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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 31 mars 1999, n° 97000983

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Montagne et Compagnie Château Pape Clément (SARL)

Défendeur :

Caves de Landiras (SA), Diproval (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frizon de Lamotte

Conseillers :

Mlle Courbin, M. Ors

Avoués :

Me Fournier, SCP Touton-Pineau-Figerou

Avocats :

Mes Barbera, Maxwell, David, Monroux.

T. com. Bordeaux, du 10 janv. 1997

10 janvier 1997

Faits procédure et prétentions des parties.

La SARL Montagne a assigné les Caves de Landiras et la société Diproval en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de la loi 63-628 du 2 juillet 1963 interdisant la revente à un prix inférieur au prix d'achat.

Par jugement du 10 janvier 1997, le Tribunal de Commerce de Bordeaux a dit que les Caves de Landiras ont suffisamment de bouteilles de Château Pape Clément 1992 à un prix de revient inférieur à 72,50 F pour honorer les commandes du magasin Leclerc et n'a donc pas fait de vente à perte, a débouté la société Montagne de ses demandes, l'a condamné à payer aux Caves de Landiras et à la société Diproval 3.000 F chacune au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La SARL Montagne et Cie Château Pape Clément a interjeté appel le 18 février 1997, conclu le 17 juin 1997 à l'infirmation, demandant à la Cour de :

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Bordeaux le 10 janvier 1997,

- dire que les sociétés Caves de Landiras et Diproval ont revendu à perte 780 bouteilles de Château Pape Clément millésime 1992 au Centre Leclerc de Léognan,

- condamner solidairement les sociétés Les Caves de Landiras et Diproval à lui payer 150 000 F à titre de dommages et intérêts,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir aux frais des sociétés Les Caves de Landiras et Diproval dans le journal Sud-Ouest, La Vie Economique et La Revue du Vin de France,

- condamner solidairement les sociétés Les Caves de Landiras et Diproval au paiement de 5 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- condamner les sociétés Les Caves de Landiras et Diproval aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction.

Elle soutient que le raisonnement tenu par le Tribunal est contraire à la loi de 1963, l'infraction étant constituée dès lors que les factures d'achat du Centre Leclerc font état d'un prix inférieur à celui auquel Diproval a acquis les dernières bouteilles ;

Les intimées, par conclusions du 22 octobre 1998, demandent la confirmation du jugement, 8 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile pour chacun d'elles ;

Elles soutiennent qu'il n'y a pas eu vente à perte, la société Montagne ne prouvant pas que ce sont les bouteilles les plus chères que Les Caves de Landiras ont revendues au magasin Leclerc par l'intermédiaire de Diproval ;

Elle observent qu'en tout état de cause la société Montagne ne justifie d'aucun préjudice.

Attendu, au vu des factures versées aux débats, que Les Caves de Landiras ont acquis les bouteilles de Pape Clément 1992 suivantes de :

- Grands Chais de France, le 12 mai 1995 : 480 bouteilles à 65 F HT

- Jean Merlaut, le 1er août 1995 : 120 bouteilles à 77 F HT

- Hugues Lawton, le 29 août 1995 : 156 bouteilles à 75 F HT

- Château Pape Clément, le 31 août 1995 : 24 bouteilles à 75 F HT

- Château Pape Clément, le 23 octobre 1995 : 12 bouteilles à 75 F HT

- Nath Johnston et Fils, le 31 août 1995 : 1 200 bouteilles à 77 F HT

- Château Pape Clément, le 22 janvier 1996 : 24 bouteilles à 75 F HT

- Château Pape Clément, le 26 janvier 1996 : 24 bouteilles à 75 F HT,

soit 2 040 bouteilles au prix total de 150 840 F ;

que Les Caves de Landiras produisent également une facture du 12 mai 1995 visant 600 bouteilles de Château Duhart Milon, sans intérêt pour le présent litige ;

Que Les Caves de Landiras ont vendu à Diproval :

le 8 mars 1996, 120 bouteilles à 67,95 F HT = 7 914 F

le 18 mars 1996, 120 bouteilles à 67,95 F HT = 9 300 F

le 21 mars 1996, 300 bouteilles à 77,50 F HT = 23 250 F

le 4 avril 1996, 120 bouteilles à 77,50 F HT = 9 300 F

le 5 avril 1996, 120 bouteilles à 77,50 F HT = 9 300 F

le 9 avril 1996, 430 bouteilles à 77,50 F HT = 33 325 F

soit 1 210 bouteilles représentant un prix total de 92 389 F HT ;

