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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 26 avril 2001, n° 98-09571

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Coffima (SA)

Défendeur :

Renault VI (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Canivet

Conseillers :

MM. Raffejeaud, Dragne

Avoués :

Me Treynet, SCP Bommart & M1nault

Avocats :

Mes Saffar, Nakache.

T. com. Nanterre, 8e ch., du 12 nov. 199…

12 novembre 1998

La société Coffima se fournissait en pièces détachées auprès de la société Renault VI pour les besoins de son activité d'import-export.

Plusieurs procédures ont opposé les parties et c'est dans ce contexte que la société Renault VI a notifié le 1er septembre 1997 à la société Coffima qu'elle n'accepterait plus ses commandes au-delà du 30 septembre 1998.

La société Coffima a alors assigné le 23 juillet 1998 la société Renault VI pour voir celle-ci condamnée sous astreinte à poursuivre ses livraisons.

Par jugement en date du 12 novembre 1998, le tribunal de commerce de Nanterre a débouté la société Coffima de sa demande, de même que la société Renault VI de sa demande en dommages et intérêts, et a condamné celle-là à payer à celle-ci une somme de 8.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont considéré que la société Renault VI avait pu cesser ses relations commerciales avec la société Coffima sans commettre d'abus, dès lors qu'elle avait respecté un préavis de treize mois ; qu'il n'y avait eu en l'espèce aucune pratique discriminatoire et qu'enfin, la société Coffima ne prouvait pas l'entente illicite de la société Renault VI avec ses concurrents.

La société Coffima a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 9 décembre 1998.

Elle a fait valoir que la société Renault VI avait cessé ses relations commerciales avec elle pour se venger des condamnations judiciaires qu'elle avait obtenues à son encontre.

Elle a considéré que le préavis que lui avait consenti la société Renault VI était un "leurre", dans la mesure où celle-ci avait tout fait pour ne pas respecter le contrat pendant le délai de prévenance.

Elle a soutenu, par ailleurs, que le refus de vente constituait une discrimination au sens de l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Elle a enfin invoqué l'existence d'une entente illicite entre la société Renault VI et ses concurrents que celle-ci avait continué à livrer après le 30 septembre 1998.

Elle a, en conséquence, sollicité la condamnation de la société Renault VI à honorer ses commandes aux mêmes conditions que celles de ses concurrents, et ce sous astreinte de 10.000 F par jour de retard.

Elle a également demandé le paiement d'une somme de 5.222.946 F à titre de dommages et intérêts, la publication de l'arrêt dans trois journaux de son choix aux frais de la société Renault VI dans la limite de 10.000 F par publication et, enfin, le paiement d'une somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La société Renault VI s'est attachée à réfuter les griefs articulés à son encontre et a sollicité la confirmation du jugement entrepris, sauf en ce qu'il l'avait déboutée de sa demande pour procédure abusive.

Elle a sollicité à ce titre une somme de 100.000 F à titre de dommages et intérêts, outre 50.000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Elle s'est, d'autre part, opposée à la demande, nouvelle devant la cour, en paiement de dommages et intérêts qu'elle a considéré procéder d'une évaluation "arbitraire et exorbitante".

SUR CE,

Considérant que, nonobstant l'abrogation de l'article 36-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le refus de vente reste sanctionnable par l'application du droit commun de la responsabilité, et en particulier en vertu de la théorie de l'abus de droit;

Considérant qu'en l'espèce, il est constant, et d'ailleurs reconnu par la société Renault VI, que la décision prise par celle-ci le 1er septembre 1997 de ne plus accepter les commandes de la société Coffima est liée aux procédures judiciaires qui les ont opposées;

Qu'il est de fait que le tribunal de commerce de Nanterre, puis la cour de céans ont déjà eu à connaître de deux litiges qui se sont conclus l'un et l'autre, tant devant le tribunal que devant la cour, à l'avantage de la société Coffima;

Considérant qu'alors que les parties étaient en relation d'affaires depuis de nombreuses années, un litige est survenu en 1996 du fait que la société Renault VI refusait de régler à la société Coffima une ristourne sur le chiffre d'affaires de l'année 1995, comme c'était le cas les années précédentes;

