Cass. crim., 24 mars 1999, n° 97-84.841
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gomez
Rapporteur :
M. Martin
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocat :
Me Copper-Royer.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par Z Daniel, contre l'arrêt de la cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 1er juillet 1997, qui, pour infractions aux règles de la facturation, l'a condamné à 10 000 F d'amende ; - Vu le mémoire produit ; - Attendu que la SNC X, gérée par Daniel Z, produit des camemberts, Pont-l'Evèque et du beurre d'Isigny avec du lait acheté auprès de la société W et vend sa production à trois sociétés, Fromageries A à Orbec, B et C, ces cinq entreprises faisant toutes partie du groupe Y ; qu'à la suite du contrôle exercé les 1er et 2 février 1994 par la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la Manche, Daniel Z a été cité devant la juridiction correctionnelle pour ventes sans factures conformes et paiement de produits alimentaires périssables, en l'espèce du lait, plus de 30 jours après la décade de livraison, faits prévus et réprimés par les articles 31, 35 et 55 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
En cet état ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l'article 6 3 a de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 31, alinéas 2, 3 et 4, 55, alinéa 1, de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 121-3 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Daniel Z coupable du délit de ventes de produits sans facturation conforme et l'a condamné à une peine d'amende ;
" aux motifs que, sur les nullités invoquées par Daniel Z : " Les enquêteurs ont fait connaître à Daniel Z, gérant de la SNC X, que le contrôle portait sur le fonctionnement général de ladite société ; " Ils n'ont pas manqué à l'obligation de loyauté qui doit présider à la recherche des preuves en induisant Daniel Z en erreur sur l'objet du contrôle ; " Il n'a été relevé, en l'espèce, aucune manœuvre déloyale des agents de l'Administration ayant pour effet de compromettre irrémédiablement les droits de la défense ; " Aucune nullité n'est encourue de ce chef et les procès-verbaux d'audition et de constatation de délits sont parfaitement valables ; " La citation délivrée à Daniel Z mentionne la prévention suivante : " d'avoir à Les Veys, courant novembre et décembre 1993, décembre 1994, effectué pour une activité professionnelle, une ou des ventes de produits sans facture conforme, infraction prévue et réprimée par les articles 31, alinéas 2, 3 et 4, 55, alinéa 1, de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 " ; " Daniel Z, qui a reçu un double du procès-verbal dressé par les enquêteurs le 7 mars 1994, qui a été entendu sur les faits par les agents de l'Administration et par la gendarmerie et qui a fourni, notamment dans son procès-verbal d'audition du 7 juillet 1995 par la gendarmerie de Carentan, toutes les explications et observations démontrant qu'il connaissait parfaitement et exactement les faits qui lui étaient reprochés, ne pouvait se méprendre sur l'objet de la prévention ; " Dès lors, ni l'erreur purement matérielle de date qui a consisté à viser le mois de décembre 1994 au lieu du mois de janvier 1994, que la Cour se bornera à rectifier, ni l'absence de précisions dans la citation des numéros de factures concernées, ni le visa cumulé des alinéas 2, 3 et 4 de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, n'ont pu lui faire grief en l'empêchant de préparer utilement sa défense ; " Aucune nullité n'est encourue de ce chef ; " L'infraction est réprimée par les alinéas 5 et 6 de l' ordonnance du 1er décembre 1986, alinéas qui ne sont pas expressément mentionnés sur la citation. Toutefois, la citation mentionne l'article 31 qui constitue un tout pour qu'à la fois soient définis les éléments constitutifs de l'infraction et les peines qui s'y rattachent ; " En outre, le procès-verbal du 7 mars 1994 que Daniel Z reconnaît avoir reçu mentionne in extenso les pénalités applicables aux facturations non conformes aux dispositions de l'article 31 de l'ordonnance précitée ; " La nullité invoquée n'a donc pas porté atteinte aux intérêts de Daniel Z et la citation sera déclarée valable " (arrêt p. 4 et 5) ;
" alors que l'enquête préalable à laquelle se livrent les fonctionnaires habilités du service de la répression des fraudes ne peut avoir pour effet de compromettre irrémédiablement l'exercice des droits de la défense ; qu'elle ne peut conduire la personne entendue à faire, dans l'ignorance de l'objet de l'enquête, des déclarations sur la portée desquelles elle pourrait se méprendre et qui seraient ensuite utilisées contre elle ; que les agents de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la Manche n'ont pas avisé Daniel Z de l'objet réel de leurs investigations ; qu'ils ne lui ont pas dit que leurs vérifications concernaient d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles et la recherche d'éléments susceptibles de constituer des infractions à l'ordonnance du 1er décembre 1986, le cas échéant mises à sa charge ; que la cour d'appel de Caen a violé les textes susvisés " ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité soulevée par Daniel Z, l'arrêt se prononce par les motifs repris au moyen ; qu'en cet état, et dès lors que les juges ont relevé que les enquêteurs n'avaient pas trompé le dirigeant de l'entreprise contrôlée sur l'objet de leur visite ni employé aucun procédé déloyal pouvant compromettre les droits de la défense, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 31, alinéas 2, 3 et 4, 55, alinéa 1, de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 121-3 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Daniel Z coupable du délit de ventes de produits sans facturation conforme et l'a condamné à une peine d'amende ;
