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Décisions

CA Caen, ch. corr., 11 février 1998, n° 97-00545

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ministère public, Jacques (Époux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Deroyer

Conseillers :

Mmes Bliecq, Holman

Avocats :

Mes Strujon, Lepelletier.

Cons. prud'h. Haguenau, du 20 janv. 1995

20 janvier 1995

RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

LE JUGEMENT :

Saisi de poursuites dirigées contre M. Y Serge d'avoir à :

- Habloville et Pré-en-Pail, courant juillet et septembre 1989, étant chargé de la construction d'un immeuble à usage d'habitation, ne comportant pas plus de deux logements, destiné à M. Jacques, d'après un plan qu'il avait proposé, exigé ou accepté de M. Jacques deux effets de commerce d'un montant respectif de 40 000 et 52 000 F, escomptés au profit de la société X les 27 juillet et 10 septembre 1989, et ce avant la signature du contrat ;

Infraction prévue et réprimée par les articles L. 231-1, L. 231-2 (ancien), L. 241-1 du Code de la Construction et de l'Habitation, dans leur rédaction antérieure à la loi du 19 décembre 1990 et par les articles L. 231-1, L. 231-4 II et L. 241-1 du même Code ;

- à Pré-en-Pail, le 22 novembre 1989, établi une facture faisant mention de travaux réalisés alors que ces travaux n'avaient pas été effectués ;

Infraction prévue et réprimée par l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans sa rédaction antérieure à la loi du 29 janvier 1993 ;

Le Tribunal correctionnel d'Argentan par jugement en date du 1er juillet 1997 a déclaré le prévenu coupable des infractions et l'a condamné à 2 amendes de 10 000 F chacune ;

Sur l'action civile, ledit Tribunal a reçu M. Jacques Sylvain et Mme Jacques Claudine née Bazeille en leur constitution de partie civile et a condamné M. Y Serge à leur verser 50 000 F à titre de dommages- intérêts et 10 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale.

LES APPELS :

Appel a été interjeté par :

Monsieur Y Serge, le 8 Juillet 1997 ;

M. le Procureur de la République, le 9 Juillet 1997 ;

Madame Bazeille Claudine épouse Jacques, le 10 Juillet 1997 ;

Monsieur Jacques Sylvain, le 10 Juillet 1997.

MOTIFS

Il résulte des éléments de l'information les faits suivants :

M. Jacques a confié à la société X, dont M. Y était le gérant, la réalisation d'un projet de construction d'une maison individuelle, qui s'est concrétisé par le dépôt d'une demande de permis de construire le 14 juin 1989, demande qui a été acceptée le 20 juillet 1989, et par l'obtention d'un prêt de 350 000 F auprès de l'UCB.

Il a remis à la société X deux lettres de change d'un montant respectif de 40 000 F et 52 000 F, soit au total 92 000 F, les 25 juillet 1989 et 18 septembre 1989, à l'échéance des 30 septembre 1989 et 30 octobre 1989, qui ont été escomptées les 27 juillet 1989 et 20 septembre 1989 par la BRO au profit de l'entreprise X. Les traites sont revenues impayées.

Sur les conseils de MM. Y et Z, représentants de cette société, M. Jacques a déclaré par écrit le 28 septembre 1989 renoncer au projet initial de construction d'une maison neuve et a fait l'acquisition d'une maison à rénover à Habloville dans laquelle la société X devait effectuer des travaux. Celle-ci a présenté le jour même une facture de travaux d'un montant de 92 000 F portant la mention "bon pour paiement à X", facture sur laquelle M. Jacques a apposé sa signature. Ces travaux n'ont jamais été réalisés.

La BRO a été désintéressée des deux traites impayées émises dans le cadre du premier projet de construction par la remise d'un chèque tiré le 3 janvier 1990 sur le Crédit Agricole par M. Jacques après qu'il ait reçu une mise en demeure de la banque.

La SARL X a été mise en liquidation judiciaire le 21 mars 1998 et la clôture pour insuffisance d'actif prononcée le 16 septembre 1992.

I - Sur l'action publique

M. Y sollicite sa relaxe aux motifs qu'il n'a jamais rencontré M. Jacques avant la liquidation de la société, qu'il n'est pas à l'origine de la facture et des traites litigieuses, que les infractions reprochées sont imputables au représentant M. Y et qu'il n'a détourné aucune somme.

M. Y a produit devant la Cour des plans de la construction d'un pavillon à Montgaroult et un document signé des parties portant sur les modalités de règlement d'un prix de 255 000 F. Ces pièces ne peuvent être qualifiées de contrat de construction conforme aux dispositions de l'article 34 de la Loi du 10 juin 1971 et du Code de la Construction. Il apparaît qu'il n'a pas été signé aucun contrat de construction.

Le permis de construire a été obtenu le 20 juillet 1989.

