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Décisions

CA Rennes, 1re ch. B, 8 mars 2001, n° 00-00287

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lacroix Sofrel Électronique (SA)

Défendeur :

MEH Distribution (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boivin

Conseillers :

Mme Nivelle, M. Bohuon

Avoués :

SCP Leroyer Barbarat Gauvain & Demidoff, Me Bourges

Avocats :

Mes Chatellier, Geissmann-Achille.

T. com. Rennes, du 30 nov. 1999

30 novembre 1999

Faits - Procédure - Moyens

La société Lactois Sofrel Électronique fabriquait depuis le second semestre 1996 des décodeurs pour le compte de la société Premiere (de droit allemand) sous licence Canal +, et s'approvisionnait à cet effet en condensateurs et résistances auprès de la société MEH Distribution (MEHD), société spécialisée dans l'importation et la vente de composants électroniques en provenance de Corée et de Taiwan.

La société Sofrel a ainsi passé à la société MEHD des commandes de condensateurs et de résistances entre le 15 mai et le 10 juillet 1997, précisant les dates de livraison souhaitées, soit entre le 19 août et le 24 octobre 1997 pour les condensateurs et le 19 août et le 26 novembre 1997 pour les résistances.

Le 14 juillet 1997 la société Premiere adressait à son fournisseur, la société Sofrel, un courrier l'informant qu'en raison d'un changement d'actionnariat une nouvelle technologie serait adoptée pour les décodeurs, réduisant les commandes du second semestre 1997 et stoppant celles de 1998.

Par télécopie du 29 juillet 1997 la société Sofrel informait son propre fournisseur: la société MEHD, de la décision de la société Premiere et demandait l'annulation de plusieurs commandes de condensateurs devant être livrés du 26 septembre au 14 novembre suivants, et par télécopie du 27 août 1997 elle demandait l'annulation d'une partie des commandes de résistances.

La société MEHD qui avait entre temps sollicité ses fournisseurs asiatiques informait ceux-ci de l'annulation des commandes mais les fabricants de composants faisaient alors savoir qu'une partie des commandes était soit en cours d'expédition, soit en cours de production, rendant impossible des retraits d'ordre.

Le 21 août 1997 la société MEHD informait la société Sofrel de l'impossibilité d'accepter les annulations, et par acte du 28 juillet 1998 elle l'assignait en paiement de la somme de 1 302 168,50 F de dommages et intérêts et de 20 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, au titre d'une rupture unilatérale d'une commande ferme et définitive.

Par jugement du 30 novembre 1999 le Tribunal de Commerce de Rennes a condamné la société Sofrel à payer à la société MEHD la somme de 770 365 F au titre des commandes indûment annulées, débouté la société MEHD de ses demandes de paiement de frais de stockage et de pertes de marges brutes, dit que la société MEHD devrait mettre à disposition de la société Sofrel les pièces tenues en stock et indûment décommandées, ordonné l'exécution provisoire des condamnations prononcées, et condamné la société Sofrel à régler à la société MEHD 100 000 F de dommages et intérêts et 50 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre les dépens.

La société Sofrel a fait appel le 7 janvier 2 000. Elle demande à la Cour de réformer le jugement, de débouter la société MEHD de toutes ses demandes et de la condamner à 15 000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux entiers dépens.

Elle fait valoir que le retrait d'une offre de contracter n'est pas fautif en lui-même, qu'elle avait en l'espèce un motif légitime d'annulation des commandes, qu'elle a informé sans tarder la société MEHD des modalités d'annulation et que celle-ci a d'ailleurs accepté certaines annulations, que la grande majorité des ordres passés étaient livrables après la deuxième quinzaine d'octobre et dans le courant du mois de novembre 1997 et qu'il appartenait à la société MEHI) de réagir dans des délais raisonnables vis-à-vis de ses fournisseurs asiatiques, et qu'un préavis écrit conformément à l'article 36-5° de l'ordonnance du 1er décembre 1986 lui a été donné par la télécopie du 29 juillet 1997, soit un préavis de 2 mois et demi pour les résistances et 3 mois et demi pour les condensateurs.

Elle ajoute que la société MEHD ne peut davantage aboutir pour la raison qu'il s'agissait de commandes fermes et définitives dans la mesure où elle ne justifie d'aucun accusé de réception des commandes, et en toute hypothèse la perte du marché Premiere constitue un cas de force majeure.

