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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 10 juin 1999, n° 210-99

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Conforama (SA), Finaref (SARL), FNAC (SA), France Printemps (SA), La Redoute France (SA)

Défendeur :

Tir Groupé (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Besse

Conseillers :

Mme Bardy, M. Pers

Avoués :

SCP Bommart & Minault, Me Treynet, SCP Lefevre-Tardy

Avocats :

Mes Lafarge, Szpiner, Bazzoli, Zerbib, Riquier

CA Versailles n° 210-99

10 juin 1999

Les sociétés Finaref, Fnac, France Printemps, La Redoute France et Conforama ont régulièrement interjeté appel du jugement prononcé le 20 novembre 1998 par le Tribunal de commerce de Nanterre qui a :

- déclaré Finaref irrecevable,

- dit les sociétés La Redoute France, France Printemps, Fnac, et Conforama recevables mais mal fondées en leur action et les en a déboutées,

- reçu la société Tir Groupé en sa demande reconventionnelle,

- condamné France Printemps et la Fnac à livrer à Tir Groupé les marchandises commandées les 5 et 10 août 1998, sous astreinte de 5.000 F par jour de retard à compter du 10e jour de la signification du jugement,

- dit que le Tribunal sera compétent pour liquider l'astreinte,

- prononcé les condamnations suivantes à titre de dommages-intérêts au profit de Tir Groupé : Fnac 600.000 F ; La Redoute France 265.000 F ; France Printemps 134.000 F ; Finaref 100.000 F pour procédure abusive,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement mais uniquement pour la livraison des commandes sous astreinte,

- condamné solidairement Finaref, La Redoute France, France Printemps, la Fnac et Conforama aux dépens et à payer à la société Tir Groupé la somme globale de 100.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

En première instance, le litige a opposé les sociétés Finaref, Fnac, France Printemps, La Redoute France et Conforama, demanderesses, à la société Tir Groupé, défenderesse.

Les sociétés Finaref, Fnac, France Printemps, La Redoute France et Conforama sont des filiales du groupe Pinault Printemps Redoute. La première est un établissement de crédit. Les quatre autres sont des sociétés exploitant sous leur enseigne de nombreux établissements de distribution de biens et de services, dans des magasins répartis sur tout le territoire national, et par correspondance.

La société Tir Groupé est une société à responsabilité limitée, créée en 1983, au capital actuellement de 1.050.000 F, dont l'une des activités principales est de vendre à sa clientèle composée essentiellement de comités d'entreprises et de collectivités locales, mais également d'associations et d'entreprises, des chèques-cadeaux qu'elle achète à des fournisseurs comprenant les sociétés du groupe PPR, mais également de nombreuses autres, telles les sociétés Galeries Lafayette, BHV, Le Bon Marché, 3 Suisses, Darty, Tati, Pier Import, Gymnase Club, Total, Le Club Med, La Samaritaine, Fauchon etc...

La société Tir Groupé indique :

- qu'elle a connu un développement continu qui s'est accéléré au cours des années 1995 à 1998 puisqu'elle a environ triplé pendant cette période son chiffre d'affaires ainsi que son bénéfice,

- qu'elle emploie près de 70 salariés,

- que pour l'exercice clos au 30 avril 1998 son chiffre d'affaires s'est élevé à 199 millions de F, dont 19,15 % réalisé avec les sociétés Fnac, France Printemps et La Redoute France,

- que son bénéfice pour cet exercice s'est élevé à 1.891 KF,

- qu'elle achète les chèques-cadeaux avec une remise de 12 à 16 % de leur valeur faciale, suivant les quantités achetées et les enseignes.

Les sociétés du groupe PPR indiquent :

- que la société Finaref émet les chèques-cadeaux qui serviront à acheter des biens ou des services dans leurs différents établissements,

- qu'il existe des chèques-cadeaux mono-enseigne, et des chèques de cadeaux multi-enseignes valables dans plusieurs enseignes du groupe,

- que la société Tir Groupé ne vend pas les chèques-cadeaux émis par elles, mais émet elle-même des " chèques-cadeaux Tir Groupé " qu'elle vend aux comités d'entreprises, collectivités locales, associations, et entreprises, et qui sont ensuite échangés par les clients finaux avec les chèques-cadeaux émis par elles, mais également avec les chèques-cadeaux émis par les nombreuses autres sociétés en relation avec Tir Groupé, selon le choix du bénéficiaire du " chèque-cadeau Tir Groupé ",

- que ce choix se fait au vu d'un catalogue édité par Tir Groupé et sur lequel apparaît la liste de toutes les entreprises parmi lesquelles le client final peut choisir.

Au cours des dix dernières années, la société Tir Groupé a acheté de manière régulière des chèques-cadeaux à trois des sociétés demanderesses, puis appelantes, les sociétés Fnac, La Redoute France et France Printemps.

Les parties précisent que ces relations commerciales se sont poursuivies sans convention écrite, mais estiment que des "conventions tacites " se sont créées.

Le présent litige résulte de l'initiative prise par les vendeurs, de ne plus honorer les commandes de chèques-cadeaux passées par Tir Groupé.

Le 10 juin 1998, Finaref a adressé à Tir Groupé une lettre aux termes de laquelle elle lui a demandé de lui transmettre les informations permettant de justifier que ses dirigeants respectaient les obligations énoncées à l'article 13 de la loi du 24 janvier 1984.

La société Tir Groupé lui a répondu que n'étant pas un établissement de crédit, elle n'était pas concernée par les dispositions de la loi du 24 janvier, que l'inscription " chèques " sur ces documents revêtait un caractère publicitaire excessif et qu'enfin les chèques-cadeaux n'étaient pas des instruments de paiement mais des bons d'achat donnant droit à des prestations variées.

Par actes d'huissier en date des 17 et 26 août 1998, les sociétés Finaref, Fnac, France Printemps, La Redoute France, Conforama ont fait assigner la société Tir Groupé en demandant au Tribunal de commerce d'annuler sur le fondement de la loi du 24 janvier 1984 et des articles 6 et 1133 du Code civil, et subsidiairement de prononcer la résolution sur le fondement de l'article 1184 du Code civil, des conventions et de condamner la société Tir Groupé à payer à chacune d'elles la somme de 1.000.000 F de dommages-intérêts.

La société Tir Groupé a conclu à l'irrecevabilité et au mal fondé des demandes, et a formé des demandes reconventionnelles en délivrance forcée des chèques-cadeaux, sous astreinte, et en paiement des dommages-intérêts pour rupture brutale de relations commerciales.

Par jugement en date du 20 novembre 1998, le Tribunal de commerce de Nanterre a statué ainsi qu'il est indiqué en préambule.

Les sociétés Finaref, France Printemps, La Redoute France, Fnac et Conforama ont interjeté appel de ce jugement et demandent à la Cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevables les actions intentées par les sociétés Conforama, Fnac, France Printemps et La Redoute France,

- d'infirmer le jugement pour le surplus,

- de déclarer irrecevables l'intervention volontaire des salariés de la société Tir Groupé, et de condamner chacun d'eux à payer à chacune d'elles la somme de 1.000 F à titre de dommages-intérêts et la somme de 1.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- de déclarer recevable l'action intentée par la société Finaref,

- de déclarer nulles les conventions intervenues entre elles et la société Tir Groupé,

- subsidiairement de prononcer la résolution des conventions aux torts exclusifs de la société Tir Groupé,

- en toute hypothèse de condamner la société Tir Groupé à leur payer, à chacune, la somme de 1.000.000 F au titre de dommages-intérêts pour l'utilisation abusive de leurs signes commerciaux ou dénominations sociales,

- de leur donner acte de ce qu'elles se réservent d'obtenir réparation du préjudice commercial que leur a causé la société Tir Groupé en les privant du courant d'affaires qu'elles étaient en droit d'attendre du comportement d'un cocontractant loyal,

- de débouter la société Tir Groupé de ses prétentions et de la condamner à leur payer la somme de 100.000 F, à chacune, au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les sociétés appelantes soutiennent :

- d'une part que la société Tir Groupé est un établissement de crédit en faisant observer que les chèques-cadeaux constituent des moyens de paiement, qu'en les achetant pour les revendre, la société Tir Groupé met à la disposition de sa clientèle et gère des moyens de paiement, que ce faisant elle effectue à titre professionnel des opérations de banque et qu'en conséquence elle entre dans la définition de l'établissement de crédit, telle qu'elle ressort de l'article 1er de la loi du 24 janvier 1984,

- d'autre part que la société Tir Groupé est un intermédiaire en opérations de banque au sens du chapitre VI de la même loi, car Finaref, établissement de crédit émet les chèques-cadeaux qui sont des moyens de paiement, et charge les sociétés La Redoute France, Fnac et France Printemps de les placer auprès de la société Tir Groupé qui à son tour est chargée de les placer auprès de ses propres clients.

Pour soutenir que les chèques-cadeaux sont des moyens de paiement et des instruments de transfert de fonds, les sociétés appelantes font notamment valoir :

- que les chèques-cadeaux permettent des paiements libératoires dans l'une de leurs enseignes, pour leur valeur faciale,

- que ces enseignes exercent leurs activités dans le domaine de la grande distribution, et offrent un nombre très important et extrêmement varié de produits, biens ou services destinés à la consommation grand public,

- que les chèques-cadeaux sont au porteur et permettent l'achat de produits, biens ou services indéterminés auprès des magasins identifiés par leur enseigne,

- que le chèque-cadeau est un instrument de paiement puisque par son intermédiaire une somme d'argent est transférée du porteur au commerçant,

- que la société Finaref a émis des chèques-cadeaux " multi-enseignes ", et a passé le 25 mars 1996 des contrats de mandat avec les sociétés Fnac, France Printemps et La Redoute France,

- que le chèque-cadeau mono enseigne est un bon d'achat, mais qu'il n'en est pas de même du chèque-cadeau multi enseignes qui ne peut être distribué que par mandat délivré par Finaref, et réglé par une convention,

- que le chèque-cadeau est un moyen de paiement parce qu'il est émis par un établissement de crédit, la société Finaref,

- qu'il est indiqué sur le chèque-cadeau qu'il " permet de régler tous les achats de produits proposés par... ",

- que le chèque-cadeau circule entre différentes personnes pour ce qu'il représente sur le plan monétaire et non par référence à un produit ou à une prestation déterminée,

- que le chèque-cadeau contribue ainsi à la création monétaire,

- que dans sa présentation sur Minitel, Tir Groupé précise que le chèque-cadeau peut n'être utilisé que pour une partie,

- que dans son catalogue Tir Groupé indique qu'il est possible de faire opposition,

