Livv
Décisions

CA Grenoble, ch. des urgences, 20 avril 1989, n° 88-2778

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

JVC Vidéo France (SA)

Défendeur :

Semavem (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fabre

Conseillers :

M. Farge, Mme Palisse

Avoués :

SCP Grimaud, SCP Manhes de Fourcroy

Avocats :

Mes Sitruk, Bremond.

CA Grenoble n° 88-2778

20 avril 1989

Par ordonnance du 27 juin 1988, le Président du Tribunal de commerce de Romans, statuant en référé dans le litige opposant la société Semavem ayant siège social et lieu d'exploitation à Valence à la société JVC Vidéo France, a rendu la décision suivante, ci-après reproduite en son dispositif ;

" Nous, Président du Tribunal de commerce siégeant en référé, Nous déclarons compétent pour connaître de la demande de la société Semavem en ce qui concerne l'exécution par la société JVC de son obligation légale de communication et l'expertise mais non sur la demande d'interprétation de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Ordonnons en conséquence à la société JVC de communiquer à la société Semavem par tout moyen conforme aux usages de la profession mais de préférence par l'intermédiaire d'un tiers : huissier, etc..., afin que cette communication soit bien constatée et puisse être démontrée : ses barèmes de prix et conditions de vente rabais et ristournes temporaires ou non et les conditions dans lesquelles elle rémunère les services non spécifiques aussi bien ceux en vigueur actuellement que naturellement quand ils seront adoptés et diffusés, dans les mois qui viennent, ce sous peine d'une astreinte de 5 000 F par jour de retard à compter du 8e jour suivant la signification de la présente ordonnance pour ceux en vigueur à ce jour et du huitième jour suivant les premiers envois aux revendeurs pour ceux à venir.

Ordonnons une expertise et désignons pour y procéder M. Jean Mariton Le Marly, Boulevard Gambetta, 26100 Romans avec mission de :

- se faire communiquer, rechercher, collationner tous les documents commerciaux, catalogues, conditions de vente, barème de prix et tarifs édités et diffusés par la société JVC à l'usage de ses revendeurs depuis le mois de septembre 1987 jusqu'à ce jour et dans les mois qui suivront en donnant la chronologie,

- rechercher et dire quels sont les documents commerciaux catalogues, conditions de vente, barème de prix et tarifs reçus de JVC par la société Semavem et à quelles dates ils ont été reçus,

- faire une comparaison et en déduire ceux qui n'auraient pas été remis ou adressés à la société Semavem,

- rechercher et indiquer tous renseignements permettant de connaître les conséquences de l'omission ou du retard de ces divers documents commerciaux.

Disons que l'expert aura pour remplir sa mission les pouvoirs d'investigations les plus étendus, se fera remettre tous documents ou pièces, entendra tous sachants et déposera au Greffe du tribunal dans les trois mois de sa saisine un rapport détaillé de ses opérations,

Disons qu'en cas de refus, empêchement ou carence de l'expert désigné, il sera procédé à son remplacement par ordonnance rendue par nous sur simple requête de la partie la plus diligente,

Ordonnons consignation au greffe de 5 000 F par Semavem demandeur, à valoir sur les frais et honoraires de l'expert,

Disons qu'après dépôt de son rapport, l'expert pourra se faire remettre directement au Greffe ladite provision en paiement et à concurrence de ses frais et honoraires,

Disons que les dépens resteront avancés par Semavem jusqu'à ce qu'il en soit disposé amiablement entre les parties ou par la juridiction compétente saisie au fond. "

La société JVC Vidéo France (JVF) a régulièrement interjeté appel à l'encontre de cette ordonnance et a été autorisée par ordonnance du Premier Président de la Cour à user de la procédure à jour fixe.

L'appelante demande à la Cour de réformer intégralement l'ordonnance attaquée en constatant en premier que la juridiction commerciale des référés de Romans était incompétente tant territorialement au lieu et place du Tribunal de grande instance de Pontoise que matériellement en raison du défaut d'intérêt de la société Semavem et de l'absence de trouble manifestement illicite, les dispositions particulières de l'article 145 du nouveau code de procédure civile sur l'expertise ad futurum ne pouvant être par ailleurs invoquées.

