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Décisions

CA Paris, 25e ch. A, 19 janvier 2001, n° 1998-10237

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SE.PRO.DIS (SA)

Défendeur :

Canon France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Briottet

Conseillers :

Mme Bernard, M. Picque

Avoués :

SCP Fisselier- Chiloux-Boulay, Me Huyghé

Avocats :

Mes Berthault, Montalember.

T. com. Paris, 16e ch., du 30 mars 1998

30 mars 1998

Par jugement rendu le 30 mars 1998, le Tribunal de Commerce de Paris a débouté la SA Selection Promotion Distribution ci-après SE.PRO.DIS de ses demandes à l'encontre de la SA Canon France et tendant à l'annulation des conditions de vente appliquées par la SA Canon France à compter du 1er janvier 1997, à la reconduction pour une durée indéterminée des conditions tarifaires en vigueur entre les deux sociétés en 1996 et à la condamnation de la SA Canon France à reprendre les livraisons aux conditions en vigueur en 1996 ainsi qu'à lui verser la différence tarifaire entre les conditions de vente antérieurement applicables et celles effectivement appliquées à compter du 1er janvier 1997. Par ailleurs, la SA SE.PRO.DIS a été condamnée à payer à la SA Canon France la somme de 10.000 francs en application de l'article 700 du NCPC.

La SA SE.PRO.DIS a relevé appel. Dans ses uniques conclusions signifiées le 2 septembre 1998, elle reproche au Tribunal d'avoir méconnu qu'elle agissait sur le fondement de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et en premier lieu, de l'article 36 alinéa 5, aux termes duquel tout producteur, commerçant, industriel ou artisan engage sa responsabilité en cas de rupture même partielle " d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels ". La SA SE.PRO.DIS argue que ce texte s'applique aux contrats même conclus pour une durée déterminée et fait grief à la SA Canon France de n'avoir respecté aucun préavis, le plus bref soit-il, alors que les relations étaient établies entre les deux sociétés depuis plus de 10 ans. Elle soutient que la motivation selon laquelle le contrat était arrivé à son terme est inopérante et méconnaît la jurisprudence reprise par la loi du 1er juillet 1996. Elle déclare que la sanction de l'absence de préavis est la reconduction du contrat sur les bases anciennes et ce pour une durée indéterminée dès lors qu'elle continuait à réunir en 1997 tous les critères objectifs de sélection et d'agrément définis par la Société Canon. La SA SE.PRO.DIS fait valoir qu'elle agit en second lieu, sur la base de l'article 8-2° de l'ordonnance de 1986 qui permet, lorsque le non renouvellement du contrat de distribution est motivé par le refus du distributeur de se soumettre aux conditions commerciales injustifiées proposées par le fournisseur de sanctionner ce dernier. L'appelante affirme qu'elle se trouve économiquement dépendante de la SA Canon France, et qu'en la privant des moyens de pratiquer des prix concurrentiels ainsi qu'en arrêtant de lui livrer le matériel promis, la SA Canon France a violé l'interdiction de l'exploitation abusive imposée par l'article 8 précité. Elle en déduit que conformément à l'article 9 de l'ordonnance de 1986 tant les conditions discriminatoires que la décision de rompre les relations commerciales devront être annulées, faisant ainsi survivre les conditions en vigueur en 1996. En dernier lieu, la SA SE.PRO.DIS conteste tout manquement contractuel pouvant justifier la non-reconduction du contrat, qui devait, en tout état de cause, selon elle être précédée d'un préavis. Elle combat ainsi l'absence de notification à la SA Canon France de sa prise de contrôle totale par la Société Minolta en prétendant que cette prise de contrôle a été achevée dès octobre 1992, a été largement couverte médiatiquement, et que la SA Canon France ne pouvait l'ignorer. De même, elle soutient que le contrat de distribution n'exigeait pas qu'elle ait en permanence un technicien formé par la SA Canon France. Elle s'élève enfin à l'encontre d'un quelconque désintérêt de sa part pour la marque et les produits Canon dont la preuve ne serait pas rapportée. La SA SE.PRO.DIS conclut au terme de ses écritures à l'infirmation du jugement entrepris et reprend toutes ses demandes dont cette décision l'a déboutée, les livraisons étant reprises aux conditions de 1996 sous astreinte de 5.000 francs par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et la somme correspondant à la différence tarifaire entre les conditions antérieurement applicables et celles effectivement pratiquées à compter du 1er janvier 1997 étant majorées des intérêts au taux légal à compter de l'assignation datée du 19 mars 1997. Enfin, la SA SE.PRO.DIS requiert 40.000 francs de frais irrépétibles.