" aux motifs que " les exigences posées par l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ont vocation à s'appliquer dès lors que les achats et prestations ont lieu pour les besoins d'une activité professionnelle sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que les sociétés concernées appartiennent ou non à un même groupe ; " Les bons de livraison établis au jour le jour entre le 12 et le 19 janvier 1994 ne mentionnent pas le prix unitaire hors TVA des produits vendus. Ils ne précisent pas davantage la date à laquelle le règlement doit intervenir ni les conditions d'escompte en cas de paiement anticipé. Ils ne peuvent dès lors être tenus pour des factures conformes à l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; " Daniel Z ne peut se prévaloir de la tolérance de l'Administration qui consiste à admettre l'établissement d'une facture récapitulative alors que les factures n° 1011, 1012, 1013, 1014 et 1015 ne comportent aucune référence aux bons de livraisons concernés, ce qui ne permet pas de vérifier sans ambiguïté l'exactitude de la facturation par le rapprochement des bons de livraisons avec la facture récapitulative ; " En n'établissant pas immédiatement après chacune des livraisons opérées les 12, 13, 14, 18, 19 et 20 janvier 1994 à la Fromagerie L d'Orbec, et les 12, 14, 17 et 19 janvier 1994 à la société B de Bourgbarre des factures conformes aux exigences de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, Daniel Z a contrevenu à cette disposition ; " Enfin, les considérations du premier juge sur les mobiles imputés à Daniel Z sont sans intérêt au niveau des éléments constitutifs de l'infraction. Ces considérations ne sont pas de nature à affecter le jugement d'une quelconque nullité alors que l'infraction poursuivie est totalement distincte de l'objet des poursuites qui ont donné lieu au jugement du tribunal correctionnel de Coutances du 20 décembre 1994 annulant le procès-verbal du 15 février 1994 ; " Le jugement entrepris sera confirmé sur la déclaration de culpabilité concernant cette infraction sauf à préciser que les faits ont été commis en janvier 1994 et non en décembre comme indiqué par erreur dans la citation " (arrêt p. 5 et 6) ;
" et encore au motif que " la violation, en connaissance de cause par Daniel Z, des dispositions des articles 31 et 35 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 procède d'une volonté de simplification au-delà des tolérances administratives, des relations commerciales avec ses partenaires habituels " (arrêt p. 7 § 6) ;
" alors que l'ordonnance du 1er décembre 1986 concerne la liberté de concurrence, la transparence et la sécurité des relations commerciales entre des producteurs, des commerçants et des entreprises indépendants les uns des autres ; que les livraisons entre les sociétés d'un même groupe lui sont étrangères ; qu'en appliquant strictement le texte aux échanges entre la SNC X et d'autres sociétés du même groupe Y, sans rechercher si la mise en œuvre des formalités prescrites répondait à l'objet poursuivi par l'ordonnance, la cour d'appel de Caen a privé sa décision de toute base légale au regard de ladite ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en ne reconnaissant pas expressément la faculté d'établir des factures récapitulatives dans les échanges continus existant entre la SNC X et les autres SNC du groupe Y, totalement transparentes tant sur le plan fiscal que comptable du fait de leur forme juridique et placées dans une situation d'égalité, la Cour de Caen n'a pas donné, sur ce point encore, de base légale à sa décision, au regard de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et que la Cour de Caen ne pouvait, à la fois, admettre le principe de l'aménagement administratif aux règles de facturation, tout en écartant son application par l'exigence purement formelle et d'ordre matériel d'une inscription du numéro des bons de livraisons sur les factures ; que la production de l'intégralité des bons de livraison et des factures se suffisait à elle-même et permettait leur rapprochement et la vérification de leur correspondance ; que la cour d'appel, en se refusant à toute recherche effective, n'a pas légalement fondé sa décision au regard du même article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
" alors, qu'enfin, la recherche d'une simplification de formalités sans objet vis-à-vis de partenaires situés sur le même plan que Daniel Z, dépendant du même groupe, intégrés dans les mêmes structures, ne pouvait traduire une intention de commettre un délit " ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 35 et 55 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 1289 et 1290 du Code civil, 121-3 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Daniel Z coupable du délit de non-respect des délais de paiement pour des achats de produits alimentaires périssables et l'a condamné à une peine d'amende ;