Subsidiairement, la Cour devra constater que la société JVC a satisfait aux demandes successives de communication de ses conditions de vente présentées par la société Semavem laquelle par ses exigences réitérées et injustifiées a abusé incontestablement de son droit.

Cette dernière sera démise de l'ensemble de ses prétentions, condamnée aux entiers dépens et au paiement de la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et de celle de 1 F à titre provisionnel pour réparer le préjudice causé par l'abus de procédure.

La société Semavem SA - intimée et appelante à titre incident - conclut au premier chef à la confirmation de l'ordonnance attaquée mais sollicite que celle-ci soit complétée par la précision que l'astreinte fixée par le premier juge courra par jour de retard et par document non communiqué dans le délai prescrit.

La société JVC devra être déboutée des fins de son appel et de sa demande reconventionnelle et condamnée à payer à la société Semavem en sus des dépens, la somme de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur ce,

Attendu que la présente procédure en référé commercial découle de l'exploit introductif d'instance délivré le 1er juin 1988 à la société JVC Vidéo France (société JVF), importateur en France des produits vidéo de la marque japonaise JVC, par la société Semavem, distributeur à Valence de produits de cette catégorie.

Que la saisine du juge des référés du Tribunal de commerce de Romans a été expressément fondée par la demanderesse sur les articles 46 alinéa 2 et 3 du nouveau code de procédure civile et sur l'article 873 du même code.

Que la société Semavem qui a été dans le passé en relations commerciales discontinues avec son fournisseur JVF a sollicité, en application de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la communication à peine d'astreinte par la société JVF non seulement des conditions générales de vente et des tarifs appliqués par cette dernière mais encore de celles des rabais et ristournes consentis aux revendeurs à titre occasionnel ou habituel à l'exclusion de ceux constituant la rétribution de services spécifiques assurés par les distributeurs et stipulés par écrit conformément au texte susvisé.

Que la demanderesse a réclamé en outre l'institution d'une mesure d'expertise afin que soit vérifiée par un technicien qualifié la bonne exécution de l'ordonnance à intervenir.

Que le premier juge a fait droit pour la plus large part aux demandes de la société Semavem.

I- Sur la compétence :

Attendu que la société JVF fait plaider que le juge commercial des référés de Romans était incompétent tant territorialement que matériellement.

Qu'elle soutient d'une part que la demande d'expertise présentée par la société Semavem pour vérifier l'exécution de l'ordonnance se heurte à la règle posée par les articles 877 du nouveau code de procédure civile et 553 de l'ancien code de procédure civile lesquels interdisent aux tribunaux de commerce de connaître de l'exécution de leurs décisions, seul le juge civil et en l'espèce le Président du Tribunal de grande instance de Pontoise, juridiction du lieu du siège social de la société JVF, étant compétent pour prononcer.

Qu'elle considère d'autre part que l'injonction et la mesure sollicitées à son encontre ne sont justifiées ni par un intérêt né et actuel démontré par la société Semavem ni par l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent que celle-ci aurait subi.

Qu'enfin, l'article 145 du nouveau code de procédure civile n'est pas applicable puisqu'il n'existe en la matière de communication de documents commerciaux aucun risque de dépérissement de la preuve.

Mais attendu que les articles 877 du nouveau code de procédure civile et 553 de l'ancien code de procédure civile qui interdisent aux tribunaux de commerce de connaître de l'exécution forcée de leurs décisions n'ont entendu viser que les difficultés qui peuvent s'élever sur l'exécution considérée en elle-même, la loi défendant seulement aux juridictions commerciales de connaître des actes de poursuites exercés en vertu de leurs jugements.

Que le juge commercial de référé qui est compétent en application de l'article 872 du nouveau code de procédure civile pour prendre toutes les mesures provisoires que justifie l'existence d'un différend l'est également pour connaître en référé de l'exécution de l'ordonnance qu'il a lui-même rendue.

Qu'au cas présent, le premier juge pouvait, au titre des mesures appropriées au litige, instituer une mesure d'expertise afin de vérifier par un technicien l'exécution par la société JVF de l'injonction qui lui était adressée et de prévenir ainsi toute aggravation du contentieux.

