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Décisions

Cass. crim., 12 juin 1997, n° 96-80.839

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culié (faisant fonction)

Rapporteur :

M. Mordant de Massiac

Avocat général :

M. Le Foyer de Costil

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner.

TGI Lille, ch. corr., du 9 déc. 1994

9 décembre 1994

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par Z Jean-Marie, contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 14 septembre 1995, qui, pour établissement de factures non conformes, l'a condamné à 30 000 francs d'amende. - Vu les mémoires ampliatif, additionnel et complémentaire produits ; - Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 31 et 54 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 1134, 1235, 1131 et 1181 du Code civil et 593 et 427 du Code de procédure pénale, manque de base légale, et défaut de motifs ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Jean-Marie Z et déclaré la SA X civilement responsable, à une amende de 30 000 francs sur le fondement de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

" aux motifs que l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui réprimait les ventes à perte précise que le prix d'achat effectif est présumé être le prix porté sur la facture d'achat ; que l'article 31 de la même ordonnance, clé de voûte de la répression de la vente à perte, dispose, en conséquence de la présomption de l'article 32, que les factures doivent comporter diverses mentions et notamment les remises, rabais ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente ou de la prestation de service, quelle que soit leur date de règlement ; que les remises de principe acquis, signifie qu'elles ne sont assujetties à aucune condition ; que leur montant chiffrable signifie qu'elles sont susceptibles d'évaluation à la date de la vente, n'étant exactement reconnues, en application des accords commerciaux les plus courants, qu'en fin du terme convenu entre les parties ; que, selon les énonciations du jugement déféré auxquelles la Cour se réfère quant aux faits exactement décrits, les remises, ristournes et rabais incriminés n'étaient soumis à aucune condition ; qu'ils étaient, d'ailleurs, réglés par lettre-chèque mensuelle dès le mois d'avril pour le chiffre d'affaires du mois de janvier et que leur règlement se poursuivait ainsi de mois en mois jusqu'en fin de terme ; que les remises n'étaient ainsi liées à aucune condition suspensive ; qu'à défaut d'établir qu'elles devaient être restituées en fin de terme dans l'hypothèse où les objectifs prévus n'étaient pas atteints, les prévenus ne peuvent non plus soutenir qu'elles étaient assujetties à une condition résolutoire ; que la Cour observe, en outre, que si les ristournes étaient calculées pour partie sur le chiffre d'affaires (comme il vient d'être dit), elles étaient aussi pour partie calculées en rémunération de services rendus par l'acheteur dans un cadre normal et habituel de relations commerciales ; qu'ainsi, à aucun point de vue, les remises n'étaient conditionnelles ; qu'elles étaient, au contraire, de principe acquis ; que leur assiette et que leur mode de calcul étaient connus et pouvaient, en conséquence, faire l'objet d'une évaluation sur les factures incriminées ; que l'élément moral, que l'ancienneté du texte de prévention, son caractère connu dans le monde commercial permettent d'établir que le prévenu qui était nécessairement assisté d'un service juridique structuré a, en connaissance de cause, commis le délit reproché ;

" alors, d'une part, que l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 fait obligation au vendeur d'adresser à l'acheteur une facture mentionnant " tous rabais, remises ou ristournes dont le principe est acquis et le montant chiffrable lors de la vente, quelle que soit leur date de règlement " ; que, s'agissant des ristournes conditionnelles différées quantitatives, le dépassement du chiffre d'affaires correspondant au seuil d'octroi de la ristourne constitue nécessairement une condition aléatoire liée à l'élasticité du marché et ne peut, en l'absence de tout engagement ferme du distributeur, être analysé comme une ristourne dont le principe est acquis et dont l'imputation sur la facture est exigible du fournisseur par anticipation sur les résultats à intervenir ; que, dès lors, en retenant, pour qualifier l'infraction, que les ristournes quantitatives convenues entre la société X et les distributeurs " n'étaient liées à aucune condition suspensive " et devaient être imputées sur les factures courantes, la Cour a violé les textes susvisés ;

