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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 3 juin 1999, n° 98-00212

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Toulousaine Entretien Automobile (SA)

Défendeur :

Accessoires et Fournitures Électriques Pour Auto (Sté), Magneti Marelli France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brignol

Conseillers :

MM. Boyer, Girot

Avoués :

SCP Boyer Lescat Merle, Me Château, SCP Sorel Dessart

Avocats :

SCP Fourgoux, associés, Me Monville Roustand, SCP Vogel & Vogel

CA Toulouse n° 98-00212

3 juin 1999

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE ANTÉRIEURE

La Société STEA spécialisée dans la vente et la réparation de pièces détachées d'automobiles, vend des produits de la Société Magneti Marelli France, et a été son concessionnaire, du 19 Février 1992 au 17 Juin 1994, date à laquelle la société Magneti Marelli France a résilié le contrat.

Par décision du 4 Juin 1997, le Conseil de la Concurrence a estimé que certaines remises pratiquées par la Société Magneti Marelli France présentaient un caractère discriminatoire, et relevé que cette société avait entravé l'approvisionnement d'un de ses concessionnaires, la Société AFEPAC, et l'avait ainsi empêchée d'honorer les commandes passées par la Société STEA postérieurement à la résiliation de la concession.

Par arrêt du 17 Décembre 1998, la Cour d'Appel de Versailles a jugé que cette résiliation, exclusivement imputable à la Société Magneti Marelli France s'avérait abusive et brutale.

Postérieurement à cette résiliation, la Société STEA s'était en effet adressée à la Société AFEPAC pour acquérir les productions de la Société Magneti Marelli France.

Elle s'est estimée victime de pratiques discriminatoires et a saisi le tribunal de commerce de Montauban qui l'a déboutée de ses demandes tant à l'encontre de la Société AFEPAC que de la société Magneti Marelli France, par jugement du 11 Septembre 1996.

PRETENTIONS ET MOYENS DE LA DEMANDERESSE

La société STEA conclut à la réformation du jugement, avec condamnation de la société Magneti Marelli France à lui payer 1.000.000 F, de la société AFEPAC à lui payer 100.000 F, outre 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et ordre de reprendre les stocks correspondant aux erreurs de livraisons, à hauteur de 800.000 F.

Elle soutient et fait valoir que :

- l'article 36 de l'ordonnance du 1er Décembre 1986 qui prohibe les pratiques discriminatoires à l'égard d'un partenaire économique n'exige pas de lien contractuel avec ce partenaire, ce qui rend son action recevable à l'encontre de la Société Magneti Marelli France,

- si le refus de vente n'est plus sanctionné en tant que tel, il peut constituer une pratique discriminatoire,

- les arguments des intimées sont contradictoires, la Société Magneti Marelli France contestant l'absence de livraison tandis que la Société AFEPAC fait valoir "les délais de livraison très longs" de la société Magneti Marelli France ; elle invoque également les considérants du Conseil de la Concurrence,

Les pièces versées, aux débats par la société Magneti Marelli France relatives au chiffre d'affaire réalisé par la Société AFEPAC démontrent l'intention de rendre son approvisionnement difficile.

- elle a subi des pratiques discriminatoires :

* des commandes ne sont pas livrées, certaines depuis 1994,

* certaines livraisons sont incomplètes et irrégulières, ainsi elle a commandé des phares pour Renault 25, est restée en rupture de stock pendant un an, de telle sorte que les clients ont annulé leurs commandes, puis a reçu douze phares gauche.

* elle s'est vu refuser la documentation technique,

* elle a commandé des embases de carburateurs qui ont finalement été livrées cinq mois après la commande, et dont 215 sur 345 sont défectueuses, la société AFEPAC en ayant d'ailleurs accepté le retour, ainsi que la société Magneti Marelli France.