Attendu par ailleurs, que la demande de la société Semavem était fondée sur l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui institue à l'égard des producteurs l'obligation de communiquer au revendeur qui en fait la demande les conditions de vente et les barèmes de prix en eux compris les rabais et les ristournes.

Que cette obligation est sanctionnée par les dispositions pénales prévues par l'article 33 du décret du 29 décembre 1986.

Que dès lors que le premier juge constatait que la société JVF n'avait pas entièrement satisfait aux demandes de communication de la société Semavem, il caractérisait au préjudice de celle-ci l'existence d'un trouble manifestement illicite qui trouvait son origine même dans les textes légal et réglementaire ci-dessus visés.

Attendu, sur la compétence territoriale, que la société Semavem était en droit de saisir la juridiction commerciale de Romans conformément à l'article 46 alinéa 2 et 3 du nouveau code de procédure civile puisque l'obligation de communication imposée à la société JVF, devait être exécutée au lieu du siège social de la société Semavem, lieu qui était également celui du fait dommageable, le préjudice né du défaut prétendu de communication étant nécessairement subi à Valence, dans le ressort du Tribunal de commerce de Romans.

Attendu enfin que l'article 145 du nouveau code de procédure civile auquel la société JVF consacre une partie de son argumentation est sans application à l'espèce, la société Semavem ne l'ayant pas visé au soutien de sa demande.

II- Sur le différend :

Attendu qu'afin de renouer des relations commerciales avec l'un de ses fournisseurs, la société JVF, la société Semavem a sollicité par télex du 8 septembre 1987 auprès de cette dernière la communication des tarifs ainsi que " les promotions sur l'ensemble de la gamme et ce par retour de télex ".

Que la société Semavem qui a reçu communication le 10 septembre 1987 des documents demandés a contesté aussitôt certaines des conditions de vente de la société JVF notamment la clause attributive de compétence.

Que cette position a été à l'origine d'une controverse entre les deux partenaires, controverse qui a été close provisoirement par l'acceptation limitée au 15 janvier 1988 par la société Semavem des conditions générales de vente de la société JVF y compris des clauses contestées portant sur l'attribution de compétence en cas de litige au Tribunal de commerce de Paris et sur la limitation de l'encours de crédit accordé aux distributeurs.

Qu'en effet, par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 octobre 1987 qui énonce ses réserves, la société Semavem a passé une commande de matériel qui a été exécutée.

Attendu que la société Semavem s'est plainte ultérieurement par télex des 23 janvier et 14 avril 1988 de ne pas avoir reçu de la société JVF la communication des conditions de rémunération des services non spécifiques et la diffusion des informations intéressant les nouveaux produits et l'octroi de remises supplémentaires aux distributeurs à l'occasion du salon 1988.

Que relevant par un courrier recommandé avec accusé de réception du 3 mai 1988 que les informations supplémentaires reçues par elle dans l'intervalle étaient encore insuffisantes, la société Semavem a passé une commande qui n'a pas reçu exécution et qui a dégénéré en incident contentieux évoqué par la Cour dans une procédure annexe à la présente.

Que par assignation en référé devant le Président du Tribunal de commerce de Romans en date du 1er juin 1988, la société Semavem a alors attrait la société JVF pour obtenir la communication sous astreinte des informations supplémentaires précédemment sollicitées.

Que par ministère d'huissier et à la date du 7 juin 1988, la société JVF a fait délivrer à la société Semavem " les conditions générales de vente matériel grand public applicables depuis le 1er juin 1987, l'avenant n° 1 à ces mêmes conditions applicable depuis le 1er octobre 1987, l'accord de coopération commerciale, les annexes 1 et 2 édition avril 1988 à l'accord de coopération commerciale, et le tarif n° 34 applicable au 1er juin 1988 en cours de circularisation ".

Attendu que c'est en l'état de cette dernière communication que l'affaire a été soumise au premier juge qui a statué comme dessus.

