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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 17 décembre 1993, n° 18708-92

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

DKV Euro Service France (SARL), Deutscher Kraftverkehr Ernst Grimmke GmbH + CO KG (Sté)

Défendeur :

Sodiplec (Sté), Siplec (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gautier

Conseillers :

Mme Pinot, M. Weill

Avoués :

SCP Dauth Naboudet, SCP Lagourgue

Avocats :

Mes Fischer, Parleani.

T. com. Paris, 3e ch., sect. B, du 17 ju…

17 juin 1992

LA COUR statue sur l'appel respectivement relevé par les sociétés DKV Euro Service France et Deutscher Kraftverkehr Ernst Grimmke ci-après DKV et DK et par la société Siplec du jugement contradictoire rendu par le Tribunal de Commerce de Paris (3ème chambre B) qui a :

- débouté Siplec de sa demande,

- dit que DKV et DK se comportent à l'égard des stations services comme des fournisseurs de services et que les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 leur sont applicables,

- dit que DKV et DK devront adresser à Sodiplec, dans un délai de trente jours et sous astreinte, une proposition d'établissement de relations commerciales lui permettant d'offrir à sa clientèle les prestations du " réseau DKV " et que cette proposition pourra comprendre une équitable rémunération des services rendus par DKV et DK.

Il est fait référence aux énonciations du jugement pour l'exposé des éléments du litige et des prétentions initiales des parties.

Il suffit de rappeler que Siplec est une société d'importation et de distribution de carburant ; Sodiplec est une EURL dont l'associée est Siplec, exploitant une station service sur une autoroute conduisant au nord de l'Europe. Ces deux sociétés dépendent du groupe Leclerc.

DK, société de droit allemand, et sa filiale DKV ont pour objet de fournir, tant sur le territoire national qu'en Europe et en Afrique du Nord, aux transporteurs routiers et professionnels de la route, des carburants, des lubrifiants ainsi que diverses prestations. Pour réaliser ce but, DK conclut avec des distributeurs pétroliers de son choix des contrats d'approvisionnement aux termes desquels le distributeur accorde à DK la possibilité d'acheter des carburants et autres produits et des services dans les stations services présentées par lui et acceptées par DK. La fourniture des produits et des services est effectuée directement par le distributeur au client au nom et pour le compte de DK qui en assure le règlement. DKV, quant à elle, agissant en son nom mais pour le compte de DK, s'engage envers les transporteurs routiers à leur vendre le carburant et à leur fournir des services. Les transporteurs disposent d'une carte nominative leur permettant d'avoir accès aux stations services appartenant aux distributeurs qui ont contracté avec DK.

En 1990, Siplec et Sodiplec ont demandé à faire bénéficier leurs clients des " services de la carte DKV ", en rappelant les dispositions de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 33 du décret du 29 décembre suivant. DK a répondu que n'étant ni vendeur ni prestataire de services, les dispositions susvisées ne lui étaient pas applicables pas plus que celles de l'article 36 de ladite ordonnance.

C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision déférée qui, pour l'essentiel, a retenu que Siplec, distributeur, ne pouvait imposer à DK l'achat de fournitures ; que Sodiplec, exploitante d'une station service, ne pouvait se voir refuser de servir à sa clientèle les prestations de services offertes par " le système DKV ".

Appelante, Siplec d'une part, Intimée et Appelante Incidente Sodiplec d'autre part, soutiennent que DK et DKV n'ont pas la qualité d'acheteur des produits pétroliers mais de prestataires de services rémunérées, au moyen de remises importantes, par les distributeurs à qui elles fournissent lesdites prestations ; que ce n'est que par un montage juridique reposant sur une fausse cause ou une absence de cause que DK prétend se porter acheteur des carburants qu'elle revend dans le même temps aux transporteurs ; que cette double opération d'achat et de revente n'est pas réalisable dans la mesure où le transfert de propriété ne peut s'effectuer à l'occasion de chacun des contrats puisque, s'agissant d'une chose de genre, l'individualisation de la chose n'intervient que lors de la vente au transporteur ; que les services rendus par DK auprès des distributeurs et des stations services agréés consistent à leur offrir une garantie de paiement de marchandises dont l'acheteur n'a pas décidé des quantités ainsi que l'accès à une clientèle fidélisée et importante ; que le refus qui lui est opposé s'analyse en un refus de vente, lequel n'est pas motivé par un motif économique.

Poursuivant l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a dit que l'activité de DK et DKV n'était que partiellement constitutive de prestations de services, Siplec prie la Cour de requalifier " le montage déféré " en une convention de prestations de services, de dire que les conditions de l'article 36 de l'ordonnance susvisée sont remplies, de condamner DK et DKV à proposer à Siplec comme à Sodiplec leurs contrats sous astreinte et de les condamner à payer 300 000 F à titre de provision sur les dommages-intérêts et d'ordonner une mesure d'instruction pour évaluer l'étendue du préjudice, subsidiairement de confirmer le jugement en ce qui concerne les injonctions prononcées et, y ajoutant, de prononcer les mêmes injonctions et condamnations au profit de Siplec, enfin de leur allouer 30 000 F en application de l'article 700 NCPC.

Appelantes, DK et DKV font valoir que l'unique convention existante consiste en une vente de produits pétroliers par le distributeur à DK, que, si ce contrat induit accessoirement une prestation de services portant sur la délivrance des produits, laquelle entre dans la fixation du prix, c'est au profit de DK et non du distributeur ; que les distributeurs et les stations services " ne faisant juridiquement qu'un " , DK ne peut être contrainte à fournir une prestation de services aux secondes sans être tenue de s'approvisionner auprès des premiers ; que les contrats d'approvisionnement conclus avec les distributeurs par DK ont pour objet principal de faire naître une obligation de donner, à savoir le transfert de la propriété des produits à celle-ci, la prestation de service, qui pèse sur le distributeur, n'en étant que l'accessoire ; que la seule obligation de DK est de payer les produits et services achetés.

Elles font valoir, pour contester la qualification de prestation de services, que la décision d'acquérir la quantité de bien appartient à DK ; qu'il est inexact de prétendre qu'elle offre une garantie de paiement dès lors qu'en l'absence de relation contractuelle entre le distributeur et le transporteur, elle ne peut se substituer à une défaillance éventuelle de celui-ci ; qu'elle ne ménage nullement l'accès à une clientèle réservée, captive et fidèle d'une part parce qu'elle contracte en son propre nom, d'autre part parce que le choix des transporteurs se fait en fonction de la situation géographique de la station plutôt qu'en fonction de la marque du carburant ; que la plupart des distributeurs ont mis en place un système de carte ; que la carte qu'elle offre aux transporteurs est également valable dans d'autres réseaux de telle sorte que le marché n'est pas captif ; que les cartes proposées ne constituent nullement des instruments de crédit qui seraient d'ailleurs illicites.

DK et DKV demandent en conséquence à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les prétentions de Siplec, mais l'infirmant pour le surplus, de dire qu'elles ne servent pas à titre principal des prestations de services aux distributeurs, de dire que les dispositions des articles 36 et 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont pas applicables, de débouter Siplec et Sodiplec de l'ensemble de leurs prétentions et de les condamner à payer 40 000 F en application de l'article 700 NCPC.

DK et DKV ajoutent dans leurs écritures en réponse qu'il n'appartient pas au juge de requalifier à la demande d'un tiers, une convention dont la licéité n'est pas mise en cause et reprend son argumentation précédemment développée.

En réplique, Siplec et Sodiplec rappellent les dispositions de l'article 12 NCPC, soutiennent que la qualification de vente est simulée, que l'exacte qualification est celle d'une prestation de services telle que visée à l'article 53 de l'ordonnance susvisée que par suite elles sont fondées à bénéficier de l'article 36 du même texte et développent sur ce point les moyens ci-dessus énoncés.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que l'objet social de DK consiste à fournir aux transporteurs routiers des biens nécessaires à la circulation des véhicules ainsi que des services annexes ; que, pour parvenir à la réalisation de cet objet exclusif, DK admet qu'elle a, à l'égard des fournisseurs la qualité de fournisseur direct de biens et de services ; que le système mis en place, au moyen de la carte accréditive, a l'avantage de procurer aux transporteurs un seul interlocuteur pour l'ensemble des produits et services qui leurs sont nécessaires, notamment un procédé de facturation particulièrement apprécié ;

Considérant que les conventions que DK conclut, seule, avec les distributeurs de produits pétroliers, les réparateurs de véhicules ou les compagnies maritimes n'ont d'autre but que de lui permettre de réaliser son objet social ;

Considérant qu'il importe de rechercher si le mécanisme complexe mis en place par DK avec l'aide de DKV qui agit en son nom et pour son compte doit s'analyser globalement en une convention de prestations de services à l'égard de l'ensemble des partenaires ou bien si les conventions passées notamment avec les distributeurs conservent leur autonomie propre ;

Considérant qu'il ne saurait être fait grief à Siplec et à Sodiplec, qui soutiennent être victimes d'un refus de vente de la part de DK et DKV, de solliciter l'exacte qualification du contrat conclu avec les distributeur, peu important qu'elles soient des tiers audit contrat ;

Considérant qu'il résulte des énonciations du contrat d'approvisionnement passé par DK avec le distributeur, étant précisé que la station de service n'est que l'émanation du distributeur, que le partenaire accorde à DK la possibilité d'acheter des produits pétroliers dans les stations services présentées par celui-là et acceptées par celle-ci, la fourniture des produits et des services étant directement effectuée aux clients DK par le partenaire, au nom et pour le compte de DK ; que DK règle les fournitures selon un mécanisme précisément décrit au prix convenu (montant des produits H.T., outre une remise) ;

Considérant que l'économie essentielle de cette convention repose sur la vente de produits par le distributeur à DK qui en effectue le paiement à un prix déterminé et pour des quantités déterminées ;

Que la délivrance des produits directement par le fournisseur à l'utilisateur final n'implique nullement que le transfert de propriété s'opère au profit du transporteur ; qu'en effet, si le transfert de propriété s'opère, s'agissant de choses de genre au moment où elles sont individualisées, cette individualisation s'effectue dès qu'elle est affectée à l'acheteur, en l'espèce, DK, et ne saurait être confondue avec la livraison ; que les clauses du contrat d'approvisionnement précisent expressément que l'achat est effectué par DK et que la livraison est faite en son nom et pour son compte, que la facturation lui est directement adressée par le partenaire selon des modalités très précises ;

Qu'elle ne s'est pas engagée à acquérir des quantités de produits indéterminées ; qu'à l'inverse, c'est le distributeur qui lui offre la possibilité d'acquérir sans limitation les produits qu'il vend ; que la maîtrise des quantités acquises résulte des conventions conclues avec les transporteurs qui sont les utilisateurs desdits produits ; qu'il est en conséquence sans incidence sur la nature du contrat de vente conclu avec le distributeur la considération selon laquelle la quantité achetée dépend des besoins desdits utilisateurs puisqu'en définitive c'est elle qui achète des quantités précises à un prix déterminé ;

Qu'elle dispose ainsi du contrôle décisionnel de ses achats ;

Que les remises qui lui sont consenties, contractuellement fixées, sont justifiées par le volume des produits acquis et si elles tiennent compte de la délivrance des produits fournis par la station service, ne rémunère nullement une prétendue prestation de service offerte par DK au distributeur ;

Que, pas davantage, il ne peut être prétendu que DK garantit au distributeur le paiement dû par les transporteurs ; que les seconds ne sont pas les débiteurs du premier ; qu'aucun mécanisme de cession de créance n'est stipulé dans le contrat d'approvisionnement ; qu'au contraire, la convention précise que l'unique débiteur des produits est DK qui a contracté directement avec le distributeur lequel ne dispose d'aucun recours contre les transporteurs, utilisateurs desdits produits ;

Qu'il ne peut être retenu que l'activité de DK consiste à offrir au distributeur une clientèle fidélisée et captive constituant une prestation de service;

Qu'en effet la clientèle de DK par elle démarchée, entretenue et fidélisée, lui demeure attachée, " en particulier par le mécanisme de facturation qu'elle propose aux transporteurs ; que cette clientèle qu'elle partage avec des distributeurs pétroliers importants qui ont mis en place un système de carte similaire n'est pas captive ;

Que la convention d'approvisionnement conclue avec le distributeur n'offre pas à celui-ci l'accès à une clientèle puisque, précisément les transporteurs sont liés, par un contrat distinct à DK ;

Qu'enfin aucune clause de la convention d'approvisionnement n'établit que les services fournis par DK et DKV aux transporteurs sont rémunérés par le distributeur; qu'il a été dit que les rabais obtenus par DK étaient justifiés par les quantités achetées ; qu'au contraire, il ressort des contrats conclu avec les transporteurs que ce sont ces derniers qui rémunèrent DK des services rendus puisque celle-ci retient une marge bénéficiaire significative sur le vente des produits ;

Considérant que l'ensemble des éléments ci-dessus analysés mettent en évidence que DK et DKV ne servent pas de prestations de services au profit des distributeurs de produits pétroliers; que la convention conclue avec ces derniers s'analysant en un contrat de vente au terme duquel DK se porte acquéreur des produits, les dispositions de l'article 36 et 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne lui sont pas applicables;

Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande de faire bénéficier les parties qui en ont fait la demande des dispositions de l'article 700 NCPC ;

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les prétentions de Siplec ; L'infirmant pour le surplus, Dit que les dispositions des articles 36 et 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont pas applicables aux sociétés DKV Euro Service France et Deutscher Kraftverkehr Ernst Grimmke GmbH dans leurs rapports avec les distributeurs de produits pétroliers ; Déboute Siplec et Sodiplec de l'ensemble de leurs prétentions ; Rejette toute demande autre, plus ample ou contraire ; Condamne les sociétés Siplec et Sodiplec aux dépens de première instance et d'appel et Admet, pour les dépens d'appel, la SCP Dauthy Naboudet, Avoué, au bénéfice de l'article 699 NCPC.