Cass. crim., 12 juin 1997, n° 96-80.752
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Culié (conseiller le plus ancien faisant fonctions)
Rapporteur :
M. de Mordant de Massiac
Avocat général :
M. le Foyer de Costil
Avocats :
SCP Peignot, Garreau, SCP Vier, Barthelemy
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par B Xavier, A Alain, contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, en date du 18 janvier 1996, qui a condamné Alain A à une amende de 20 000 francs pour établissement de factures non conformes, et Xavier B à une amende de 50 000 francs pour acceptation de factures non conformes ; - Joignant les pourvois en raison de leur connexité ; - Vu les mémoires produits ; - Sur le moyen unique de cassation présenté dans l'intérêt de Xavier B par la société civile professionnelle Peignot et Garreau, pris de la violation des articles 31 et 32 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 111-4 du Code pénal, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Xavier B coupable d'avoir effectué, pour une activité professionnelle, une ou des ventes de produits sans factures conformes, en l'espèce par la mention sur les factures délivrées aux magasins A par la société Y d'un prix artificiel, ne correspondant pas au prix final effectivement payé ;
" aux motifs que, d'une part, nonobstant la liberté instituée par son article 1er, le prix unitaire qui doit, aux termes de l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, figurer sur la facture est celui contractuellement déterminé entre les parties en fonction des données économiques du marché et non un prix artificiel n'ayant qu'une réalité comptable, et d'autre part, le prix de vente réellement déterminé en fonction du marché entre les parties, improprement dénommé prix de revient fournisseur, ne figurait jamais sur les factures qui mentionnaient en temps ordinaire un prix surévalué dans l'unique but pour le distributeur de se constituer une provision lui permettant, lors de ses promotions, d'obtenir par le jeu des remises des prix artificiellement bas, contournant aussi les dispositions de l'article 32 de l'ordonnance susvisée sur la pratique anticoncurrentielle de la revente à perte ;
" alors que l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 prévoit exclusivement l'obligation, pour tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle, d'établir une facture comportant certaines mentions prévues à l'alinéa 3 de cet article, dont celle du prix unitaire hors TVA librement déterminé par les parties au contrat sous réserve de l'interdiction de la revente à perte prévue à l'article 32 de l'ordonnance précitée ; que la loi pénale étant d'interprétation stricte, la cour d'appel ne pouvait, sans violer les textes susvisés, en déduire que le prix devait en outre être déterminé en fonction des données économiques du marché alors même qu'elle constatait, par des motifs propres et adoptés des premiers juges, que les factures en cause étaient irréprochables " ;
Sur le moyen unique de cassation présenté dans l'intérêt d'Alain A par la société civile professionnelle Vier et Barthélémy, pris de la violation de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des articles 111-4 du Code pénal (nouveau), 388, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Alain A " coupable des faits de la prévention " et l'a condamné à une peine d'amende de 20 000 francs ;
" aux motifs que, " nonobstant la liberté instituée par son article 1er, le prix unitaire devant, aux termes de l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, figurer sur la facture est celui contractuellement déterminé entre les parties en fonction des données économiques du marché et non un prix artificiel n'ayant qu'une réalité comptable ; qu'en l'espèce, le prix de la marchandise était celui contractuellement arrêté entre la société Y et celle gérant la centrale d'achats des magasins X pour le steak haché (15 % mg), improprement dénommé " prix de revient fournisseur ", alors qu'il s'agissait en réalité de son prix de vente puisque comprenant le prix d'achat par la société Y des morceaux avants des carcasses, augmenté de ses frais, multiplié par la marge constituant le bénéfice du vendeur ; que pourtant ce prix contractuel, défini à partir des cours variables de la viande bovine, n'a jamais figuré sur les factures ; que sur ces documents n'ont été mentionnés que des prix artificiellement fixés par le contrat de coopération commerciale ; qu'en période ordinaire le prix unitaire mentionné sur les factures était immuablement de 30 francs le kilo alors qu'aux dires d'Alain A, cette année là, les cours de la viande étaient à la baisse en raison d'importations en provenance des pays de l'Est ; qu'il résulte de l'économie du contrat et des dires du prévenu Alain A (cote 1 pages 4 et 5) que ce " prix de facturation " avait été fixé de façon à être " inférieur au prix du marché pour assurer une compétitivité anormale " mais qu'il était plus élevé que le prix de vente contractuellement déterminé de façon à dégager pour la société X une provision disponible pour des promotions permettant d'abaisser considérablement par une remise substantielle (35, 25 %) le prix d'achat hors taxe de la marchandise et donc le seuil de sa vente à perte " ; qu'il est ainsi établi que, contrairement à l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le prix de vente réellement déterminé entre les parties, en fonction des réalités économiques du marché de la viande, ne figurait jamais sur les factures qui mentionnaient, en temps ordinaire, un prix surévalué dans l'unique but pour le distributeur de se constituer une provision lui permettant, lors de ses promotions, d'obtenir par le jeu des remises des prix artificiellement bas, contournant ainsi les dispositions de l'article 32 de l'ordonnance susvisée sur la pratique anti-concurrentielle de la revente à perte " (arrêt p. 5 et 6) ;