Quant au préjudice invoqué, elle fait valoir que la société MEHD est dans l'impossibilité d'établir l'existence de frais de stockage et qu'une des pièces produites tend même à montrer que les marchandises n'ont été stockées que postérieurement à l'assignation, que les factures de la société Lang n'indiquent pas qu'il s'agit des marchandises objet du présent litige, que la prétendue perte de marge brute est tout autant injustifiée, la société MEHD ayant réussi à revendre les marchandises pour le même prix que celui qu'elle appliquait à la société Sofrel, que la méthode de calcul de la valeur d'achat des pièces spécifiques ne peut être retenue car elle englobe des pièces standard, des pièces spécifiques mais dont l'annulation a été acceptée, et un stock de sécurité qui ne lui avait absolument pas été imposé, et aussi parce qu'il n'est pas indiqué si c'est le prix de revient ou le prix moyen pondéré d'achat en y ajoutant une marge brute qui est pris comme base de calcul, que finalement la société MEHD ne saurait prétendre à une somme supérieure à 337 650 F, que la somme de 770 365 F correspond au montant des avenants d'annulation et ne saurait refléter le préjudice de la société MEHD, que d'ailleurs l'exécution provisoire a permis de constater que la société MEHD était dans l'incapacité de livrer la contrepartie des avenants d'annulation et qu'elle avait revendu une grande partie des composants standard, qu'elle a d'ailleurs reconnu avoir livré la totalité du stock qu'elle détenait depuis l'annulation des commandes et qu'elle n'avait pu écouler à d'autres clients, qu'elle n'a pas déféré à la sommation de communiquer une liste précise des pièces livrées le 29 décembre 1999 à la société Sofrel en vertu de l'exécution provisoire du jugement lui enjoignant de livrer les pièces indûment décommandées par avenants aux bons de commande, et enfin que les dommages et intérêts demandés ne sont justifiés ni par la preuve d'une faute ni par celle d'un préjudice résultant de cette faute.

La société MEHD demande à la Cour de déclarer l'appel de la société Sofrel irrecevable et mal fondé, de déclarer son appel incident recevable et bien fondé, de confirmer le jugement sur le principe des condamnations mais de le réformer sur le quantum, de condamner la société Sofrel à lui payer 1174 368,50 F en deniers ou quittances représentant la valeur d'achat de la totalité des pièces spécifiques commandées dans le cadre du marché allemand et livrées le 29 décembre 1999, 182 000 F au titre des frais de stockage de ces matériels de septembre 1997 à décembre 1999, 97 900 F au titre de la perte de marge brute sur les matériels standards revendus sur le marché français, et 200 000 F de dommages et intérêts pour attitude dilatoire et déloyale, de lui donner acte qu'en contrepartie du paiement réalisé par la société Sofrel au début du mois de janvier 2000 elle a d'ores et déjà livré les pièces qui n'ont pu être ni décommandées, ni vendues sur le marché national, et de condamner la société Sofrel à 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux entiers dépens.

Elle rappelle que les pièces commandées étaient spécifiques à l'approvisionnement du marché allemand et n'étaient pas en cas de difficultés recyclables sur le marché national, que les commandes avaient un caractère urgent puisque les livraisons devaient intervenir majoritairement en septembre, qu'elle avait pris l'initiative de commander un lot de pièces supplémentaires dit "stock de sécurité", que la société Premiere avait demandé à son co- contractant quels seraient les coûts additionnels résultant de l'annulation, ce que n'a jamais fait Sofrel, que celle-ci a quand même mis 15 jours pour alerter la société MEHD après l'annulation de la société Premiere, que la première demande d'annulation en date du 29 juillet ne visait que le poste "condensateur", et que c'est par une seconde lettre, en date du 27 août 1997, qu'elle demandait l'annulation concernant les résistances, que certaines commandes passées auprès des fournisseurs coréens n'ont pu être annulées, qu'elles ont été livrées et payées par la société MEHD, et que ces marchandises en quantité considérables sont restées en stock sur 120 m2 jusqu'au 29 décembre 1999.