* elle subit un reliquat important,

* elle subit aussi des tarifs discriminatoires notamment pour l'embase de carburateur de Renault 25, payée 183,15 F en mai 1992, et 271,40 F en octobre 1995,

- ses clients se plaignent, notamment la société Esso Technologie et Services et la société Chevron, et elle n'a pas d'autre source d'approvisionnement.

PRETENTIONS ET MOYENS DES INTIMEES

La Société Magneti Marelli France conclut à l'irrecevabilité de la demande et subsidiairement au débouté avec allocation de 30.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Elle relate la procédure, relève que si le conseil de la concurrence en estime qu'elle avait restreint l'approvisionnement de la société AFEPAC, il ne relevait aucun acte précis, et fait valoir que :

- son partenaire économique est la société AFEPAC et non la société STEA, irrecevable en conséquence à agir sur le fondement de l'article 36-1 de l'ordonnance de 1986,

- il n'y a pas eu refus de vente, et la législation spécifique à de tels refus a été abrogée,

La Société STEA ne prouve pas les commandes non livrées, et ne peut pas se fonder sur des reliquats de commande envers la société AFEPAC, envers qui ses propres reliquats sont faibles,

- à propos des phares, la société STEA procède par affirmation et ne produit pas ses bons de commande, la seule réclamation étant postérieure à l'assignation.

- le reproche sur les excès de livraison se concilie mal avec celui de livraisons insuffisantes.

- il n'est pas justifié des refus de fournir les documentations techniques,

- elle a livré les embases de carburateur dans les temps pour le deux tiers, à un prix qui n'était prévu que pour des quantités plus importantes, alors que la pièce n'était plus fabriquée pour la commercialisation.

- les clients de la STEA n'ont pas annulé de commandes,

- elle même n'a jamais reconnu la mauvaise qualité reprochée par la STEA,

- la STEA ne justifie pas du reliquat de commande allégué,

- la STEA, qui n'est plus concessionnaire, n'est pas en droit de contester le prix facturé, à ceux qui le sont.

- l'augmentation de prix des embases de carburateur s'explique par l'interdiction, depuis 1993, de monter des carburateurs sur des véhicules neufs, qui réduit le marché aux pièces de rechange,

- la condamnation du Conseil de la Concurrence ne concernait que la différence pratiquée entre les constructeurs et les concessionnaires,

- les ventes entre elle-même et l'AFEPAC ont considérablement augmenté, ce qui est difficilement compatible envers les refus de vente allégués,

- la STEA ne justifie pas des préjudices qu'elle allègue.

La Société AFEPAC conclut à la confirmation du jugement, au débouté de la STEA avec condamnation à lui payer 20.000 F de dommages intérêts pour procédure abusive outre 15.000 F au titre de l'article 700 du NCPC, et à la garantie de la société Magneti Marelli France.

Elle relève que l'essentiel des demandes concerne la société Magneti Marelli France, qu'elle même a toujours fait diligence pour honorer les commandes de la STEA, et n'a commis aucune faute ;

Elle fait valoir que :

- la part des produits de la société Magneti Marelli France est mineure par rapport à son chiffre d'affaires

- elle ne peut fournir ses clients que si elle reçoit elle-même les livraisons commandées, et la société Magneti Marelli France pratique toujours de très longs délais, sans les indiquer pour autant,

- elle a toujours traité les commandes de la STEA dans des délais brefs, soit en l'approvisionnant, soit en passant commande à la Société Magneti Marelli France, alors qu'elles portaient sur des pièces de carburation et qu'elle est spécialisée dans les pièces électriques

- elle n'a commis aucun refus de vente,

- elle a livré les phares qu'elle avait elle-même reçus, et la STEA n'a jamais indiqué son intention de les retourner, la STEA pouvant d'ailleurs s'adresser à d'autres concessionnaires Magneti Marelli,

- la STEA ne prouve pas la demande de documentation prétendument restée insatisfaite.

- elle n'est pas responsable des retards de livraison des embases de carburateur, ni des pratiques qui seraient discriminatoires

- pour un des clients de la STEA qui se plaint, la demande à celle-ci daterait d'avril 1995, alors que sa commande à I'AFEPAC ne date que d'octobre,

- ces embases prétendument défectueuses ont été remboursées,

- la STEA ne prouve pas le préjudice allégué.