" alors, d'une part, que " le prix unitaire hors TVA des produits vendus ", dont l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 impose la mention sur la facture, s'entend de la somme que les parties sont convenues, l'une de payer, l'autre de recevoir, en contrepartie de la livraison d'un bien ou d'une prestation de service ; qu'en exigeant de surcroît que ce prix soit déterminé en fonction des " données économiques du marché " du produit concerné pour correspondre à la valeur dudit produit, la cour d'appel a violé les dispositions du texte précité par fausse interprétation ;
" alors, d'autre part, qu'après avoir constaté que le prix mentionné sur les factures avait été fixé par l'accord de coopération commerciale et correspondait à la réalité comptable d'où il se déduisait que les exigences posées à l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 quant à la mention du prix se trouvaient satisfaites, la cour d'appel, en entrant cependant en voie de condamnation à l'encontre du prévenu, a violé les dispositions dudit texte par fausse application ;
" alors, enfin, que la citation du prévenu, délimitant la saisine des juges du fond, reprochait exclusivement à Alain A le fait d'avoir effectué des ventes de produits sans factures conformes, en l'espèce par la mention X par la société Y d'un prix artificiel ne correspondant pas au prix final effectivement payé, de sorte qu'en imputant à Alain A le fait d'avoir facturé un prix ne correspondant pas, non pas au prix effectivement payé, mais à un prix prétendument " réellement déterminé entre les parties en fonction des réalités économiques du marché de la viande ", circonstance non visée par la prévention, la cour d'appel a, en toute hypothèse, excédé ses pouvoirs en violation de l'article 388 du Code de procédure pénale " ;
Les moyens étant réunis ; - Vu lesdits articles ; - Attendu que le prix unitaire hors TVA des produits vendus, dont l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 impose l'indication sur les factures, s'entend exclusivement du prix exigé du client, au moment de la transaction, avant toute imputation des réductions de prix éventuellement acquises à ce dernier; que ce prix est, en application de l'article 1er de ladite ordonnance, lorsque la transaction n'intervient pas dans un secteur resté réglementé, librement déterminé par les parties;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la centrale d'achat X a conclu un contrat de coopération commerciale avec la société coopérative Y aux termes duquel X s'engageait à acheter de la viande hachée à la coopérative, tout au long de l'année, à un prix déterminé qui se trouvait être supérieur au cours du marché ; que, selon une clause de révision de prix - si ses coûts de revient restaient, en dépit des variations des cours du marché, constamment inférieurs au prix que lui payait chaque mois X pour les produits vendus et si cette dernière lui avait périodiquement acheté plus d'un certain tonnage de viande -, la coopérative s'engageait à consentir en fin d'année, à son partenaire, une réduction de prix calculée sur la différence entre le prix payé et le coût de revient de la marchandise livrée ; que les conditions prévues ayant été réalisées, la société coopérative Y a accordé une réduction de prix sur la dernière livraison, permettant à X de réaliser, à cette occasion, une importante campagne promotionnelle sur la viande ; que l'Administration estimant que le prix réel de la marchandise était, non le prix payé par A, mais " le prix de revient-fournisseur " servant au calcul de la remise de fin d'année, Alain A et Xavier B ont été poursuivis devant la juridiction correctionnelle, sur le fondement de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le premier, pris en sa qualité de directeur général de la société coopérative Y, le second, en sa qualité de responsable des achats au sein de société Y, pour avoir " mentionné sur les factures un prix de vente artificiel ne correspondant pas au prix final effectivement payé " ;
Attendu que, pour déclarer Alain A et Xavier B coupables des faits visés à la prévention, la cour d'appel énonce que le prix à mentionner sur les factures devait être un prix déterminé en fonction des données économiques du marché et non un prix artificiel n'ayant qu'une réalité comptable, et qu'en l'espèce, X ayant convenu avec la société Y d'un approvisionnement annuel à un niveau de prix calculé de manière à permettre à son fournisseur de lui consentir, sur la dernière livraison, une réduction de prix, c'était la valeur des produits vendus, abstraction faite de toute remise, qui aurait dû être portée sur les factures, la différence entre les deux sommes correspondant à une provision sur l'avantage financier de fin d'année qu'X attendait de la société Y ;
Mais attendu qu'en l'état de ces motifs, alors que la loi n'exige que la mention, sur les factures, du prix unitaire des produits vendus avant toute imputation de réductions, et non l'indication du prix final effectivement payé, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et privé sa décision de base légale ; que, dès lors, la cassation est encourue ;
Et attendu qu'il ne reste plus rien à juger ;
Par ces motifs : casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, en date du 18 janvier 1996 ; dit n'y avoir lieu à renvoi .