" alors, d'autre part, que s'agissant des remises qualitatives différées, l'octroi en était subordonné aux conditions de la réalisation d'actions promotionnelles de la part des sociétés de distribution, du respect des plans de merchandising établis par la société X et enfin à l'organisation par les sociétés de distribution de linéaires suffisants pour les produits de la société X ; que la réalisation de ces conditions ne dépendait pas de la volonté de la société X, mais de la volonté propre des dirigeants des entreprises de distribution auxquels la société X ne pouvait accorder des remises fermes avant que les prestations spécifiques qui les conditionnaient n'aient été accomplies ; que, dès lors, en reprochant à la société X et à son directeur général de ne pas avoir pris en compte dans la facturation des événements incertains qui ne dépendaient pas de leur volonté, la Cour a violé les textes susvisés ;

" alors, de troisième part, que si une partie des ristournes était réglée sous forme " d'acomptes " à partir du mois d'avril de chaque année sur la base du chiffre d'affaires et des actions commerciales du mois de janvier, il n'en résultait nullement que ces acomptes incitatifs étaient définitivement acquis aux distributeurs, puisque, aussi bien, c'est la menace d'une obligation de remboursement des acomptes éventuellement indus qui incitait les distributeurs à remplir, en fin d'année, les conditions requises pour l'octroi des remises ; que, dès lors, en retenant que les remises, ristournes et rabais incriminés n'étaient soumis à aucune condition suspensive et qu'il n'était pas établi que les acomptes versés ne devaient pas être restitués en fin de terme, dans l'hypothèse où les objectifs prévus n'étaient pas atteints, la Cour méconnaît les accords contractuels établis entre les parties en violation des articles 1131, 1134 et 1181 du Code civil ; qu'au surplus, en mettant à la charge du prévenu la preuve d'un droit à restitution des acomptes non causés, ce qui découle légalement de l'article 1235 du Code civil, la cour d'appel a violé ce texte et l'article 427 du Code de procédure pénale ;

Vu lesdits articles, ensemble la loi du 1er juillet 1996 ; - Attendu que seules les réductions de prix acquises à la date de la vente doivent, aux termes de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, être mentionnées sur les factures de vente;

Attendu que Jean-Marie Z, directeur général de la société X, a été poursuivi devant la juridiction correctionnelle, sur le fondement de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, pour avoir, en 1991 et 1992, établi et adressé aux adhérents de la centrale d'achats des centres Y des factures ne mentionnant pas des remises dont l'octroi était subordonné au dépassement de certains seuils de chiffre d'affaires, et à l'organisation, par les distributeurs, de campagnes de promotion des produits La Pie qui chante ;

Attendu que, pour entrer en voie de condamnation, les juges du fond relèvent que l'octroi de ristournes, en fonction du chiffre d'affaires réalisé sur les produits de la marque, étant stipulé dans les conditions générales de vente des fournisseurs et le versement effectif de celles-ci ne dépendant que de la volonté du client de respecter les normes proposées, ces réductions étaient nécessairement acquises, lors de la vente, à l'ensemble des centres Y ; qu'ils ajoutent, au sujet des avantages financiers liés à l'exécution d'opérations de promotion, que ceux-ci entraient dans le cadre de relations commerciales habituelles et qu'ils n'étaient pas réellement conditionnels ; qu'ils observent encore que, leur montant étant fonction d'un taux appliqué au montant du chiffre d'affaires réalisé par les clients, toutes ces remises étaient partiellement chiffrables au moment de la vente ; qu'ils en concluent que la facturation aurait dû prendre en compte l'ensemble de ces réductions de prix, la société X étant en mesure de connaître, au moment de l'émission des factures, les montants correspondants ; qu'ils ajoutent que l'élément intentionnel de l'infraction résultait de ce que Jean-Marie Z connaissait la réglementation et que, de son propre aveu, il s'était abstenu de satisfaire à ses obligations pour se réserver un moyen de pression sur les distributeurs qui ne respecteraient pas les termes du contrat ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que des ristournes de fin d'année, dont le bénéfice n'est acquis au distributeur des produits d'une marque qu'après réalisation de certains seuils de chiffre d'affaires ou d'opérations de promotion, ne sauraient être regardées, faute d'accomplissement des conditions auxquelles elles sont subordonnées comme acquises au moment de la vente, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et privé sa décision de base légale ; que, dès lors, la cassation est encourue ;

Et attendu qu'il ne reste plus rien à juger, aucune infraction n'étant constatée ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens proposés, casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Douai, en date du 14 septembre 1995 ; dit n'y avoir lieu à renvoi.