- la STEA ne prouve pas les erreurs de livraison, dont elle ne devrait d'ailleurs supporter que 3.800 F sur 800.000 F, le reste étant reproché à la société Magneti Marelli France,

SUR QUOI

Attendu que la STEA fonde expressément sa demande en dommages intérêts à l'encontre de la société Magneti Marelli France sur les pratiques "anticoncurrentielles et discriminatoires" ;

Attendu que l'article 36-1 de l'ordonnance du 1er Décembre 1986 oblige à réparation l'auteur de pratiques discriminatoires à l'encontre d'un partenaire économique

Attendu que la notion de partenaire économique n'exige ni l'immédiateté du rapport de partenariat, ni d'ailleurs son caractère strictement contractuel,

Attendu en conséquence que l'irrecevabilité soulevée ne sera pas retenue ;

Attendu que la décision du Conseil de la concurrence n'a pas précisé quels manquements précis fondaient sa décision ;

Attendu qu'il incombe donc à la STEA d'établir les actes précis sur lesquels elle fonde sa demande;

Attendu que pour les défauts de livraison, ou leur défaut de conformité, il lui incombe d'établir qu'elle a passé des commandes à I'AFEPAC et que la Société Magneti Marelli France a répondu à celle-ci de manière défectueuse afin de nuire à la STEA ; que la preuve concerne donc deux rapports, entre la STEA et elle-même et entre la STEA et la société Magneti Marelli France

Attendu qu'elle ne verse au dossier aucune copie des commandes qu'elle a pu adresser à l'AFEPAC ;

Attendu qu'eu égard aux tensions avérées entre la Société Magneti Marelli France, la STEA savait nécessairement qu'existait un risque de difficulté,

Attendu que dans ces conditions, on ne peut pas croire qu'elle ait commis l'imprudence de passer des commandes aussi importantes pour elle sans en conserver de trace ;

Attendu qu'il lui appartient de prouver de telles commandes, et les circonstances qui permettraient d'apprécier le caractère fautif ou non de la réponse;

Attendu qu'à défaut, on ne peut que débouter la STEA de ses demandes sur ce point :

Attendu que, pour les phares, la STEA écrit le 18 février 1996 que des phares sont en commande depuis le 7 Novembre 1994, mais ne prétend à aucune réclamation entre-temps ; qu'elle indique avoir finalement reçu plus de phares qu'elle n'en avait commandés, le 16 févier 1996, mais ne prétend pas qu'il s'agisse seulement de phares droits ou gauches ;

Attendu que, sur la documentation technique elle ne verse au dossier ni bon de commande, ni réclamation ;

Attendu d'ailleurs que si, comme elle le reconnaît, elle savait l'hostilité nourrie à son encontre par la Société Magneti Marelli France, on ne comprend pas pourquoi elle se serait fournie chez un seul de ses concessionnaires, en lui permettant l'identification et les mises en œuvre des pratiques reprochées alors qu'une dispersion de ses commandes lui aurait permis d'éviter au moins partiellement ces inconvénients ;

Attendu que si elle a ainsi diversifié ses fournisseurs, elle ne le dit pas dans la présente instance, ce qui exclut de pouvoir apprécier son préjudice ;

Attendu en conséquence que les demandes fondées sur les défauts de livraison, les livraisons défectueuses de phares et le refus de fourniture de la documentation technique seront rejetées, faute pour la STEA d'apporter les éléments de preuve nécessaires à sa demande;

Attendu que la STEA se plaint des livraisons de deux types d'embases de carburateur

Attendu que pour les carburateurs de Renault 25, la société Magneti Marelli France explique l'augmentation de prix reprochée par une modification de législation empêchant la fabrication en grand nombre ; que la STEA ne répond pas à cet argument ; que le caractère fautif de l'augmentation de prix n'est donc pas établi ;

Attendu que la seconde série de griefs concerne des embases au "corps papillon", paraissant destinées à des Renault 5.