- que les chèques-cadeaux sont vendus aux particuliers aux guichets de la Fnac ou de France Printemps, mais sont également distribués par des intermédiaires, tel Tir Groupé, Motiv'Force et Stimula,

- que l'article 12-5 de la loi du 24 janvier 1984 permet aux entreprises d'émettre des bons et des cartes utilisables chez elles, mais n'indique pas que ces instruments ne sont pas des moyens de paiement,

- que cet article, dérogatoire, doit s'interpréter restrictivement et ne peut s'appliquer lorsque les bons d'achat sont utilisables auprès de multiples enseignes,

- qu'il ne s'applique pas non plus lorsque les bons d'achat circulent par des intermédiaires, comme en l'espèce

- que Tir Groupé démarche ses clients composés de comités d'entreprises, de collectivités locales, d'associations, et d'autres entités, non seulement pour elles-mêmes, mais pour un grand nombre d'autres sociétés, et vend en fait des " chèques-cadeaux Tir Groupé " qui sont ensuite échangés par les clients finaux avec les chèques-cadeaux émis par le commerçant auprès duquel ils ont choisi de les utiliser,

- qu'à cette fin, Tir Groupé édite un catalogue et des objets publicitaires sur lesquels figurent notamment les chèques-cadeaux des enseignes Au Printemps, la Fnac, et La Redoute,

Les sociétés appelantes demandent à la Cour de prononcer l'annulation de la convention intervenue tacitement mais nécessairement avec Tir Groupé parce que cette dernière refuse de justifier du respect des dispositions impératives de la loi du 24 janvier 1984. Elles précisent dans les motifs de leurs conclusions qu'elles sollicitent " l'autorisation judiciaire de mettre un terme aux relations commerciales qu'elles entretenaient avec Tir Groupé ". Cette demande est fondée également sur le non respect de la loi du 24 janvier 1984 qui affecte d'une nullité d'ordre public les relations contractuelles avec Tir Groupé. A titre subsidiaire les sociétés appelantes demandent la résolution des conventions passées avec Tir Groupé, également pour défaut de respect de la loi du 24 janvier 1984.

Les sociétés appelantes demandent incidemment à Tir Groupé d'exercer une activité illicite et fautive qui réalise une concurrence déloyale qui leur est dommageable.

La société Tir Groupé demande à la Cour, vu les articles 1184 du Code civil, 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

- de déclarer les sociétés appelantes irrecevables en leurs actions, en raison d'un défaut d'intérêt et de qualité à agir en justice à son encontre,

- subsidiairement de déclarer ces actions mal fondées,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- déclaré Finaref irrecevable,

- reçu la société Tir Groupé en sa demande reconventionnelle,

- condamné les sociétés France Printemps et Fnac à lui livrer les marchandises commandées les 5 et 10 août 1998 sous astreinte de 5.000 F par jour de retard,

- condamné Finaref à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- prononcé, en son principe, les condamnations de la Fnac, de France Printemps et de La Redoute France à lui payer des dommages-intérêts,

- d'infirmer le jugement pour le surplus,

- de condamner à lui payer à titre de dommages-intérêts pour brusque rupture des relations commerciales, manque à gagner, atteinte à l'image de marque, frais afférents à la désorganisation de la société, et pratiques déloyales et anticoncurrentielles :

- la Fnac la somme de 2.400.000 F,

- France Printemps la somme de 600.000 F,

- La Redoute France la somme de 1.000.000 F,

- de lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de solliciter ultérieurement la résolution des conventions aux torts des sociétés Fnac, La Redoute France et France Printemps,

- de lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de solliciter ultérieurement la résolution des conventions aux torts des sociétés Fnac, La Redoute et Printemps, étant entendu qu'elle s'est contentée, à ce jour, de solliciter l'exécution forcée des conventions de fournitures et l'indemnisation de son préjudice provisoire dans l'attente de la reprise des relations contractuelles,

- de lui donner acte de ce qu'elle ne peut aujourd'hui présumer de l'intention future des sociétés Fnac, La Redoute et France Printemps de cesser leurs relations commerciales sur un principe autre que celui qui est aujourd'hui invoqué relatif à l'application éventuelle de la loi bancaire,

- de condamner les sociétés Finaref et Conforama à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- de condamner chacune des sociétés Finaref, Fnac, La Redoute France, France Printemps et Conforama à lui payer ma somme de 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Tir Groupé fait notamment valoir :

- que l'une de ses activités consiste à commercialiser et à distribuer des chèques-cadeaux

- que les produits distribués grâce aux chèques-cadeaux sont de toute nature,

- qu'elle achète les chèques-cadeaux à de multiples fournisseurs tels, outre trois des sociétés appelantes, les sociétés Galeries Lafayette, BHV, Le Bon Marché, 3 Suisses, Darty, Tati, Pier Import, Gymnase Club, Total, Le Club Med, La Samaritaine, Fauchon... et les revend à une clientèle d'entreprises, de comités d'entreprises, de collectivités locales et particulièrement de mairies, d'associations,

qu'elle édite et distribue annuellement un catalogue dans lequel elle présente ses activités et ses fournisseurs,

- qu'elle vend à ses clients des " bons cadeaux Tir Groupé " qui s'analysent comme des bons de commande dont le bénéficiaire lui demande l'échange contre des chèques-cadeaux de l'un de ses fournisseurs,

- que chacun de ses fournisseurs définit pour les chèques-cadeaux qu'il émet, leur montant, leur forme, leur date de validité, la nature des prestations auxquelles ils donnent droit, leurs modalités d'échange,

- qu'elle doit disposer d'un stock suffisant de chèques-cadeaux de chacun de ses fournisseurs, pour pouvoir faire face à la demande des clients finaux,

- que cette contrainte pèse sur sa trésorerie car elle paie ses fournisseurs dans la majorité des cas au comptant,

- qu'elle se doit en conséquence de gérer au plus près ses commandes de chèques-cadeaux,

- que toute rupture de stock la placerait en situation délicate vis-à-vis de sa clientèle,

- que c'est la raison pour laquelle elle n'a pour fournisseurs que les plus grandes enseignes nationales,

- que l'action des sociétés appelantes est fondée sur son refus de se considérer comme un établissement de crédit soumis à la loi du 24 janvier 1984, alors que, d'après celles-ci, elle mettrait à la disposition de sa clientèle des chèques-cadeaux qui sont des moyens de paiement,

- que cette argumentation n'est pas fondée, car le chèque-cadeaux n'est pas un moyen de paiement,

- que le terme de " chèque " constitue un abus de langage car il serait plus adapté de parler de " bons cadeaux ",

- que les chèques-cadeaux dépendant dans leur forme et leur portée des contrats d'adhésion que proposent à leurs clients les entreprises qui les ont créés,

- que les chèques-cadeaux sont des moyens de retrait d'un produit déjà payé et peuvent s'analyser comme des reçus permettant d'obtenir, de personnes contractuellement déterminées, une prestation pré-payée par un tiers,

- que contrairement aux moyens de paiement qui sont acceptés partout, qui ont une valeur universelle, les chèques-cadeaux ne sont acceptés que par les personnes contractuellement définies, qui se sont engagées à admettre ces bons comme valables,

- que le bénéficiaire final du chèque-cadeau qui le remet au commerçant n'opère pas un transfert de fonds, puisque ce commerçant a déjà reçu le paiement du produit qu'il échange avec le bon,

- que le chèque-cadeau représente un bien de consommation déterminé contractuellement,

- que par exemple les chèques-cadeaux émis par la Fnac précisent qu'ils ne peuvent être échangés contre des livres, cette stipulation étant imposée par l'interdiction des remises supérieures à 5 % sur ces produits,

- qu'en fait le chèque-cadeau est un produit ou une marchandise que quiconque est libre d'acquérir au même titre que n'importe quel produit de consommation,

- qu'il ne peut être de numéraire contre la remise d'un chèque-cadeau,

- que l'article 12-5 de la loi du 24 janvier 1984 ne fait que constater que les bons et cartes émis par une entreprise n'ont pas la nature de moyens de paiement, en précisant que leur émission n'est pas soumise à la loi bancaire,

- que les comités d'entreprise, les collectivités locales, les associations, les entreprises qui achètent des chèques-cadeaux pour les revendre ou les donner, ne font ni plus ni moins qu'elle-même quand elle achète des chèques-cadeaux et qu'en conséquence, à suivre le raisonnement des sociétés appelantes, ces personnes morales devraient être considérées comme des établissements de crédit, soumis à la loi du 24 janvier 1984.

Tous les salariés, au nombre de 61, sont intervenus volontairement en cause d'appel et demandent à la Cour de faire droit aux demandes de la société Tir Groupé, de condamner solidairement les sociétés Finaref, La Redoute, France Printemps, Fnac et Conforama à payer à chacun d'eux la somme de 3.000 F en réparation de leur préjudice moral, et de condamner les mêmes sociétés, avec la même solidarité, à leur payer la somme de 25.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Au soutien de leurs demandes, les salariés font notamment valoir :

- que si les sociétés du Groupe PPR triomphaient dans leur action, la société qui les emploie perdrait 19,15 % de son chiffre d'affaires,

- que cette diminution entraînerait inéluctablement des licenciements pour motif économique,

- que l'intervention de chacun d'eux est recevable car ils ont un intérêt évident à soutenir la société Tir Groupé dans ses moyens de défense, comme dans ses demandes reconventionnelles,

- que l'état d'incertitude lié au maintien de leur emploi constitue un préjudice personnel, direct et actuel qui justifie les dommages-intérêts qu'ils réclament en réparation de leur préjudice moral.