" aux motifs que " l'article 35 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 institue des délais de paiement qui ne peuvent être supérieurs à 30 jours après la fin de la décade de livraison pour les achats de produits alimentaires périssables ; " Ces délais de paiement s'imposent à tout producteur, revendeur ou prestataire de service et doivent s'appliquer aux transactions commerciales concernant deux sociétés dépendant du même groupe ; " Il résulte de la procédure (annexes 5, 6, 7 et 8 du procès-verbal de délit) que les factures de W sont établies au dernier jour du mois pour toutes les livraisons de lait concernant le mois considéré ; " La SNC règle par virement le 20 du mois suivant ; " Ainsi, les livraisons de la première décade du mois de novembre 1993 devaient être réglées le 10 décembre 1993. Elles ont fait l'objet d'une facture du 30 novembre 1993 et n'ont été réglées que le 20 décembre 1993 (cf. par ordre de virement du 17 décembre 1993 pour une date de valeur compensée du 20 décembre 1993) ; " Les livraisons de la première décade du mois de décembre 1993 auraient dû être réglées le 10 janvier 1994 au plus tard, elles ont fait l'objet d'une facture du 31 décembre 1993 et n'ont été payées que le 20 janvier 1994 ainsi qu'en atteste le livre journal B Finance produit aux débats par le prévenu lui-même ; " Par contre, les livraisons de lait de la seconde et de la troisième décade du mois de décembre 1993, objet de la facture globale du 31 décembre 1993 ont été réglées le 20 janvier 1994 soit dans les délais impartis par l'article 35 ; " L'infraction aux délais de paiement impartis par l'article 35 n'est donc établie que pour les livraisons du lait des premières décades du mois de novembre et décembre 1993 ; " Le délit n'est pas constitué pour les livraisons des seconde et troisième décades du mois de décembre 1993 ; " Enfin, Daniel Z ne peut utilement invoquer la compensation résultant des relations d'affaires constantes entre la SNC X et W alors qu'une telle compensation ne pouvait s'opérer qu'après qu'un arrêté de compte établisse le caractère liquide, certain et exigible de la créance de la SNC X à l'encontre de W ; " Or, si la SNC X a bien réglé par compensation les livraisons de lait de la première décade du mois de décembre 1994, cette compensation n'est intervenue que le 20 janvier 1994 soit postérieurement à l'expiration de délai imparti par l'article 35 ; " Daniel Z sera retenu dans les liens de la prévention pour les faits des 11 décembre 1993 et 10 janvier 1994 et relaxé des fins de la poursuite pour les faits des 20 janvier et 31 janvier 1994 " (arrêt p. 6 , 2 et suivants, p. 7, 1 à 3) ;
" et encore au motif que " la violation, en connaissance de cause par Daniel Z, des dispositions des articles 31 et 35 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 procède d'une volonté de simplification au-delà des tolérances administratives, des relations commerciales avec ses partenaires habituels " (arrêt p. 7, 6) ;
" alors que l'ordonnance du 1er décembre 1986, en instaurant la liberté de concurrence, la transparence et la sécurité dans les relations entre producteurs et commerçants indépendants les uns des autres, a cherché à limiter les crédits inter-entreprises et les risques financiers assumés par les fournisseurs en cas de défaillance du client ; que les livraisons entre sociétés d'un même groupe s'avéraient étrangères à ces objectifs, en l'absence de tels risques ; qu'en appliquant strictement le texte aux livraisons faites par W à la société X qui appartenait au même groupe, sans rechercher si la mise en œuvre de délais impératifs répondait, en l'espèce, au but poursuivi par l'ordonnance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des mêmes dispositions ; " que la société X établissait, conformément aux usages professionnels impératifs, une facture des livraisons de lait à la fin de chaque mois et la réglait ensuite ; que le léger retard qui pouvait en résulter parfois par rapport au paiement par décades découlait des impératifs du mécanisme des ventes de lait et de la nécessité d'éviter des surcoûts de gestion excessifs ; qu'il n'engendrait aucun risque d'impayés, s'agissant au surplus des paiements entre sociétés d'un même groupe ; qu'en faisant abstraction de ces données indiscutables, la Cour de Caen a privé de nouveau sa décision de toute base légale ;
" que la SNC et la W étaient réciproquement créancière et débitrice l'une de l'autre ; que leurs dettes s'éteignaient réciproquement à l'instant où elles se trouvaient exister à la fois jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives ; qu'en s'abstenant de toute recherche sur cet effet immédiat et en reculant le jeu de la compensation à l'intervention d'un arrêté de compte, la Cour de Caen n'a pas légalement justifié son arrêt ;
" et alors que Daniel Z s'est conformé aux règles de gestion professionnelles régissant la SNC X et le groupe auquel elle appartenait ; que la Cour n'a pas caractérisé son intention de commettre un délit " ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable des délits reprochés, l'arrêt se prononce par les motifs repris aux moyens ;
Qu'en cet état, et dès lors qu'il n'importe que les infractions aient été commises au sein d'un groupe de sociétés, la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé les infractions retenues en tous leurs éléments constitutifs, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; qu'il s'ensuit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.