Attendu qu'elle affirme que cette pièce appartient à un carburateur qui figure dans le catalogue Magneti Marelli de mars 1996 ; qu'elle ajoute que la référence B indique qu'il s'agit d'un produit de consommation courante, donc disponible ; que cependant, la page de garde du catalogue qu'elle verse au dossier stipule pour les produits classés B qu'il s'agit "de produits techniques de consommation courante pour lesquels nous vous conseillons de vérifier auprès du concessionnaire Magneti Marelli France de votre région, la disponibilité" ;

Attendu que la société Magneti Marelli France fait remarquer à juste titre que si, comme le prétend son adversaire, qui devrait encore le prouver, la pièce ne figure dans son catalogue qu'intégrée dans un carburateur, c'est qu'elle n'y figure pas pour elle-même ;

Attendu que la société Magneti Marelli France a délivré un document à l'AFEPAC ou apparaissent 500 de ces éléments référencés et un délai "trois mois à partir date commandé"

Attendu que selon la STEA la livraison est intervenue cinq mois après la commande et pour 345 éléments seulement ;

Attendu que si cette livraison est partielle et tardive de deux mois, on ne peut quand même pas la qualifier de pratique discriminatoire.

Attendu que selon une lettre de réclamation qu'elle verse au dossier, la STEA avait reçu une des commandes le 13 avril 1995, alors que la Société Magneti Marelli France indique sans être contredite qu'elle même n'a reçu la commande en novembre ; que la STEA ne précise pas la chronologie ;

Attendu que, pour ces embases, la STEA reproche aussi leur défectuosité et fait valoir que la société Magneti Marelli France en a accepté le retour ;

Attendu cependant que la société Magneti Marelli France a accepté le retour "à titre exceptionnel" en précisant "l'analyse effectuée sur les pièces mises à notre disposition par vos soins, atteste d'une totale conformité des produits livrés au regard des spécifications" à condition d'être utilisés pour des R4 GTL

Attendu que la STEA conteste que ces pièces doivent être utilisées à une R 4 GTL alors qu'elles seraient destinées à une RG 5 GTL ; qu'elle verse au dossier une fiche 3660-A où la pièce 32 SEIA est destinée et une Renault 5 GTL, et une autre 3684 X 87, où elle est destinée à une Renault 4 GTL où une Renault 5 L et TL ; que l'on ne peut pas établir la défaillance technique à partir de ces pièces ; que la STEA ne la prouve donc pas.

Attendu que concernant les reliquats dont elle se plaint, la STEA verse au dossier une liste, sans prendre la peine d'expliquer de quoi les éléments mentionnés seraient les restes ; que cette liste ne prouve rien et surtout pas l'origine des pièces ; que la STEA avait indiqué quelques menues erreurs à I'AFEPAC, sans en demander remboursement ; que pour le reste, on ne sait pas l'origine de ces pièces ;

Attendu ainsi que la STEA ne prouve pas les griefs qu'elle formule à l'encontre de la Société Magneti Marelli France ; qu'elle en prouve encore moins à l'encontre de L'AFEPAC à qui elle reprochait son laxisme à l'égard des fautes commises par la société Magneti Marelli France ; que ces fautes n'étant pas prouvées, le laxisme à leur propos ne saurait engendrer une quelconque responsabilité ;

Attendu qu'il faut donc confirmer le jugement dont appel et allouer aux intimées les indemnités qui commande l'équité pour les débours non compris dans les dépens ;

Attendu que, par contre, il n'est pas justifié de dommages particuliers ;

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Montauban le 11 Septembre 1996. Dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts. Condamne la STEA à payer à la Société Magneti Marelli France et à l'AFEPAC une indemnité de 10.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC à chacune. La condamne aux dépens dont distraction au profit de Me Château et de la SCP Sorel Dessart, Avoués.