Discussion

1/ Sur la recevabilité de l'action de la société Finaref

Considérant que pour soutenir que son action est recevable, la société Finaref fait notamment valoir :

- que Tir Groupé refuse de respecter les obligations imposées par la loi du 24 janvier 1984 bien que celle-ci soit un établissement de crédit,

- que la violation de ces obligations constitue une infraction pénale dont elle ne veut pas se rendre complice,

- que les sociétés La Redoute France, Fnac, France Printemps, lorsqu'elles vendent des chèques-cadeaux à la société Tir Groupé agissent en son nom, en vertu de mandats qu'elle leur a délivrés le 25 mars 1996,

- que Finaref apparaît comme l'émetteur des chèques-cadeaux sur ceux-ci, ainsi que dans les conditions générales de vente des chèques-cadeaux de la Fnac

- qu'en émettant à destination de Tir Groupé des chèques-cadeaux vendus par ses mandataires, elle l'autorisait nécessairement à prendre la qualité d'intermédiaire en opérations de banque

- qu'elle doit donc exiger la signature d'un mandat écrit, comme l'exige l'article 68 de la loi du 24 janvier 1984,

Considérant que pour soutenir que l'action de la société Finaref est irrecevable, la société Tir Groupé fait notamment valoir :

- que la société Finaref est un établissement de crédit du Groupe PPR qui émet les chèques-cadeaux pour le compte des sociétés du Groupe,

- que jusqu'au courrier que lui a envoyé la société Finaref le 10 juin 1998, cette société lui était totalement inconnue,

- qu'elle n'a jamais eu de relations commerciales avec cette société,

- que cette dernière ne saurait donc demander en justice l'annulation et subsidiairement la résolution de ces relations,

- qu'elle adresse directement les bons de commande des chèques-cadeaux aux sociétés Fnac, La Redoute France et France Printemps qui assurent elles-mêmes la livraison et la facturation, et reçoivent directement le paiement qu'elle leur envoie ;

Considérant que, contrairement à ce qu'elle prétend, la société Finaref ne demande pas à la société Tir Groupé la régularisation de son statut d'intermédiaire en opérations de banque, par la signature, avec elle d'un contrat de mandat écrit conforme aux dispositions de l'article 68 de la loi du 24 janvier 1984 ; qu'en effet, toutes les sociétés appelantes, et donc la société Finaref formulent les mêmes demandes, à savoir :

- l'annulation des conventions tacites qui existeraient entre elles et la société Tir Groupé,

- subsidiairement la résolution de ces conventions tacites,

- en réalité la constatation judiciaire qu'elles ont, à bon droit, mis fin aux relations commerciales établies entre elles et la société Tir Groupé ;

Considérant que de telles demandes ne peuvent être formées que par les cocontractants aux conventions tacites invoquées, ou par les sociétés qui ont des relations commerciales établies ;

Considérant que les seules relations commerciales existant entre les sociétés sont les achats de chèques-cadeaux par la société Tir Groupé aux sociétés France Printemps, Fnac et La Redoute France ; qu'en effet il n'est pas contesté que les bons de commandes, puis les paiements sont adressés par la première à chacune des trois autres sociétés qui établissent elles-mêmes leurs factures ;

Considérant que la société Finaref prétend à tort qu'elle émet les chèques-cadeaux et que les sociétés Fnac, La Redoute France et France Printemps agissent comme ses mandataires ;

Considérant qu'au contraire, c'est la société Finaref qui émet et gère les chèques-cadeaux pour le compte de chacune des sociétés ; qu'en effet les chèques-cadeaux ne peuvent être émis que par le commerçant, ou l'ensemble contractuellement lié de commerçants, qui s'engage à fournir en contrepartie des biens ou des services ; que nul autre ne peut remplir cette obligation ; que la société Finaref ne peut en aucun cas émettre des chèques-cadeaux utilisables auprès d'autres sociétés, feraient-elles partie du même Groupe, car elle ne peut prendre l'engagement, à la place de ces sociétés, de fournir des prestations susceptibles d'être distribuées par l'intermédiaire de chèques-cadeaux ; qu'en tout cas Tir Groupé n'a jamais acheté de chèques-cadeaux échangeables contre des biens ou des services fournis par Finaref ; que lorsque Finaref " émet " des chèques-cadeaux, elle le fait pour le compte des sociétés distributrices des biens et des services, et ne remplit qu'une tâche matérielle d'édition et de gestion ; qu'en conséquence le fait que le nom de Finaref apparaisse sur les chèques-cadeaux n'entraîne aucune relation contractuelle entre les acheteurs de ces chèques-cadeaux et Finaref ; que les relations contractuelles ne se nouent qu'entre les sociétés mandantes et Tir Groupé ;

Considérant que Finaref ne peut pas plus invoquer les conventions de mandat passées avec les autres sociétés appelantes le 25 mars 1996 parce que ces conventions ne sont pas opposables à Tir Groupé qui y est étrangère ; qu'en outre, et contrairement aux apparences, ainsi qu'il vient d'être indiqué, ces conventions constatent un mandat donné à Finaref, et non l'inverse ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Tir Groupé n'a acheté des chèques-cadeaux qu'aux sociétés Fnac, La Redoute France et France Printemps ; que Tir Groupé n'a donc établi des relations commerciales qu'avec ces trois sociétés ; que les conventions tacites qui auraient découlé, d'après les parties, de ces relations commerciales, ne peuvent concerner que les mêmes trois sociétés ; qu'en conséquence Finaref n'a ni relations commerciales, ni convention tacite avec Tir Groupé ; qu'elle n'a donc pas qualité, et n'est donc pas recevable à demander la rupture de ces relations commerciales, ni l'annulation ou la résolution de ces conventions tacites ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que l'action de Finaref est irrecevable ;

Considérant qu'arguant de son statut d'établissement de crédit qui ne lui crée pourtant pas de tels droits, la société Finaref est intervenue dans des relations commerciales liant des tiers, et a intenté et poursuivi la présente action, alors qu'elle n'avait manifestement pas qualité pour le faire, et qu'au surplus les moyens invoqués manquaient de pertinence et même de sérieux ; qu'elle a ainsi abusé de son droit d'ester en justice et a causé à la société Tir Groupé un préjudice qu'elle doit réparer ; que les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice ; que la condamnation de la société Finaref à payer la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts sera confirmée ;

2/ Sur la recevabilité de l'action intentée par la société Conforama

Considérant que la société Tir Groupé soutient que l'action de la société Conforama est irrecevable car cette dernière n'a réalisé aucun chiffre d'affaires avec elle et qu'il n'existe, tout au plus, qu'une simple autorisation de sa part de proposition des produits ;

Considérant que les sociétés appelantes n'opposent aucune argumentation à l'exception d'irrecevabilité soulevée par Tir Groupé ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, Tir Groupé n'a passé des commandes et payé les factures, qu'aux sociétés Fnac, France Printemps et La Redoute France, et n'a eu aucune relation commerciale avec la société Conforama ;

Considérant toutefois que les chèques-cadeaux émis par chacune des trois sociétés France Printemps, La Redoute France et Fnac sont utilisables dans les magasins de la société Conforama ; que cependant la société Tir Groupé est étrangère aux accords qui ont été passés entre ces quatre sociétés et selon lesquels les bons d'achat émis par l'une seront utilisables auprès des autres ; que notamment la société Tir Groupé ignore comment l'argent qu'elle a donné à l'une des sociétés pour acheter les chèques-cadeaux parviendra à la société Conforama qui aura donné des marchandises en échange de ces bons d'achat ; qu'ainsi les accords qui ont pu être passés par chacune de ses cocontractantes avec des tiers ne créent aucune relation commerciale, ni aucune relation contractuelle entre ces tiers et la société Tir Groupé ;

Considérant qu'il convient de constater, comme pour Finaref, que les relations commerciales n'ont existé qu'avec les sociétés France Printemps, La Redoute France et Fnac, et n'ont pu générer la convention tacite prétendue qu'avec ces trois sociétés, et qu'en conséquence la société Conforama est irrecevable à demander la rupture de ces relations commerciales qui ne la concernent pas, ni l'annulation ou la résolution de la convention tacite à laquelle elle n'est pas partie ;

3/ Sur la recevabilité de l'intervention volontaire des salariés de la société Tir Groupé et sur la recevabilité de leurs demandes

Considérant que les salariés de la société Tir Groupé interviennent volontairement en cause d'appel et demandent à la Cour de faire droit aux demandes de la société Tir Groupé, de condamner solidairement les sociétés Finaref, La Redoute, France Printemps, Fnac et Conforama à payer à chacun d'eux la même somme de 3.000 F en réparation de son préjudice moral, et de condamner les mêmes sociétés, avec la même solidarité, à leur payer la somme de 25.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant que l'intervention volontaire en cause d'appel des personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance, est subordonnée à la seule existence d'un intérêt pour celui qui la forme et d'un lien suffisant avec les prétentions originaires ;

Considérant qu'en l'espèce ces conditions sont remplies puisque les salariés fondent leurs demandes sur la rupture fautive des relations commerciales et que ce fondement est un de celui qui a été invoqué par la société Tir Groupé en première instance ;

Que l'intervention volontaire des salariés est donc recevable au regard des dispositions de l'article 554 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Mais considérant que n'ont qualité pour agir que les personnes qui peuvent invoquer un intérêt actuel et direct ;

Considérant que les salariés invoquent le préjudice moral lié à l'incertitude sur le maintien de leur emploi par suite de la rupture des relations commerciales avec les sociétés du Groupe PPR ;

Considérant que cette rupture ne cause de préjudice direct qu'à la société Tir Groupé ; que les préjudices subis par voie de conséquence par tous les partenaires économiques de cette société, et notamment par ses salariés, sont des préjudices indirects qui ne peuvent donner lieu à réparation au profit de ces partenaires ;

Considérant qu'il s'en déduit que les salariés ne peuvent invoquer un préjudice direct, qu'ils n'ont pas qualité pour agir, et que leurs demandes sont irrecevables au regard des dispositions de l'article 31 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant que compte tenu de cette irrecevabilité, les dépens de son intervention volontaire seront mis à la charge de chacun des salariés ;

Qu'il s'en déduit que les demandes que les salariés forment sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile sont irrecevables ;

4/ Sur la recevabilité de l'action en ce qu'elle est intentée sur le fondement de la loi bancaire du 24 janvier 1984

Considérant que la société Tir Groupé soutient que les actions intentées par les sociétés appelantes sont irrecevables en ce qu'elles sont fondées exclusivement, devant la Cour d'appel, sur la loi bancaire du 24 janvier 1984 ;

Mais considérant que, quelle que soit la pertinence des moyens invoqués, toute partie qui se prétend liée par une convention peut s'adresser à justice pour en demander l'annulation ou pour en faire prononcer la résolution aux torts de l'autre partie ;

Considérant que tel est l'objet des actions des sociétés appelantes qui se fondent sur la loi du 24 janvier 1984, mais aussi sur les articles 6 et 1133 du Code civil pour demander la nullité des conventions, et subsidiairement sur l'article 1184 du Code civil pour demander la résolution des conventions, au motif que la société Tir Groupé refuse de se soumettre aux obligations de la loi du 24 janvier 1984 ; que ces demandes sont donc recevables ;

Considérant que se trouve également recevable la demande des sociétés Fnac, La Redoute France et France Printemps tendant à être judiciairement autorisées à mettre un terme aux relations commerciales qu'elles entretenaient avec Tir Groupé ; que de même est recevable la demande de la société Tir Groupé en paiement de dommages-intérêts pour brusque rupture des relations commerciales établies avec ces trois sociétés ;

Considérant qu'il convient d'examiner au fond les demandes ainsi jugées recevables ;

