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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 5 mars 1998, n° 9767-96

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

FAG France (SA)

Défendeur :

Baret (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Maron

Avoués :

SCP Fievet, Rochette, Lafon, SCP Julien, Lecharny, Rol

Avocats :

Mes Crechet, Covillard.

T. com. Nanterre, prés., du 28 oct. 1996

28 octobre 1996

Faits et procédure

La société Baret, dont l'objet social est la vente de roulements et fournitures industrielles spéciales, commercialise des produits vendus par la société FAG France, filiale de la société allemande FAG AG.

Faisant grief à la société FAG France de lui appliquer sans justification, depuis le 9 septembre 1996, des tarifs discriminatoires par rapport à ceux consentis aux autres revendeurs, la société Baret a saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre pour obtenir, sous astreinte, la cessation de ces agissements.

Par ordonnance en date du 28 octobre 1996, le magistrat susdésigné a statué dans les termes ci-après ;

- renvoyons les parties à se pourvoir au fond ;

Dès à présent, à titre conservatoire,

Vu l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

Vu les dispositions des articles 872 et 873 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- Disons que jusqu'à ce que le juge du fond se soit prononcé, la société FAG France devra continuer à appliquer à la société Baret les prix tels qu'ils figurent sur le tarif au 1er juillet 1996, ou sur tout nouveau tarif se substituant à celui-ci dans les relations de FAG France avec ses distributeurs et ce, sous peine d'une astreinte provisoire de 5.000 F par infraction constatée, nous réservant la possibilité de liquider ladite astreinte ;

- Déboutons les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- Condamnons la société FAG France aux dépens.

Appelante de cette décision, la société FAG France fait grief au premier juge de ne pas s'être préalablement assuré d'une part, que les agissements qui lui sont imputés entrent dans les prévisions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, d'autre part, qu'ils sont à l'origine d'un trouble manifestement illicite, et d'avoir renvoyé, sur ces deux points, les parties à se mieux pourvoir devant le juge du fond.

Elle fait en outre valoir, à l'appui de son recours, que les nouvelles conditions tarifaires proposées à la société Baret se justifient pleinement dès lors qu'elle a mis en place un réseau de distribution des produits FAG reposant sur un ensemble d'actions et de savoir-faire spécifiques valorisant les produits de sa marque et que la société Baret a refusé de se soumettre à ces nouvelles exigences commerciales acceptées des autres revendeurs.

Elle ajoute que la différence de traitement dont fait l'objet la société Baret sur le plan tarifaire est également justifiée par le fait que cette société ne fait plus désormais partie de son réseau par suite de l'exclusion prononcée pour les motifs susindiqués à son encontre, avec préavis de six mois, par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 avril 1996.

Elle sollicite, en conséquence, le rejet de l'ensemble des prétentions formées à son encontre par la partie adverse et réclame à celle-ci une indemnité de 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Baret s'oppose, pour sa part, à l'argumentation adverse et conclut à la confirmation en toutes ses dispositions de l'ordonnance déférée par adoption de motifs, sauf à voir condamner la société FAG France à lui payer, à titre provisionnel, la somme de 8.256,89 F correspondant à la différence de prix pratiqués entre le 8 septembre 1996, date d'effet de la rupture, et le 28 octobre 1996, date du prononcé de la décision entreprise, outre une indemnité de 35.000 F, en couverture des frais de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer.

Motifs de la décision

Considérant que l'article 36 in fine de l'ordonnance du 1er décembre 1986 permet au Président de la juridiction saisie d'une action en responsabilité civile pour pratique discriminatoire d'enjoindre, en référé, la cessation des agissements en cause ou d'ordonner toute autre mesure provisoire; qu'il est en outre, de jurisprudence constante que les dispositions précitées peuvent être invoquées, même si l'action au fond n'a pas été encore introduite, dès lors que se trouvent réunies les conditions du référé de droit commun, à savoir celles posées par les articles 808, 809, 872 ou 873 du Nouveau Code de Procédure Civile;

