Cass. com., 27 mars 2001, n° 98-22.241
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Société de gestion hôtelière internationale (SARL)
Défendeur :
Deux-Alpes loisirs (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 16 septembre 1998) que la Société de gestion hôtelière internationale (la SGHI) exploitait un fonds de commerce d'hôtellerie dans les murs de l'hôtel Ariane, aux Deux- Alpes ; que la société Deux-Alpes loisirs (DAL) exerçait au même endroit l'activité d'exploitant de remontées mécaniques ; que cette société assurait également, par l'intermédiaire de sa filiale, la société Deux-Alpes voyages (DAV), l'exploitation de la centrale de réservation hôtelière originairement gérée par l'Office de tourisme des Deux-Alpes ; que s'estimant victime de discriminations, d'abus de position dominante pour l'obtention de tarifs préférentiels sur les remontées mécaniques et de concurrence déloyale, la SGHI a assigné les sociétés DAL et DAV en cessation des pratiques qu'elle dénonçait, en communication des conditions de vente des tarifs des remontées mécaniques et en réparation de son préjudice, après expertise ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 442-6 du Code de commerce ; - Attendu que pour rejeter la demande de la SGHI fondée sur les pratiques discriminatoires dont elle s'estimait victime, l'arrêt retient que, hormis l'exploitation d'un restaurant d'altitude de catégorie courante au point d'arrivée supérieur des remontées mécaniques - lequel n'est pas concurrentiel de l'activité haut de gamme de l'hôtel Ariane - les sociétés DAL et DAV n'ont pas d'activité d'hôtellerie ni de restauration ; qu'il n'y a donc pas de situation de concurrence entre la SGHI et les sociétés DAL et DAV ; que les griefs de la SGHI ne peuvent donc concerner que l'offre par la société DAL de tarifs bas de remontées mécaniques aux clients de certains hôtels désignés par la société DAV ; que les tarifs bas offerts aux entreprises italiennes de tourisme s'expliquent par le fait que les clients des grandes villes italiennes n'ont pas d'attache particulière pour la station des Deux-Alpes et mettent en concurrence les stations françaises, suisses, italiennes, autrichiennes ; que le coût est un facteur déterminant de leur choix final ; que la SGHI, qui n'a jamais reçu de groupes italiens, ne peut pas prétendre qu'elle a été victime d'une discrimination ;
Attendu qu'en statuantainsi, sans rechercher quelle était la situation de concurrence entre la SGHI et les opérateurs, bénéficiaires selon elle d'avantages tarifaires discriminatoires de la part des sociétés DAL et DAV, et quelle était la contrepartie réelle à ces avantages tarifaires consentis notamment aux entreprises italiennes de tourisme qui n'aurait pas pu être fournie par les clients, quelle que soit leur nationalité, susceptibles d'être apportés par la SGHI, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-2 du Code de commerce ; - Attendu que pour rejeter la demande de la SGHI fondée sur l'abus de position dominante dont elle s'estimait victime, l'arrêt retient que les tarifs préférentiels des remontées mécaniques accordés aux clients qui faisaient leurs réservations par l'intermédiaire de la société DAV s'expliquent par le fait que la société DAV, centrale de réservation, est la filiale de la société DAL, concessionnnaire des remontées mécaniques ; que, par un effet de symbiotique commerciale, les rabais consentis par la société DAL sont compensés, logiquement, au-delà, par le profit retiré par la société DAV dans son activité d'intermédiaire de réservation ; que le groupe améliore ainsi ses profits ; que les clients directs de la SGHI ne sauraient prétendre aux mêmes bas tarifs des remontées puisqu'ils n'ont rien apporté à la société DAV ; que la SGHI ne saurait prétendre contracter directement avec ses clients, donc ne pas verser de commissions à la société DAV, et prétendre également bénéficier des tarifs les plus bas de la société DAL dont elle est la société-mère ; que, pour offrir des forfaits à prix bas, la SGHI devait financer elle-même la différence de prix ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la pratique consistant pour la société DAL, concessionnaire des remontées mécaniques, à réserver les remises consenties sur la vente des forfaits de remontées mécaniques aux seuls clients faisant leur réservation hôtelière par l'intermédiaire de la société DAV, n'avait pas pour objet ou pour effet de fausser la concurrence sur le marché de l'hôtellerie en dissuadant les clients de s'adresser à des hôtels n'ayant pas confié leur service de réservation à la société DAV, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour rejeter la demande de la SGHI fondée sur la concurrence déloyale, l'arrêt retient que l'absence de proposition à la clientèle en recherche d'hébergement de l'hôtel Ariane par la société DAV, rémunérée au pourcentage sur les prix des chambres louées, n'est manifestement pas due au désir de recevoir une commission inférieure résultant du fait que les clients sont dirigés vers les hôtels de catégorie inférieure ; que la clientèle de la station des Deux-Alpes est essentiellement composée de sportifs et d'étudiants ; que la société DAV a un devoir de conseil et manquerait à ses obligations si, dans le seul souci de recevoir une commission plus élevée, elle adressait des clients aux revenus faibles ou moyens vers l'hôtel Ariane, dont les tarifs varient entre 425 et 700 francs ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la société DAV n'avait pas l'obligation d'informer la clientèle potentielle de l'ensemble des disponibilités hôtelières existant sur la station, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen : Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 septembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.