5/ Sur la nécessité de savoir si les chèques-cadeaux sont des moyens de paiement

5-1/ La qualité d'établissement de crédit de Tir Groupé au sens des articles 1er et 4 de la loi du 24 janvier 1984 dépend du point de savoir si les chèques-cadeaux sont des moyens de paiement

Considérant que les sociétés France Printemps, La Redoute France et Fnac prétendent que la société Tir Groupé est un établissement de crédit aux sens des articles 1er et 4 de la loi du 24 janvier 1984, parce que celle-ci met à la disposition de la clientèle et gère des chèques-cadeaux, et que ces chèques-cadeaux sont des instruments de paiement ; que leur argumentation repose donc sur la qualité d'instrument de paiement des chèques-cadeaux

5-1-1/ L'article 1er définit l'établissement de crédit

Considérant que l'article 1er de la loi 84-46 du 24 janvier 1984 dispose :

" Les établissements de crédit sont des personnes morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque. "

" Les opérations de banque comprennent la réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement. " ;

Considérant que les sociétés appelantes ne soutiennent pas que la société Tir Groupé reçoive des fonds du public ou effectue des opérations de crédit, mais prétendent seulement qu'elle met à la disposition de la clientèle et gère des moyens de paiement, puisque, d'après elles, les chèques-cadeaux sont effectivement des moyens de paiement ;

5-1-2/ L'article 4 définit les moyens de paiement

Considérant que la loi du 24 janvier 1984 définit les " moyens de paiement " dans son article 4 ainsi rédigé :

" Sont considérés comme moyen de paiement tous les instruments, qui, quel que soit le support ou le procédé technique utilisé, permettent à toute personne de transférer des fonds. " ;

Considérant que les sociétés du groupe PPR soutiennent que le chèque-cadeau permet de transférer des fonds, de l'utilisateur du chèque-cadeau vers le commerçant qui l'a émis et qui l'accepte en échange de divers biens et services ;

Qu'elles entendent ainsi démontrer que le chèque-cadeau est un instrument de transfert de fonds, et donc un moyen de paiement ;

Qu'elles en tirent la conséquence que la société Tir Groupé met à la disposition de la clientèle et gère des moyens de paiement, et doit donc remplir les obligations des établissements de crédit ;

5-2/ La qualité d'intermédiaire en opérations de banque au sens de l'article 68 de la loi du 24 janvier 1984 dépend également du point de savoir si les chèques-cadeaux sont des moyens de paiement

Considérant que les sociétés appelantes soutiennent en second lieu que la société Tir Groupé est un intermédiaire en opérations de banque au sens de l'article 68 de la loi du 24 janvier 1984 dans la mesure où elle distribue les chèques-cadeaux que la société Finaref émet en sa qualité d'établissement de crédit ;

Considérant que cette argumentation repose donc également sur le point de savoir si le chèque-cadeau est un moyen de paiement ;

6/ Sur la nécessité de décrire les chèques-cadeaux utilisés en l'espèce

6-1/ L'expression " chèque-cadeau " recouvre diverses réalités, au gré des conventions qui les créent

Considérant que le terme de " chèque-cadeau " a été inventé par la pratique commerciale et recouvre de multiples réalités ; que ce terme n'a aucune signification juridique ; que notamment l'emploi du terme " chèque " ne doit pas tromper sur le fait que, quels que soient sa forme et son contenu le " chèque-cadeau " n'est en rien assimilable à un " chèque " qui représente quant à lui une institution juridique définie et réglementée ;

Considérant que l'on peut supposer que le choix de la formule " chèque-cadeau " pour désigner les différents bons de réduction, bons d'achat ou reçus que cette formule peut recouvrer a été choisie par les commerçants pour son attrait et donc dans un but de promotion des ventes ;

Considérant que les apparences données à ces bons de réduction, bons d'achat ou reçus et qui tendent à les faire ressembler le plus possible à un " chèque " ont le même but commercial et ne les rapprochent en rien de l'institution juridique qu'ils cherchent à imiter ;

Considérant que les chèques-cadeaux se rapprochent de divers produits tels les " chèques vacances ", les tickets restaurant ", les " chèques essence ", les " chèques transport ", les " chèques théâtre " ; qu'il n'est pas à la connaissance de la Cour, ni prétendu par les parties, que ces sortes de bons d'achat ou de reçus, comme les " chèques cadeau ", aient déjà été présentés devant une juridiction comme des moyens de paiement, avant la présente instance ;

Considérant en revanche que la jurisprudence a déjà pu constater que les " chèques de voyage " ne sont pas des chèques, même s'ils en ont l'apparence extérieure ; que toutefois il ne s'agit pas de bons d'achat, comme les chèques-cadeaux, mais un engagement de payer, contracté par le banquier émetteur, et constituant donc, vraisemblablement, un instrument de transfert de fonds, et un moyen de paiement ;

6-2/ Sur la forme et le contenu des chèques-cadeaux en l'espèce

Considérant que compte tenu de la diversité des réalités que peut recouvrir le terme de chèque-cadeau, il est nécessaire de préciser quels sont la forme et le contenu des chèques-cadeaux de l'espèce ;

Considérant qu'il convient de distinguer les chèques émis par les sociétés du groupe PPR et les chèques-cadeaux émis par la société Tir Groupé ; qu'en effet :

- la société Tir Groupé achète les chèques-cadeaux émis par les sociétés du groupe PPR, mais vend à ses clients, les comités d'entreprise, collectivité locales, associations et entreprises des " chèques-cadeaux " qu'elle émet elle-même,

- les clients finaux achètent ou se voient attribuer par donation les chèques-cadeaux émis par la société Tir Groupé, et doivent échanger ces derniers contre les chèques-cadeaux émis par les fournisseurs de biens ou de services qui peuvent être les sociétés du groupe PPR, mais aussi d'autres fournisseurs qui vendent également des chèques-cadeaux à Tir Groupé ;

Considérant qu'en d'autres termes les " chèques-cadeaux utilisables " ne parviennent aux consommateurs que par échange avec des " chèques-cadeaux émis par la société Tir Groupé " ; que les consommateurs choisissent l'enseigne dans laquelle ils désirent faire leurs achats sur une liste de fournisseurs figurant dans un catalogue, qu'ils peuvent consulter ou qui leur est donné ;

Considérant que les " chèques-cadeaux Tir Groupé " ne constituent que des " bons d'échange ", et ne font que refléter la nature des chèques-cadeaux qu'ils permettent d'obtenir par échange ; qu'il suffit dès lors d'examiner la forme et le contenu des chèques-cadeaux utilisables par les consommateurs et donc émis par les sociétés distributrices ;

Considérant que ces chèques-cadeaux présentent les caractéristiques suivantes :

- ils sont remis contre paiement à la société Tir Groupé,

- ils ont une valeur faciale prédéfinie, d'une valeur fixe et arrondie,

- ils présentent une durée de validité de une ou deux années,

- ils sont au porteur et peuvent faire l'objet de reventes ou de donations,

- ils sont échangeables contre des biens ou des services dont la catégorie est déterminée

- ils ne sont valables qu'auprès d'enseignes prédéterminées,

- ils ne peuvent en aucun cas être remboursés en numéraire, même partiellement ;

Considérant qu'il ressort de ces caractéristiques que les chèques-cadeaux ne sont pas des instruments de transfert de fonds, ainsi qu'il va être démontré ;

7/ Les chèques-cadeaux ne sont pas des moyens de paiement

Considérant qu'il convient de justifier la position de la Cour selon laquelle les chèques-cadeaux de l'espèce ne sont pas des moyens de paiement ;

7-1/ Le chèque-cadeau n'est pas un instrument de transfert de fonds, car il ne peut être échangé contre un autre instrument de transfert de fonds tel que des espèces, un chèque, une lettre de change, un billet à ordre ;

Considérant que le " chèque-cadeau " ne peut être échangé contre des biens et des services ; qu'il est expressément précisé que le " chèque-cadeau " ne peut être remboursé ; que, de même partiellement il ne peut être échangé contre un moyen de paiement, mais seulement contre un autre bon d'achat ;

Considérant qu'un instrument de transfert de fonds est susceptible d'être échangé contre tout autre moyen de paiement ; qu'ainsi sont échangeables, les uns avec chacun des autres, les espèces, les devises étrangères, les chèques, les lettres de change, les billets à ordre, les opérations par carte bancaire ;

Considérant que le fait que le " chèque-cadeau " ne puisse pas être échangé contre un autre moyen de paiement démontre qu'il n'est pas un instrument de transfert de fonds ;

Considérant que l'explication économique se trouve dans le fait que la société Tir Groupé a payé le chèque-cadeau pour sa valeur faciale diminuée d'une remise, et donc que si l'établissement émetteur des chèques-cadeaux remboursait avec des fonds le consommateur final, il perdrait la remise sans aucune contrepartie ; que ce schéma économique démontre que le chèque-cadeau ne transfère pas des fonds ; qu'en réalité il transfère des biens ou des services, qui peuvent faire l'objet d'une réduction de prix, compensée par une augmentation du chiffre d'affaires ;

7-2/ Le chèque-cadeau n'est pas un instrument de transfert de fonds, car il ne peut, ni être déposé, ni être viré sur un compte bancaire

Considérant qu'il n'est pas contesté que les établissements de crédit n'acceptent pas qu'un " chèque-cadeau " soit déposé sur un compte bancaire ou fasse l'objet d'un virement bancaire ;

Considérant que cette impossibilité résulte du fait que les chèques-cadeaux ne sont utilisables qu'auprès de certains commerçants limitativement déterminés et qu'ils n'ont aucune valeur vis-à-vis des banques ;

7-3/ Le chèque-cadeau n'est pas un instrument de transfert de fonds, car il ne peut être présenté comme moyen d'échange qu'auprès de certaines personnes limitativement définies

Considérant que tous les instruments de transfert de fonds sont susceptibles d'être acceptés par tous les acteurs de la vie économique ;

Considérant en revanche que les " chèques-cadeaux " ne sont acceptés que par des personnes limitativement définies ;

Considérant que les " chèque-cadeaux " mono-enseigne ne sont acceptés que par le fournisseur de biens ou de services qui les a émis ; que les " chéques cadeaux " multi-enseignes ne sont acceptés que par les fournisseurs de biens ou de services qui se sont contractuellement engagés à les accepter, et qui sont limitativement énumérés sur le chèque-cadeau ;