Elle fait valoir qu'il existait des relations contractuelles résultant des commandes passées et acceptées, que selon les conditions générales d'achat que la société Sofrel verse aux débats elle avait l'obligation d'accepter les matériels commandés et de les régler lorsqu'ils sont conformes à la commande, qu'il s'agissait de commandes fermes et définitives pour la plupart exécutées, les marchandises étant fabriquées ou en cours de fabrication, que le délai de prévenance n'a pas été acceptable car les livraisons devaient s'échelonner de juillet à novembre avec une majorité avant fin septembre, et que la société MEHD n'a jamais expressément accepté ces annulations.

Elle précise que d'autres fournisseurs ont réagi également en refusant les annulations, qu'elle n'avait pas de raison contractuelle pour répercuter les annulations mais le souci de conserver avec sa cliente de bonnes relations commerciales, et que la société Sofrel a tardé à répercuter les annulations de la société Premiere.

Elle expose que le préjudice comprend la valeur en prix d'achat des marchandises spécifiques demeurées en stock et qui ont été livrées à la société Sofrel le 29 décembre 1999 du fait de l'exécution provisoire, soit la somme de 1174 368,50 F obtenue en déduisant du montant total des commandes (2 236 368 F) les annulations acceptées (770 365 F) et les marchandises non spécifiques écoulées (291 634,50 F), que l'existence d'un stock de sécurité était connue de la société Sofrel, que la contestation relative à l'absence d'identité entre les pièces livrées et celles correspondant à la condamnation est tardive car il appartenait à la société Sofrel de contester la livraison (réceptionnée sans réserves) dans le délai contractuellement fixé et non 5 mois plus tard, et en outre elle a modifié le conditionnement des pièces et confondu les références, que les frais de stockage doivent également être remboursés ainsi que la perte de marge brute, et enfin que des dommages et intérêts lui sont dus compte tenu notamment que la société Sofrel a été indemnisée par la société Premiere à hauteur de 47 MF.

Motifs

Sur la responsabilité de la société Sofrel.

Les commandes passées par la société Sofrel à la société MEHD constituent des offres de contracter et non des acceptations, faute d'offres préalables (y correspondant exactement) de la part de la société MEHD. Mais compte tenu de l'importance des quantités, du caractère urgent des commandes transmises par télécopie, de la relative brièveté des délais de livraison (moins de trois mois) s'agissant de marchandises à importer, de la qualité de professionnels des contractants, l'absence de refus exprès de la part du destinataire des offres valait acceptation de celles-ci.

En annulant à partir du 29 juillet 1997 des commandes passées au plus tard le 10 juillet 1997 la société Sofrel revenait donc sur des contrats déjà formés, et non sur de simples relations commerciales soumises à l'ordonnance du 1er décembre 1986, et cela ne pouvait être fait valablement qu'avec l'accord de la société MEHD.

C'est pourquoi d'ailleurs la société Sofrel sollicitait dans ses courriers des 29 juillet et 27 août 1997 l'accord de la société MEHD et établissait des avenants d'annulation, dont certains ont été acceptés par la société MEHD, et d'autres refusés, ce que cette dernière était en droit de faire puisque la société Sofrel était contractuellement engagée.

Dans la mesure où les annulations n'étaient pas acceptées la société Sofrel était donc tenue de prendre livraison et de payer les marchandises commandées.

Enfin elle ne peut s'exonérer de cette obligation au motif de l'annulation subie par elle-même car la société Premiere, en lui signifiant l'annulation de ses commandes de décodeurs pour 1998, demandait à la société Sofrel de lui préciser quels seraient les coûts additionnels résultant de cette annulation. La société Sofrel n'était donc pas contrainte d'annuler ses propres commandes pour éviter des pertes financières, une indemnisation pouvant être sollicitée auprès de la société Premiere.

Sur le préjudice subi par la société MEHD.

Sur les marchandises restées en stock.

La société MEHD ne produit pas les éléments nécessaires à la vérification de sa créance, comme l'article 1315 du Code Civil lui en fait l'obligation.

En premier lieu les tableaux versés par la société MEHD pour chiffrer son préjudice, soit 780 358,50 F au titre des condensateurs chimiques et 394 010 F au titre des résistances, ne correspondent pas au tableau des annulations de commandes qu'elle verse également aux débats. Par exemple les deux premières références de commandes (n°861 et 963) sur le premier tableau ne figurent pas parmi les commandes annulées par la société Sofrel selon le tableau des annulations. On peut retrouver néanmoins ces annulations dans le lot des exemplaires de commandes versé par ailleurs aux débats.