La SA Canon France a conclu en réponse le 18 janvier 1999 et n'a pas pris d'autres écritures. Elle fait valoir que le contrat de distribution conclu pour une durée déterminée expirant le 31 décembre 1996 a pris fin automatiquement à la survenance de son terme et que sa décision de ne pas renouveler le contrat de distribution au 1er janvier 1997 est intervenue à la suite des manquements contractuels et des atteintes au principe de la loyauté du commerce commis par la SA SE.PRO.DIS. Elle cite trois types de manquements : l'absence de notification de la prise de contrôle totale de SE.PRO.DIS par Minolta en contravention avec l'article 11 du contrat, l'absence de technicien spécialisé en produits Canon chez SE.PRO.DIS depuis le licenciement de Monsieur Krovinko le 24 juillet 1996 et le désintérêt manifeste de SE.PRO.DIS pour la marque et les produits Canon accompagné d'une promotion croissante des produits et de la marque Minolta. L'intimée affirme, d'autre part, que c'est en méconnaissance volontaire tant de la réalité des faits de la cause que du sens et de la portée des textes tirés de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que la SA SE.PRO.DIS tente, à nouveau devant la Cour, de se retrancher derrière les dispositions du droit de la concurrence, inapplicables en l'espèce, pour obtenir l'annulation des conditions tarifaires pratiquées par Canon France à partir de 1997 et la reconduction des conditions commerciales en vigueur entre les deux sociétés en 1996, pour une durée indéterminée. La SA Canon France conteste en effet que le contrat de distribution ait été rompu brutalement et que la SA SE.PRO.DIS ait eu droit à un préavis, dans la mesure où le contrat n'en prévoyait pas, où l'appelante avait déjà opéré sa reconversion sur la marque Minolta, et où la faculté de non renouvellement d'un contrat sans préavis est prévue par l'article 36 alinéa 5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 "en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations". La SA Canon France sollicite en conséquence la confirmation du jugement entrepris sauf du chef du rejet de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts. Elle réclame la condamnation de la SA SE.PRO.DIS à lui payer la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la violation des clauses du contrat de distribution, outre la somme de 40.000 francs en application de l'article 700 du NCPC.

SUR QUOI,

Considérant qu'il est indéniable que l'appelante reprend son argumentation de première instance à laquelle le Tribunal a en tous points répondu avec pertinence quoique de façon succincte à certains endroits ; que néanmoins et malgré aussi l'absence de pièces nouvelles en appel, il convient après examen attentif des éléments produits aux débats de se prononcer à nouveau pour l'essentiel sur les moyens dont la SA SE.PRO.DIS fait état devant la Cour au soutien de ses demandes ;

Considérant d'abord qu'il y a lieu de rappeler que la SA SE.PRO.DIS constituée en 1986 est devenue depuis cette date distributeur agréé non exclusif de la marque et des produits Canon en particulier dans le domaine du matériel bureautique ; que depuis 1992 des contrats de distribution annuels liaient les deux sociétés ; que le dernier en date dénommé "Conditions Générales d'Agrément et de Distribution 1996" et auquel étaient annexées les conditions particulières selon le type de produit, a été signé le 23 février 1996 ; que son article 9 stipule : les présentes conditions générales s'appliquent du 1er janvier au 31 décembre 1996";

Considérant que par lettre recommandée avec A.R. du 8 janvier 1997 la SA Canon France a informé la SA SE.PRO.DIS de ce qu'elle ne renouvellerait pas le contrat de distribution en 1997; que d'ores et déjà, à la date du 8 janvier 1997, le terme avait eu un effet extinctif et mis fin aux obligations réciproques des parties ; qu'il est constant au surplus que le refus de renouvellement d'un contrat à durée déterminée que son auteur n'a pas à justifier par un motif légitime, n'est que l'exercice d'un droit contractuel lequel appartient au demeurant, aux deux parties, et ne peut s'analyser en une rupture ou résiliation d'un contrat ;

Considérant de même sur l'absence de préavis dont la SA SE.PRO.DIS fait grief à la SA Canon France, que l'extinction des obligations contractuelles à l'arrivée du terme est la simple application du contrat à durée déterminée lequel en l'espèce ne prévoyait pas de préavis en cas de non renouvellement ; que le jugement entrepris relève par ailleurs que la SA SE.PRO.DIS ne conteste pas sérieusement avoir été informée verbalement en décembre 1996 de cette décision de non-renouvellement qui ne pouvait pas vraiment la surprendre comme il sera vu ci-après et qu'elle a même admis comprendre dans son courrier du 21 janvier 1997;

Que du reste, il est avéré que la SA Canon France était autorisée contractuellement à résilier le contrat de distribution sans préavis soit en cas de changement dans le contrôle du distributeur, soit en cas de manquements aux obligations contractuelles; que la SA Canon France démontre amplement que ces deux situations se sont effectivement concrétisées mais justifie le fait qu'elle n'ait pas eu recours à une résiliation par tolérance commerciale, elle-même motivée par la durée des relations antérieures la liant à la SA SE.PRO.DIS;