Considérant que les sociétés appelantes font valoir que la société Tir Groupé a organisé une " bourse " des chèques-cadeaux dans lequel elle fait office de " chambre de compensation ", et expliquent que les chèques-cadeaux sont à l'enseigne de " Tir Groupé " ; et que les acquéreurs ou bénéficiaires de ces chèques-cadeaux doivent s'adresser à Tir Groupé pour les échanger contre les chèques-cadeaux émis par les fournisseurs de biens ou de services chez qui ils veulent faire leurs achats ; que les sociétés appelantes font observer ainsi que les clients finaux peuvent obtenir des " chèques-cadeaux " non seulement des sociétés du groupe PPR, mais également des " chèques-cadeaux " des sociétés éventuellement concurrentes, qui utilisent, comme elles, les services de Tir Groupé ; qu'elles soulignent que par ce procédé le consommateur final peut s'adresser à un nombre considérable d'enseignes et de magasins, sur tout le territoire national ;

Considérant qu'il est exact que le système utilisé par la société Tir Groupé, et qui consiste à réunir les offres de chèques-cadeaux de multiples enseignes, étend de manière significative le champ de validité des " chèques-cadeaux Tir Groupé " qui peuvent ainsi être échangés contre les chèques-cadeaux de toutes ces enseignes, et qui donnent ainsi la possibilité de se procurer tous les biens et services proposés par ces dernières ;

Considérant qu'il convient de tenir compte de cet effet de levier pour apprécier la nature des chèques-cadeaux de l'espèce et de retenir que ceux-ci sont valables comme bons d'achat de tous les biens et services distribués par toutes les entreprises dont la société Tir Groupé achète des chèques-cadeaux, sauf exclusion expresse de certains produits ;

Mais considérant que même en réunissant tous les fournisseurs de biens et de services qui font appel à Tir Groupé pour placer des " chèques-cadeaux ", ces derniers ne sont acceptés que par un nombre infime de personnes, au regard de la totalité des acteurs économiques ; que le caractère limité des personnes acceptant les " chèques-cadeaux " démontre que ces derniers ne constituent pas des instruments de transfert de fonds ;

7-4/ Le chèque-cadeau n'est pas un instrument de transfert de fonds, car il ne peut être échangé contre des biens et des services limitativement définis

Considérant que les sociétés appelantes soulignent également que compte tenu du nombre de sociétés concernées, et de l'importance nationale de ces sociétés, le consommateur final dispose d'un choix extrêmement large de produits et de services ;

Mais considérant que quelle que soit la diversité des biens et des services qui peuvent être échangés contre des chèques-cadeaux, il reste que ces derniers ne permettent pas d'acquérir tous les biens susceptibles d'achat, comme c'est le propre de tout instrument de transfert de fonds ;

7-5/ Les chèques-cadeaux ne sont pas des instruments de transfert de fonds, car ils trouvent leur valeur dans un engagement purement contractuel des sociétés émettrices et non dans la volonté de la puissance publique

Considérant que les chèques-cadeaux ne trouvent leur valeur que dans l'engagement des sociétés émettrices de livrer en échange des biens ou services d'une valeur égale à leur valeur faciale; que la société Tir Groupé analyse parfaitement l'origine de cette valeur dans le contrat d'adhésion proposé par les sociétés émettrices aux clients qui acceptent d'y adhérer en achetant des chèques-cadeaux ; que la seule obligation du client est d'acheter le chèque-cadeau, soit directement au guichet, soit dans le cas d'espèce par l'intermédiaire de la société Tir Groupé tandis que les sociétés émettrices prennent l'engagement de transférer au porteur la propriété des biens ou des services que ce dernier choisira dans leurs établissements ;

Considérant que la nature purement contractuelle du chèque-cadeau explique que sa validité soit limitée à certaines personnes déterminées et à certains produits déterminés ; qu'en l'espèce ils sont limités aux sociétés à qui la société Tir Groupé achète des chèques-cadeaux ;

Considérant que le caractère purement contractuel est incompatible avec la nature d'instrument de transfert de fonds ; qu'en effet seule la puissance publique dispose de la prérogative de conférer à un contrat privé la valeur universelle propre à un instrument de transfert de fonds, valeur universelle qui le rend susceptible d'être accepté par toutes les personnes et qui permet d'acquérir tous les biens et services du marché, ainsi que tous les autres moyens de paiement ;

Considérant que cette valeur universelle n'est décernée par la puissance publique qu'après que celle-ci ait assuré la sécurité nécessaire en définissant et en réglementant avec précision et à peine de sanctions pénales, les instruments valant transfert de fonds ;

Considérant qu'ainsi qu'il a déjà été indiqué, le chèque-cadeau est un procédé commercial sans aucun contenu juridique défini et dont les modalités sont laissées au libre choix de la société émettrice ; que cette absence de réglementation, et donc de sécurité, autre que l'engagement contractuel, confirme qu'il ne s'agit pas d'un instrument de transfert de fonds ;

Considérant que l'on peut imaginer que devant le développement du procédé commercial des chèques-cadeaux, et donc de ses conséquences économiques, sociales et fiscales, la puissance publique, étatique ou communautaire, puisse être amenée à définir et à réglementer les " chèques-cadeaux " ; que l'on peut douter cependant que cette hypothétique réglementation conduise à confier aux établissements de crédit l'émission des chèques-cadeaux ; qu'il s'agirait alors, en quelque sorte, de chèques qui ne seraient utilisables qu'auprès de certaines enseignes et pour certains produits, et dont l'utilité apparaît douteuse ;

Considérant qu'en tout cas force est de constater que les pouvoirs publics n'ont pas encore jugé utile de définir et de réglementer les chèques-cadeaux, et que ce procédé commercial reste purement privé, enfermé dans son champ d'application exclusivement contractuel, et ne disposant pas de la valeur universelle, propre aux instruments de transfert de fonds et que seule la puissance publique peut conférer à une institution contractuelle ;

Considérant qu'il est ainsi démontré que le chèque-cadeau n'est pas un instrument de transfert de fonds ; qu'il paraît utile de compléter cette constatation négative par la recherche d'une définition positive du chèque-cadeau en examinant le circuit économique qu'il suit ;

8/ Le circuit du chèque-cadeau montre qu'il est toujours échangé contre un paiement, comme toute marchandise, sauf lorsqu'il est échangé contre des marchandises, comme tout bon d'achat

Considérant que les chèques-cadeaux de l'espèce constatent :

- d'une part qu'une société, ou un ensemble contractuellement lié de sociétés, reconnaît avoir déjà reçu un paiement satisfactoire pour donner en échange des biens et des services du montant du chèque-cadeau,

- d'autre part que cette société ou cet ensemble de sociétés s'engage à livrer les biens ou services tels qu'ils sont définis sur le chèque-cadeau et pour le montant de ce dernier ;

Considérant que les chèques-cadeaux remplissent donc deux rôles :

1/ le rôle d'un reçu de paiement, ce qui signifie qu'il n'est pas un paiement, et cela dans toutes les étapes de son circuit, sauf celle où il remplit

2/ le rôle de bon d'achat lorsqu'il est échangé par l'utilisateur final contre des biens ou ders services ;

Considérant que le chèque-cadeau peut ainsi être défini comme :

- un bon d'achat trouvant sa cause dans un paiement fait de manière anticipée par un tiers

- qu'encore comme un bon d'achat constatant la reconnaissance par les sociétés émettrices qu'elles ont déjà été payées par un tiers, et qu'elles s'engagent à fournir des biens et services en échange ;

Considérant que l'examen du circuit suivi par le chèque-cadeau devrait établir la pertinence de ces définitions et montrer :

- que le chèque-cadeau passe nécessairement entre les mains de la société qui s'est engagée à l'échanger contre des biens ou des services, et qu'à cette seule étape il remplit son rôle de bon d'achat, déjà payé par un tiers,

- que le chèque-cadeau finit obligatoirement sa course entre les mains de la société qui a déjà été payée par la société Tir Groupé, et qu'à cette étape comme à toutes les autres, à l'exception de l'échange avec les biens ou les services, il remplit son rôle de reçu de paiement ;

8-1/ Première étape, le chèque-cadeau constate le reçu de paiement fait par la société Tir Groupé

Considérant que lorsque les chèques-cadeaux sont vendus à la société Tir Groupé, le paiement se fait de cette société vers les sociétés émettrices, et ces dernières fournissent les chèques-cadeaux qui constatent le reçu du paiement ;

Considérant certes que l'on pourrait être tenté d'analyser l'opération comme l'échange de deux instruments de transfert de fonds : le paiement de la société Tir Groupé contre les chèques-cadeaux que l'on suppose, pour les besoins de la démonstration, transférer des fonds ; qu'il s'agirait alors d'un crédit analogue à l'escompte d'un effet de commerce ;

Mais considérant que dans un crédit, la différence de valeur entre les deux instruments de transfert de fonds est proportionnelle à la durée du crédit ; qu'en l'espèce il n'en est rien, car cette durée dépend de la célérité avec laquelle l'utilisateur final se présentera à la caisse de la société émettrice, et ne peut donc être connue à l'avance ; qu'en outre la remise varie de 12 à 16 % et représenterait un taux d'intérêts usuraire, compte tenu de la durée réduite, dans la majorité des cas, du temps qui sépare le paiement de la société émettrice de la remise des biens ou des services à l'utilisateur final ;

Considérant qu'en réalité la remise consentie à la société Tir Groupé résulte pour une faible part du caractère anticipé du paiement par rapport à la livraison des biens ou des services, mais représente surtout la rémunération méritée par cet intermédiaire dans le démarchage de sa clientèle qui permet un accroissement du chiffre d'affaires des sociétés émettrices ;

Considérant que le chèque-cadeau constitue donc bien, à cette étape, le reçu d'un paiement anticipé, d'un pré-paiement, comme l'ont qualifié les premiers juges ; qu'ainsi sont déjà payés par la société Tir Groupé les biens et services qui seront choisis par l'utilisateur final ;

8-2/ deuxième étape, la société Tir Groupé remet les " chèques-cadeaux Tir Groupé " comme reçus des paiements que lui font ses clients

Considérant que lors de l'étape suivante c'est la société Tir Groupé qui reçoit un paiement de la part de ses clients et qui donne des " chèques-cadeaux Tir Groupé " comme reçus de ce paiement ;

8-3/ Troisième étape, les clients de la société Tir Groupé vendent ou le plus souvent donnent les chèques-cadeaux à l'utilisateur final

Considérant que les comités d'entreprises, les collectivités locales, les associations, les entreprises qui ont acheté les chèques-cadeaux à la société Tir Groupé les revendent au client final, ou plus souvent, lui en font cadeau ;

Considérant que lorsque le client final achète le chèque-cadeau, ce dernier remplit son rôle de reçu de paiement ; que cette hypothèse ne doit pas se rencontrer normalement, car il est plus simple pour l'utilisateur final de payer directement les biens ou services achetés ; que cette hypothèse n'est guère envisageable que pour un paiement partiel par l'utilisateur final, la différence constituant un cadeau ;

