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Décisions

Cass. crim., 18 juin 1998, n° 97-81.510

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Shumacher

Avocat général :

M. Lucas

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié.

TGI Lille, ch. corr., du 21 juin 1996

21 juin 1996

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par Z Claude, la société X, contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 17 décembre 1996, qui, pour infraction aux règles de la facturation, a condamné le premier à une amende de 8 000 F et a déclaré la seconde " civilement " responsable. - Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 3, 5, 30 et 177 du traité de Rome, 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que l'obligation faite à l'acheteur de réclamer une facture conforme aux dispositions de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui s'appliquait aux importations, ne pouvait s'analyser comme une entrave à la libre circulation des marchandises ;

" aux motifs propres et adoptés des premiers juges que selon la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes formulée dans les arrêts Keck et Mithouard du 24 novembre 1993 et Hunermund du 15 décembre 1993, les dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente échappent à l'application de l'article 30 du traité de Rome dès lors que celles-ci s'appliquent à tous les opérateurs concernés sur le territoire national et qu'elles affectent de manière identique la commercialisation des produits nationaux importés ; que si, en l'espèce, la question de la facturation n'est pas intimement liée au problème de la libre circulation des marchandises, le principe dégagé par la Cour de justice trouve cependant à s'appliquer de sorte que les dispositions de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'imposent en termes identiques à tout acheteur français quel que soit le pays d'émission de la facture qui lui est adressée et concernent de la même manière les produits nationaux et ceux en provenance d'autres états membres ;

" alors que constitue une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives au commerce entre les Etats membres toute disposition qui affecte de manière différenciée la commercialisation des produits nationaux et ceux en provenance d'autres Etats membres ; que tel est le cas de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui impose pénalement à l'acheteur français ou ressortissant étranger, d'exiger de l'exportateur étranger non soumis à cette réglementation, une facture mentionnant notamment la quantité et la dénomination précise des produits acquis, les marchandises en provenance d'un Etat membre étant, en fait, de par cette obligation non réciproque, gênés dans leur accès au marché national ; qu'en refusant de constater que l'article 31 susvisé affectait la commercialisation des produits autres que nationaux du fait de la difficulté pour l'importateur d'obtenir une facturation conforme à la loi française, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 5, 30 et 177 du traité de Rome, 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a dit qu'il n'y avait pas lieu à la question préjudicielle prévue par l'article 177 du Traité de Rome ;

" alors qu'il y a lieu, en cas où naîtrait un doute sur la compatibilité entre l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 d'une part et les dispositions du Traité de Rome, notamment celles figurant à l'article 30, d'autre part, de soumettre à la Cour de justice des communautés européennes la question suivante :

" en imposant à l'acheteur ayant son activité sur le territoire national l'obligation, sous peine de sanctions délictuelles, d'obtenir une facture conforme aux mentions prévues par l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 de la part de l'exportateur installé dans un Etat membre et non soumis à cette disposition, la réglementation française relative à la facturation ne constitue-t-elle pas une mesure d'effet équivalent restreignant les importations au sens de l'article 30 du Traité de Rome, en gênant potentiellement la commercialisation des produits en provenance des Etats membres ?

" Une telle incrimination est-elle compatible avec la mise en œuvre de l'Espace économique européen tel que fixé par l'article 8A du Traité de Rome ?" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, 111-4 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude Z coupable d'avoir accepté des factures dépourvues des mentions obligatoires et l'a condamné de ce chef ;

" aux motifs propres et adoptés que selon une jurisprudence constante récemment confirmée par un arrêt de la Cour de Cassation en date du 20 juin 1994, les dispositions de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'imposent indistinctement au vendeur et à l'acheteur tenus à des obligations complémentaires et réciproques ; que l'acheteur qui réside sur le territoire français est tenu à cette obligation, car il importe peu que le vendeur résidant à l'étranger ne puisse être poursuivi, l'interdépendance des obligations de l'un et de l'autre n'entraînant pas systématiquement des poursuites réciproques ; qu'au surplus le poids économique de la SA X ne la met pas en état de dépendance à l'égard de ses fournisseurs, le respect de cette obligation pouvant être imposé au vendeur étranger ;

" alors que les dispositions prévues par l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 imposant la rédaction et la délivrance d'une facture pour tout achat de nature professionnelle, mentionnant notamment la quantité et la dénomination précise de la marchandise ne s'imposent indistinctement au vendeur et à l'acheteur que si les obligations prévues sont complémentaires et réciproques ; que l'obligation de mentionner sur la facture la quantité et la dénomination précise des marchandises est dépourvue de ces caractères lorsque le vendeur qui exerce son activité professionnelle à l'étranger n'est pas soumis, lui-même, pénalement à une telle obligation ; que dès lors, faute de réciprocité, l'importateur qui exerce son activité sur le territoire national n'est pas tenu de réclamer une facture faisant figurer lesdites mentions ; qu'en condamnant l'acheteur en raison d'imprécisions que comporteraient les factures établies par le vendeur étranger, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu qu'à la suite d'un contrôle opéré dans un magasin à grande surface, exploité par la société X, dont Claude Z est le dirigeant, des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont constaté l'irrégularité des factures produites, portant sur des tomates provenant de Belgique, faute d'indication de la quantité des produits vendus, de leur dénomination précise et de leur prix unitaire, ainsi que l'exige l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu que, pour déclarer Claude Z coupable du délit prévu par ce texte et écarter le moyen de défense du prévenu, soutenant que ces dispositions sont contraires à l'article 30 du Traité de Rome, les juges énoncent que la transaction a été réalisée sur le territoire français et que les obligations du texte précité, qui s'imposent tant au vendeur qu'à l'acheteur, ne constituent pas une entrave à la libre circulation des marchandises, dès lors qu'elles portent sur les modalités de la vente et s'appliquent de la même manière aux produits nationaux et à ceux en provenance des autres Etats membres;

Attendu qu'en prononçant ainsi, abstraction faite du motif surabondant tiré du " poids économique " de la société en cause, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.