Que dès sa lettre du 8 janvier 1997, la SA Canon écrivait à son distributeur : "Il apparaît que la Société Minolta détient 100% du capital de votre société. Or la Société Minolta est l'un des constructeurs concurrents de Canon France sur le marché des produits de bureautique. Dans ces conditions, nous considérons qu'il n'est pas possible pour vous de mettre en œuvre une politique commerciale consistant à mettre en avant notamment nos produits et l'image de Canon vis-à-vis de votre clientèle" ; que cette prise de contrôle de la SA SE.PRO.DIS par la Société Minolta est vérifiée ; que d'une prise de participation de 51 % en 1992, elle est parvenue à détenir 100 % du capital dans les années suivantes ; que rien ne prouve que si la SA Canon a toléré pendant quelques années cette situation, elle l'ait acceptée ;

Que pareillement les manquements contractuels reprochés à la SA SE.PRO.DIS sont patents et établis que ce soit l'absence de notification à la SA Canon de la prise de contrôle totale par la Société Minolta, cet acte officiel prévu à l'article 11 du contrat ne pouvant être suppléé par des articles de presse régionale ou l'absence de technicien spécialisé en produits Canon ou le désintérêt de la SA SE.PRO.DIS pour la marque et les produits Canon; qu'il a été démontré en cours d'instance qu'en violation de l'article 4-3 de plusieurs conditions particulières, relatif à la formation technique et au service après-vente, la SA SE.PRO.DIS avait licencié le 24 juillet 1996 Monsieur Krovinko seul technicien formé pour intervenir sur les matériels Canon au motif que les formations techniques seraient désormais dispensées sur des produits Minolta ; que le désintérêt de la SA SE.PRO.DIS pour la marque et les produits Canon en 1996 s'est manifesté selon les pièces justificatives produites par la SA Canon et non combattues par la SA SE.PRO.DIS de diverses façons et notamment par une baisse des achats de produits Canon, tous produits confondus de 72,98 % de 1992 à 1996, par l'absence de référence à la marque Canon dans des catalogues significatifs édités en 1996, comme le catalogue bureautique ou celui des consommables, par un défaut de valorisation de la marque Canon en tant que telle dans les brochures publicitaires où cette marque n'est qu'associée à un produit particulier, etc....;

Considérant encore que la SA SE.PRO.DIS ne peut revendiquer aucune poursuite de contrat lequel était dépourvu de clause de tacite reconduction ; qu'en outre, dès sa lettre du 8 janvier 1997, la SA Canon France l'a informée de ses nouvelles conditions tarifaires destinées à tout distributeur non agréé et applicables dès le 1er janvier 1997, même si elle a consenti après l'expiration du contrat à aménager une période transitoire de tarification restant préférentielle de 6 mois à un an selon les produits, eu égard à la durée de leurs relations antérieures ;

Considérant enfin que la SA Canon France n'a commis aucun abus en ne renouvelant pas le contrat de distribution de 1996 avec la SA SE.PRODIS laquelle n'était plus capable d'assurer prioritairement la promotion de l'image de la marque Canon et de la marque elle-même, cette capacité étant contractuellement le critère essentiel de l'agrément donné par Canon; que l'obligation générale de loyauté s'applique aussi au distributeur; que même sans incident majeur de partenariat avec la SA SE.PRO.DIS, la SA Canon ne pouvait continuer à accepter que la SA SE.PRO.DIS se présente comme distributeur exclusif des produits concurrents de la Société Minolta et privilégie les produits de cette marque;

Que d'autre part, la SA SE.PRO.DIS ne démontre pas l'abus de position dominante dont elle se prétend victime, ni sa situation de dépendance économique pour son approvisionnement en matériel bureautique; qu'elle dispose au contraire d'une solution équivalente auprès d'un autre fournisseur, la Société Minolta dont la marque est aussi notoire que celle de Canon;

Considérant ainsi que c'est à juste titre que le Tribunal a rejeté les demandes de la SA SE.PRO.DIS, la SA Canon France n'ayant en aucune façon engagé sa responsabilité et méconnu les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et en particulier l'article 36 alinéa 5et l'article 8 ; que le jugement entrepris sera toutefois réformé en ce qu'il a débouté la Société Canon France de sa demande de dommages-intérêts alors que le procès intenté devant les Juges consulaires en France cause un préjudice d'image à la marque Canon nonobstant les troubles et tracas ; qu'une indemnisation à hauteur de 30.000 francs est ainsi très justifiée ;

Considérant qu'il est équitable d'allouer au surplus à la SA Canon France 20.000 francs supplémentaires de frais irrépétibles en cause d'appel ;

Par ces motifs : Contradictoirement, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions non contraires au présent arrêt ; le réformant de ce seul chef et statuant à nouveau : Condamne la SA Sélection Promotion Distribution ci-après SE.PRO.DIS à payer à la SA Canon France la somme de 30.000 francs à titre de dommages-intérêts ; Y ajoutant, Condamne la SA SE.PRO.DIS à payer à la SA Canon France la somme de 20.000 francs en application de l'article 700 du NCPC en cause d'appel ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Condamne la SA SE.PRO.DIS. à s'acquitter des entiers dépens ; Admet Maître Huyghé, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.