Considérant que lorsque le chèque-cadeau est donné, il remplit alors son rôle de bon d'achat constatant la reconnaissance par les sociétés émettrices qu'elles ont déjà été payées, et qu'elles s'engagent à fournir des biens et services en échange ; que dans cette hypothèse, le comité d'entreprise ou la collectivité locale, plutôt que de donner de l'argent, ou un instrument de transfert de fonds, fait cadeau d'un bon d'achat de biens ou de services déterminés ; que ce procédé lui permet de ne pas sortir de son objet social ou de sa mission de service public ;

Considérant que cette étape suffit à démontrer que le chèque-cadeau n'est pas un instrument de transfert de fonds puisqu'il suffit au comité d'entreprise ou à la mairie, plutôt que de donner un chèque-cadeau, de donner de l'argent, ou un autre moyen de transfert de fonds ;

Considérant que cette étape illustre la différence du chèque-cadeau avec d'une part un instrument de transfert de fonds qui permet à la personne gratifiée de satisfaire tous ses désirs de consommation, de jeu, d'épargne, de don..., avec à l'opposé un cadeau choisi et qui peut éventuellement ne pas plaire à la personne gratifiée, et avec la troisième voie du chèque-cadeau qui permet de faire le cadeau d'un bien ou d'un service qui sera choisi par la personne gratifiée dans un éventail plus ou moins large selon les modalités du chèque-cadeau ;

Qu'en d'autres termes le chèque-cadeau est un éventail de biens ou de services pré-payés dans lequel la personne gratifiée effectue son choix ;

8-4/ Quatrième étape, le " chèque-cadeau Tir Groupé " est échangé contre un chèque-cadeau utilisable auprès de l'une des enseignes

Considérant que la personne qui a reçu le " chèque-cadeau Tir Groupé " l'échange contre un chèque-cadeau utilisable auprès de l'une des sociétés ou de l'un des groupes de sociétés qui l'a émis ; que cet échange ne modifie en rien la nature juridique du chèque-cadeau utilisable ;

8-5/ Cinquième étape, l'utilisateur final échange le chèque-cadeau contre des biens ou des services, et s'en sert comme bon d'achat pré-payé, il n'effectue pas un second paiement

Considérant que l'utilisateur final du chèque-cadeau choisit un des biens et des services qui lui est offert, et l'obtient, en échange du chèque-cadeau ; que celui-ci remplit alors sa fonction du bon d'achat trouvant sa cause dans le paiement anticipé fait par la société Tir Groupé ;

Considérant que si le bon d'achat était un instrument de transfert de fonds, les biens ou services seraient payés deux fois, une première fois par la société Tir Groupé, une seconde fois par la remise du chèque-cadeau, par hypothèse moyen de paiement ; que cette constatation de fait suffit à démontrer que le chèque-cadeau n'est pas un instrument de transfert de fonds ;

Considérant que lorsque le client final donne le chèque-cadeau en échange des biens ou des services, il n'effectue pas un paiement ; qu'en effet, et ainsi que le précise l'article 1235 du Code civil, " tout paiement suppose une dette " ; qu'en l'occurrence, le porteur du chèque-cadeau n'a aucune dette vis-à-vis de la société émettrice qui a au contraire l'obligation de livrer ces biens et services ; que dans cette opération, c'est la société émettrice qui éteint sa dette, résultant du pré-paiement, et le client final qui lui en donne acte en lui remettant le chèque-cadeau ;

Considérant que lors de cette opération, qui constitue la cinquième étape, selon la description adoptée par la Cour, le bon d'achat est remis à la société qui a fourni les biens et marchandises et ne peut être remis à aucune autre personne ; qu'ainsi qu'il a été annoncé, le circuit du chèque-cadeau passe impérativement par la remise par l'utilisateur final du bon d'achat à l'enseigne qui lui remet les biens ou services ;

Considérant qu'en d'autres termes le circuit du chèque-cadeau aboutit nécessairement entre les mains de la société qui fournit les biens ou les services ;

Considérant que cette destination unique et obligatoire confirme que le chèque-cadeau n'est pas un instrument de transfert de fonds, puisqu'un tel instrument est à destination universelle, à tous les acteurs de la vie économique ;

Considérant que l'enseigne qui reçoit le chèque-cadeau peut être celle qui a été payée par la société Tir Groupé, mais également une autre des enseignes qui s'est contractuellement engagée à reconnaître comme valables les chèques-cadeaux émis par la société déjà payée par la société Tir Groupé ; que cette cinquième étape doit être examinée selon ces deux hypothèses ;

8-5-1/Cinquième et sixième étape réunies lorsque l'utilisateur final du chèque-cadeau remet ce dernier, à la société qui a déjà été payée par la société Tir Groupé

Considérant que lorsque l'utilisateur final utilise le bon d'achat, c'est-à-dire qu'il l'a donné à la société qui lui fournit les biens et services, la circulation du chèque-cadeau n'est terminée que si cette société est celle qui a reçu le paiement anticipé effectué par la société Tir Groupé ;

Considérant que dans cette hypothèse, qui suppose que l'utilisateur final a choisi un bien ou un service offert par la société qui a émis le chèque-cadeau et en a été payée par la société Tir Groupé, le circuit de ce chèque-cadeau se trouve terminé ; que la société émettrice détient désormais le chèque-cadeau et pourra opérer la régularisation comptable constatant la sortie de marchandises correspondant au paiement déjà fait par la société Tir Groupé ; que le chèque-cadeau est effectivement retourné entre les mains de la société qui a reçu le paiement anticipé ;

Considérant que dans cette hypothèse, le circuit est terminé le chèque-cadeau est passé entre les mains de la société qui a remis les biens ou services (cinquième étape) et il est passé entre les mains de la société déjà payée par la société Tir Groupé (sixième étape) ; que la cinquième et la sixième étape se sont déroulées simultanément ;

8-5-2/Cinquième et avant-dernière étape, lorsque l'utilisateur final remet le chèque-cadeau à une société qui n'a pas été payée par la société Tir Groupé

Considérant qu'il existe une autre hypothèse lorsque l'utilisateur final ne s'est pas adressé à la société qui a reçu le paiement anticipé, mais s'est fourni auprès de l'une des sociétés qui ont convenu de reconnaître comme valables les chèques-cadeaux émis par l'une des autres ; que dans cette circonstance, le bon d'achat se trouve entre les mains de la société qui a fourni les biens ou services, mais non entre les mains de la société qui a reçu le paiement anticipé ;

Considérant que dans ce cas la société qui a fourni les biens ou les services se retrouve en possession du bon d'achat, mais n'a, par ce document reçu aucun paiement ;

Considérant que si la circulation du bon d'achat s'arrête alors, la société qui a fourni les biens ou les services n'aura rien reçu en échange si ce n'est un bon d'achat sans aucune valeur ;

Considérant que cette hypothèse suffit à démontrer que le bon d'achat n'est pas un instrument de transfert de fonds puisque sa remise ne suffit pas à opérer le paiement ;

Que c'est donc à tort que les sociétés appelantes fondent leur démonstration sur le fait que " le chèque-cadeau est un instrument de paiement puisque par son intermédiaire, une somme d'argent est transférée du porteur du titre au commerçant qui honore celui-ci " ;

Considérant qu'en effet il vient d'être démonté que le bon d'achat n'opère aucun transfert de fonds ni aucun paiement mais ne vaut, lorsqu'il est échangé contre les biens ou services que comme le reçu de ces produits ;

Considérant que dans cette éventualité, une sixième étape est nécessaire : le paiement du commerçant qui a honoré le chèque-cadeau ;

8-6/ Sixième étape, la société qui a remis les biens ou les services demande à la société qui a été payée par la société Tir Groupé le transfert de ce pré-paiement à son profit

Considérant que cette sixième étape est obligatoire, même si, ainsi qu'il a été indiqué, elle peut se faire simultanément avec la cinquième lorsque la société qui a remis les biens ou les services est celle qui a été payée par la société Tir Groupé ;

Considérant que l'on se place dans l'hypothèse où la société qui a remis les biens ou services en échange du chèque-cadeau n'est pas celle qui a été payée par la société Tir Groupé ; que dans ce cas on constate :

- qu'elle s'est dépouillée sans être payée, sans recevoir aucun fonds ;

- qu'elle ne peut recevoir des fonds que d'une seule personne, celle qui a déjà été payée par la société Tir Groupé ;

- que ce seul et unique recours repose sur l'engagement de cette société de reconnaître la validité des chèques-cadeaux,

- que ce recours repose donc sur un engagement purement civil dont la violation ne peut entraîner aucune sanction pénale ;

Considérant que ces constatations confirment que le destinataire final du chèque-cadeau ne peut être qu'une seule personne, celle qui a déjà été payée ; que l'on doit déduire du caractère unique et obligatoire de cette destination que le chèque-cadeau n'est pas un moyen de transfert de fonds qui, par définition, est susceptible d'être accepté par tout acteur de la vie économique,

Considérant que ces constatations confirment également que le chèque-cadeau ne trouve sa valeur que dans un engagement purement contractuel, auprès d'une seule personne, et se trouve ainsi privé de la valeur universelle et de la sanction pénale accordées par la puissance publique, propres à tout instrument de transfert de fonds ;

Considérant qu'il convient de retenir de cette analyse que le chèque-cadeau n'est pas un moyen de paiement, mais qu'il est un bon d'achat constatant la reconnaissance par les sociétés émettrices qu'elles ont déjà été payées par un tiers, et qu'elles s'engagent à fournir en échange des biens et services dans la limite de la date de validité ;

9/ Sur l'article 12-5 de la loi du 24 janvier 1984

Considérant que les parties invoquant l'article 12-5 de la loi du 24 janvier 1984 au soutien de leurs thèses, il est nécessaire d'en faire état ;

Considérant que l'article 12-5 de la loi précise qu'une entreprise peut émettre des bons et cartes délivrés pour l'achat auprès d'elle, d'un bien ou d'un service déterminé ;

Considérant que la nature des cartes est étrangère au litige et ne sera pas examinée ; que le texte ne sera interprété qu'en ce qui concerne les bons ;

Considérant que les sociétés appelantes soutiennent que cet article fait exception à l'interdiction d'émettre des bons lorsque ceux-ci sont émis par une seule société et ne sont valables qu'auprès de cette société, mais non lorsque plusieurs sociétés émettent des bons valables auprès de chacune d'elles ;

Mais considérant que le texte législatif ne donne aucune précision lorsque plusieurs sociétés émettent des bons valables auprès de chacune d'elles ; que les sociétés appelantes ne précisent pas ce qui justifierait d'interpréter le silence du texte comme elles le préconisent ; que compte tenu du fait que les bons ne sont pas des moyens de paiement, ainsi qu'il a été démontré, le texte sera interprété comme illustrant cette constatation ;

Considérant que la société Tir Groupé invoque ce texte, mais seulement à titre subsidiaire ; qu'il n'est donc pas nécessaire d'y avoir recours dès lors qu'est retenue l'argumentation principale selon laquelle les chèques-cadeaux ne sont pas des moyens de paiement ;

10/ Sur la demande des sociétés appelantes en annulation de la convention et subsidiairement en résolution de la convention

Considérant que les sociétés appelantes demandent la nullité de la convention tacite au motif que celle-ci a une cause contraire à l'ordre public pour deux motifs :

- pour la raison principale que la société Tir Groupé ne respecte pas les règles imposées à tout établissement de crédit par la loi du 24 janvier 1984,

- pour la raison subsidiaire que la société Tir Groupé ne respecte pas les règles imposées à tout intermédiaire en opérations de banque par la loi du 24 janvier 1984 ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, la nature d'établissement de crédit de la société Tir Groupé, comme sa qualité d'intermédiaire en opérations de banque, dépendent du point de savoir si les chèques-cadeaux sont des instruments de transfert de fonds ; que dès lors qu'il a été démontré que les chèques-cadeaux n'étaient que des bons d'achat causés par un paiement effectué de manière anticipée par un tiers, il s'en déduit que la société Tir Groupé n'est pas un établissement de crédit, ni un intermédiaire en opérations de banque ; qu'elle n'a donc pas à justifier de ce qu'elle remplit les conditions imposées à ces établissements et à ces intermédiaires ;

Considérant que sans même qu'il y ait lieu de vérifier, pour l'heure, qu'une " convention tacite " existe, il suffit de constater que le motif de nullité invoqué n'est pas fondé, pour débouter les sociétés appelantes de leur demande en annulation pour cause illicite ;

Considérant que les sociétés appelantes demandent à titre subsidiaire la résolution de la convention tacite sur le fondement de l'article 1184 du Code civil ; qu'elles reprochent à la société Tir Groupé de refuser de justifier de ce qu'elle respecte les règles imposées par la loi du 24 janvier 1984 ;

Considérant que le motif de résolution est le même que celui d'annulation et n'est donc pas fondé ; que les sociétés appelantes doivent en conséquence être déboutées de leur demande en résolution de la convention tacite ;

11/ Sur le vice du consentement

Considérant que les sociétés appelantes demandent incidemment dans les motifs de leurs écritures la résolution des conventions pour vice du consentement ;

Considérant que le vice du consentement ne peut être qu'une cause d'annulation d'une convention, et non une cause de résolution ;

Considérant que les sociétés appelantes ne précisent pas en quoi leur consentement n'a pas été donné en toute connaissance de cause ; que la " convention tacite " qu'ils invoquent est celle qui serait née de dix années de relations commerciales, faite de ventes de chèques-cadeaux ; que l'on comprend mal quelle est l'erreur qu'elles ont pu commettre ; qu'il faudrait en outre qu'elles démontrent que cet erreur porte sur une qualité substantielle de la chose vendue ; qu'elles ne prétendent pas avoir ignoré le fonctionnement des chèques-cadeaux qu'elles vendaient à la société Tir Groupé ; que ne démontrant pas l'existence du vice du consentement qu'elles invoquent, elles seront déboutées de ce chef de demande ;

12/ Sur la concurrence déloyale

Considérant que dans le dispositif de leurs conclusions, les sociétés appelantes demandent que la société Tir Groupé soit condamnée à leur payer la somme de 1.000.000 F à titre de dommages-intérêts pour l'utilisation abusive de leurs signes commerciaux ou dénomination sociales ;

Considérant que les sociétés appelantes soutiennent que la société Tir Groupé exerce une concurrence déloyale vis-à-vis des autres établissements de crédit car elle s'affranchit des règles qui s'imposent à ces derniers ; que cette argumentation n'est pas fondée, dès lors qu'il est démontré que la société Tir Groupé n'est ni un établissement de crédit, ni un intermédiaire en opérations de bourse ;

Considérant que les sociétés appelantes émettent les chèques-cadeaux et les vendent à la société Tir Groupé pour que celle-ci prospecte ses clients et les leur vende à son tour ; que l'intérêt commun des parties est de vendre le maximum de produits, en l'espèce des chèques-cadeaux ; que la société Tir Groupé apparaît comme un distributeur des chèques-cadeaux émis par les sociétés appelantes ; que l'on ne conçoit pas comment un intermédiaire, chargé de vendre les produits d'un fournisseur, pourrait faire concurrence à ce fournisseur ;

Considérant, certes, que la société Tir Groupé met en concurrence, auprès des utilisateurs finaux, toutes les sociétés qui lui vendent des chèques-cadeaux ; que les sociétés appelantes n'expliquent pas en quoi cette concurrence sera illicite ou déloyale à leur égard ; que le système employé permet à la société Tir Groupé de développer sa propre clientèle, en offrant une large gamme de produits ; que l'on peut supposer que la majorité de ses fournisseurs profitent de cet accroissement de la clientèle de la société Tir Groupé, peut-être plus pour les meilleurs, et moins pour ceux qui ont moins de succès auprès des utilisateurs finaux ; qu'en tout cas, pour chaque fournisseur soit placé sur un pied d'égalité, il doit figurer en bonne part sur les documents commerciaux et publicitaires de la société Tir Groupé ; que les sociétés appelantes pourraient se plaindre de n'y pas figurer, mais ne peuvent faire reproche à la société Tir Groupé de mettre en évidence leurs signes commerciaux et dénominations sociales ;

Considérant qu'il suffit, pour le fournisseur qui trouve à redire à cette manière de procéder, de ne plus vendre de chèques-cadeaux à la société Tir Groupé, en respectant cependant un préavis écrit et d'une durée tenant compte des relations commerciales antérieures et des usages reconnus par des accords interprofessionnels ;

Considérant que les sociétés appelantes ne démontrent pas que la société Tir Groupé se soit livrée à des actes de concurrence déloyale à leur égard ; qu'elles doivent être déboutées de ce chef de demande ;

13/ Sur la rupture des relations commerciales établies

13-1/ Les parties fondent, au moins à titre subsidiaire, leurs demandes sur la rupture des relations commerciales établies

Considérant que les sociétés appelantes précisent dans les motifs de leurs conclusions qu'elles sollicitent l'autorisation de cesser toutes relations commerciales avec Tir Groupé ;

Considérant que dans le dispositif de ses conclusions, la société Tir Groupé vise expressément l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et demande

- de condamner à lui payer, à titre de dommages-intérêts pour brusque rupture des relations commerciales, la Fnac 2.400.000 F, France Printemps 600.000 F et La Redoute France 1.000.000 F,

- de lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de solliciter ultérieurement la résolution des conventions aux torts des sociétés Fnac, La Redoute et Printemps, étant entendu qu'elle s'est contentée, à ce jour, de solliciter l'exécution forcée des conventions de fournitures et l'indemnisation de son préjudice provisoire dans l'attente de la reprise des relations contractuelles ;

- de lui donner acte de ce qu'elle ne peut aujourd'hui présumer de l'intention future des sociétés Fnac, La Redoute et France Printemps de cesser leurs relations commerciales sur un principe autre que celui qui est aujourd'hui invoqué relatif à l'application éventuelle de la loi bancaire,

Considérant que l'on constate ainsi que les parties ont placé le litige, au moins à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article 36-5 de l'ordonnance de la loi du 1er décembre 1986 sanctionnant la rupture d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures et des usages reconnus par des accords interprofessionnels ;

Considérant que ce faisant les parties font coïncider l'objet du litige avec la réalité des faits qui montrent qu'effectivement, des relations commerciales se sont établies entre la société Tir Groupé et chacune des sociétés France Printemps, Fnac et La Redoute, depuis environ dix années ;

13-2/ Les parties invoquent une " convention tacite " qui n'existe pas

Considérant que les parties s'accordent par ailleurs pour estimer qu'il existe entre la société Tir Groupé et chacune des sociétés France Printemps, Fnac et La Redoute une " convention tacite " ; que cependant elles ne précisent pas quel pourrait être le contenu de cette " convention tacite " ; qu'en tout cas il ne peut s'agir que de relations contractuelles à durée indéterminée car aucun élément du dossier ne permet de penser que les parties auraient convenu de fixer une date d'expiration à leur courant d'affaires ;

Considérant qu'une telle convention à durée indéterminée est résiliable à tout moment, sans motif, sauf à démontrer un abus de droit, en respectant un préavis raisonnable ; que ces règles sont similaires à celles qui prévalent pour la rupture de relations commerciales établies ; que prétendre qu'il existe une " convention tacite " née des relations commerciales établies ne présente aucun intérêt dans le présent litige;

Considérant qu'en revanche il sera retenu que des relations commerciales établies existent entre la société Tir Groupé et chacune des sociétés France Printemps, Fnac et La Redoute, et que c'est par juste appréciation des faits que les parties invoquent ces relations commerciales établies à l'appui de leurs demandes et que c'est par une juste appréciation du droit qu'elles invoquent les dispositions de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

13-3/ Sur la rupture des relations commerciales

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, les sociétés appelantes demandent " l'autorisation de mettre un terme aux relations commerciales qu'elles entretenaient avec Tir Groupé " ;

Considérant que l'argumentation de la société Tir Groupé doit être analysée avec soin car cette dernière demande en même temps, dans le dispositif de ses écritures, d'une part des dommages-intérêts pour " brusque rupture des relations commerciales " et d'autre part le donner acte de ce qu'elle ne peut aujourd'hui présumer de l'intention future des sociétés Fnac, La Redoute et France Printemps de cesser leurs relations commerciales sur un principe autre que celui qui est aujourd'hui invoqué relatif à l'application éventuelle de la loi bancaire ;

Considérant que pour résoudre cette apparente contradiction, et comme y invitent les explications contenues dans les motifs de ses conclusions, la Cour retiendra que la société Tir Groupé ne réclame pas des dommages-intérêts pour " brusque rupture des relations commerciales ", mais pour le préjudice que lui a causé, pendant la présente procédure, la brusque interruption des relations commerciales, qui seront peut-être reprises par la suite ;

Mais considérant que les relations commerciales établies peuvent être rompues, sans motif, à tout moment, en respectant un préavis écrit; que les sociétés appelantes n'ont pas à indiquer le motif de leur désir de rompre les relations commerciales; qu'en conséquence le fait que le prétexte invoqué soit faux ne leur interdit en rien de rompre les relations commerciales; qu'il n'est pas prétendu que les sociétés appelantes aient abusé de leur droit de rompre ces relations ; que l'on peut supposer qu'elles exercent ce droit parce qu'elles pensent que tel est leur intérêt ; que cette supposition est d'ailleurs faite par la société Tir Groupé elle-même qui les soupçonnent d'avoir trouvé d'autres sociétés distributrices moins chères, ou qui ne les mettent pas en concurrence avec d'autres sociétés ; qu'en tout cas force est de faire droit à la demande des sociétés appelantes et de constater que celles-ci ont mis un terme aux relations commerciales qu'elles entretenaient avec Tir Groupé ;