A la demande de la société X, M. Jacques a créé une lettre de change d'un montant de 40 000 F, escomptée par la BRO le 27 juillet 1989, et une seconde lettre de change escomptée le 20 septembre 1989, et non pas le 10 septembre 1989 comme visé dans la prévention.

Ces deux paiements sont intervenus en violation des dispositions des articles du Code de la Construction qui interdisent l'exigence ou l'acceptation de versement de fonds avant la signature du contrat de construction.

Il est d'autre part établi qu'a été présentée le 22 novembre 1989 une facture de travaux aux époux Jacques ne mentionnant pas la nature et le détail des travaux effectués, et qu'aucun travail n'avait été réalisé à cette date par la société X.

Au vu de ces éléments, il convient de confirmer le jugement sur les déclarations de culpabilitéen rectifiant l'erreur sur la date de la seconde traite qui est du 18 septembre 1989 et qui a été escomptée le 20 septembre 1989.

En revanche, il sera réformé sur les peines, les deux infractions constituant deux délits et deux peines d'amende distinctes ne pouvant en conséquence être prononcées.

Eu égard à la nature des infractions, et à la personnalité du prévenu, il y a lieu de le condamner à une peine de 4 mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 20 000 F.

II - Sur l'action civile

M. et Mme Jacques réclament la somme principale de 92 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 1990 et capitalisation année par année desdits intérêts conformément à l'article 1154 du Code Civil, la somme de 100 000 F de dommages-intérêts pour trouble de jouissance et préjudice moral et celle de 50 000 F en application de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale.

M. Y réplique que M. Jacques n'a jamais régularisé la moindre production, de créances au passif de la liquidation judiciaire de la société X et que sa constitution de partie civile doit en conséquence être déclarée irrecevable.

Contrairement à ces allégations, il résulte des pièces produites au dossier que les époux Jacques ont déclaré leur créance à hauteur de 92 000 F par lettre RAR adressée le 28 septembre 1990 à Me Guibout, mandataire liquidateur.

En tout état de cause, le prévenu, personnellement tenu de réparer le préjudice découlant directement de l'infraction dont il a été déclaré coupable, ne saurait invoquer pour échapper à son obligation la procédure collective de la société qu'il dirige et les déclarations de créances à effectuer par les victimes auprès du représentant des créanciers dès lors que ce dirigeant social n'est pas lui-même engagé dans cette procédure.

M. Y est tenu de réparer personnellement le préjudice subi du fait de l'infraction par les époux Jacques qui ont déboursé la somme de 92 000 F le 9 janvier 1990, somme en contrepartie de laquelle aucun travail n'a été effectué, qu'ils n'ont jamais pu récupérer et dont ils sont bien fondés à demander le remboursement avec intérêts de droit à compter de cette date à titre de dommages-intérêts complémentaires. S'agissant de la réparation d'un préjudice qui est distinct du recouvrement de la créance du 92 000 F qu'ils ont à l'égard de la société X, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 1154 du Code Civil relatif à la capitalisation des intérêts.

M. et Mme Jacques ont d'autre part subi du fait de cette infraction un préjudice moral et une gêne considérable dans la poursuite de leur projet de construction et il y a lieu de leur allouer à ce titre la somme de 40 000 F à titre de dommages-intérêts supplémentaires.

Il serait inéquitable de laisser à la charge des époux Jacques les frais irrépétibles non compris dans les dépens et il convient de leur accorder une indemnité de 15 000 F sur la base de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale pour l'ensemble de la procédure.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit les parties en leurs appels ; Vu les articles L. 231-1, L. 231-2 (ancien), L. 241-1 du Code de la Construction et de l'Habitation, dans leur rédaction antérieure à la loi du 19 décembre 1990 et les articles L. 231-1, L. 231-4 II et L. 241-1 du même Code, 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans sa rédaction antérieure à la loi du 29 janvier 1993 ; Confirme le jugement sur les déclarations de culpabilité en précisant que la seconde traite litigieuse est du 18 septembre 1989 et qu'elle a été escomptée le 20 septembre 1989 ; Le réforme sur les peines ; Condamne M. Y à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et à 20 000 F d'amende ; Sur la peine d'emprisonnement avec sursis : Le Président a averti le condamné que si dans le délai de 5 ans à compter du présent arrêt, il commettait une nouvelle infraction et était à nouveau condamné à une nouvelle peine d'emprisonnement, cette condamnation serait susceptible d'entraîner l'exécution de la peine prononcée ce jour avec le bénéfice du sursis, sans confusion possible avec la seconde, et qu'il encourrait alors les peines de la récidive dans les termes des articles 132-8 à 132-11 du Code Pénal. Prononce la contrainte par corps ; Réforme les dispositions civiles du jugement ; Condamne M. Y à verser à M. et Mme Jacques à titre de dommages-intérêts les sommes de 92 000 F avec intérêts de droit à compter du 9 janvier 1990 et de 40 000 F ; Condamne M. Y à verser à M. et Mme Jacques la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale. Condamne M. Y aux dépens de l'action civile ; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné.