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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 11 août 1999, n° 98-0003685

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Quick Logistics et Services (GEIE)

Défendeur :

Geneviève Langlais (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

M. Derdeyn, Mme Minini

Avoués :

Me Roquette, SCP Negre

Avocats :

Mes Franceschi-Bariani, Bezert

CA Montpellier n° 98-0003685

11 août 1999

Exposé des faits et des relations entre les parties.

Créée en 1984, la SA Geneviève Langlais, exerçant sous l'enseigne Crudi, a développé une activité de production et de commercialisation de salades prêtes en sachets.

A partir de 1985, elle est devenue le fournisseur de Mc Donald's en produits de 4e gamme (salades, salades en lanières, tomates en rondelles, oignons en rondelles) pour la totalité de son réseau français qui comportait alors une vingtaine de restaurants.

Le Groupe Quick (Groupe à capitaux exclusivement belges après le rachat par Inno en 1988 des parts du Groupe Casino) s'est intéressé à la SA Geneviève Langlais pour l'approvisionnement en France de ses restaurants, concurrents directs des Mc Donald's, dès lors qu'il faisait appel aux mêmes produits de base tout en mettant en œuvre des produits spécifiques (salades de fruits en coupelles, bâtonnets de légumes crus).

De 1988 à 1998 la SA Geneviève Langlais a assuré l'approvisionnement des établissements Quick installés en France, soit en 1998 279 restaurants dont 176 restaurants appartenant à la SA France Quick et 176 restaurants indépendants franchisés Quick (aux côtés des 654 restaurants Mc Donald's), la SA France Quick assurant pour la France le rôle de centrale d'achats et de référencement et la SA Geneviève Langlais facturant ensuite les ventes des produits référencés directement aux distributeurs concernés (SA France Quick et chacun des franchisés Quick).

Au cours des années 1995 et 1996, la SA Geneviève Langlais et la SA France Quick ont envisagé la contractualisation de leurs relations commerciales et un projet de contrat de fourniture à exécution échelonnée pour une durée de 2 ans reconductible a été établi mais n'a jamais été signé.

En 1996 et 1997, le Groupe Quick a connu des difficultés financières en raison de la concurrence féroce des restaurants Mc Donald's. Une réorganisation complète des restaurants Quick a donc été mise en place.

Le 6 janvier 1997 a été créé le GEIE Quick Logistics & Services (Groupement européen d'intérêt économique) ayant son siège social à Bagnolet (93176) et étant composé des sociétés des différents Etats membres de la Communauté Européenne : SA France Quick pour la France, Quick Restaurants pour la Belgique et Quick Nederland pour les Pays-Bas.

Le GEIE Quick Logistics & Services qui avait pour objet social " le conseil en matière de logistique et d'organisation de la sécurité des approvisionnements, la recherche et la sélection des fournisseurs agréés, le suivi et l'adaptation des produits..., la négociation des prix, des conditions d'approvisionnement et des paiements pour l'ensemble des restaurants Quick implantés en Europe... " est devenu la centrale d'achats pour l'ensemble des restaurants Quick en France et au Benelux.

La SA Geneviève Langlais a été informée en juillet 1997 de la création du GEIE Quick Logistics & Services et est donc entrée en relations avec ce groupement qui a engagé dès la fin de l'année 1997 des négociations dans le but d'établir pour les années à venir les conditions d'approvisionnement des restaurants Quick et la tarification qui, en raison des difficultés financières du groupe, devait être revue à la baisse.

Des réunions de travail ont été organisées à Bagnolet entre dirigeants de la société Geneviève Langlais et du GEIE.

Des propositions de prix portant sur chacun des produits de référence Quick et sur la logistique (conditions d'approvisionnement et notamment conditions de transport et de livraisons des produits depuis la région de Perpignan jusqu'à chaque restaurant) ont été transmises par la société Geneviève Langlais au GEIE au cours du premier trimestre 1998.

Parallèlement, le GEIE a sollicité de la concurrence (Pomona, Bonduelle, Soleco, Inveg ...) des propositions similaires.

Le 16 mars 1998, le GEIE Quick Logistics & Services a choisi la société belge Inveg (société assurant déjà depuis plusieurs années l'approvisionnement des restaurants Quick installés en Belgique) comme le fournisseur pour la totalité des restaurants Quick en produits de 4e gamme (scarole lanière, salades, oignons coupés et rondelles, radis, concombres rondelles, iceberg feuilles, tomates charnues) et la société Prest Services pour assurer la logistique " frais ".

Le 9 avril 1998, le GEIE a informé officiellement la SA Geneviève Langlais de ce qu'il n'avait pas retenu ses propositions et de l'arrêt de la plus grande partie des achats avec cette société (à l'exception de la production des salades de fruits et des bâtonnets de légumes crus) à compter du 30 mai 1998. Par ailleurs, le GEIE a fait connaître à la société Geneviève Langlais que la mise en place d'une logistique nouvelle pour le transport des produits frais (crudités et pains) devait entraîner la cessation par cette société des transports destinés aux restaurants à compter du 18 mai 1998 pour les restaurants du quart Nord de la France et à compter du 1er juin 1998 pour la totalité des restaurants.

En fait, les relations entre les parties ont cessé définitivement le 18 mai 1998.

La procédure.

Dès le 16 avril 1998, la SA Geneviève Langlais a interpellé la SA France Quick sur la rupture brutale de leurs relations commerciales en l'informant de la réalité du préjudice qu'elle subissait ou allait subir et qui pouvait d'ores et déjà s'établir à une somme de 50 millions de francs et de son intention d'obtenir une indemnisation.

La SA Geneviève Langlais a ensuite fait assigner le 19 mai 1998 le GEIE Quick Logistics & Services devant le Tribunal de commerce de Perpignan (autorisée à assigner à jour fixe pour le 2 juin 1998) afin de voir sanctionner le caractère brutal et abusif de la rupture des relations commerciales et d'obtenir l'indemnisation de son préjudice sur la base de la somme de 50 millions de francs à titre de dommages et intérêts et de 20 000 F au titre des frais non taxables exposés.

Par la suite, la SA Geneviève Langlais, rappelant qu'elle agit dans le cadre de la responsabilité délictuelle du fait de l'absence de contrat la liant au GEIE et des fautes commises lors de la rupture des relations (brutalité de la rupture, mauvaise foi en cours de négociations, absence de délai suffisant pour assurer sa reconversion) et sur le fondement des dispositions de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence modifiée par la loi du 1er juillet 1996, a justifié la saisine de la juridiction de Perpignan en application de l'article 46-3 du nouveau Code de procédure civile (" en matière délictuelle, le demandeur peut saisir la juridiction du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ") et sa demande définitive en paiement de dommages et intérêts chiffrés à :

- 47 918 000 F à titre de préjudice matériel (charges fixes, immobilisations, licenciements, frais de résiliation des contrats longue durée de location de véhicules, préjudice agricole),

- 10 000 000 F au titre du préjudice commercial.

Le GEIE Quick Logistics & Services a contesté la compétence de la juridiction de Perpignan sollicitant le renvoi de l'affaire devant le Tribunal de commerce de Bobigny, juridiction du domicile du défendeur, dès lors que l'action engagée est relative à la rupture des relations commerciales établies depuis 10 ans et s'apparentant à un contrat non écrit de référencement. Subsidiairement, il a sollicité le rejet des demandes présentées à son encontre affirmant avoir la possibilité de rompre à tout moment des relations commerciales mises en place sans durée déterminée, avoir informé la SA Geneviève Langlais dès la fin de l'année 1997 de la nécessité d'ouvrir le marché à la concurrence et lui avoir fourni un délai suffisant pour lui permettre une reconversion.

Par jugement en date du 30 juin 1998, le Tribunal de commerce de Perpignan, après avoir retenu sa compétence sur le fondement de l'article 46-3 du nouveau Code de procédure civile, a estimé que le GEIE Quick Logistics & Services avait rompu brutalement un courant d'affaires vieux de 10 ans après avoir laissé croire à son partenaire que les relations allaient se poursuivre normalement et avait donc fait dégénérer en abus son droit de mettre fin à ses relations avec la SA Geneviève Langlais. Le tribunal a condamné le GEIE à payer à la SA Geneviève Langlais la somme de 25 000 000 F à titre de provision à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice outre une indemnité de 15 000 F au titre des frais non taxables exposés et a ordonné une expertise confiée à M. Bret Jacques, expert-comptable, afin d'obtenir tous renseignements utiles à la fixation du préjudice de la société Geneviève Langlais.

L'exécution provisoire attachée à cette décision a été arrêtée par le Premier Président près la Cour d'appel de Montpellier.

Le GEIE Quick Logistics & Services a relevé appel du jugement.

Aux termes de conclusions récapitulatives en date du 1er juin 1999 avec bordereau de pièces annexes, il a demandé à la Cour d'infirmer la décision de première instance tant en ce qui concerne la compétence de la juridiction saisie que la condamnation prononcée et en toute hypothèse de rejeter la totalité des demandes présentées par la SA Geneviève Langlais tout en la condamnant au paiement de la somme de 300 000 F au titre des frais non taxables exposés outre les entiers dépens.

Le GEIE entend tout d'abord faire valoir qu'en l'état des relations commerciales existant entre les parties et consistant en une relation de référencement non écrite complétée par des dispositions relatives à la logistique, les conséquences de la rupture ne pouvaient être appréciées que par le Tribunal de Commerce de Bobigny, juridiction compétente en matière contractuelle et en raison du domicile du défendeur. Si la Cour devait retenir l'absence de tout contrat entre les parties, le GEIE estime alors ne pas être le bon défendeur au procès puisqu'en ce cas, les seules relations ayant existé entre les parties et rompues en 1998 intéressent les restaurants appartenant à la SA France Quick et les restaurants franchisés.

Si la Cour devait aborder le fond du litige après avoir retenu la compétence en première instance de la juridiction de Perpignan, le GEIE a conclu au rejet de toutes les réclamations présentées par la SA Geneviève Langlais dès lors qu'il démontre que la rupture des relations n'a été ni abusive ni brutale puisque cette société a :

- été informée dès le mois de décembre 1997 de la mise en œuvre d'un appel d'offres tendant à sa mise en concurrence avec d'autres fournisseurs possibles français et européens,

- a été informée dès le 12 mars 1998 de ce que ses propositions, moins performantes que celles de ses concurrents, n'avaient pas été retenues,

- a été avisée officiellement le 9 avril 1998 de la rupture à effet au 30 mai 1998 pour la production et à effet au 18 mai 1998 puis au 1er juin 1998 pour l'approvisionnement par camions propres,

- a été autorisée, après nouvelles négociations, à poursuivre la production et l'approvisionnement des restaurants jusqu'au 1er septembre 1998, l'arrêt de toutes les relations entre les parties au 18 mai 1998 n'étant dû qu'au refus opposé par la société Geneviève Langlais d'accepter ce nouveau délai et à son intention d'engager une instance judiciaire en indemnisation immédiate de son préjudice.

Le GEIE entend enfin faire valoir qu'en tout état de cause la SA Geneviève Langlais ne peut obtenir l'octroi des dommages et intérêts réclamés et partiellement accordés par les premiers juges, dès lors que le chiffrage fourni est inexact et trompeur (absence de production des comptes consolidés pour 1998, absence des licenciements invoqués et liés à la rupture, absence d'indemnisation réellement versée par cette société à sa filiale et aux sociétés de transports consécutivement à la rupture) et dès lors que la société Geneviève Langlais ne peut pas obtenir à titre d'indemnités le financement des restructurations et délocalisations imposées par la rupture du contrat qui restait possible en l'absence de durée déterminée des relations et compte tenu du délai réellement accordé pour lui permettre de quitter le marché de l'approvisionnement des restaurants Quick.

La SA Geneviève Langlais, aux termes de conclusions récapitulatives en date du 9 juin 1999 faisant référence à un bordereau de pièces annexes jointes, a conclu à la confirmation du jugement de première instance et à la condamnation complémentaire du GEIE au paiement de la somme de 25 000 F au titre des frais non taxables exposés en appel.

Cette société a rappelé l'existence de relations commerciales suivies entre Quick et elle-même depuis 1988 à la satisfaction conjointe des deux parties et alors qu'elle-même a, durant toutes ces années, tout mis en œuvre pour fournir à Quick les produits spécifiques et les produits de base, en améliorant sans cesse la qualité des produits et des prestations fournies et en mettant en place un réseau d'approvisionnement propre à Quick pour faciliter les livraisons de produits frais plusieurs fois par semaine sur tout le territoire national.

La SA Geneviève Langlais entend cependant faire observer, contrairement aux motifs du jugement déféré, qu'elle n'a jamais été informée en fin d'année 1997 de la mise en œuvre par le GEIE d'un appel d'offres destiné à la mise en concurrence des fournisseurs potentiels des restaurants Quick. Elle estime au contraire qu'à partir du mois de novembre 1997, elle a participé à la simple renégociation des tarifs des produits, comme elle le faisait tous les deux ans à la même époque. Dès lors, elle fait valoir, qu'en lui signifiant le 9 avril 1998 la rupture des approvisionnements essentiels des restaurants Quick, le GEIE a commis une faute de nature délictuelle en l'absence d'accord écrit, faute s'analysant également en l'infraction aux dispositions de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 modifiée sanctionnant la rupture sans préavis ou sans préavis suffisant compte tenu des relations ayant antérieurement existé et des investissements réalisés.

Ainsi, la SA Geneviève Langlais justifie avoir valablement saisi la juridiction de Perpignan, juridiction dans le ressort de laquelle elle a son siège social et dans le ressort de laquelle le dommage consécutif à la rupture a été subi. Elle estime également rapporter la preuve du caractère insuffisant du préavis donné le 9 avril 1998 alors par ailleurs qu'elle conteste toute proposition faite par le GEIE de l'autoriser à approvisionner les restaurants Quick jusqu'au 1er septembre 1998. Enfin, elle fait valoir que la rupture brutale et abusive des relations commerciales (le fournisseur agréé Inveg n'étant pas plus compétitif au niveau des prix et des services proposés) lui a occasionné un très grave préjudice puisque toute son organisation (production et commercialisation) a été construite pour satisfaire la restauration rapide avec deux clients : Mc Donald's et Quick, et puisqu'elle était en droit de compter sur deux années complètes d'activités à partir du moment où la renégociation des tarifs a débuté (novembre 1997) sans aucune manifestation du groupe Quick d'ouvrir à la concurrence l'approvisionnement de ses restaurants.

La SA Geneviève Langlais fixe donc dès à présent le montant réel de son préjudice à la somme de 57 918 050 F se décomposant ainsi :

- préjudice matériel : 47 918 050 F, soit :

- indemnisation au titre de deux années de charges fixes (part de Quick représentant 29 %) soit 22 025 616 F,

- immobilisation spécifiques Quick : 4 376 185 F,

- réduction de personnel : 3 082 560 F,

- résiliation des contrats de location de véhicules avec la société Fraikin soit 13 188 559 F,

- immobilisations agricoles : 5 245 130 F,

- préjudice commercial : 10 000 000 F.

La SA Geneviève Langlais estime donc que la provision de 25 000 000 F accordée par les premiers juges doit être maintenue s'agissant de la réparation du préjudice minimum déjà subi du fait de la rupture des relations commerciales.

Sur ce / Motifs de la décision.

I - Sur les relations entre les parties et sur la compétence de la juridiction saisie.

Pour apprécier la compétence de la juridiction initialement saisie par la SA Geneviève Langlais, la Cour doit analyser préalablement les relations commerciales ayant existé entre les parties.

L'exposé des faits résultant de l'analyse des pièces produites par les deux parties, s'agissant de pièces similaires, fait clairement apparaître et sans aucune contradiction entre les intéressées, que si aucun contrat écrit n'a été signé entre le Groupe Quick et la SA Geneviève Langlais, il a existé deux types de relations commerciales :

- d'une part : des relations commerciales anciennes créées à partir de 1988 et qui se sont prolongées sans interruption jusqu'en juillet 1997 entre la SA Geneviève Langlais et la SA France Quick qui est intervenue au nom du Groupe Quick comme la centrale d'achats et de référencement des produits mis en vente par tous les restaurants Quick installés sur le territoire français et qui a facilité la conclusion ponctuelle de contrats d'achats de marchandises facturés directement par la SA Geneviève Langlais à la SA France Quick (pour ce qui concerne les restaurants lui appartenant) et à chacun des restaurants Quick franchisés,

- d'autre part : une relation commerciale nouvelle mise en place à partir du mois de juillet 1997 entre la SA Geneviève Langlais et le GEIE Quick Logistics & Services qui, à compter de sa création le 6 janvier 1997, s'est substitué à la SA France Quick pour ce qui concerne la négociation avec les fournisseurs de l'ensemble des restaurants Quick de France mais aussi du Benelux.

En conséquence, lorsque le GEIE a rompu le 9 avril 1998 toutes relations commerciales avec la SA Geneviève Langlais relativement à la fourniture de la quasi-totalité des produits destinés à ses restaurants, il faut admettre que le GEIE a mis fin non seulement aux négociations nouvellement introduites pour parvenir à la tarification des produits et services pour les années à venir mais aussi aux relations commerciales ayant existé depuis 1988.

Il y a donc eu rupture de relations pré-contractuelles et rupture de relations contractuelles (certes non écrites mais incontestables) puisque le GEIE était à la fois le nouveau négociateur et le nouveau référenceur des produits Quick mais également le successeur de la SA France Quick, ancien référenceur et correspondant de la SA Geneviève Langlais depuis 1988.

Dès lors, en assignant le GEIE Quick Logistics & Services afin qu'il soit statué sur la régularité ou l'irrégularité de la rupture des relations commerciales et de leurs conséquences, la SA Geneviève Langlais, qui n'était liée par aucun contrat avec ce groupement, pouvait parfaitement saisir la juridiction consulaire de Perpignan, juridiction dans le ressort de laquelle le préjudice a été subi, cette juridiction étant compétente au premier chef pour analyser si des fautes avaient été commises par le GEIE dans la phase pré-contractuelle et au second chef pour apprécier les conséquences de celles-ci sur la rupture de l'ensemble des relations commerciales ayant existé entre le Groupe Quick, désormais représenté par le GEIE, et la société Geneviève Langlais, étant ici précisé que la référence aux dispositions de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 modifiée par la loi du 1er juillet 1996, permet à la juridiction saisie d'apprécier les conditions de la rupture de " toute relation commerciale établie " qu'elle soit pré-contractuelle, contractuelle et même post-contractuelle, dès lors que le législateur a entendu condamner toutes ruptures préjudiciables de relations commerciales lorsque l'une des parties agit de mauvaise foi c'est-à-dire sans raison légitime unilatéralement et brutalement alors qu'elle a laissé se créer chez son partenaire une confiance dans la conclusion ou le renouvellement d'un contrat.

En conclusion, sur ce premier point, la Cour confirme le jugement rendu le 30 juin 1998 par le Tribunal de Commerce de Perpignan en ce qu'il s'est déclaré compétent pour connaître du litige opposant les parties.

II - Sur le fond du litige.

La réalité de la rupture des relations commerciales, officiellement notifiée le 9 avril 1998, est admise par les deux parties au procès qui ne s'opposent qu'en ce qui concerne le caractère de cette rupture : brutale et abusive selon la SA Geneviève Langlais, annoncée et programmée dans le temps selon le GEIE Quick Logistics & Services.

La rupture, pour être préjudiciable et ouvrir droit à des dommages et intérêts, doit être brutale, c'est-à-dire selon le droit commun " imprévisible, soudaine et violente " et selon l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 modifiée " effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords professionnels ".

Dans le cas présent, le caractère de la rupture des relations entre les parties doit être apprécié après analyse des correspondances et des documents échangés entre elles de juillet 1997 (date de notification de la création du GEIE) au jour de l'assignation (ou plutôt même au jour de la présentation de la requête en vue d'obtenir l'autorisation d'assigner à jour fixe soit le 18 mai 1998) qui marque la rupture effective des relations commerciales.

Du 31 mars 1995 au 3 juillet 1997, la SA France Quick et la SA Geneviève Langlais ont tenté de mettre en place un contrat de fourniture à exécution échelonnée qui aurait déterminé les relations entre les parties durant deux années à charge pour ces parties de reconduire le contrat par période de deux années ou de le résilier avec un préavis de 6 mois. Cette tentative a échoué sans qu'il soit nécessaire de rechercher ici la cause de l'absence de signature du projet rédigé par les conseils et les dirigeants des deux sociétés.

Cet échec a laissé les sociétés France Quick et Geneviève Langlais dans la situation antérieurement créée depuis 1997 c'est-à-dire d'un partenariat (la SA France Quick assurant le rôle de centrale d'achats et de référencement pour l'ensemble des fournisseurs des restaurants Quick) au moment où, comme tous les deux ans, s'ouvrait la traditionnelle renégociation des prix (novembre 1993 - novembre 1995 et donc novembre 1997). Toutefois, à partir de cette date, deux éléments sont venus interférer dans la situation des parties :

- d'une part, la création du GEIE Quick Logistics & Services qui est devenu pour l'ensemble du groupe Quick (France et Belgique) le seul référenceur,

- d'autre part, les difficultés financières du Groupe Quick consécutives à une stagnation voire un retrait des ventes dans les restaurants Quick obligeant à envisager une baisse du prix d'achat des produits et des services pour faire face à la concurrence des Mc Donald's.

Les négociations entre le GEIE et la société Geneviève Langlais vont commencer par une réunion tenue le 21 octobre 1997 au cours de laquelle le GEIE va faire connaître les réductions à la baisse qu'il entend obtenir sur diverses catégories de produits à distribuer en Europe.

Dans le cadre de ces négociations, le GEIE, à l'inverse des autres années où la SA Geneviève Langlais était le seul fournisseur (au titre des crudités et fruits et même de la logistique) participant à l'élaboration des nouveaux tarifs, va, à partir du mois de décembre 1997, mettre en concurrence la société Geneviève Langlais avec d'autres sociétés (VDI, Pomona, Bonduelle, Soleco, Inveg) et envisager de séparer l'achat des produits de la prestation logistique (approvisionnements par camions spécifiques des restaurants). Dans ce contexte, la SA Geneviève Langlais, comme les autres sociétés concurrentes, va effectuer des propositions chiffrées notamment à partir d'un questionnaire détaillé rédigé par le GEIE et ce, durant la période s'échelonnant de novembre 1997 à février 1998. Or, c'est à partir du dépouillement des diverses offres reçues que le GEIE va arrêter son choix des fournisseurs et en définitive préférer la société belge Inveg à la SA Geneviève Langlais.

La SA Geneviève Langlais, tout en contestant la préférence donnée à la société Inveg, a toujours nié dans le cadre du présent litige, avoir eu connaissance de sa mise en concurrence avec d'autres fournisseurs, affirmant au contraire avoir reçu toute garantie dès le début de la renégociation tarifaire concernant sa place de fournisseur référencé à condition simplement de revoir à la baisse quelques uns des tarifs et déplorant donc le comportement particulièrement déloyal du GEIE au cours des négociations.

L'analyse des correspondances échangées entre les parties (Fax du GEIE à la société Geneviève Langlais du 19 janvier 1998 - lettre de la société Geneviève Langlais au GEIE du 23 mars 1998) démontre cependant que la société Geneviève Langlais avait connaissance de sa mise en concurrence avec d'autres sociétés et de l'information donnée par le GEIE concernant l'insuffisance sensible des réductions de coût qu'elle avait proposées jusqu'au début de l'année 1998 l'invitant directement à revoir ses propositions pour, selon lui " envisager l'avenir sereinement ".

Par ailleurs, il est évident qu'après avoir été informée dès le début mars 1998 de ce qu'elle n'était pas retenue comme fournisseur du Groupe Quick, la SA Geneviève Langlais (qui alors peut-être a pris la mesure exacte de la mise en concurrence) a aussitôt vivement réagi le 23 mars 1998 en rappelant au GEIE la durée de leur collaboration et les conséquences pour elle de son éviction du marché et a par un nouveau courrier du 27 mars 1998 fait de nouvelles propositions permettant au Groupe Quick, selon sa propre expression " d'obtenir des gains importants par rapport aux autres propositions " tout en présentant les avantages au maintien de son statut de fournisseur référencé.

Il résulte de cet ensemble de constatations que, contrairement aux affirmations développées par la SA Geneviève Langlais cette société a pris connaissance, au moins au tout début de l'année 1998, qu'elle n'était plus un interlocuteur unique et privilégié du GEIE qui, souhaitant obtenir d'importantes réductions de prix, avait la volonté de restructurer complètement son réseau de fournisseurs en privilégiant les prix les plus bas et en dissociant la logistique de la production.

Dans un tel contexte, il est évident que la position de la SA Geneviève Langlais était devenue précaire dès lors que celle-ci entendait de son côté et selon ses premières propositions tarifaires présentées le 19 novembre 1997 " préserver l'équilibre financier de sa propre activité ".

En tout état de cause, la SA Geneviève Langlais ne peut affirmer qu'elle a été trompée par le GEIE au cours des négociations et la Cour, contrairement à la motivation des premiers juges, dit que le GEIE n'a jamais laissé croire à son partenaire que leurs relations allaient se poursuivre normalement.

En conclusion, la rupture des relations commerciales rendue officielle le 9 avril 1998 n'était ni imprévisible ni empreinte de mauvaise foi.

En ce qui concerne la brutalité de la rupture, celle-ci, pour ouvrir droit à des dommages et intérêts, doit résulter de l'application d'un préavis notifié dans un délai ne tenant pas compte des relations commerciales antérieures.

Dans le silence de la loi et en l'absence d'usages, les juges doivent déterminer eux-mêmes la durée d'un préavis raisonnable en prenant en considération outre l'ancienneté des relations ayant existé, les conséquences induites par la rupture en fonction des investissements effectués par le référencé au profit des distributeurs concernés et en fonction de la dépendance économique du référencé par rapport au référenceur.

Le GEIE a mis fin aux relations commerciales établies le 9 avril 1998 avec effet au 30 mai 1998 pour ce qui concerne la production et à effet au 18 mai 1998 et au 1er juin 1998 pour ce qui concerne les prestations logistiques (transports et livraisons des restaurants).

Le préavis ainsi initialement donné doit être considéré comme trop bref eu égard au fait que la SA Geneviève Langlais assurait depuis 10 ans l'approvisionnement complet des restaurants Quick pour ce qui concerne les fruits et crudités et avait donc organisé son activité pour répondre aux exigences du Groupe Quick tant en structures (cultures, personnels, machines ...) qu'en transports (locations d'ensembles routiers, embauche de chauffeurs-routiers).

Cependant, même si la société Geneviève Langlais le conteste actuellement, il est établi que ce préavis a été négocié postérieurement au 9 avril 1998 et notamment en fonction des arguments avancés par la société par ses courriers en date des 23 mars 1998, 27 mars 1998 et 16 avril 1998 et que ce préavis a été reporté au 1er septembre 1998 après plusieurs entretiens entre les dirigeants des sociétés les 5 et 7 mai 1998, la preuve de ce report résultant des explications fournies par les parties dans le cadre du présent litige et également des lettres de protestation des nouveaux fournisseurs (Inveg et Prest Services). Mais il est constant que la SA Geneviève Langlais a refusé tout report du préavis en choisissant dès le 18 mai 1998 de porter le litige devant la juridiction consulaire.

En conséquence, la Cour, contrairement à la motivation des premiers juges, dit que la rupture des relations commerciales à l'initiative du GEIE Quick Logistics & Services n'a été ni brutale ni abusive (les tarifs Inveg étant inférieurs à ceux proposés par la société Geneviève Langlais lors du choix du fournisseur agréé) alors qu'il est par ailleurs démontré que la société Geneviève Langlais n'est pas en état de dépendance économique vis-à-vis du Groupe Quick puisque son principal distributeur est Mc Donald's qui assure environ 80 % de son chiffre d'affaires à partir des 653 restaurants implantés en France.

La Cour infirme donc sur le fond du litige le jugement rendu le 30 juin 1998 et déboute la SA Geneviève Langlais de l'ensemble de ses demandes.

Pour des considérations d'équité et compte tenu de la situation économique des parties, la Cour écarte toute application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Vu l'article 696 du même code.

Par ces motifs : LA COUR : Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et après en avoir délibéré. Reçoit l'appel en la forme. Confirme le jugement rendu le 30 juin 1998 par le Tribunal de Commerce de Perpignan en ce qu'il a retenu sa compétence territoriale. L'infirme sur le fond et statuant à nouveau : déboute la SA Geneviève Langlais de l'ensemble de ses demandes. Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Condamne la SA Geneviève Langlais aux entiers dépens et autorise Me Roquette, Avoué à recouvrer directement ceux exposés en appel conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.