Que Diproval a vendu au Centre Leclerc :

le 6 mars 1996, 120 bouteilles

le 15 mars 1996, 120 bouteilles

le 20 mars 1996, 300 bouteilles

le 2 avril 1996, 120 bouteilles

le 5 avril 1996, 120 bouteilles

le 9 avril 1996, 430 bouteilles

soit 1 210 bouteilles au prix de 72,50 F HT, représentant un total de 87 725 F HT ;

Que Les Caves de Landiras n'ont pas vendu à perte ; qu'elles ont acquis 2 040 bouteilles pour une somme totale de 150 840 F, soit 73,9 F par bouteille, ont vendu 1 210 bouteilles à un prix moyen de 76,35 F ;

Que par contre Diproval qui a acquis 1 210 bouteilles à ce prix, a vendu au Centre Leclerc le même nombre de bouteilles, 1 210, au prix de 72,50 F HT soit un prix inférieur au prix d'achat ;

Que les Caves de Landiras avaient elles-mêmes acheté 480 bouteilles seulement à 65 F HT le 12 mai 1995, toutes les autres étant à 75 ou 77 F ;

Que Diproval n'établit pas avoir disposé d'au moins 780 bouteilles à un prix inférieur à 72,50 F ainsi qu'elle le soutient, mais seulement de 1 200 bouteilles à 65,95 F, toutes les autres étant à 77,50 F ;

Qu'elle justifie certes de l'acquisition, en sus des 1 210 bouteilles vendues par Les Caves de Landiras, de 24 bouteilles auprès du Château Pape Clément au prix de 70 F HT ; qu'elle ne démontre pas que ces 24 bouteilles ont été vendues au Centre Leclerc, ce qui, en toute hypothèse, ne réduirait pas de façon suffisante le coût moyen de vente ;

Qu'il est remarquable au surplus d'observer que les factures établies par Les Caves de Landiras au nom de Diproval sont postérieures de deux jours ou un jour, ou du même jour, soit concommitantes à celles établies par Diproval au Centre Leclerc, pour le même nombre de bouteilles, ce qui tend à établir que les 1 210 bouteilles vendues au Centre Leclerc sont celles vendues par Les Caves de Landiras à Diproval ; qu'il s'agit en tout état de cause d'un même produit, le cru Château Pape Clément 1992 ;

Attendu que la SARL Montagne et Cie, Château Pape Clément établit la revente à perte pratiquée par Diproval ;

Attendu que la loi du 2 juillet 1963, applicable en 1996, sanctionne la vente à perte définie par l'article dans la rédaction nouvelle de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : la vente à perte est la revente d'un produit " en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif "; que cette vente illiciteest sanctionnée par une peine d'amende ; qu'elle est constitutive d'un acte de concurrence déloyale, justifiant l'action fondée sur l'article 1382 du Code Civil de la SARL Montagne et Cie Château Pape Clément; qu'il s'infère des actes déloyaux constatés l'existence d'un préjudice fut-il seulement moral; que la revente à perte par un distributeur expose le fournisseur à une dépréciation de son image de marque, le produit pouvant apparaître comme étant bradé, et aux soupçons des autres distributeurs sur l'existence des conditions préférentielles consenties à des concurrents, mettant ainsi en péril sa politique commerciale;

Qu'ainsi, afin de préserver son image, la société Montagne et Cie Château Pape Clément, a racheté au magasin Leclerc le solde du stock de Château Pape Clément 1992, 540 bouteilles au prix TTC de 87,50 F, a réglé, suivant facture du 15 avril 1996, 47.250 F ;

Qu'accepter la vente de son produit dans les centres de grande distribution n'implique pas l'acceptation d'un prix " bradé " susceptible de porter atteinte à l'image de marque, pouvant laisser croire à une insuffisance de qualité;

Attendu, au vu de ces éléments, que la somme de 50 000 F doit indemniser le préjudice, étant observé que si 540 bouteilles ont été rachetées, 520 autres ont été effectivement vendues à perte ;

Qu'il est nécessaire de faire droit à la demande de publication de l'arrêt, afin de réparer l'atteinte à l'image de marque de Château Pape Clément ;

Attendu que le jugement est réformé ;

Attendu que Diproval, qui succombe, doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la SARL Montagne et Cie Château Pape Clément les frais irrépétibles de procédure ;

Par ces motifs : dit la SARL Montagne et Cie Château Pape Clément fondée en son appel, réformant le jugement et statuant à nouveau, condamne la société Diproval à payer à la SARL Montagne et Cie Château Pape Clément 50 000 F de dommages et intérêts, outre 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; ordonne la publication de l'arrêt dans les journaux Sud-Ouest, la Vie Economique et La Revue du Vin de France, aux frais de la société Diproval dans la limite de 15 000 F ; condamne la société Diproval aux entiers dépens de première instance et d'appel, application étant faite des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.