Attendu que dans leurs écritures, les parties abordent l'examen de faits postérieurs au prononcé de l'ordonnance présentement attaquée du 27 juin 1988 notamment en produisant leurs échanges de correspondances pour la période couvrant les mois d'avril 1988 à février 1989, la société Semavem ayant manifesté de nouvelles exigences en matière de ventes par correspondance et considéré encore que des remises occultes avaient été, en fait, accordées à d'autres revendeurs.

Mais attendu que la Cour en formation de référé et en l'état de sa saisine limitée par l'effet dévolutif de l'appel ne peut connaître de faits nouveaux non compris dans la réclamation initiale de la société Semavem et postérieurs à la décision critiquée.

Qu'il appartiendra à l'expert - dont aucune des parties ne précise s'il a été saisi - de rechercher si la société JVF a communiqué ponctuellement depuis le mois de septembre 1987 et jusqu'à la date de la saisine expertale les documents commerciaux de toute nature susceptibles d'intéresser l'activité de revendeur de la société Semavem à l'exception des accords particuliers écrits contenant la rétribution des services spécifiques assurés par certains distributeurs et rémunérés de façon spéciale par la société JVF conformément à la règle posée par l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Attendu, pour s'en tenir aux limites du différend introduit par l'assignation du 1er juin 1988 que par remise faite par exploit d'huissier du 7 juin 1988 la société JVC a adressé à la société Semavem des documents en vigueur au mois d'avril et au 1er juin 1988 qu'elle n'avait pas communiqués jusque là.

Qu'il s'agit d'une part des annexes 1 et 2 datées du mois d'avril 1988 et afférentes à l'accord de coopération commerciale lesquelles précisent en les augmentant les primes accordées aux revendeurs s'engageant à programmer leurs commandes sur plusieurs mois et d'autre part du tarif professionnel vidéo grand public indiquant les prix applicables dès le 1er juin 1988.

Que la société JVC qui était saisie depuis plusieurs mois des demandes réitérées de la société Semavem se devait d'assurer la communication intégrale de ses documents tarifaires sans pouvoir prétendre justifier son abstention par le fait que la société Semavem n'était pas susceptible d'être intéressée.

Que compte tenu de la fluidité de la conjoncture économique et de l'âpreté de la concurrence dans la branche commerciale considérée, les revendeurs doivent être informés sans délais autres que ceux résultant des usages normaux du commerce des décisions et des offres de leurs fournisseurs afin d'arrêter en temps opportun leur propre politique commerciale.

Que c'est dès lors à bon escient que devant la carence de la société JVC, le premier juge statuant en référé rappelant l'obligation légale fixée par l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 a par une décision de portée générale imposé à la société JVC et à peine d'astreinte la communication complète de ses documents commerciaux et tarifaires à l'exception des accords rétribuant les services spécifiques rendus par certains distributeurs et a institué une mesure d'expertise pour vérifier l'exécution de son ordonnance et préparer la décision du juge du fond si ce dernier vient à être saisi.

Que ce faisant, le premier juge qui s'est borné à prendre les mesures provisoires commandées par l'existence du différend qui opposait les parties est demeuré dans les limites de la compétence fixée par les articles 872 et 873 du nouveau code de procédure civile.

Que sa décision sera donc confirmée.

Qu'elle sera cependant complétée conformément à la demande incidente formée par la société Semavem par la précision que l'astreinte fixée courra par jour de retard et par document non communiqué dans le délai prescrit.

Attendu que la société JVC qui succombe en son appel en supportera les dépens et paiera en outre à la société Semavem par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile la somme de 5 000 F.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Dit recevable mais non fondé l'appel interjeté par la société JVC Vidéo France à l'encontre de l'ordonnance rendue le 27 juin 1988 par le Président du Tribunal de commerce de Romans, Confirme la décision attaquée, Mais y ajoutant sur la demande incidente de la société Semavem, Dit que l'astreinte fixée par le premier juge courra par jour de retard et par document non communiqué dans le délai prescrit, Met les dépens d'appel à la charge de la société JVC Vidéo France ainsi que le paiement au profit de la société Semavem , intimée, de la somme de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Autorise la SCP d'avoués Manhes de Fourcroy à faire usage des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.