En deuxième lieu la société MEHD expose que le montant de son préjudice ne tient pas compte des annulations acceptées, et pourtant dans les tableaux justifiant son préjudice figurent des sommes correspondant à des annulations acceptées. Par exemple dans le stock de RMSRB 1 KT figure la commande n° 43 869, qui fait partie des commandes dont l'annulation a été acceptée. Or la société MEHD ne saurait réclamer le paiement des commandes dont elle a accepté l'annulation.

En troisième lieu les tableaux produits pour justifier le montant de son préjudice incluent la valeur des stocks de sécurité, dont la société Sofrel ne peut être rendue responsable car elle ne les a pas commandés, et la valeur de ces stocks de sécurité ne peut être purement et simplement déduite des stocks réels car le montant de ces derniers n'est pas égal au total des commandes et du stock de sécurité du poste.

Enfin pour certains postes la valeur des stocks réels est, de façon totalement inexplicable, supérieure au total des commandes et du stock de sécurité. Par exemple, pour le poste CSG 100,00 M 63 BA, la valeur du stock serait de 105 160 F alors que le total des commandes et du stock de sécurité ne s'élève en réalité qu'à 88 300 F.

Pour toutes ces raisons il est impossible d'entériner le montant du préjudice invoqué par la société MEHD sur la base des documents qu'elle produit. Le préjudice résultant des pièces restées en stock sera donc fixé à la somme reconnue par la société Sofrel, soit 337 650 F, et la société MEHD condamnée à restituer le trop perçu sur la condamnation avec exécution provisoire de 770 365 F, soit 432 715 F.

Corrélativement la société Sofrel devra restituer les pièces reçues le 29 décembre 1999, à l'exception de celles mentionnées sur son tableau des pièces spécifiques au total de 337 650 F.

Sur les frais de stockage.

Si la réalité du stockage est indéniable, son coût pour la société MEHD ne peut être chiffré. En effet le contrat avec la société Sobail ne peut, comme l'a remarqué le Tribunal, ni justifier le coût de l'entreposage des composants, ni prouver que le local loué était affecté au stockage de ces seuls produits, tandis que les factures de la société Lang ne font pas référence aux marchandises objet du présent litige et d'ailleurs ne sont pas en conformité avec les allégations de la société MEHD qui parle de 17 palettes alors que les factures indiquent des nombres de palettes tout à fait différents.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de préjudice.

Sur la perte de marge brute.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de préjudice, au motif qu'aucune facture établie pour d'autres clients n'était produite aux débats. II est en effet impossible, en l'absence de pièces justificatives du prix de vente, de constater la perte de marge invoquée par la société MEHD.

Sur les dommages et intérêts.

Le jugement doit encore être confirmé en ce qu'il a alloué la somme de 100 000 F à la société MEHD à titre de dommages et intérêts, car l'inexécution par la société Sofrel de ses obligations contractuelles a causé à la société MEHD un préjudice certain en raison des efforts pour annuler ses propres commandes afin de préserver ses relations commerciales avec la société Sofrel, puis des démarches nécessaires pour revendre les marchandises.

Sur les frais irrépétibles.

II est équitable de confirmer la condamnation de la société Sofrel à 50 000F et de la limiter à cette somme.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Déclare l'appel recevable; Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf sur le montant de la condamnation de la société Lacroix Sofrel Électronique au titre des commandes indûment annulées; Condamne la société Lacroix Sofrel Electronique à payer à la société MEH Distribution la somme de 337 650 F (51 774,41 Euros) au titre des commandes indûment annulées, outre 100 000 F (15 244,90 Euros) de dommages et intérêts; Condamne la société MEH Distribution à restituer le trop perçu sur la condamnation avec exécution provisoire de 770 365 F (117 441,39 Euros), soit 432 715 F (65 966,98 Euros); Ordonne la compensation entre cette somme et le montant des dommages et intérêts, s'ils n'ont pas encore été versés, et dit que dans cette hypothèse la somme à restituer ne sera que de 332 715 F (50 722,07 Euros); Condamne la société Lacroix Sofrel Électronique à restituer les pièces reçues le 29 décembre 1999, à l'exception de celles mentionnées sur son tableau des pièces spécifiques au total de 337 650 F (51 774,41 Euros); Déboute les parties du surplus de leurs demandes, y compris au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile; Condamne la société Lacroix Sofrel Électronique aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.