Que la société Coffima a alors assigné la société Renault VI le 26 novembre 1996 et qu'aussitôt, celle-ci a refusé d'honorer la première commande de la société Coffima en date du 13 décembre 1996;

Que le tribunal, par un jugement en date du 2 octobre 1997, puis la cour, par un arrêt en date du 17 juin 1999, ont sanctionné l'attitude de la société Renault VI;

Que, par jugement en date du 23 avril 1997, ultérieurement confirmé par un arrêt de la cour de céans en date du 7 janvier 1999, le tribunal de commerce de Nanterre a fait droit aux termes de l'assignation du 26 novembre 1996;

Que c'est dans ces circonstances qu'a été prise par la société Renault VI la décision critiquée en date du 1er septembre 1997;

Que cette simple relation des faits démontre que, de même que le refus de la commande du 13 décembre 1996 était une mesure de rétorsion prise en réponse à l'assignation du 26 novembre 1996, de même, le refus de vente notifié à la société Coffima entendait répondre au jugement du 23 avril 1997;

Considérant que s'agissant de relations commerciales dont le caractère intuitu personae n'était pas essentiel, l'attitude de la société Renault VI est injustifiable;

Qu'il apparaît, en fait, que celle-ci n'a pas toléré qu'un de ses clients ait eu l'audace de contester en justice une décision arbitraire qu'elle avait prise à son encontre, et ait obtenu gain de cause;

Que sa mauvaise foi et son intention de nuire à la société Coffima sont ainsi manifestes;

Que l'octroi d'un long préavis, dont la société Coffima ne démontre pas qu'il n'ait pas été effectivement respecté, n'efface pas la faute commise;

Considérant que, pour le surplus, si le refus de vente constitue nécessairement une pratique discriminatoire, en ce qu'il affecte un client et non les autres, la société Coffima ne justifie d'aucun des faits fautifs énumérés à l'article L. 442-6-1 du Code de commerce, ni d'aucun préjudice distinct de celui réparé au titre de l'abus de droit;

Que, par ailleurs, les premiers juges ont à bon droit écarté l'existence d'une entente illicite, étant en outre observé qu'une entente suppose la rencontre d'au moins deux volontés et que ceci n'est manifestement pas le cas en l'espèce, la décision de la société Renault VI lui étant strictement personnelle;

Considérant que, conformément aux dispositions de l'article 1142 du Code civil, toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur;

Considérant qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la reprise forcée des ventes;

Considérant que la demande en dommages et intérêts de la société Coffima, formulée pour la première fois devant la cour, est recevable par application des dispositions de l'article 566 du NCPC;

Considérant que, pour apprécier le préjudice subi par la société Coffima, il convient de noter que celle-ci avait réalisé entre 1992 et 1995 avec la société Renault VI un chiffre d'affaires annuel moyen de 7.500.000 F, sur lequel elle bénéficiait d'une marge d'environ 20 % ; que toutefois, ce chiffre d'affaires ne représentait que 9 % de son chiffre d'affaires global et que le préavis de treize mois dont elle a bénéficié a pu être mis à profit par elle pour lui permettre de compenser, au moins en partie, la perte du marché Renault VI par un accroissement de ses fournitures auprès d'autres constructeurs;

Qu'en conséquence, le montant du préjudice sera limité à 300.000 F, la société Coffima, qui se contente de produire un relevé comportant des numéros de factures non versées aux débats et des pourcentages de marge sur lesdites factures, ne justifiant en tout cas pas d'un préjudice supérieur;

Considérant que la publication du présent arrêt ne se justifie pas;

Considérant que la société Renault VI paiera à la société Coffima une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du NCPC;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : Infirme le jugement entrepris. Statuant à nouveau, Dit que le refus de vente opposé par la société Renault VI à la société Coffima est constitutif d'une faute, en application des dispositions de l'article 1382 du Code civil. Condamne la société Renault VI à payer à la société Coffima une somme de 300.000 F (trois cent mille francs) à titre de dommages et intérêts. La condamne à lui payer une somme de 10.000 F (dix mille francs) sur le fondement de l'article 700 du NCPC. La condamne aux dépens de première instance et d'appel, et accorde pour ceux d'appel à Me Treynet, avoué, le bénéfice de l'article 699 du NCPC. Rejette toutes autres demandes comme étant non fondées ou sans objet.