Considérant que la rupture de ces relations commerciales est intervenue à réception de la lettre en date du 10 juin 1998, adressée à la société Tir Groupé par la Finaref, agissant comme mandataire des sociétés France Printemps, La Redoute et Fnac ;

Considérant qu'il sera toujours loisible aux parties de reprendre leurs relations commerciales si elles s'accordent en ce sens ; que cet avenir leur appartient librement, sans que la juridiction ait le pouvoir d'y intervenir ;

13-4/ Sur la demande de livraison forcée des chèques-cadeaux commandés les 5 et 10 août 1998, sous astreinte

Considérant que la société Tir Groupé demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné les sociétés Fnac et France Printemps à lui livrer les marchandises commandées les 5 et 10 août 1998 sous astreinte de 5.000 F par jour de retard ;

Mais considérant que la rupture des relations commerciales remontent, ainsi qu'il a été indiqué, au mois de juin 1998 ; que cette rupture s'impose aux parties et à la Cour puisque les relations commerciales peuvent être interrompues à tout moment et sans motif dès lors qu'il n'est pas abusé de ce droit; qu'il n'entre pas dans les pouvoirs de la juridiction de contraindre au rétablissement de ces relations commerciales, mais seulement de réparer le préjudice qui a été causé si la rupture est fautive, notamment au regard du préavis imposé par l'article 36-5 précité;

Considérant que l'on pourrait envisager de réparer ce préjudice par une condamnation à livrer sous astreinte; que d'ailleurs le dernier alinéa de l'article 36 dispose que le président de la juridiction saisie peut, en référé, enjoindre la cessation des agissements en cause ou ordonner toute autre mesure provisoire; que la société Tir Groupé n'a pas utilisé cette faculté procédurale ; que compte tenu du temps écoulé il n'apparaît pas, et en tout cas il n'est pas démontré, que donner satisfaction à la demande de la société Tir Groupé tendant à la livraison forcée d'une quantité relativement réduite de chèques-cadeaux, pourrait diminuer de quelque manière que ce soit son préjudice; que cette demande n'est donc pas justifiée et sera rejetée ; que le jugement sera infirmé en conséquence ;

13-5/ Sur l'absence de préavis à la rupture

Considérant que dans la lettre de rupture du 10 juin 1998, la société Finaref, agissant pour les sociétés La Redoute, France Printemps et Fnac, a rompu les relations commerciales avec une précipitation avérée en écrivant :

" ... nous vous demandons de bien vouloir nous indiquer sous 48 heures la liste des personnes intervenant dans la gestion ou l'administration de votre société, ainsi que pour chacune d'elles, la justification qu'elle souscrit aux obligations de non condamnation prévue par les textes.

" Nous pensons utile de vous indiquer qu'à défaut des justifications nécessaires, nous devrons mettre un terme sans délai à nos accords, et ceci sans indemnité d'aucune sorte.

" Nous nous tenons à votre disposition en cas de besoin. "

Considérant que c'est ainsi un délai de 48 heures qui a été donné; qu'il s'agit donc d'une absence de préavis;

Considérant que l'article 36-5 ne prévoit la possibilité de rompre des relations commerciales sans préavis que dans le cas de force majeure, ou d'inexécution de ses obligations par l'autre partie ;

Considérant que la force majeure n'est pas alléguée ;

Considérant que les sociétés appelantes invoquent à tort l'inexécution de la société Tir Groupé de son obligation de justifier du respect de la loi du 24 janvier 1984, puisqu'il a été démontré qu'elle n'était pas soumise à cette loi ;

Considérant que les sociétés appelantes reprochent également à la société Tir Groupé de leur faire une concurrence déloyale et d'utiliser abusivement leurs signes commerciaux et leurs dénominations sociales ; qu'il a déjà été indiqué que la société Tir Groupé, qui ne vend aucun produit concurrent, mais qui est chargée de distribuer les chèques-cadeaux au profit des sociétés appelantes, ne peut leur faire aucune concurrence, mais se doit au contraire de faire figurer sur ses documents publicitaires les signes distinctifs de toutes les sociétés qui lui vendent des chèques-cadeaux, sauf à désavantager celles qui n'y apparaîtraient pas ;

Considérant qu'il n'est pas démontré que la société Tir Groupé n'ait pas exécuté ses obligations ; que les sociétés appelantes devaient en conséquence respecter un préavis pour rompre les relations commerciales; que ne l'ayant pas fait, elles ont engagé leur responsabilité sur le fondement de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que les sociétés Fnac, La Redoute et France Printemps doivent en conséquence être condamnées à payer des dommages-intérêts à la société Tir Groupé, dans la mesure du préjudice résultant de l'absence d'un préavis dont la durée tienne compte des relations commerciales antérieures ou des usages;

13-6/ Sur le montant des dommages-intérêts

Considérant que la fixation du montant des dommages-intérêts nécessite de déterminer d'une part la durée du préavis qui aurait dû être accordé à la société Tir Groupé et d'autre part les conséquences dommageables résultant pour cette dernière de l'absence de préavis, en gain manqué et perte éprouvée ;

Considérant que la discussion des parties n'a porté sur ces points que de manière annexe et s'avère insuffisante pour que la Cour puisse apprécier le montant du préjudice de la société Tir Groupé ;

Qu'il convient de réouvrir l'instruction de l'affaire sur ce point ;

Considérant toutefois que le préjudice est établi, au moins à hauteur des dommages-intérêts alloués par le Tribunal de commerce, et qui représentent les remises accordées à la société Tir Groupé pendant trois mois par chacune des trois sociétés ; que ces sommes seront allouées à la société Tir Groupé, à titre provisionnel ;

14/ Sur les demandes de donner acte

Considérant que les parties sollicitent que la Cour leur donne acte de ce qu'elles se réservent le droit d'intenter d'autres actions susceptibles d'entraîner quelque tracas à leur contradicteur ; que ces demandes seront déclarées irrecevables car il n'entre pas dans les pouvoirs d'une juridiction de statuer sur un litige éventuel et futur, et car les parties n'ont aucun intérêt à obtenir des donnés acte qui n'ont aucune valeur ;

15/ Sur les autres demandes

Considérant que les sociétés appelantes qui ne démontent pas en quoi les interventions volontaires des salariés leur auraient causé un préjudice seront déboutées des demandes de dommages-intérêts qu'elles forment à l'encontre des intervenants ;

Considérant qu'il convient d'ores et déjà de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés Finaref, La Redoute, France Printemps, Fnac et Conforama à payer à la société Tir Groupé la somme de 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, en réservant la faculté d'y ajouter ;

Considérant que les dépens déjà exposés, sauf ceux relatifs aux interventions volontaires des salariés, seront mis à la charge in solidum des sociétés Finaref, La Redoute, France Printemps, Fnac et Conforama ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare les salariés de la société Tir Groupé recevables en leurs interventions volontaires, mais irrecevables en leurs demandes autres que de soutien des demandes de la société Tir Groupé ; Déboute les sociétés appelantes des demandes qu'elles forment contre chacun des salariés intervenant en cause d'appel, Déclare irrecevables les demandes de donner acte formées par les parties, Confirme le jugement rendu le 20 novembre 1998 par le Tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a : - déclaré la société Finaref irrecevable, - condamné la société Finaref à payer à la société Tir Groupé la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, - condamné in solidum les sociétés Finaref, La Redoute, France Printemps, Fnac et Conforama à payer à la société Tir Groupé la somme de 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, - condamné in solidum les sociétés Finaref, La Redoute, France Printemps, Fnac et Conforama aux dépens de première instance, - retenu le principe de la responsabilité des sociétés La Redoute, France Printemps et Fnac, - condamné à payer à la société Tir Groupé, à titre de dommages-intérêts, la Fnac 600 000 F, le Printemps 134.000 F, La Redoute 265.000 F, la Cour précisant toutefois que ces sommes sont allouées à titre provisionnel et sont susceptibles d'être augmentées au vu du complément d'instruction ordonné, Infirme le jugement pour le surplus et statuant à nouveau, Déclare irrecevable l'action intentée par la société Conforama, Déboute les sociétés La Redoute, France Printemps et Fnac de leurs demandes en annulation et subsidiairement en résolution des conventions tacites qui les auraient liées, d'après elles, à la société Tir Groupé, Déboute les sociétés La Redoute, France Printemps et Fnac de leurs demandes fondées sur le vice du consentement, Déboute les sociétés La Redoute, France Printemps et Fnac de leurs demandes fondées sur la concurrence illicite et déloyale de la société Tir Groupé, Constate que les sociétés La Redoute, France Printemps et Fnac ont rompu le 10 juin 1998 leurs relations commerciales établies avec la société Tir Groupé, et déboute cette dernière de sa demande de livraison des chèques-cadeaux commandés les 5 et 10 août 1998, Constate que les sociétés La Redoute, France Printemps et Fnac ont rompu leurs relations commerciales établies avec la société Tir Groupé, sans respecter de préavis et les condamne, chacune, à réparer le préjudice qui en est résulté pour cette dernière, Avant dire droit sur l'évaluation des dommages-intérêts qui seront dus par chacune des sociétés La Redoute, France Printemps et Fnac, ordonne la réouverture de l'instruction de l'affaire, Invite la société Tir Groupé à fournir les éléments de fait et de droit permettant de déterminer la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé selon les critères de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ainsi que le préjudice qui lui a été causé par l'absence de ce préavis, Invite les sociétés Fnac, La Redoute et France Printemps à faire valoir leurs observations sur les éléments de fait et de droit qui seront fournis par la société Tir Groupé, Dit que la société Tir Groupé devra conclure avant le 11 août 1999, les sociétés France Printemps, Fnac et La Redoute avant le 5 octobre 1999, Dit que l'ordonnance de clôture sera rendue le 2 novembre 1999 et que l'audience des plaidoiries aura lieu le jeudi 2 décembre 1999 à 14 heures, Dit que chacun des salariés supportera les dépens afférents à son intervention volontaire, Dit que les dépens déjà exposés, à l'exclusion des dépens de l'intervention volontaire des salariés, seront supportés in solidum par les sociétés Finaref, La Redoute, France Printemps, Fnac et Conforama, et accorde aux avoués susceptibles d'y prétendre, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.