Considérant que, en l'espèce, la société Baret a introduit son action sur le double fondement de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et des articles 872 et 873 du Nouveau Code de Procédure Civile et avant toute saisine du juge du fond ; qu'elle justifie en outre, ce qui n'est pas contesté que, depuis le 9 septembre 1996, la société FAG France lui applique un barème de prix supérieur d'environ 13 % par rapport à celui dont bénéficient les autres distributeurs ; qu'il appartient dès lors à la Cour de vérifier, comme il lui est demandé, le caractère a priori discriminatoire de la pratique dénoncée et de rechercher si ladite pratique s'analyse en un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser, ce que le premier juge n'a manifestement pas fait en se contentant de relever qu'il existe une opposition des parties sur les différents points en litige qu'il appartiendra au seul juge du fond de trancher et en faisant droit néanmoins " dans cette attente " à la mesure sollicitée par la société Baret ;

Considérant qu'il est de principe, en matière de relations commerciales, que les conditions de vente et de prix doivent être égales pour tous les distributeurs et qu'une discrimination n'est à titre exceptionnel admise que si elle est fondée sur des critères objectifs, effectifs et contrôlables;

Considérant que, pour tenter de justifier les prix discriminatoires qu'elle applique à la société Baret depuis le 9 septembre 1996, la société FAG France prétend que celle-ci a été exclue à compter de cette date de son réseau de distribution et qu'elle est fondée, depuis, à proposer à ses autres distributeurs des tarifs préférentiels en raison des services spécifiques rendus par eux, notamment en matière de savoir-faire, de fidélité et d'image donnée de ses produits ;

Considérant cependant que force est de constater que la société FAG France n'apporte aucune information objective et contrôlable sur les conditions de fonctionnement de son " réseau " de distribution ainsi que sur les raisons précises de l'exclusion de la société Baret; qu'elle se contente en effet, de faire état de " critères de distributeur FAG idéal " et de " critères de coopération de distributeur FAG " qui n'auraient pas été respectés par la société Baret et qui justifieraient l'exclusion de cette dernière alors qu'il s'agit, au vu des seules pièces produites, de critères purement subjectifs fixés par l'appelante et contrôlés par elle seule ; que, notamment, aucune information n'est fournie sur les services rendus par les autres distributeurs, pas plus qu'il n'est précisé quels distributeurs sont concernés; qu'il n'est pas davantage établi en quoi consiste l'action spécifique menée par ces derniers, ni sur quels accords précis et écrits repose leur action; que, de même, en l'absence d'accord d'achat exclusif, il ne saurait être reproché à Baret de vendre des produits concurrents, d'autant qu'il n'est pas contesté que des distributeurs appartenant au prétendu réseau mis en place par FAG, commercialisent également des produits concurrents, comme la société Roulement Service qui vend des produits SKF ; qu'il suit de ces constatations que, faute d'établir l'existence d'une contrepartie réelle apportée par les autres distributeurs de la société FAG, notamment en matière de services rendus, de quantités vendues ou de coopération commerciale, la discrimination tarifaire appliquée à la société Baret depuis le 9 septembre 1996 n'est en rien, en l'état justifiée; qu'il convient, dans ces conditions, et vu l'urgence résultant de la situation défavorable dans laquelle se trouve la société intimée, de faire cesser cette pratique discriminatoire qui s'analyse en un trouble manifestement illicite dès lors qu'elle est contraire aux prescriptions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que, plus généralement, elle porte gravement atteinte au libre jeu de la concurrence; que l'ordonnance déférée sera en conséquence confirmée, mais par substitution totale de motifs ;

Considérant que la société Baret est par ailleurs fondée à réclamer la condamnation provisionnelle de la société FAG à lui payer la somme de 8.256,89 francs, correspondant à la différence de prix appliquée sur ses commandes par rapport aux conditions tarifaires dont ont bénéficié les autres revendeurs, comme il en est justifié par le décompte versé aux débats qui ne souffre aucune contestation sérieuse ;

Considérant également qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Baret les sommes qu'elle a été contrainte d'exposer en cause d'appel pour faire rétablir ses droits ; que la société FAG France sera condamnée à lui payer une indemnité de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant enfin que l'appelante, qui succombe, supportera les entiers dépens.

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit la société FAG France en son appel, mais dit cet appel mal fondé ; Confirme, mais par substitution de motifs, en toutes ces dispositions l'ordonnance de référé rendue le 28 octobre 1996 par le Président du Tribunal de commerce de Nanterre ; Y ajoutant, Condamne à titre provisionnel la société FAG France à payer à la société Baret la somme de 8.256,89 F ; Condamne également la société FAG France à payer à la société Baret une indemnité de 10.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; La condamne enfin aux entiers dépens dont le recouvrement pourra être directement poursuivi par la SCP d'Avoués Julien-Lecharny-Rol, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.