFPO, est en droit d'obtenir réparation du préjudice considérable subi par elle en raison de la baisse sensible de la valeur de sa participation, à partir du moment où l'intimée a décidé de prendre le contrôle de SFPO en la plaçant dans une situation financière intenable ayant inéluctablement conduit à son dépôt de bilan;
Mais considérant que la dépendance économique est définie comme étant la relation dans laquelle l'un des partenaires n'a pas de solution alternative s'il souhaite refuser de contracter dans les conditions qui lui impose son client ou son fournisseur;
Considérant qu'il suit de là qu'une entreprise ne peut valablement invoquer le bénéfice de l'article L. 420-2 du code de commerce qu'à la condition de démontrer s'être trouvée dans un rapport de client à fournisseur;
Or considérant que la société SOFEMI, alors actionnaire majoritaire de la société SFPO, n'a jamais été " cliente " de la société Comilog au sens de la disposition légale précitée;
Considérant que, dans ces conditions, ni la société SOFEMI, ni à plus forte raison la société Formang, actionnaire minoritaire dans le capital de SFPO, n'ont aucun droit à agir sur ce fondement à l'encontre de la société intimée;
Considérant qu'aux termes de leurs écritures devant la Cour, les sociétés appelantes se prévalent également des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce, selon lesquelles l'action en responsabilité peut être introduite devant la juridiction compétente par " toute personne justifiant d'un intérêt ";
Considérant qu'elles expliquent que SOFEMI était l'actionnaire majoritaire de la société SFPO, et, en raison de ce contrôle majoritaire qui lui assurait une place de tout premier plan sur le marché des ferro-alliages en Europe, était donc le partenaire économique de Comilog;
Mais considérant qu'en application du texte précité, " engage la responsabilité de son auteur... le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan, de pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence... ";
Considérant que cette disposition, qui prohibe les pratiques discriminatoires ayant pour effet de fausser les règles de la concurrence au bénéfice ou au détriment d'un partenaire économique, ne saurait être utilement invoquée par les sociétés SOFEMI et Formang, lesquelles, étant demeurées étrangères à la relation commerciale ayant existé entre les sociétés SFPO et Comilog dans la fourniture du minerai de manganèse, n'ont donc pas été les victimes directes d'une entrave à la concurrence dont seule la société SFPO, non attraite dans la présente procédure, aurait pu se prévaloir;
Considérant que, par ailleurs, les sociétés appelantes sollicitent, en application des articles 1382 et suivants du code civil, la réparation du préjudice qu'elles indiquent avoir subi consécutivement aux agissements déloyaux et fautifs de Comilog;
Mais considérant qu'elles n'allèguent à ce titre aucun fait fautif distinct de ceux exposés par elles au soutien du grief d'abus de dépendance économique de la société SFPO à l'égard de la société Comilog;
Considérant que, par voie de conséquence, les sociétés SOFEMI et Formang n'ont pas qualité pour agir à l'encontre de la société intimée sur le fondement des dispositions légales précitées;
Considérant qu'en définitive, ces sociétés n'invoquent qu'un préjudice par ricochet dont elles ne seraient recevables à demander réparation qu'à la condition que la Société SFPO ait été jugée elle-même victime d'un abus de dépendance économique;
Or considérant qu'il est constant que SFPO, dûment représentée par Maître Didier Segard, administrateur judiciaire, a le 13 juillet 1994 saisi la Chambre de Commerce Internationale d'une demande d'arbitrage portant sur la fixation du prix du minerai pour l'année 1993;
Considérant qu'aux termes de sa requête, Maître Segard, ès-qualités, faisant grief à la société Comilog d'avoir refusé toute discussion liée à la réduction du prix du minerai acheté en 1993, a sollicité par voie d'arbitrage la condamnation de la société intimée au versement de la somme de 17 millions USD à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de négocier de bonne foi et pour rupture abusive des pourparlers;
Considérant que, le 2 septembre 1996, le Tribunal Arbitral a rendu sa sentence rejetant la demande présentée de ce chef par SFPO, au motif que le nouveau système de fixation du prix du minerai mis en place à l'issue de la réunion du Conseil d'administration de cette société en date du 1er avril 1993 avait emporté novation par rapport aux pratiques contractuelles antérieures;
Considérant que, tout en énonçant que les accords initiaux de 1982 ont été bien appliqués par Comilog, et que la ristourne considérable (17 millions de dollars) réclamée par SFPO au titre de l'année 1993 ne se justifie par aucun calcul cohérent, le Tribunal conclut qu'aucun manquement à l'obligation de négocier de bonne foi ne peut être imputé à la société Comilog de nature à justifier sa condamnation à des dommages-intérêts;
Considérant que force est également de constater qu'aux termes de sa décision, désormais définitive, la juridiction arbitrale, amenée à se prononcer tout à la fois sur la fixation du prix du minerai pour l'année 1993 et sur huit autres différends de moindre importance ayant alors pposé SFPO à Comilog, ne relève à l'encontre de cette dernière aucun agissement fautif susceptible de caractériser un abus de dépendance économique de la société SFPO à son égard;
Considérant que, de surcroît, cette sentence, qui a autorité relative de la chose jugée entre les parties, n'en est pas moins opposable aux tiers, lesquels sont tenus de s'y conformer;
Considérant qu'elle s'impose donc aux sociétés appelantes, lesquelles sont sans droit à invoquer le préjudice par ricochet qui résulterait pour elles d'un abus de dépendance économique dont la société SFPO n'a été reconnue victime ni par la sentence arbitrale précitée ni par aucune autre décision;
Considérant qu'enfin, dans la mesure où le Tribunal Arbitral a jugé non critiquable la méthode de fixation du minerai pour l'année 1993 et n'a pas mis en évidence un comportement fautif de Comilog dans ses pratiques commerciales avec SFPO, les sociétés SOFEMI et Formang n'ont pas davantage qualité pour agir en dommages-intérêts, sur le fondement d'une prétendue dévalorisation de leur participation dans le capital de SFPO consécutivement à ces pratiques commerciales;
Considérant que, dès lors, il convient, en infirmant partiellement le jugement déféré, de déclarer les sociétés appelantes irrecevables en leurs prétentions dirigées à l'encontre de la société Comilog.
SUR LES DEMANDES ANNEXES :
Considérant qu'eu égard aux enjeux économiques importants ayant opposé les parties à l'occasion de la prise de contrôle de la société SFPO par les sociétés Comilog et Sonadig, la procédure dont les sociétés appelantes ont pris l'initiative du chef de pratiques commerciales illicites ne revêt pas le caractère d'un abus de droit d'ester en justice;
Considérant qu'il y a donc lieu, en confirmant le jugement déféré, de débouter la société Comilog de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société intimée une indemnité de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;
Considérant qu'il n'est pas inéquitable que les sociétés appelantes conservent la charge de l'intégralité des frais non compris dans les dépens exposés par elles dans le cadre de la présente instance;
Considérant que les sociétés SOFEMI et Formang, qui succombent dans l'exercice de leur recours, doivent être condamnées aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme partiellement le jugement déféré, et statuant à nouveau: Déclare irrecevables les demandes des sociétés SOFEMI et Formang à l'encontre de la société Comilog; Déboute la société Comilog de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts; Condamne in solidum les sociétés SOFEMI et Formang à payer à la société Comilog la somme de 30 000 F (4573,47 euros) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; Condamne in solidum les sociétés SOFEMI et Formang aux entiers dépens de première instance et d'appel, et autorise la SCP Fievet-Rochette-Lafon, société d'Avoués, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau code de procédure civile.